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04/05/2021 | LUXEMBOURG | N°45507C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 04 mai 2021, 45507C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 45507C du rôle Inscrit le 13 janvier 2021 Audience publique du 4 mai 2021 Appel formé par la société (AB), …, et Madame (A), …, contre un jugement du tribunal administratif du 7 décembre 2020 (n° 42677 du rôle) dans un litige les opposant au ministre des Classes moyennes en matière d’autorisation d’établissement Vu l’acte d’appel inscrit sous le numéro 45507C du rôle et déposé au greffe de la Cour administrative le 13 janvier 2021 par Maître Karima HAMMOUCHE, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des

avocats à Luxembourg, au nom de la société à responsabilité limitée (AB), éta...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 45507C du rôle Inscrit le 13 janvier 2021 Audience publique du 4 mai 2021 Appel formé par la société (AB), …, et Madame (A), …, contre un jugement du tribunal administratif du 7 décembre 2020 (n° 42677 du rôle) dans un litige les opposant au ministre des Classes moyennes en matière d’autorisation d’établissement Vu l’acte d’appel inscrit sous le numéro 45507C du rôle et déposé au greffe de la Cour administrative le 13 janvier 2021 par Maître Karima HAMMOUCHE, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société à responsabilité limitée (AB), établie et ayant son siège social à L-…, représentée par son gérant actuellement en fonctions, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, et de Madame (A), demeurant à L-…, dirigé contre un jugement du 7 décembre 2020 (no 42677 du rôle) par lequel le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg les a déboutées de leur recours tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Classes moyennes du 21 janvier 2019 portant révocation des autorisations d’établissement numérotées …, … et …, délivrées les 15 et 23 septembre 2017 à ladite société ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 15 février 2021 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe de la Cour administrative le 8 mars 2021 par Maître Karima HAMMOUCHE au nom des appelantes ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 8 avril 2021 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;

Le rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Karima HAMMOUCHE et Monsieur le délégué du gouvernement Luc REDING en leurs plaidoiries à l’audience publique du 20 avril 2021.

Par courrier du 11 avril 2018, le ministre de l’Economie, informa la société à responsabilité limitée (AB), ci-après « la société (AB) », que l’honorabilité professionnelle de son dirigeant social, Madame (A) était affectée en raison de la condamnation de celle-ci, par un arrêt du 13 février 2018 de la Cour d’appel, chambre correctionnelle, à une interdiction de tenir un débit de boissons ou de participer à son exploitation ou d’y être employée pour une durée de cinq ans et qu’il envisagerait de révoquer toutes les autorisations d’établissement reposant sur le nom de Madame (A), tout en invitant la société (AB) à présenter ses observations, respectivement à demander à être entendue en personne.

Le 22 novembre 2018, le ministre de l’Economie s’adressa à la société (AB) en les termes suivants :

« (…) Je reviens par la présente à vos autorisations sous rubrique et plus particulièrement à votre condamnation dans le jugement du 13 février 2018 arrêt no 69/18 V.

(14822/11/CD).

Votre dirigeant social, Madame (A), a été jugé pour une durée de cinq ans à une interdiction de tenir un débit de boissons, de participer à l'exploitation d'un pareil établissement et d'y être employée.

Cette condamnation affecte l'honorabilité professionnelle de votre dirigeant social, conformément à l'article 6 (2) de la loi modifiée d'établissement du 2 septembre 2011.

Nous prenons note des explications obtenues en notre réunion du 11 juillet 2018 ainsi que des éléments supplémentaires envoyés par votre courrier du 24 juillet 2018.

Or, suite à une nouvelle analyse du dossier nous venons à la conclusion que les faits reprochés à Madame (A) sont de nature tellement grave qui affecte si gravement son intégrité professionnelle qu'on ne peut plus tolérer, dans l'intérêt des acteurs économiques concernés, qu'elle exerce ou continue à exercer l'activité de dirigeant d'entreprise au sens du droit d'établissement. Par ailleurs Madame (A) a été condamnée de proxénétisme concernant le cabaret (CD) dans l'arrêt N°24/18V du 16 janvier 2018 (v. CA 69/18 V du 13/02/2018).

