La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

06/05/2021 | LUXEMBOURG | N°44779C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 06 mai 2021, 44779C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 44779C du rôle Inscrit le 3 août 2020

_____________________________________________________________________________

Audience publique du 6 mai 2021 Appel formé par l’administration communale de la Ville de Luxembourg contre un jugement du tribunal administratif du 15 juin 2020 (n° 40568 du rôle) ayant statué sur le recours de Monsieur …, …, contre « une décision » du conseil communal de la Ville de Luxembourg et une décision du ministre de l’Intérieur en matière de plan d’aménagement général (refonte)

Vu la requête d'appel inscrite sous le numéro 44779C du rôle et déposée au greffe de...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 44779C du rôle Inscrit le 3 août 2020

_____________________________________________________________________________

Audience publique du 6 mai 2021 Appel formé par l’administration communale de la Ville de Luxembourg contre un jugement du tribunal administratif du 15 juin 2020 (n° 40568 du rôle) ayant statué sur le recours de Monsieur …, …, contre « une décision » du conseil communal de la Ville de Luxembourg et une décision du ministre de l’Intérieur en matière de plan d’aménagement général (refonte) Vu la requête d'appel inscrite sous le numéro 44779C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 3 août 2020 par la société anonyme ARENDT & MEDERNACH S.A., inscrite à la liste V du barreau de Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-2082 Luxembourg, 41A, avenue J.F. Kennedy, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B 186.371, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Christian POINT, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg au nom de l’administration communale de la Ville de Luxembourg, représentée par son collège des bourgmestre et échevins en fonction, ayant sa maison communale à L-1648 Luxembourg, 42, place Guillaume II, Hôtel de Ville, dirigée contre un jugement du tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg du 15 juin 2020 (n° 40568 du rôle) ayant déclaré recevable et partiellement fondé le recours en annulation dirigé par Monsieur …, ingénieur, demeurant à L-…, contre la délibération du conseil communal de la Ville de Luxembourg du 28 avril 2017 portant adoption du plan d’aménagement général (refonte) et de la décision ministérielle d’approbation afférente du 5 octobre 2017 dans l’unique mesure où elles ont classé la parcelle numéro 185/8167 de Monsieur …, inscrite au cadastre de la Ville de Luxembourg, section HoA de Hollerich, et longeant le Boulevard Dr Charles Marx en zone de verdure ;

Vu l’exploit de l’huissier de justice suppléant Laura GEIGER, en remplacement de l’huissier de justice Carlos CALVO, les deux demeurant à Luxembourg, immatriculés auprès le tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, du 7 août 2020 portant signification de cette requête d’appel à Monsieur …, préqualifié ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 13 octobre 2020 par Maître Albert RODESCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 14 octobre 2020 par Maître Hervé HANSEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, préqualifié ;

1Vu le mémoire en réplique déposé au greffe de la Cour administrative le 13 novembre 2020 par Maître Christian POINT au nom de l’administration communale de la Ville de Luxembourg ;

Vu le mémoire en duplique déposé au greffe de la Cour administrative le 11 décembre 2020 par Maître Hervé HANSEN au nom de Monsieur … ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement dont appel ;

Le rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Gilles DAUPHIN, en remplacement de Maître Christian POINT, Maître Hervé HANSEN et Maître Paul SCHINTGEN, en remplacement de Maître Albert RODESCH, en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 19 janvier 2021.

Lors de sa séance publique du 13 juin 2016, le conseil communal de la Ville de Luxembourg, ci-après le « conseil communal », se déclara d’accord, en vertu de l’article 10 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain, ci-après « la loi du 19 juillet 2004 », « (…) pour lancer la procédure d’adoption du nouveau projet d’aménagement général (PAG) de la Ville de Luxembourg, parties écrite et graphique accompagnées des documents et annexes prescrits par la législation y relative (…) » et « (…) charge[a] le collège des bourgmestre et échevins de procéder aux consultations prévues aux articles 11 et 12 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain et à l’article 7 de la loi modifiée du 22 mai 2008 relative à l’évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l’environnement (…) ».

