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06/05/2021 | LUXEMBOURG | N°80/21

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 06 mai 2021, 80/21


N° 80 / 2021 du 06.05.2021 Numéro CAS-2020-00033 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, six mai deux mille vingt-et-un.

Composition:

Jean-Claude WIWINIUS, président de la Cour, Michel REIFFERS, conseiller à la Cour de cassation, Roger LINDEN, conseiller à la Cour de cassation, Lotty PRUSSEN, conseiller à la Cour de cassation, Anne-Françoise GREMLING, conseiller à la Cour d’appel, Marc SCHILTZ, avocat général, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.

Entre:

1) l’ETAT DU GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG, repr

ésenté par le Ministre d’Etat, ayant ses bureaux à L-1341 Luxembourg, 2, Place de Clair...

N° 80 / 2021 du 06.05.2021 Numéro CAS-2020-00033 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, six mai deux mille vingt-et-un.

Composition:

Jean-Claude WIWINIUS, président de la Cour, Michel REIFFERS, conseiller à la Cour de cassation, Roger LINDEN, conseiller à la Cour de cassation, Lotty PRUSSEN, conseiller à la Cour de cassation, Anne-Françoise GREMLING, conseiller à la Cour d’appel, Marc SCHILTZ, avocat général, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.

Entre:

1) l’ETAT DU GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG, représenté par le Ministre d’Etat, ayant ses bureaux à L-1341 Luxembourg, 2, Place de Clairefontaine, 2) l’ADMINISTRATION DE L’ENREGISTREMENT, DES DOMAINES ET DE LA TVA, représentée par le directeur, ayant ses bureaux à L-1651 Luxembourg, 1-3, avenue Guillaume, demandeurs en cassation, comparant par la société anonyme ARENDT & MEDERNACH, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, en l’étude de laquelle domicile est élu, représentée aux fins de la présente instance par Maître François KREMER, avocat à la Cour, et:

la société à responsabilité limitée X), défenderesse en cassation, comparant par Maître Charles KAUFHOLD, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu.

Vu l’arrêt attaqué, numéro 193/19, rendu le 11 décembre 2019 sous le numéro CAL-2018-00667 du rôle par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, deuxième chambre, siégeant en matière civile ;

Vu le mémoire en cassation signifié le 4 mars 2020 par l’ETAT DU GRAND-

DUCHE DE LUXEMBOURG (ci-après « l’ETAT ») et l’ADMINISTRATION DE L’ENREGISTREMENT, DES DOMAINES ET DE LA TVA (ci-après « l’ADMINISTRATION ») à la société à responsabilité limitée X), déposé le 5 mars 2020 au greffe de la Cour ;

Vu le mémoire en réponse signifié le 27 avril 2020 par la société X) à l’ETAT et à l’ADMINISTRATION, déposé le 30 avril 2020 au greffe de la Cour ;

Sur le rapport du conseiller Lotty PRUSSEN et les conclusions du premier avocat général Marie-Jeanne KAPPWEILER ;

Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, la société X) exploite sur la Moselle, sur le tronçon soumis au statut de droit international public de condominium sur lequel les Etats luxembourgeois et allemand exercent en commun leur souveraineté, un commerce de navigation touristique qui avait été considéré par l’ADMINISTRATION comme ne tombant pas dans le champ d’application de la TVA en raison du statut de condominium du fleuve, raison pour laquelle elle n’avait pas sollicité, pendant de longues années, le paiement de la TVA sur la vente des billets de transport de personnes par la société X).

L’acquisition faite par la société X) en 2004 d’un nouveau navire de plaisance avait été soumise à la TVA luxembourgeoise par l’ADMINISTRATION.