Dès lors, j'ai l'intention de procéder à la révocation de toutes les autorisations reposant sur le nom de votre dirigeant social, Madame (A).

Par conséquent et conformément aux dispositions du règlement du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l'État et des Communes, vous disposez d'un délai de 8 jours à partir de la réception de la présente pour présenter d'éventuelles observations ou demander à être entendu(e) en personne. (…) ».

Par une décision du 21 janvier 2019, le ministre des Classes moyennes, ci-après « le ministre », révoqua les autorisations d’établissement portant les numéros …, … et …, cette décision étant libellée comme suit :

« (…) Par courrier ministériel du 22 novembre 2018 le Ministère des Classes moyennes, vous avait averti que l'honorabilité professionnelle de votre dirigeant social, Madame (A), était compromise suite à sa condamnation du 13 février 2018 arrêt no 69/18 V.

(14822/11/CD) Cette condamnation affecte l'honorabilité professionnelle de la dame précitée, conformément à l'article 6 (2) de la loi modifiée d'établissement du 2 septembre 2011.

Conformément à l'article 4 de la loi modifiée du 2 septembre 2011, l'honorabilité professionnelle est un critère essentiel au maintien de l'autorisation d'établissement.

Vu que cette exigence fait défaut en l'espèce, je révoque par la présente les autorisations nos …, … et … délivrées les 15 et 23 septembre 2017, conformément aux dispositions des articles 28 (3) et 6 de la loi modifiée d'établissement du 2 septembre 2011.

Je vous prie dans ces conditions de remettre les autorisations en question dans les meilleurs délais à mes services. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 16 avril 2019, la société (AB) et Madame (A) firent introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision précitée du ministre du 21 janvier 2019.

Dans son jugement du 7 décembre 2020, le tribunal administratif, après s’être déclaré incompétent pour connaître du recours en réformation, reçut le recours en annulation en la forme, au fond, le déclara non justifié et en débouta, tout en condamnant les demanderesses aux frais de l’instance.

Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 13 janvier 2021, la société (AB) et Madame (A) ont régulièrement relevé appel de ce jugement.

Elles déclarent tout d’abord vouloir limiter leur appel à ce que le jugement a dit non fondé leur recours en annulation dirigé contre la décision ministérielle litigieuse du 21 janvier 2019. Elles n’entendent dès lors pas entreprendre le volet du jugement par lequel le tribunal administratif s’est déclaré incompétent pour connaître du recours en réformation.

Les appelantes réitèrent ensuite le moyen tiré d’une insuffisance de motivation de la décision fondé sur une violation de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, ci-après « le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 ». Elles critiquent que le ministre aurait affirmé, non pas dans sa décision contestée du 21 janvier 2019, mais dans son courrier du 22 novembre 2018, que Madame (A) aurait été condamnée pour proxénétisme, ce qui induirait automatiquement une perte d’honorabilité professionnelle justifiant le retrait des autorisations délivrées pour les besoins des activités immobilières de la société (AB). Si le ministre avait ainsi visé, dans son courrier du 22 novembre 2018, l’article 6, paragraphe (2), de la loi du 2 septembre 2011 réglementant l’accès aux professions d’artisan, de commerçant, d’industriel ainsi qu’à certaines professions libérales, ci-après « la loi du 2 septembre 2011 », il aurait ensuite visé, dans sa décision du 21 janvier 2019, l’article 6 dans toutes ses dispositions. Or, en l’absence de motivation précise, il leur serait difficile de comprendre les éléments du dossier administratif ainsi que les antécédents de Madame (A) qui affecteraient l’honorabilité professionnelle requise pour les activités immobilières visées par les autorisations d’établissement en question, à savoir les activités d’administrateur de biens - syndic de copropriété, de promoteur immobilier et d’agent immobilier.

Les parties appelantes soutiennent ensuite que les activités immobilières visées par les trois autorisations d’établissement révoquées seraient régies par les articles 2.2, 2.29 et 2.32 de la loi du 2 septembre 2011 et n’auraient rien à voir avec les activités pour lesquelles Madame (A) a été condamnée en 2018 en tant que dirigeante d’un cabaret dénommé « (EF) », pour des faits commis entre février 2010 et juin 2012.