Par courrier du 13 juillet 2016, Monsieur …, déclarant agir en sa qualité de propriétaire d’une parcelle cadastrale de la Ville de Luxembourg, section HoA de Hollerich, numéro 185/8167, sise le long du Boulevard Dr Charles Marx, ci-après « la parcelle 185/8167 », soumit au collège des bourgmestre et échevins ci-après « le collège échevinal », des objections à l’encontre du projet d’aménagement général, ci-après « le PAG ».

Lors de sa séance publique du 28 avril 2017, le conseil communal, d’une part, statua sur les objections dirigées à l’encontre du PAG et, d’autre part, adopta ledit projet, « (…) tel qu’il a été modifié suite aux réclamations et avis ministériels reçus (…) ».

Par courrier du 22 mai 2017, Monsieur … introduisit par l’intermédiaire de son mandataire auprès du ministre de l’Intérieur, ci-après « le ministre », une réclamation à l’encontre de la susdite délibération du conseil communal du 28 avril 2017 portant adoption du PAG et ayant statué sur les objections dirigées par les administrés à l’encontre de ce même projet.

Par décision du 5 octobre 2017, le ministre approuva la délibération, précitée, du conseil communal du 13 juin 2016, de même que celle du 28 avril 2017 portant adoption du PAG, tout en statuant sur les réclamations lui soumises, en déclarant fondées une partie de celles-ci et en apportant, en conséquence, certaines modifications aux parties graphique et écrite du PAG, la réclamation introduite par Monsieur … ayant, cependant, été déclarée non fondée. Cette décision est libellée comme suit :

2« (…) Ad réclamation Soheil ASSASSI (rec 065) Le réclamant sollicite le classement en « zone d'habitation 2 [HAB-2] » de la parcelle cadastrale n° 185/8167, sise à Hollerich, au Boulevard Dr Charles Marx, actuellement classée en « zone de verdure [VERD] ».

Or, force est de constater que la réclamation est non fondée, étant donné que les fonds litigieux accusent une topographie particulièrement accidentée. De surcroît, l'urbanisation de ces fonds impliquerait la destruction substantielle des structures vertes existantes en ces lieux.

Opérer le contraire reviendrait à enfreindre l'article 2, point (e), de la Loi qui dispose que la commune doit assurer un niveau élevé de protection de l'environnement naturel et du paysage.

(…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 5 janvier 2018, Monsieur … fit introduire un recours tendant à l’annulation (i) « de la décision du conseil communal de la Ville de Luxembourg du 13 juin 2016 adoptée en application de l'article 10 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l'aménagement communal et le développement urbain, portant « mise sur orbite » du projet de refonte globale du Plan d'Aménagement Général de la Ville de Luxembourg » (ii) « de la décision du conseil communal de la Ville de Luxembourg du 28 avril 2017 portant adoption du projet de refonte globale du Plan d'Aménagement Général de la Ville de Luxembourg », et (iii) « de la décision du ministre de l'Intérieur du 5 octobre 2017 approuvant les décisions précitées de la Ville de Luxembourg ».

Par jugement du 15 juin 2020 (n° 40568 du rôle), le tribunal déclara irrecevable le recours en annulation en tant que dirigé contre la délibération du conseil communal de la Ville de Luxembourg du 13 juin 2016 portant mise sur orbite du PAG refondu, pour le déclarer recevable et partiellement fondé pour le surplus et annuler en conséquence la délibération du conseil communal de la Ville de Luxembourg du 28 avril 2017 portant adoption du PAG refondu et la décision d’approbation afférente du ministre du 5 octobre 2017 dans l’unique mesure où elles ont classé la parcelle 185/8167 appartenant à Monsieur … en zone de verdure, tout en rejetant les demandes en allocation d’une indemnité de procédure introduites respectivement par Monsieur … et la partie étatique et en condamnant l’administration communale de la Ville de Luxembourg et l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg aux frais et dépens.

Par requête d’appel déposée au greffe de la Cour administrative le 3 août 2020 (n° 44779C du rôle), la Ville de Luxembourg a fait entreprendre le jugement précité du 15 juin 2020 dont elle sollicite la réformation dans le sens de voir déclarer non fondé le recours de Monsieur …, de voir décharger la Ville de Luxembourg de la condamnation prononcée à son encontre au paiement des frais et dépens et de voir condamner « la partie intimée » à tous les frais et dépens des deux instances.