Dans le cadre de la procédure judiciaire subséquente à la décision du directeur de l’ADMINISTRATION qui avait rejeté la réclamation de la société X), la Cour d’appel, par un arrêt du 10 juillet 2014, après avoir notamment relevé qu’en application de l’article 1er du traité conclu le 19 décembre 1984 entre le Grand-Duché de Luxembourg et la République fédérale d’Allemagne sur le tracé de la frontière commune entre les deux Etats, le Luxembourg et l’Allemagne exercent en commun la souveraineté sur la Moselle, sous le statut de condominium, et que la TVA sur les prestations de transport de personnes sur le condominium peut être perçue par l’un de ces deux pays, avait dit, d’une part, que l’acquisition du bateau était soumise à la TVA en tant que livraison intracommunautaire au sens de l’article 18 de la loi modifiée du 12 février 1979 concernant la taxe sur la valeur ajoutée et, d’autre part, que la TVA acquittée par la société X) sur cette acquisition était déductible en tant que TVA payée en amont. La Cour d’appel en avait conclu que c’était à tort que le directeur de l’ADMINISTRATION avait confirmé les bulletins d’impôt de la TVA des années 2004 et 2005 du 9 mars 2007 et refusé à la société X) le droit à la déduction de la taxe en amont.

Par la suite, l’ADMINISTRATION avait émis des bulletins de taxation d’office relatifs au chiffre d’affaires de la société X) pour les années 2004 et 2005 et le directeur de l’ADMINISTRATION avait rejeté la réclamation formée par la société X) contre lesdits bulletins.

Saisi par la société X) d’un recours en réformation, sinon en annulation de la décision du directeur de l’ADMINISTRATION, le tribunal d’arrondissement de Luxembourg avait rejeté le moyen tiré de la prescription et le moyen tiré de l’autorité de chose jugée de l’arrêt du 10 juillet 2014, avait annulé les bulletins de taxation d’office litigieux et avait renvoyé le dossier devant l’ADMINISTRATION en vue de l’émission de nouveaux bulletins d’imposition.

Saisie d’un appel contre ce jugement par l’ETAT et l’ADMINISTRATION, la Cour d’appel a dit qu’il n’y avait pas lieu à renvoi préjudiciel devant la Cour de justice de l’Union européenne des questions suivantes :

Première question :

« L’article 2, paragraphe 1er de la directive 77/388/CE du 17 mai 1977 en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme, qui dispose que et/ou l'article 9, paragraphe 2, point b) de la directive 77/388/CE du 17 mai 1977 en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme qui dispose que s'applique(nt)-il(s) et conduit(sent)-il(s) à une imposition à la TVA au Luxembourg des prestations de transports de personnes effectuées par un prestataire établi au Luxembourg, lorsque ces prestations sont effectuées à l'intérieur d'un condominium, tel que ce condominium est défini par le traité entre le Grand-Duché de Luxembourg et la République Fédérale d'Allemagne sur le tracé de la frontière commune entre les deux Etats et de l'échange de lettres, signés à Luxembourg le 19 décembre 1984, comme étant un territoire commun sous souveraineté commune du Grand-Duché de Luxembourg et de la République Fédérale d'Allemagne ? ».

Seconde question :

« En cas de réponse négative à la première question, qui aboutirait à l'absence d'imposition au Luxembourg des prestations de transport effectuées à l'intérieur du condominium par le prestataire ayant son siège au Luxembourg, y a-t-

il lieu d'appliquer à cet assujetti l'article 17 paragraphe 2 de la directive 77/388/CE du 17 mai 1977 en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, qui dispose que :

et, en l’occurrence, y a-t-il lieu de lui accorder le droit de déduire la TVA payée par lui en amont pour l’acquisition du navire lui permettant d’effectuer lesdites prestations de transport dans le condominium ? » et elle a confirmé le jugement entrepris pour le surplus en retenant notamment :

« La Cour approuve (…) les juges de première instance en ce qu’après avoir renvoyé à l’article 17 de la LTVA, ils ont dit que dans la mesure où les prestations de services en cause sont localisées dans le condominium, chacun des deux Etats est potentiellement susceptible de procéder à la perception de la TVA, aucun mécanisme juridique n’empêchant, à l’heure actuelle, les autorités allemandes de procéder à la taxation du chiffre d’affaires réalisé par la société X) à l’intérieur du condominium.

C’est encore à juste titre que le jugement a retenu que la localisation particulière des activités économiques de la société X) exige la mise en place d’un mécanisme permettant d’assurer la perception de la TVA tout en évitant une double taxation de la TVA, les juges de première instance ayant judicieusement relevé que le traité du 19 décembre 1984 entre le Luxembourg et l’Allemagne prévoit, en son article 5, paragraphe 1er, la mise en place d’un tel accord interétatique.