Elles soulignent que Madame (A) aurait arrêté l’exploitation de ce cabaret avant toute poursuite judiciaire et qu’elle aurait restitué volontairement l’autorisation de commerce afférente en 2012. Elle n’aurait été condamnée qu’en 2018, soit presque 7 ans après avoir quitté définitivement le milieu des cabarets, à une peine d’emprisonnement de 3 ans, assortie du sursis intégral, à une amende de 20.000 euros, à une interdiction pour une durée de 5 ans de tenir un débit de boissons, de participer à son exploitation et d’y être employée, ainsi qu’à une interdiction pour une durée de 5 ans des droits énumérés à l’article 11 du Code pénal.

Les appelantes soutiennent que ce serait à tort que les premiers juges se sont fondés sur cette condamnation pénale pour retenir que Madame (A) ne disposait plus de l’honorabilité professionnelle requise et pour confirmer la révocation des autorisations d’établissement litigieuses. Elles estiment au contraire que l’honorabilité professionnelle de Madame (A) ne s’en trouverait pas affectée.

Elles soutiennent encore que la révocation des autorisations d’établissement fondée sur cette seule condamnation pénale exigerait une motivation plus détaillée. Toute idée de seconde chance serait ainsi écartée par le ministre qui n’aurait pas tenu compte des efforts entrepris par Madame (A) pour retourner sur le droit chemin. Il est ainsi reproché au ministre d’avoir pris comme seul motif de révocation la condamnation pénale de Madame (A), alors même que cette condamnation n’influencerait aucunement l’honorabilité professionnelle requise dans le domaine des activités immobilières de la société (AB).

Elles reprochent ensuite au ministre d’avoir fait une mauvaise application de l’article 6, paragraphe (2), alinéa 1er, de la loi du 2 septembre 2011, aux termes duquel l’honorabilité professionnelle devrait s’apprécier sur base des antécédents du dirigeant et de tous les éléments fournis par l’instruction administrative pour autant qu’ils concernent des faits ne remontant pas à plus de dix ans. Or, le ministre n’aurait pas procédé à une appréciation individuelle de l’honorabilité professionnelle requise dans le cadre des activités immobilières. Elles reprochent plus concrètement au ministre de ne pas avoir tenu compte de l’ancienneté des faits ayant donné lieu à la condamnation pénale en question, du comportement irréprochable de Madame (A) depuis 2012 et ce tant dans sa vie privée, que dans l’exercice de ses activités au sein de la société (AB), de l’absence d’incidence de la condamnation de Madame (A) sur l’honorabilité requise pour les activités immobilières, ainsi que la volonté manifeste de cette dernière de « se resocialiser depuis 2012 ».

Les appelantes insistent sur l’ancienneté des faits qui, selon elles, ne seraient plus à l’heure actuelle de nature à mettre en cause l’honorabilité professionnelle de Madame (A), qui aurait fait preuve d’un repentir en s’investissant dans une nouvelle activité. Ainsi, elle aurait apuré les dettes fiscales en rapport avec le cabaret qu’elle aurait géré et aurait modifié l’objet social de la société.

Elles estiment encore que l’esprit de la loi ne serait pas d’instituer un mécanisme automatique de refus ou de révocation en cas de condamnation pénale, laquelle ne serait pas en relation avec l’activité pour laquelle l’autorisation d’établissement aurait été octroyée, pour en conclure que la décision litigieuse serait disproportionnée.

En conclusion, les appelantes demandent, par réformation du jugement entrepris, l’annulation de la décision ministérielle de révocation litigieuse.

Le délégué du gouvernement sollicite en substance la confirmation du jugement entrepris, estimant que les parties appelantes ne font que reprendre les moyens qu’elles avaient développés devant les premiers juges, sans apporter d’élément nouveau par rapport à la première instance, et il déclare maintenir ses arguments développés dans les mémoires de première instance.