Tant la partie étatique que Monsieur … se rapportent à prudence de justice quant à la recevabilité de l’appel en la forme et quant au délai.

L’appel ayant été interjeté suivant les formes et délai prévus par la loi, y compris l’autorisation d’ester en justice conférée par le conseil communal de la Ville de Luxembourg suivant délibération du 13 juillet 2020, il est recevable.

3En termes de cadrage des différends subsistant entre parties en appel, il convient de noter que la partie appelante sollicite, par réformation du jugement dont appel, que le recours initial de Monsieur … soit déclaré non fondé, tandis que celui-ci demande la confirmation pure et simple du jugement a quo et que la partie étatique déclare se rapporter à prudence de justice quant au fond.

Il résulte de cette triple constellation qu’en instance d’appel, seul le classement de la parcelle 185/8167 de Monsieur … reste litigieux.

En ce que l’appel est dirigé contre un jugement de première instance, il convient tout d’abord d’analyser le bien-fondé des motifs développés par les premiers juges en vue de sous-tendre leur décision d’annulation. C’est à la page 32 du jugement dont appel que figurent ces motifs, exprimés comme suit :

« Concernant ensuite la parcelle n° 185/6606, qui est adjacente à celle du demandeur, force est au tribunal de retenir que les deux parcelles se trouvent dans une situation comparable, dans la mesure où elles présentent les mêmes caractéristiques de topographie, sont toutes les deux non construites et sont implantées géographiquement dans le même endroit, à savoir dans la trame verte le long de la vallée de la Pétrusse que les autorités communales souhaitent conserver, avec la seule différence que la parcelle 185/6606 a été classée pour la majeure partie en « zone d’habitation 2 [HAB-2] » et, en ce qui concerne la partie arrière, en « zone de jardins familiaux [JAR-jf] », la parcelle étant par ailleurs superposée par une zone « secteur protégé d’intérêt communal « environnement construit » © », de sorte qu’il échet de retenir qu’il y a une différence de traitement instituée par le nouveau PAG, consistant dans le classement de la parcelle de cet autre propriétaire en zone d’habitation, d’un côté, et dans le classement de la parcelle du demandeur en zone de verdure, de l’autre côté. Or, tant le ministre que l’administration communale, justifiant cette différence de traitement par le seul fait que la parcelle 185/6606 avait déjà été classée sous le PAG Joly dans le secteur protégé des vallées de la Pétrusse et de l’Alzette et du promontoire du Rham et que le nouveau PAG a maintenu ce classement en l’adaptant à la nouvelle terminologie du règlement grand-ducal du 28 juillet 2011, sont restés en défaut de justifier des disparités objectives entre ces deux parcelles en mettant en avant des éléments prouvant que la différence de traitement entre les deux parcelles serait rationnellement justifiée, adéquate et proportionnée à son but. Il s’ensuit qu’en classant la parcelle du demandeur en zone de verdure et la parcelle 185/6606 en zone d’habitation, alors qu’elles présentent les mêmes caractéristiques et sont localisées au même endroit, l’administration communale et le ministre, en approuvant la délibération du conseil communal du 28 avril 2017, ont mis le demandeur dans une situation discriminatoire violant le principe d’égalité de traitement, de sorte que la délibération du conseil communal du 28 avril 2017 et la décision du ministre du 5 octobre 2017 encourent l’annulation. Etant donné que l’illégalité ainsi constatée ne concerne que la parcelle du demandeur et n’affecte pas l’intégralité du PAG, les décisions d’adoption et d’approbation prises respectivement par le conseil communal et par le ministre n’encourent l’annulation que pour la seule parcelle 185/8167, conformément à la maxime « potius ut valeat quam ut pereat », en vertu de laquelle il y lieu de faire valoir pour autant que possible les dispositions réglementaires prises plutôt que de les voir périr. » A l’appui de son appel, la Ville reproche aux premiers juges d’avoir appliqué le principe d’égalité de traitement à deux situations qui, en tant que telles, ne seraient point comparables. En effet, en se plaçant au niveau du plan JOLY, la parcelle adjacente se serait trouvée, déjà à l’époque, dans une zone constructible plus précisément au niveau du secteur protégé des vallées de la Pétrusse et de l’Alzette et du promontoire du Rham, tandis que la parcelle litigieuse de Monsieur … se serait trouvée en zone de verdure, partant non constructible. Dans la mesure où l’intimé aurait 4acquis en 2012 cette parcelle, il en serait devenu propriétaire en connaissance de cause compte tenu du classement valable à l’époque. La Ville suppute en plus qu’il aurait procédé à cette démarche dans un but de pure spéculation, de sorte que la situation des deux propriétaires ne saurait en aucune manière être comparable en raison de tous ces aspects.

