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29/04/2021 | LUXEMBOURG | N°69/21

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 29 avril 2021, 69/21


N° 69 / 2021 du 29.04.2021 Numéro CAS-2020-00082 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, vingt-neuf avril deux mille vingt-et-un.

Composition:

Jean-Claude WIWINIUS, président de la Cour, Eliane EICHER, conseiller à la Cour de cassation, Michel REIFFERS, conseiller à la Cour de cassation, Roger LINDEN, conseiller à la Cour de cassation, Lotty PRUSSEN, conseiller à la Cour de cassation, Marie-Jeanne KAPPWEILER, premier avocat général, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.

Entre:

S), demandeur en cassation

, comparant par Maître Nathalie BARTHELEMY, avocat à la Cour, en l’étude de laquel...

N° 69 / 2021 du 29.04.2021 Numéro CAS-2020-00082 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, vingt-neuf avril deux mille vingt-et-un.

Composition:

Jean-Claude WIWINIUS, président de la Cour, Eliane EICHER, conseiller à la Cour de cassation, Michel REIFFERS, conseiller à la Cour de cassation, Roger LINDEN, conseiller à la Cour de cassation, Lotty PRUSSEN, conseiller à la Cour de cassation, Marie-Jeanne KAPPWEILER, premier avocat général, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.

Entre:

S), demandeur en cassation, comparant par Maître Nathalie BARTHELEMY, avocat à la Cour, en l’étude de laquelle domicile est élu, et:

F), défenderesse en cassation.

Vu l’arrêt attaqué, numéro 256/19, rendu le 18 décembre 2019, sous le numéro CAL-2019-00729 du rôle par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, première chambre, siégeant en matière civile ;

Vu le mémoire en cassation signifié le 10 juin 2020 par S) à F), déposé le 28 juillet 2020 au greffe de la Cour ;

Sur le rapport du conseiller Eliane EICHER et les conclusions du premier avocat général Marie-Jeanne KAPPWEILER ;

Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, le tribunal d’arrondissement de Luxembourg, siégeant en matière d’affaires familiales dans le cadre d’une procédure de divorce entre F) et S), avait déclaré irrecevable la demande d’F) tendant à l’admission, envers son conjoint, d’une créance liée au rachat des droits à pension. Les juges d’appel ont, par réformation, dit qu’F) a la qualité de bénéficiaire des dispositions de l’article 252 du Code civil au motif que les années, dites « années-bébé », sont complètement assimilées à des années travaillées et que l’abandon, dès avant le mariage, par F) pour des raisons familiales liées à l’éducation des deux enfants communs était donc devenu effectif en ce qui concerne le droit à pension, objet de l’article 252 du Code civil, à une date se situant après le mariage des parties.