Le jugement est dès lors à confirmer en ce qu’il a retenu qu’en l’absence d’un tel accord, la question du rattachement fiscal à un Etat déterminé des activités exercées par la société X) à l’intérieur du condominium conditionnant la compétence étatique, législative et administrative pour procéder à la perception de la TVA ne se trouve pas réglée, de sorte qu’à l’heure des débats, l’AED n’est pas fondée à taxer le chiffre d’affaires afférent de la société X), la Cour rejoignant le tribunal en ce qu’il a rejeté l’argument des appelants par rapport à l’origine et à la fin de la prestation effectuée, alors qu’il est constant en cause que les prestations s’effectuent sur un navire qui se trouve de tous temps à l’intérieur du condominium. ».

Sur le deuxième moyen de cassation, qui est préalable Enoncé du moyen « tiré de la violation, sinon de la fausse application, sinon de la fausse interprétation de l'article 2, paragraphe 1 de la 6e directive 77/388/CEE du Conseil du 17 mai 1977 en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires, aux termes duquel :

transposé par l'article 2, a) de la loi modifiée du 12 février 1979 concernant la taxe sur la valeur ajoutée, en sa teneur en vigueur en 2004 et 2005 ;

en ce que l'arrêt attaqué a retenu que l'article 2 de la 6e directive (et dès lors l'article 2 de la loi TVA, en sa teneur en vigueur en 2004 et 2005) ne s'applique pas aux prestations de services effectuées par X) dans le Condominium de la Moselle ;

aux motifs que ;

alors qu'en n'ayant pas, afin de déterminer le lieu d'imposition et de taxation des opérations de transport effectuées dans le Condominium de la Moselle, référé à l'article 2 paragraphe 1 de la 6e directive, transposé par l'article 2, a) de la loi modifiée du 12 février 1979 concernant la taxe sur la valeur ajoutée, en sa teneur en vigueur en 2004 et 2005, la Cour d'appel a violé cet article. ».

Réponse de la Cour Le moyen portant sur la question de savoir si la directive 77/388/CEE du Conseil du 17 mai 1977 s’applique au territoire de la Moselle sous souveraineté commune du Grand-Duché de Luxembourg et de la République fédérale d’Allemagne et posant une question d’applicabilité de la TVA dans l’espace européen, en présence du traité conclu le 19 décembre 1984 entre le Grand-Duché de Luxembourg et la République fédérale d’Allemagne sur le tracé de la frontière commune entre les deux Etats, la réponse requiert, avant tout autre progrès, le recours à une question préjudicielle à soumettre à la Cour de justice de l’Union européenne dans les termes suivants :

« L’article 2, paragraphe 1er de la directive 77/388/CE du 17 mai 1977 en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme, qui dispose que et/ou l'article 9, paragraphe 2, point b) de la directive 77/388/CE du 17 mai 1977 en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme qui dispose que s'applique(nt)-il(s) et conduit(sent)-il(s) à une imposition à la TVA au Luxembourg des prestations de transports de personnes effectuées par un prestataire établi au Luxembourg, lorsque ces prestations sont effectuées à l'intérieur d'un condominium, tel que ce condominium est défini par le traité entre le Grand-Duché de Luxembourg et la République Fédérale d'Allemagne sur le tracé de la frontière commune entre les deux Etats et de l'échange de lettres, signés à Luxembourg le 19 décembre 1984, comme étant un territoire commun sous souveraineté commune du Grand-Duché de Luxembourg et de la République Fédérale d'Allemagne et par rapport auquel il n’existe, en matière de perception de la TVA sur les prestations de service de transport, pas d’accord entre les deux Etats tel que prévu par l’article 5, paragraphe 1, du traité entre le Grand-Duché de Luxembourg et la République fédérale d’Allemagne sur le tracé de la frontière commune entre les deux Etats du 19 décembre 1984 aux termes duquel ? ».

La seconde question préjudicielle n’est pas à soumettre à la Cour de justice de l’Union européenne pour porter sur le premier litige entre parties qui a été toisé par l’arrêt de la Cour d’appel du 10 juillet 2014, partant distinct du présent litige soumis à la Cour.