A titre subsidiaire, la Ville estime que la conception du principe d’égalité dégagée par le jugement attaqué aboutirait dans le cas d’espèce à consacrer une situation illégale.

En ce qu’à partir de la page 25 du jugement dont appel, le tribunal aurait retenu que le maintien de la parcelle litigieuse en zone de verdure se justifierait par les considérations d’ordre urbanistique tendant à une finalité d’intérêt général, les conséquences de l’annulation au regard du principe d’égalité devant la loi aboutiraient à voir consacrer une situation illégale. De plus, le jugement critiqué ne saurait – sans se contredire – admettre, d’une part, que le classement de la parcelle litigieuse en zone de verdure est urbanistiquement justifié tout en annulant, d’autre part, ce même classement pour un motif qui impliquerait précisément le classement de la parcelle litigieuse en une zone urbanisée.

En ordre plus subsidiaire encore, la Ville estime que l’application de la conception du principe d’égalité dégagé par le jugement dont appel, engendrerait d’autres incohérences urbanistiques rendant impossible un aménagement rationnel du territoire communal. A cet égard, la Ville fait exposer que dès lors qu’il faudrait, pour remédier à la rupture d’égalité retenue par le jugement attaqué, classer la parcelle litigieuse voire même l’autre parcelle portant le numéro cadastral 185/7217, également détenue par l’intimé, - en une zone d’habitation, une erreur du passé viendrait à dicter l’urbanisme du 21ème siècle en perpétuant et en aggravant une conception erronée et obsolète.

A titre tout à fait subsidiaire, la Ville conclut à une absence de prise en compte de considérations environnementales en ce que, pour le terrain concerné, aucune étude environnementale en application de la loi modifiée du 22 mai 2008 relative à l’évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l’environnement n’aurait été effectuée, étant donné que lors des préparatifs et même au niveau de la mise sur orbite du PAG, les autorités communales n’auraient nullement envisagé la faculté de pouvoir construire sur la parcelle litigieuse. En toute occurrence, en cas de confirmation du jugement dont appel, une étude environnementale devrait être effectuée et, s’agissant du passage d’un terrain jusque lors classé en zone verte vers une zone urbanisée, l’approbation du ministre de l’Environnement serait encore requise en application de l’article 5 de la loi du 18 juillet 2018 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles.

Monsieur … conclut en substance à la confirmation du jugement dont appel, plus particulièrement en ce que ce serait à bon droit que les premiers juges auraient considéré les situations des deux terrains comme étant comparables et seraient arrivés à la conclusion de l’annulation du classement en zone de verdure pour le terrain litigieux en application du principe d’égalité de traitement dégagé à partir de l’article 10bis de la Constitution.

Pour le surplus, les deux parties ont fourni en détail leurs appréciations sur les antécédents de l’affaire remontant jusqu’en 1949, c’est-à-dire à l’époque de l’urbanisation des terrains ayant fait partie de l’ancienne exploitation agricole MACKEL située à proximité des nouvelles rues créées à l’époque, à savoir le Boulevard Dr Charles Marx et la rue Jean-Pierre David Heldenstein.