Sur les premier et second moyens de cassation réunis Enoncé des moyens le premier, « tiré de la violation sinon du refus d'application, sinon de la mauvaise application, sinon de la mauvaise interprétation de la loi, in specie de l'article 252, paragraphe 1er du Code civil, en ce que la Cour d'appel a décidé que la notion de , dont l'abandon ou la réduction au cours du mariage conditionne le droit à l'achat rétroactif auprès du régime général d'assurance pension tel que ce droit a été mis en place par la loi du 27 juin 2018 instituant le juge aux affaires familiales, portant réforme du divorce et de l'autorité parentale et portant modification de diverses dispositions légales en conférant à l'article 252 du Code civil sa rédaction actuelle, inclut les périodes d'inactivité professionnelle visées à l'article 171, paragraphe 1, point 7 du Code de la sécurité sociale pour dire que l'abandon ou la réduction de l'activité professionnelle prend effet à l'expiration d'une période d'inactivité professionnelle ainsi visée, et en a déduit faussement que F), qui avait bénéficié d'une période d'inactivité professionnelle sur base de l'article 171, paragraphe 1, point 7 du Code de la sécurité sociale au cours de la période d'avril 2000 à mai 2004, avait abandonné ou réduit son activité professionnelle à partir du mois de mai 2004 à l'expiration de la période couverte par l'article 171, paragraphe 1, point 7 du Code de la sécurité sociale, partant au cours du mariage des parties à l'instance, contracté le 27 juin 2003, et remplissait dès lors la condition de l'abandon ou de la réduction de l'activité professionnelle au cours du mariage et pouvait entrer dans le bénéfice du droit à achat rétroactif auprès du régime général d'assurance pension, en assimilant à tort la notion de inscrite à l'article 252 du Code civil à la notion de inscrite à l'article 171 du Code de la sécurité sociale et plus spécialement à la période couverte par l'article 171, paragraphe 1, point 7 du Code de la sécurité sociale première branche alors que l'article 252 du Code civil ne renvoie pas à l'article 171 du Code de la sécurité sociale et que partant la notion de inscrite à l'article 252 du Code civil ne peut être confondue avec, ou interprétée par référence à, la notion de inscrite à l'article 171 du Code de la sécurité sociale deuxième branche alors que l'article 171 du Code de la sécurité sociale et l'article 252 du Code civil règlent deux questions différentes, dès lors que l'article 171 du Code de la sécurité sociale, venant compléter l'article 170 du Code de la sécurité sociale, identifie les périodes d'assurance obligatoire et autres périodes prises en compte au titre du calcul des droits à pension au moment de l'échéance du risque couvert par le régime général d'assurance pension (vieillesse, invalidité et survie) en y incluant les , tandis que l'article 252 du Code civil règle dans l'hypothèse spécifique du divorce le droit à achat rétroactif auprès du régime général d'assurance pension (qui se trouve régi en droit commun de la sécurité sociale par l'article 174 du Code de la sécurité sociale) en n'ouvrant ce droit qu'en cas d'abandon ou de réduction de , et que partant la notion de inscrite à l'article 252 du Code civil ne peut être assimilée à, ou interprétée par référence à, la notion de inscrite à l'article 171 du Code de la sécurité sociale. » et le second, « tiré de la violation sinon du refus d'application, sinon de la mauvaise application, sinon de la mauvaise interprétation de la loi, in specie de l'article 252, paragraphe 1er du Code civil, en ce que la Cour d'appel a décidé que la notion de , dont l'abandon ou la réduction au cours du mariage conditionne le droit à l'achat rétroactif auprès du régime général d'assurance pension tel que ce droit a été mis en place par la loi du 27 juin 2018 instituant le juge aux affaires familiales, portant réforme du divorce et de l'autorité parentale et portant modification de diverses dispositions légales en conférant à l'article 252 du Code civil sa rédaction actuelle, inclut les périodes d'inactivité professionnelle visées à l'article 171, paragraphe 1, point 7 du Code de la sécurité sociale pour dire que l'abandon ou la réduction de l'activité professionnelle prend effet à l'expiration d'une période d'inactivité professionnelle ainsi visée, et en a déduit faussement que F), qui avait bénéficié d'une période d'inactivité professionnelle sur base de l'article 171, paragraphe 1, point 7 du Code de la sécurité sociale au cours de la période d'avril 2000 à mai 2004, avait abandonné ou réduit son activité professionnelle à partir du mois de mai 2004 à l'expiration de la période couverte par l'article 171, paragraphe 1, point 7 du Code de la sécurité sociale, partant au cours du mariage des parties à l'instance, contracté le 27 juin 2003, et remplissait dès lors la condition de l'abandon ou de la réduction de l'activité professionnelle au cours du mariage et pouvait entrer dans le bénéfice du droit à achat rétroactif auprès du régime général d'assurance pension, en assimilant à tort la notion de inscrite à l'article 252 du Code civil à la notion de inscrite à l'article 171 du Code de la sécurité sociale et plus spécialement à la période couverte par l'article 171, paragraphe 1, point 7 du Code de la sécurité sociale alors que la notion de dont l'abandon ou la réduction conditionne la possibilité de l'achat rétroactif auprès du régime général d'assurance pension, notion à laquelle renvoie l'article 252 du Code civil dans l'hypothèse spécifique du divorce et qui est visée en droit commun de la sécurité sociale par l'article 174 du Code de la sécurité sociale, doit s'entendre comme visant une activité professionnelle réelle, consistant en l'accomplissement d'actes liés à l'exercice d'une profession et procurant un revenu du fait de cette activité versée par le bénéficiaire de l'activité (salaire, honoraires, factures commerciales, …), sans qu'on ne puisse y assimiler d'autres activités ne répondant pas à ces critères, telle que la période couverte par l'article 171, paragraphe 1, point 7 du Code de la sécurité sociale. ».