Sur la demande en allocation d’une indemnité de procédure En l’état actuel de la procédure, il y a lieu de surseoir à statuer sur la demande de la défenderesse en cassation en allocation d’une indemnité de procédure.

PAR CES MOTIFS, la Cour de cassation :

avant tout autre progrès en cause, soumet à la Cour de justice de l’Union européenne la question préjudicielle suivante :

« L’article 2, paragraphe 1er de la directive 77/388/CE du 17 mai 1977 en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme, qui dispose que et/ou l'article 9, paragraphe 2, point b) de la directive 77/388/CE du 17 mai 1977 en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme qui dispose que s'applique(nt)-il(s) et conduit(sent)-il(s) à une imposition à la TVA au Luxembourg des prestations de transports de personnes effectuées par un prestataire établi au Luxembourg, lorsque ces prestations sont effectuées à l'intérieur d'un condominium, tel que ce condominium est défini par le traité entre le Grand-Duché de Luxembourg et la République Fédérale d'Allemagne sur le tracé de la frontière commune entre les deux Etats et de l'échange de lettres, signés à Luxembourg le 19 décembre 1984, comme étant un territoire commun sous souveraineté commune du Grand-Duché de Luxembourg et de la République Fédérale d'Allemagne et par rapport auquel il n’existe, en matière de perception de la TVA sur les prestations de service de transport, pas d’accord entre les deux Etats tel que prévu par l’article 5, paragraphe 1, du traité entre le Grand-Duché de Luxembourg et la République fédérale d’Allemagne sur le tracé de la frontière commune entre les deux Etats du 19 décembre 1984 aux termes duquel ? » ;

sursoit à statuer pour le surplus.

La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le président Jean-Claude WIWINIUS en présence de l’avocat général Marc SCHILTZ et du greffier Daniel SCHROEDER.

PARQUET GENERAL Luxembourg, le 6/10/2020 DU GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG

________

Conclusions du Parquet Général dans l’affaire de cassation Etat du Grand-Duché de Luxembourg et Administration de l’Enregistrement, des Domaines et de la TVA Etat du Grand-Duché de Luxembourg contre la société à responsabilité limitée X) S.à r.l.

Le pourvoi en cassation, introduit par l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg (ci-après l’ETAT) et l’Administration de l’Enregistrement, des Domaines et de la TVA (ci-après l’AED) par un mémoire en cassation signifié le 4 mars 2020 à la partie défenderesse en cassation et déposé au greffe de la Cour Supérieure de Justice le 5 mars 2020, est dirigé contre un arrêt n°193/19 rendu par la Cour d’appel, deuxième chambre, siégeant en matière civile, statuant contradictoirement, en date du 11 décembre 2019 (n° CAL-2018-00667 du rôle). Cet arrêt a été signifié aux demandeurs en cassation en date du 7 janvier 2020.

Le pourvoi en cassation a dès lors été interjeté dans les forme et délai prévus aux articles 7 et 10 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation.

La partie défenderesse a signifié un mémoire en réponse le 27 avril 2020 et elle l’a déposé au greffe de la Cour le 30 avril 2020.

Ayant été signifié et déposé au greffe de la Cour dans le délai de deux mois à compter du jour de la signification du mémoire en cassation, conformément aux articles 15 et 16 de la loi précitée du 18 février 1885, ce mémoire est à considérer.

Les faits et antécédents La société à responsabilité limitée X) (ci-après la société X)) exploite sur la Moselle, sur le tronçon soumis au statut de droit international public de condominium sur lequel les Etats luxembourgeois et allemand exercent en commun leur souveraineté, un commerce de navigation touristique. Pendant de longues années, l’AED considérait que ce commerce ne tombait pas dans le champ d’application de la TVA en raison du statut de condominium du fleuve et elle n’a partant pas sollicité le paiement de la TVA sur la vente des billets de transport de personnes par la société X).