5Pour bien cerner la question de l’application du principe de l’égalité de traitement dans le cas d’espèce, il convient de situer les trois parcelles dont il est question. Tous les trois terrains sont localisés, le long du Boulevard Dr Charles Marx, du côté de la vallée de la Pétrusse. En les considérant à partir de la localité de Hollerich, c’est le terrain litigieux portant le numéro cadastral 185/8167 qui est le premier en lice, puis le terrain, dit adjacent, classé pour l’essentiel en zone [HAB-2] et, du côté arrière sur une bande bien moins profonde en zone de jardins familiers, à proximité du cours d’eau Pétrusse. C’est en troisième lieu que se situe l’autre terrain de Monsieur … portant le numéro cadastral 185/7217, d’une contenance de 7a 68 ca, longé à sa droite d’une large bande de verdure classée en zone de parc. Dès son objection du 13 juillet 2016, Monsieur … a limité sa démarche à sa parcelle litigieuse portant le numéro cadastral 185/8167 d’une contenance de 22 a 16 ca, pour laquelle seule, il a demandé le reclassement à partir de la zone verte vers une zone constructible. Dès le début, l’autre parcelle 185/7217 n’a pas été incluse dans une démarche de reclassement.

Il reste donc le terrain litigieux et le terrain adjacent par rapport auquel Monsieur … avait soulevé, eu égard à son classement en zone [HAB-2], une inégalité de traitement dans son propre chef, en ce que son terrain restait en zone de verdure, partant non constructible, alors que pourtant, dans la vue de l’intimé actuel, les deux terrains étaient topographiquement et consistantiellement comparables.

Fondamentalement, l’égalité de traitement ne se conçoit que dans la cohérence et l’application du principe d’égalité, tel que consacré par l’article 10bis de la Constitution et, plus loin, par son article 111, ne saurait en aucune manière verser dans l’incohérence.

Or, il résulte des éléments constants au dossier que par rapport aux objectifs urbanistiques et, plus loin, ceux d’ordre environnemental, lesquels sont des paramètres essentiels en matière de mise en place d’un PAG, les autorités compétentes de la Ville ont versé, sous l’approbation tutélaire ministérielle, dans l’incohérence, du moins d’un point de vue urbanistique et, plus loin, environnemental, en admettant, sur objection du propriétaire, le terrain adjacent en zone [HAB-2], alors que pourtant au niveau du projet de PAG, tel que mis sur orbite par vote communal du 13 juin 2016, celui-ci était également classé en zone de verdure, tel celui litigieux de l’intimé Monsieur ….

Le fait est que, à trois reprises, successivement lors des adoptions des plans VAGO, puis JOLY et du PAG refondu actuel, après un classement du terrain adjacent, ensemble les deux terrains actuellement propriétés de Monsieur … à l’endroit, dont le terrain litigieux, en une zone verte, non constructible, c’est sur objection du propriétaire de l’époque qu’à chaque fois, le terrain adjacent s’est vu classer en zone constructible dans le cadre de l’aplanissement des difficultés.

Ainsi, la différence essentielle entre le classement des terrains de l’intimé actuel et du terrain adjacent a consisté en ce que, lors de l’adoption du plan JOLY dans les années 1990, les propriétaires précédents des terrains acquis en 2012 par Monsieur … n’avaient pas formulé d’objection, de sorte que ces terrains, comme par le passé sous le plan VAGO, se sont retrouvés en zone de verdure, tandis que le propriétaire du terrain adjacent, sur objection et en phase d’aplanissement des difficultés, a su derechef faire rentrer le sien en zone constructible.

La raison profonde de cette situation avant d’être d’ordre urbanistique et, plus loin, environnemental, repose, tel que la Ville, en cela même suivie par la partie intimée, l’expose de manière plausible, sur des éléments essentiellement historiques.

6Le fait est qu’en 1949, avant même la mise en place d’un premier plan d’aménagement général de la Ville, les ancêtres du propriétaire actuel du terrain adjacent avaient présenté un plan de lotissement de parties de leurs terrains ayant fait partie de leur ancienne exploitation agricole à l’endroit. En gros, il s’agissait de terrains adjacents à la rue Jean-Pierre David Heldenstein actuelle de même qu’au tronçon du Boulevard Dr Charles Marx à partir de l’embouchure de cette dernière jusqu’à celle de la rue Jean-Baptiste Merkels (place Merkels). Suivant ce plan de lotissement, une dizaine de constructions devaient pouvoir être érigées le long dudit Boulevard Dr Charles Marx à créer à l’endroit du côté de la vallée de la Pétrusse. Suivant des conditions stipulées et approuvées par le collège échevinal en date du 26 mars 1949, le lotisseur devait céder gratuitement à la Ville les surfaces qui allaient servir par la suite d’assiette aux rues projetées à travers les terrains morcelés par ledit plan – la rue Jean-Pierre David Heldenstein et le Boulevard Dr Charles Marx à l’endroit – de même qu’il leur incombait de prendre à leur charge exclusive la construction de ces nouvelles voies et la pose des conduites d’approvisionnement en eau, gaz et électricité, de même que les siphons d’égout. A trois reprises, les plans VAGO, JOLY et l’actuel projet de PAG refondu incluent la rive droite du Boulevard Dr Charles Marx, côté vallée de la Pétrusse, en une zone non constructible dans l’optique de maintenir une coulée verte le long de la vallée de la Pétrusse.