Réponse de la Cour Vu l’article 252, paragraphe 1, alinéa 1, du Code civil qui dispose :

« En cas d’abandon ou de réduction de l’activité professionnelle par un conjoint au cours du mariage pendant une période qui prend fin au plus tard à la date de la requête de divorce, celui-ci peut demander, avant le jugement de divorce et à condition qu’au moment de la demande il n’ait pas dépassé l’âge de soixante-

cinq ans, au tribunal de procéder ou de faire procéder au calcul d’un montant de référence, basé sur la différence entre les revenus respectifs des conjoints pendant la période d’abandon ou de réduction de l’activité professionnelle et destiné à effectuer un achat rétroactif auprès du régime général d’assurance pension, conformément à l’article 174 du Code de la sécurité sociale. ».

En assimilant les années pendant lesquelles la défenderesse en cassation avait bénéficié du régime d’assurance pension sans exercer une activité professionnelle à des années travaillées par référence aux dispositions des articles 174, alinéa 1, et 171, point 7, du Code de la sécurité sociale qui portent respectivement sur les conditions du rachat rétroactif et sur les années, dites « années-bébé », comme période d’affiliation obligatoire, donc sur l’affiliation au régime d’assurance pension, et non sur l’abandon ou la réduction de l’activité professionnelle par un conjoint au cours du mariage, les juges d’appel ont violé la disposition visée aux moyens.

Il en suit que l’arrêt encourt la cassation.

PAR CES MOTIFS, la Cour de cassation :

casse et annule l’arrêt n° 256/19, rendu le 18 décembre 2019 sous le numéro CAL-2019-00729 du rôle par la Cour d’appel, première chambre, siégeant en matière civile ;

déclare nuls et de nul effet ladite décision judiciaire et les actes qui s’en sont suivis, remet les parties dans l’état où elles se sont trouvées avant l’arrêt cassé et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d’appel, autrement composée ;

condamne la défenderesse en cassation aux dépens de l’instance en cassation avec distraction au profit de Maître Nathalie BARTHELEMY, sur ses affirmations de droit ;

ordonne qu’à la diligence du procureur général d’Etat, le présent arrêt soit transcrit sur le registre de la Cour d’appel et qu’une mention renvoyant à la transcription de l’arrêt soit consignée en marge de la minute de l’arrêt annulé.

La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le président Jean-Claude WIWINIUS en présence du premier avocat général Marie-

Jeanne KAPPWEILER et du greffier Daniel SCHROEDER.

Conclusions du Parquet Général dans l’affaire de cassation S) contre F) Le pourvoi en cassation, introduit par S) par un mémoire en cassation signifié le 16 juin 2020 à la partie défenderesse en cassation et déposé au greffe de la Cour Supérieure de Justice le 28 juillet 2020, est dirigé contre un arrêt n°256/19 rendu par la Cour d’appel, première chambre, siégeant en matière civile, statuant contradictoirement, en date du 18 décembre 2019 (n° CAL-2019-00729 du rôle). Cet arrêt ne semble pas avoir été signifié au demandeur en cassation.