En 2004, la société X) a acheté aux Pays-Bas un navire de plaisance d’occasion et l’AED a soumis cette acquisition à la TVA luxembourgeoise. Dans le cadre du recours contre la décision du directeur de l’AED du 22 mai 2007 rejetant la réclamation de la société X), la Cour d’appel, par arrêt du 10 juillet 2014, après avoir notamment relevé que le condominium constitue un territoire commun à l’Allemagne et au Luxembourg qui en exercent conjointement la souveraineté en application de l’article 1er du traité conclu entre le Luxembourg et l’Allemagne en date du 19 décembre 1984 et que la TVA sur les prestations de transport de personnes sur le condominium peut être perçue par l’un de ces deux pays, a dit, d’une part, que l’acquisition du bateau était soumise à la TVA en tant que livraison intracommunautaire au sens de l’article 18 de la loi modifiée du 12 février 1979 concernant la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après loi TVA) et, d’autre part, que la TVA acquittée par la société X) sur cette acquisition était déductible en tant que TVA payée en amont. La Cour en a conclu que c’était à tort que le directeur de l’AED, avait confirmé les bulletins d’impôt de la TVA des années 2004 et 2005 du 9 mars 2007 et refusé à la société X) le droit à la déduction de la taxe en amont.

Suite à cet arrêt, l’AED a émis à l’encontre de la société X) des bulletins de taxation d’office au titre de la TVA pour les années 2004 et 2005 datés du 5 août 2015, et par décision du 22 janvier 2016, le directeur de l’AED a rejeté la réclamation de la société X) contre ces bulletins.

La société X) a assigné l’ETAT et l’AED, principalement, pour voir infirmer et réformer, sinon annuler la décision du directeur de l’AED du 22 janvier 2016, voir dire que la TVA sur le chiffre d’affaires est prescrite, sinon que les opérations effectuées à l’intérieur du condominium ne sont pas soumises à la TVA, et subsidiairement se voir décharger de toute obligation fiscale rétroactive en matière de TVA en raison de l’insécurité juridique, voir condamner l’ETAT à lui payer les montants de 50.000,00 euros au titre de dommages-intérêts pour honoraires d’avocat et de 5.000,00 euros au titre de réparation du préjudice moral, ainsi qu’une indemnité de procédure. Par jugement du 23 mai 2018, le tribunal d’arrondissement de Luxembourg a rejeté le moyen tiré de la prescription, ainsi que le moyen tiré de l’autorité de chose jugée par rapport au précédent arrêt de la Cour d’appel du 10 juillet 2014, et il a dit la demande fondée en annulant les bulletins de taxation d’office litigieux et en renvoyant le dossier devant l’AED.

L’ETAT et l’AED ont été condamnés à payer à la société X) le montant de 39.573,11 € à titre de dommages-intérêts pour honoraires d’avocat exposés dans le cadre de l’affaire ayant abouti à l’arrêt de la Cour du 10 juillet 2014, ainsi que le montant de 10.000,00 € à titre d’indemnité de procédure.

De ce jugement leur signifié le 6 juin 2018, l’ETAT et l’AED ont relevé appel par exploit d’huissier du 13 juillet 2018.

Par arrêt n°193/19 rendu en date du 11 décembre 2019, la Cour d’appel « reçoit l’appel en la forme, le dit partiellement fondé, réformant, dit qu’il n’y a pas lieu à renvoi préjudiciel devant la Cour de Justice de l’Union Européenne, condamne l’ETAT DU GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG et l’ADMINISTRATION DE L’ENREGISTREMENT ET DES DOMAINES à payer à la société à responsabilité limitée X) SARL une indemnité de procédure de 1.000,00 euros pour la première instance, confirme le jugement entrepris pour le surplus, déboute l’ETAT DU GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG et l’ADMINISTRATION DE L’ENREGISTREMENT ET DES DOMAINES de leur demande en obtention d’une indemnité de procédure pour l’instance d’appel, condamne l’ETAT DU GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG et l’ADMINISTRATION DE L’ENREGISTREMENT ET DES DOMAINES à payer à la société à responsabilité limitée X) SARL une indemnité de procédure de 2.000,00 euros pour l’instance d’appel, condamne l’ETAT DU GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG et l’ADMINISTRATION DE L’ENREGISTREMENT ET DES DOMAINES aux frais et dépens de l’instance d’appel (…) ».

Cet arrêt fait l’objet du présent pourvoi.