Dans leur mémoire en réplique, les parties appelantes critiquent le renvoi opéré par le délégué du gouvernement à ses écrits de première instance en soutenant qu’il n’appartiendrait pas à la Cour de suppléer à la carence de la partie étatique en allant elle-même chercher l’argumentation juridique dans les mémoires de première instance, de sorte que toute contestation non étayée serait à écarter.

En ce qui concerne l’ancienneté des faits à la base de la condamnation pénale de Madame (A), les parties appelantes font valoir que s’il est vrai que les faits sur lesquels le ministre s’est fondé dataient de moins de dix ans à la date de la décision litigieuse, ainsi que l’exige l’article 6, paragraphe (2), de la loi du 2 septembre 2011, il n’en demeurerait pas moins que les faits avoisineraient cette date limite des dix ans. Elles soulignent encore que les premiers juges se seraient exclusivement fondés sur la condamnation pénale sans tenir compte de tous les autres éléments du dossier.

Dans son mémoire en duplique, le délégué du gouvernement explique que comme les parties appelantes auraient repris leurs arguments qu’elles avaient déjà formulés en première instance, il serait parfaitement en droit de renvoyer à son mémoire déposé en première instance, complété par quelques éléments supplémentaires dans son mémoire en réponse en appel. Il précise ensuite, pour autant que de besoin, que les arguments de son mémoire en réponse de première instance, dont une copie est jointe à sa duplique, sont à considérer comme faisant partie intégrante de son mémoire et, de ce fait, réitérés en instance d’appel.

En ce qui concerne de prime abord la critique formulée par les parties appelantes à l’égard du renvoi opéré par le délégué du gouvernement à son mémoire en réponse déposé en première instance, la Cour se doit de constater que la partie intimée, contrairement à la partie appelante, est en droit de renvoyer à ses conclusions de première instance, dès lors que celles-ci ont été admises en première instance. Par ailleurs, la Cour constate que le délégué du gouvernement a fourni dans son mémoire en réponse en appel encore des éléments supplémentaires et qu’il a joint à son mémoire en duplique une copie de son mémoire en réponse de première instance, de sorte que les critiques afférentes des parties appelantes ne peuvent qu’être écartées.

Concernant ensuite la prétendue violation de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, la Cour constate que ce moyen procède de la considération erronée que la légalité d’une décision de révocation d’une autorisation d’établissement serait conditionnée par l’indication d’une motivation exhaustive, alors qu’un défaut d’indication et de précision des motifs à la base de pareille décision n’a d’incidence que par rapport aux délais pour agir en justice, sans cependant être de nature à affecter la légalité proprement dite de la décision litigieuse.

Il convient ensuite de rappeler que l’article 6 en question exige certes que toute décision administrative soit basée sur des motifs légaux et que ces motifs soient indiqués d’une manière sommaire dans certains types de décisions, dont celle sous analyse, et qu’il suffit partant, d’un point de vue formel, que la décision écrite indique des motifs concrets par rapport au cas d’espèce, pour remplir les exigences réglementaires en question. Le bien-fondé de ces motifs ne peut par contre être apprécié que dans le cadre d’une analyse au fond de ceux-ci.

En l’espèce, la Cour constate que la décision litigieuse du 21 janvier 2019 est motivée tant en droit qu’en fait, en ce que le ministre indique comme base légale les articles 4 et 6, paragraphe (2), de la loi du 2 septembre 2011 et comme motif de révocation la perte d’honorabilité dans le chef de Madame (A) suite à sa condamnation pénale par un arrêt de la Cour d’appel, chambre correctionnelle, du 13 février 2018. En plus, le ministre a indiqué, dans son courrier du 22 novembre 2018, par lequel il annonçait son intention de révoquer les autorisations d’établissement en cause, et auquel il se réfère dans sa décision contestée, que les faits reprochés à Madame (A) étaient tellement graves que son intégrité professionnelle s’en trouvait gravement affectée et que l’on ne pouvait dès lors plus tolérer dans l’intérêt des acteurs économiques qu’elle continuait d’exercer l’activité de dirigeant d’entreprise au sens du droit d’établissement. Il ajouta encore dans ce courrier que l’intéressée avait également été condamnée pour proxénétisme concernant le cabaret « (CD) » par un arrêt de la Cour d’appel du 16 janvier 2018 (n°24/18V). Cette motivation a ensuite encore été complétée et étayée par le délégué du gouvernement en cours d’instance contentieuse.