Tel que s’exprimait le collège échevinal le 24 janvier 1994 dans le contexte des aplanissements de difficultés lors de l’adoption du plan JOLY « le présent dossier constitue un exemple significatif des difficultés d’obtenir un arrangement avec des propriétaires dont l’héritage a subi un classement défavorable pour des raisons urbanistiques et écologiques ».

Il convient tout de même de souligner que le plan de lotissement de 1949 était pour le moins audacieux, dans la mesure où il découle de manière retraçable de la délibération précitée du collège échevinal du 24 janvier 1994 qu’il s’agit « en l’occurrence pour la partie située au niveau du Boulevard Dr Charles Marx d’un terrain remblayé en 1926 ; qu’en tout état de cause la partie formant le ravin jusqu’au ruisseau de la Pétrusse doit être conservée telle quelle (…) ».

Il découle des développements qui précèdent que si au niveau du présent PAG refondu, sur objection du propriétaire, le terrain adjacent, initialement classé en zone de verdure, partant non constructible, a été, en phase d’aplanissement des difficultés, admis dans une zone [HAB-2], cette démarche, autant qu’elle soit retraçable sur une toile de fond historique, n’en reste pas moins incohérente au niveau des objectifs urbanistiques et, plus loin, environnementaux, ayant régi, à juste titre suivant la Cour, le classement projeté par la Ville dans le sens d’une coulée verte à l’endroit, ce d’autant plus que la partie plane remblayée est moyennement profonde et que celle devant en toute occurrence rester verte le long de la vallée de la Pétrusse, pour constituer le ravin devant être conservé en toute occurrence, accuse une profondeur certaine.

A ce titre, la Cour tient à citer à cet endroit les considérants du jugement dont appel, qu’elle entérine par les présentes, ayant retenu dans le chef de la commune, confirmée en cela par le ministre, dans le chef de sa décision de classer le terrain litigieux en zone de verdure, une absence de dépassement de sa marge d’appréciation :

« L’argumentation du demandeur ayant trait au fait que le terrain adjacent aurait été classé en zone HAB-2, alors qu’il présenterait la même topographie accidentée que le sien ne saurait infirmer le constat du tribunal que le classement de la parcelle litigieuse se justifie par des considérations urbanistiques, dans la mesure où la parcelle avoisinante était déjà classée sous le PAG Joly en zone d’habitation et des incohérences éventuellement commises par le passé ne sauraient infléchir utilement le choix urbanistique.

7Concernant l’argument du demandeur selon lequel sa parcelle devrait être considérée comme étant constructible, dans la mesure où elle serait en partie macadamisée et aurait abrité à une certaine époque un parking, il échet de relever que cet état de fait provient d’une utilisation non autorisée de cette partie de terrain, étant donné qu’un tel aménagement de la parcelle était non conforme à l’article H.1, précité, du PAG Joly, qui prévoyait une interdiction absolue de construire, reconstruire et transformer, de sorte que le demandeur ne saurait se prévaloir d’un quelconque droit acquis à cet égard, étant encore précisé que seulement une partie étroite de la parcelle du demandeur longeant le Boulevard Charles Marx présente une surface plane, alors que le reste de la parcelle du côté du val de la Pétrusse descend avec un dénivelé très important vers la vallée et est fortement boisé, tel qu’il est illustré par une photographie annexée à l’avis défavorable du collège des bourgmestre et échevins au conseil communal.