Sur les septième et huitième moyens qui ont trait à la demande de renvoi préjudiciel et qui sont préalables:

Etant donné que les premiers moyens de cassation sont tirés de la violation de la 6e directive 77/388/CEE du Conseil du 17 mai 1977 en matière d’harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires (ci-après 6e directive), respectivement de la loi modifiée du 12 février 1979 concernant la taxe sur la valeur ajoutée qui a transposé ladite directive en droit national, les septième et huitième moyens ayant trait à la nécessité de saisir la Cour de Justice de l’Union européenne d’un renvoi préjudiciel pour l’interprétation des dispositions de ladite directive doivent être traités préalablement aux questions ayant trait à une éventuelle violation desdites dispositions européennes, respectivement de la loi nationale de transposition.

Le septième moyen :

Le septième moyen est tiré de l’absence de motifs (violation de l’article 89 de la Constitution).

Le moyen fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir rejeté la demande des parties demanderesses en cassation tendant au renvoi préjudiciel « aux motifs que « le litige soumis à la Cour pouvant, en l’espèce, être toisé sans qu’il y ait lieu de recourir à l’interprétation par la CJUE des dispositions de la 6e directive invoquée par les appelants. » » L’absence de motifs invoquée constitue un moyen de forme. Il s’ensuit que « le jugement est régulier en la forme dès qu’il comporte un motif exprès ou implicite, si incomplet ou si vicieux soit-il, sur le point considéré. »1 Non seulement il ressort de l’énoncé-même du moyen que l’arrêt attaqué est motivé sur le point en question, mais l’arrêt attaqué a effectivement répondu comme suit à la demande de renvoi préjudiciel :

« Par rapport aux questions préjudicielles proposées par les appelants, il est rappelé que l’omission du tribunal de statuer à cet égard se répare par la réformation.

L’article 19, paragraphe 3, point b du traité sur l’Union européenne, ainsi que l’article 267 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne prévoient la compétence de la CJUE pour se prononcer à titre préjudiciel sur l’interprétation des traités et sur la validité et l’interprétation du droit dérivé de l’Union européenne lorsqu’une décision sur un tel point est nécessaire pour qu’une juridiction nationale puisse trancher un litige qui lui est soumis. La possibilité de soumettre une question préjudicielle à la CJUE est limitée aux questions qui mettent en cause l’interprétation des traités ou la validité et l’interprétation de l’intégralité du droit dérivé de l’Union européenne. Le juge national dispose d’une certaine latitude pour poser une question préjudicielle à la CJUE. Il peut être d’avis que le litige qui lui est soumis ne comporte aucune incidence en termes de droit communautaire et que la question d’un renvoi préjudiciel ne se pose pas. Pour autant que le droit européen a une incidence sur le litige, le renvoi préjudiciel est facultatif pour les juridictions nationales dont les décisions peuvent faire l’objet d’un recours interne, tel le cas en l’espèce (Th Hoscheit, Le droit judiciaire privé, n° 883 et 884).

Le litige soumis à la Cour pouvant, en l’espèce, être toisé sans qu’il y ait lieu de recourir à l’interprétation par la CJUE des dispositions de la 6e directive invoquée par les appelants, leur demande tendant au renvoi préjudiciel encourt un rejet. » L’arrêt comportant une motivation sur point en question, le septième moyen n’est pas fondé.

1 Idem., n°77.31, p.369 Le huitième moyen :

Le huitième moyen est tiré du défaut de base légale au regard de l’article 19, paragraphe 3, point b) du Traité sur l’Union européenne (ci-après TUE), aux termes duquel :

« 3. La Cour de justice de l’Union européenne statue conformément aux traités :

(…) b) à titre préjudiciel, à la demande des juridictions nationales, sur l’interprétation du droit de l’Union ou sur la validité d’actes adoptés par les institutions ; » et de l’article 267, paragraphe 1, point b) du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ci-après TFUE), aux termes duquel :

« La Cour de justice de l’Union européenne est compétente pour statuer, à titre préjudiciel :

(…) b) sur la validité et l’interprétation des actes pris par les institutions, organes ou organismes de l’Union. » Les dispositions visées au moyen sont évidemment à combiner avec l’article 267, paragraphe 2 du TFUE, cité par les parties demanderesses en cassation dans la discussion du moyen :

« Lorsqu’une telle question est soulevée devant une juridiction d’un des Etats membres, cette juridiction peut, si elle estime qu’une décision sur ce point est nécessaire pour rendre son jugement, demander à la Cour de statuer sur cette question. » Dans l’acte d’appel du 13 juillet 2018, les demandeurs en cassation avaient formulé deux questions préjudicielles dont ils demandaient à voir saisir la Cour de justice de l’Union européenne .