Au vu de cette motivation, il y lieu de rejeter le moyen tiré d’une violation de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 comme non fondé.

En ce qui concerne le fond du litige, les premiers juges ont valablement défini le cadre légal applicable au litige à partir des dispositions des articles 3, 4, 6 et 28 de la loi du 2 septembre 2011.

Aux termes de l’article 3 de la loi du 2 septembre 2011 : « L’autorisation d’établissement requise au préalable pour l’exercice d’une activité visée par la présente loi est délivrée par le ministre si les conditions d’établissement, d’honorabilité et de qualification prévues aux articles 4 à 27 sont remplies. ».

L’article 4 de la même loi précise notamment que : « L’entreprise qui exerce une activité visée à la présente loi désigne au moins une personne physique, le dirigeant, qui :

1. satisfait aux exigences de qualification et d’honorabilité professionnelles ; (…) ».

L’article 28, paragraphe (3), de la loi du 2 septembre 2011 dispose encore que : « Le ministre peut révoquer l’autorisation d’établissement pour les motifs qui en auraient justifié le refus. ».

Il ressort de la lecture combinée des dispositions qui précèdent que si le manque d’honorabilité professionnelle dans le chef d’un dirigeant d’entreprise constitue un motif légal de refus de délivrance d’une autorisation d’établissement au profit de cette entreprise, le défaut ou la perte d’honorabilité professionnelle dans le chef du dirigeant d’une entreprise disposant d’ores et déjà d’une autorisation d’établissement est de nature à justifier la révocation de l’autorisation en question.

Aux termes de l’article 6 de la loi du 2 septembre 2011 : « (1) La condition d’honorabilité professionnelle vise à garantir l’intégrité de la profession ainsi que la protection des futurs cocontractants et clients.

(2) L’honorabilité professionnelle s’apprécie sur base des antécédents du dirigeant et de tous les éléments fournis par l’instruction administrative pour autant qu’ils concernent des faits ne remontant pas à plus de dix ans.

Le respect de la condition d’honorabilité professionnelle est également exigé dans le chef du détenteur de la majorité des parts sociales ou des personnes en mesure d’exercer une influence significative sur la gestion ou l’administration de l’entreprise.

(3) Constitue un manquement privant le dirigeant de l’honorabilité professionnelle, tout comportement ou agissement qui affecte si gravement son intégrité professionnelle qu’on ne peut plus tolérer, dans l’intérêt des acteurs économiques concernés, qu’il exerce ou continue à exercer l’activité autorisée ou à autoriser.

(4) Par dérogation au paragraphe (3), constituent d’office un manquement qui affecte l’honorabilité professionnelle du dirigeant:

a) le recours à une personne interposée ou l’intervention comme personne interposée dans le cadre de la direction d’une entreprise soumise à la présente loi;

b) l’usage dans le cadre de la demande d’autorisation de documents ou de déclarations falsifiés ou mensongers;

c) le défaut répété de procéder aux publications légales requises par les dispositions légales relatives au registre de commerce et des sociétés ou le défaut de tenir une comptabilité conforme aux exigences légales;

d) l’accumulation de dettes importantes auprès des créanciers publics dans le cadre d’une faillite ou liquidation judiciaire prononcées;

e) toute condamnation définitive, grave ou répétée en relation avec l’activité exercée. ».

Il se dégage de la disposition précitée que la finalité de la condition d’honorabilité professionnelle, à laquelle est subordonnée entre autres la délivrance d’une autorisation d’établissement, consiste à garantir l’intégrité de la profession ainsi que la protection des futurs cocontractants et clients. L’honorabilité professionnelle d’un dirigeant se trouve affectée en cas de comportement ou d’agissement atteignant si gravement son intégrité professionnelle qu’elle rende intolérable, dans l’intérêt des acteurs économiques concernés, la délivrance ou le maintien d’une autorisation d’établissement.