S’agissant finalement de l’argument du demandeur ayant trait au fait que les parcelles de l’autre côté du Boulevard Charles Marx seraient toutes classées en zone d’habitation, il échet de retenir qu’une extension de la zone d’habitation du côté de la vallée de la Pétrusse aurait condamné l’objectif de la Ville de Luxembourg de laisser libres de constructions la trame verte située le long de la Pétrusse en vue de l’extension du parc de la Pétrusse vers la Porte de Hollerich, ce qui aurait été contraire aux objectifs d’intérêt général de protection de l’environnement naturel et du paysage, tel que visés par l’article 2 e) de la loi du 19 juillet 2004. Ainsi, le classement en cause est parfaitement retraçable et implique qu’un classement en zone d’habitation de la parcelle litigieuse ne se défendrait pas actuellement pour un terrain n’ayant jusque lors jamais été classé en zone d’habitation. » Les premiers juges n’ayant pas été nourris en termes historiques à l’instar de ce que la Cour l’est actuellement, il convient de préciser qu’effectivement aucun des trois PAG successifs n’avait jusque lors classé en zone d’habitation le terrain litigieux tandis que seulement suivant le plan de morcellement et de lotissement de 1949, appelé plan CLEMENT, celui-ci aurait pu recevoir à l’époque des constructions.

En conclusion, la Cour est amenée à retenir qu’à un double titre le jugement dont appel encourt la réformation en ce qui concerne l’application du principe d’égalité de traitement consacré par l’article 10bis de la Constitution.

A un premier stade, les situations du terrain litigieux et du terrain adjacent ne sont pas suffisamment comparables en ce que le propriétaire du terrain litigieux ne saurait faire valoir dans son propre chef une quelconque argumentation valable d’ordre historique pour obtenir un aplanissement des difficultés tel que celui du terrain adjacent a pu l’avoir.

De manière plus conséquente, la conclusion des premiers juges aboutissant à une violation du principe d’égalité de traitement par les instances communale puis ministérielle, consistait en définitive à verser dans la même incohérence, d’un point de vue des objectifs d’ordre urbanistique et, plus loin, environnemental, que les instances communale et ministérielle elles-mêmes ayant classé le terrain adjacent en zone [HAB-2]. Or, il vient d’être retenu ci-avant que fondamentalement et par principe, l’application du principe d’égalité devant la loi ne saurait aboutir à ce que l’autorité compétente verse dans l’incohérence de manière patente. Tel serait pourtant le cas en l’espèce.

Par réformation du jugement dont appel, il convient dès lors de déclarer le moyen tiré d’une violation du principe d’égalité de traitement, tel que consacré par l’article 10bis de la Constitution, comme étant non fondé.

8Outre les moyens par lui invoqués par ailleurs, Monsieur … conclut de manière globale et indifférenciée à la confirmation du jugement dont appel à travers le dispositif de ses mémoires successifs en réponse et en duplique.

En adoptant cette position claire et indifférenciée au niveau du dispositif de ses deux mémoires en appel, l’appelant a rendu l’analyse de tout autre moyen surabondante.

Eu égard au principe de cohérence ayant conditionné l’application du principe d’égalité de traitement, il y a lieu de faire masse des dépens des deux instances et de les imposer pour moitié à la Ville de Luxembourg et pour l’autre moitié à Monsieur …, la partie étatique s’étant rapportée à sagesse en instance d’appel.

Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause ;

déclare l’appel recevable ;

au fond, le dit justifié ;

réformant, écarte le moyen tiré d’une violation du principe d’égalité de traitement et, en conséquence, déclare le recours initial non fondé ;

fait masse des dépens des deux instances et les impose pour moitié à l’appelante et pour l’autre moitié à Monsieur ….

Ainsi délibéré et jugé par :

Francis DELAPORTE, président, Henri CAMPILL, vice-président, Lynn SPIELMANN, conseiller, et lu par le président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier assumé de la Cour ….

s. … s. DELAPORTE Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 6 mai 2021 Le greffier de la Cour administrative 9


Synthèse
Numéro d'arrêt : 44779C
Date de la décision : 06/05/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 11/05/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2021-05-06;44779c ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award