En première instance, le tribunal d’arrondissement avait omis de statuer sur les questions préjudicielles proposées par l’ETAT et AED.

Dans l’arrêt dont pourvoi, la réponse de la Cour d’appel est motivée comme suit :

« Par rapport aux questions préjudicielles proposées par les appelants, il est rappelé que l’omission du tribunal de statuer à cet égard se répare par la réformation.

L’article 19, paragraphe 3, point b du traité sur l’Union européenne, ainsi que l’article 267 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne prévoient la compétence de la CJUE pour se prononcer à titre préjudiciel sur l’interprétation des traités et sur la validité et l’interprétation du droit dérivé de l’Union européenne lorsqu’une décision sur un tel point est nécessaire pour qu’une juridiction nationale puisse trancher un litige qui lui est soumis. La possibilité de soumettre une question préjudicielle à la CJUE est limitée aux questions qui mettent en cause l’interprétation des traités ou la validité et l’interprétation de l’intégralité du droit dérivé de l’Union européenne. Le juge national dispose d’une certaine latitude pour poser une question préjudicielle à la CJUE. Il peut être d’avis que le litige qui lui est soumis ne comporte aucune incidence en termes de droit communautaire et que la question d’un renvoi préjudiciel ne se pose pas. Pour autant que le droit européen a une incidence sur le litige, le renvoi préjudiciel est facultatif pour les juridictions nationales dont les décisions peuvent faire l’objet d’un recours interne, tel le cas en l’espèce (Th Hoscheit, Le droit judiciaire privé, n° 883 et 884).

Le litige soumis à la Cour pouvant, en l’espèce, être toisé sans qu’il y ait lieu de recourir à l’interprétation par la CJUE des dispositions de la 6e directive invoquée par les appelants, leur demande tendant au renvoi préjudiciel encourt un rejet ».

L’arrêt attaqué a partant décidé que le droit européen n’a pas d’incidence sur le litige soumis à la Cour d’appel, qui peut être «toisé sans qu’il y ait lieu de recourir à l’interprétation par la CJUE des dispositions de la 6e directive invoquée par les appelants ».

La première question préjudicielle tendait à savoir si « l’article 2 de la 6e directive quant à la soumission à la TVA des « prestations de services effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel » et/ou l’article 9 de la 6e directive quant au « lieu des prestations de transport est l’endroit où s’effectue le transport en fonction des distances parcourues » sont applicables et s’ils conduisent à une imposition à la TVA au Luxembourg lorsque les prestations sont effectuées à l’intérieur du Condominium . » Cette question préjudicielle proposée avait donc trait à l’applicabilité de l’article 2 de la 6e directive TVA sur le territoire du condominium.

L’arrêt attaqué a confirmé le jugement dont appel après avoir écarté l’application de l’article 2 de la 6e directive TVA:

« La circonstance que la TVA entre les Etats-membres de l’Union européenne, dont chacun exerce la souveraineté sur le territoire de son Etat respectif, est régie par la 6e directive 77/388 du 17 mai 1977, dont l'objectif est la suppression des taxations à l'importation et des détaxations à l'exportation pour les échanges entre les États membres afin de garantir la neutralité du système commun de taxes sur le chiffre d'affaires quant à l'origine des biens et des prestations de services, pour que soit réalisé à terme un marché commun comportant une saine concurrence et ayant des caractéristiques analogues à celles d'un véritable marché intérieur (cf considérant n° 4 de la directive), ne s’oppose pas à ce que pour les prestations réalisées par la société X) sur un territoire sur lequel la souveraineté est indivise entre l’Allemagne et le Luxembourg, ces deux Etats, dans le respect du droit communautaire, concluent un accord afin de déterminer de quelle manière la TVA sera perçue, la Cour notant que dans la mesure où le territoire sur lequel la société X) exerce sa prestation de service est commun à deux Etats-membres, l’article 2 de la 6e directive, aux termes duquel sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les prestations de services effectuées à titre onéreux à l'intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel, ne s’applique pas. » L’applicabilité de l’article 2 de la 6e directive, et partant une question d’interprétation du droit européen, avait une incidence déterminante sur l’issue du litige, mais l’arrêt attaqué s’est abstenu de spécifier « de façon précise et complète » 2 les raisons pour lesquelles il n’y avait pas lieu de recourir à l’interprétation par la CJUE des dispositions de la 6e directive.