Le ministre est ainsi appelé à prendre sa décision quant à la perte éventuelle de l’honorabilité professionnelle sur la base d’un examen complet des antécédents du dirigeant et de tous les éléments fournis par l’instruction administrative pour autant qu’ils concernent des faits ne remontant pas à plus de dix ans.

Il n’est ainsi pas requis que les antécédents du dirigeant soient en rapport avec les activités pour lesquelles l’autorisation d’établissement a été accordée.

A côté, le paragraphe (4) de cet article 6 définit un certain nombre de manquements qui affectent d’office l’honorabilité professionnelle du dirigeant, tels que toute condamnation définitive, grave ou répétée en relation avec l’activité exercée.

Il s’ensuit que le ministre, conformément aux termes du paragraphe (3) de l’article 6 de la loi du 2 septembre 2011, dispose en principe d’un large pouvoir d’appréciation en la matière, sauf à être guidé par les hypothèses spécifiques énumérées au paragraphe (4) dudit article 6, qualifiées de manquements d’office au regard desquelles il ne dispose d’aucune marge d’appréciation.

Or, ainsi que l’ont relevé à juste titre les premiers juges, la décision de révocation litigieuse est fondée sur le paragraphe (2) de l’article 6 de la loi du 2 septembre 2011 et non pas sur le paragraphe (4) du même article, de sorte que l’argument des parties appelantes que les faits pour lesquels Madame (A) a été condamnée au pénal n’auraient aucun lien avec les activités immobilières faisant l’objet des autorisations d’établissement révoquées, est à rejeter pour manquer de pertinence.

Le ministre, pour révoquer les autorisations d’établissement litigieuses délivrées en septembre 2017, s’est fondé sur l’arrêt de la Cour d’appel, chambre correctionnelle, du 13 février 2018 (n° 69/18) ayant condamné Madame (A), en sa qualité de gérante du cabaret (EF), notamment pour les infractions de traite des êtres humains commise à l’aide de la contrainte, de la menace de recours à la force et par le recours à la force, de proxénétisme et de blanchiment, à une peine de prison de trois ans assortie du sursis intégral, une amende de 20.000 euros, une interdiction pour une durée de cinq ans de tenir un débit de boissons, de participer à son exploitation et d’y être employée. Les faits à la base de cette condamnation pénale se situent entre 2010 et 2012 et ne remontent partant pas à plus de dix ans, tel qu’exigé par l’article 6, paragraphe (2), de la loi du 2 septembre 2011.

La Cour rejoint ainsi les premiers juges en leur analyse et conclusion que les infractions pour lesquelles Madame (A) a été condamnée, et alors même que ces faits remontent aux années 2010 à 2012, sont particulièrement graves de nature à faire perdre à celle-ci son honorabilité professionnelle.

Dans ces conditions, la circonstance que Madame (A) aurait brisé avec son ancienne vie de dirigeante de cabaret, d’avoir refait sa vie et de mener désormais une vie irréprochable ne permet pas de considérer, au vu de la gravité des infractions commises, qu’elle répond à nouveau à la condition d’honorabilité professionnelle.

Il s’ensuit que le ministre a pu à bon droit révoquer les autorisations d’établissement en cause sans sortir de sa marge d’appréciation.

Enfin, les parties appelantes restent en défaut de démontrer que la révocation des autorisations d’établissement en question ne serait pas proportionnée à l’objectif voulu par le législateur, à savoir veiller à ce que les entreprises soient dirigées par des personnes honorables.

Il découle de l’ensemble des développements qui précèdent que l’appel n’est pas fondé et que le jugement entrepris est à confirmer.

Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause ;

reçoit l’appel en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute les appelantes ;

partant, confirme le jugement entrepris du 7 décembre 2020 ;

condamne les appelantes aux dépens de l’instance d’appel.

Ainsi délibéré et jugé par:

Henri CAMPILL, vice-président, Lynn SPIELMANN, conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, et lu par le vice-président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier de la Cour ….

s. … s. CAMPILL Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 4 mai 2021 Le greffier de la Cour administrative 9


Synthèse
Numéro d'arrêt : 45507C
Date de la décision : 04/05/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 12/05/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2021-05-04;45507c ?

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