Cette abstention est d’autant plus flagrante que l’arrêt attaqué a relevé que la société X) a invoqué une décision du Conseil du 27 septembre 2010 qui, « dans le cadre des travaux de rénovation du pont transfrontalier surplombant la Moselle et reliant l’Allemagne et le Luxembourg (et se situant à l’intérieur du condominium) avait autorisé les deux Etats à appliquer une mesure dérogatoire au système commun de la TVA ».3 Les considérants de ladite décision d’exécution du Conseil (2010/579/UE) se lisent comme suit :

«(3) La mesure vise, aux fins des livraison de biens, des prestations de services, des acquisitions intracommunautaires de biens destinés à la rénovation et à l’entretien ultérieur d’un pont transfrontalier sur la Moselle, à considérer le pont et son site de construction comme se trouvant entièrement sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg en vertu d’un accord conclu entre les deux pays.

(4) En l’absence d’une telle mesure, il serait nécessaire de déterminer si le lieu d’imposition est la République fédérale d’Allemagne ou le Grand-Duché de Luxembourg.

Les travaux sur le pont transfrontalier exécutés sur le territoire allemand seraient soumis à la TVA allemande tandis que ceux effectués sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg seraient soumis à la TVA luxembourgeoise. En outre, le pont traversant un territoire géré en commun (condominium), il serait impossible de rattacher les travaux réalisés dans cette zone exclusivement au territoire de l’un des deux Etats membres, et, partant, de déterminer un lieu unique de prestation.

(5) La présente mesure est ainsi destinée à simplifier la perception de la taxe sur la valeur ajoutée portant sur la rénovation et l’entretien du pont considéré.

(6) La mesure dérogatoire n’a pas d’incidence négative sur les ressources propres de l’Union provenant de la taxe sur la valeur ajoutée. » Il ressort sans aucune équivoque de cette décision que, malgré le fait que le pont transfrontalier traverse un condominium géré en commun par deux Etats, les travaux sur ce pont donnaient lieu à la perception de la taxe sur la valeur ajoutée.

Néanmoins, l’arrêt dont pourvoi a décidé, non seulement que les prestations réalisées par la société X) sur ce même condominium ne tombent pas dans le champ d’application de l’article 2 de la 6e directive, « aux termes duquel sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les prestations de services effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays par un 2 Jacques et Luois Boré, la Cassation en matière civile, 5e éd. 2015/2016, n°78.21 3 Arrêt du 11 décembre 2019, page 6, 1er paragraphe assujetti agissant en tant que tel 4», mais également que le litige pouvait être toisé sans qu’il y ait lieu de recourir à l’interprétation par la CJUE des dispositions de la 6e directive.

Il est vrai qu’aux termes de l’article 267, paragraphe 2 du TFUE qu’il appartenait à la Cour d’appel d’apprécier « si elle estime qu’une décision sur ce point est nécessaire pour rendre son jugement » et de demander, le cas échéant, à la CJUE de statuer sur cette question, mais encore aurait-il fallu préciser compte tenu de quelles circonstances de fait la demande tendant au renvoi préjudiciel devait être rejetée en l’espèce.

En présence de telles constatations de fait incomplètes ou imprécises, votre Cour se trouve dans l’impossibilité de contrôler si c’est à juste titre que la Cour d’appel a rejeté la demande de renvoi préjudiciel.

Le huitième moyen est fondé et l’arrêt encourt la cassation.

Conclusion Le pourvoi est recevable.

Il est également fondé.

Pour le Procureur Général d’Etat, Le premier avocat général Marie-Jeanne Kappweiler 4 Arrêt du 11 décembre 2019, page 8, 2e paragraphe 15


Synthèse
Numéro d'arrêt : 80/21
Date de la décision : 06/05/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 11/05/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2021-05-06;80.21 ?

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