Le pourvoi en cassation a dès lors été interjeté dans les forme et délai prévus aux articles 7 et 10 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation.

La partie défenderesse n’a pas signifié de mémoire en réponse dans le délai de deux mois à compter du jour de la signification du mémoire en cassation, conformément aux articles 15 et 16 de la loi précitée du 18 février 1885. Elle a déposé une requête en relevé de déchéance au greffe de la Cour Supérieure de Justice en date du 28 octobre 2020. Par arrêt n°173/2020 rendu en date du 17 décembre 2020, cette demande a été rejetée.

Sur les faits et antécédents :

Les parties ont deux enfants communs nés le 12 janvier 2000 et le 6 mai 2002, et elles se sont mariées le 27 juin 2003. Selon les renseignements du Centre commun de la sécurité sociale, F) a bénéficié du régime d’assurance pension dit des « années-bébé » d’avril 2000 à mai 2004.

A la suite d’une demande en divorce présentée au tribunal d’arrondissement de Luxembourg par S), F) a présenté une demande reconventionnelle, tendant, entre autres, à l’application de l’article 252 du Code civil relatif au rachat des droits de pension.

Par jugement du 11 juillet 2019, le tribunal d’arrondissement a constaté que les années dites « années-bébé » prises en compte pour la comptabilisation des périodes d’assurance pension ne sont pas à assimiler à une activité professionnelle et que F) ne remplit pas les conditions pour bénéficier de l’article 252 du Code civil et que la question préjudicielle qu’elle entend faire poser à la Cour constitutionnelle est dénuée de fondement, de sorte qu’il n’y est pas fait droit. La demande basée sur l’article 252 du Code civil a été déclarée irrecevable.

F) a relevé appel de ce jugement par requête déposée au greffe de la Cour le 29 juillet 2019 et signifiée à S) par exploit d’huissier le 5 août 2019. Cet appel était limité à la créance de l’épouse liée aux droits de pension.

Par arrêt du 18 décembre 2019, la Cour d’appel a déclaré l’appel recevable et fondé. Elle a dit que F) avait la qualité de bénéficiaire des dispositions de l’article 252 du Code civil et a sursis à statuer sur le surplus en attendant la prise de position contradictoire des parties.

Cet arrêt fait l’objet du présent pourvoi.

Aux termes de l’article 3, alinéa 2, de la loi du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation, relatif aux pourvois en matière civile et commerciale, « les arrêts et jugements rendus en dernier ressort qui tranchent dans leur dispositif une partie du principal et ordonnent une mesure d’instruction ou une mesure provisoire peuvent également être déférés à la Cour de cassation comme les décisions qui tranchent tout le principal. » L’arrêt attaqué a tranché dans son dispositif une partie de l’objet du litige tel qu’il est déterminé par l’article 53 du Nouveau code de procédure civile, c’est-à-dire tel qu’il résulte des prétentions des parties.1 Le pourvoi est partant recevable.

Le cadre légal:

Une loi du 27 juillet 1987 concernant l’assurance pension en cas de vieillesse, d’invalidité et de survie2 a modifié le lire III du Code des assurances sociales dont l’article 171, point 7, a alors pris la teneur suivante :

« Comptent comme périodes effectives d’assurance obligatoire, toutes les périodes d’activité professionnelle ou périodes y assimilées pour lesquelles des cotisations ont été versées, à savoir :

(…) 7) sur demande de l’intéressé, une période de douze mois dans le chef de l’un des parents se consacrant à l’éducation d’un enfant légitime, légitimé, naturel ou adoptif âgé de moins de quatre ans lors de l’adoption, à condition que l’enfant soit né après le 31 décembre 1987, que l’intéressé ait été assuré au titre de l’article 171 pendant douze mois au cours de trente-six mois précédant celui de la naissance ou de l’adoption de l’enfant et que cette période ne se superpose pas avec une période couverte auprès d’un autre régime luxembourgeois ou étranger ; cette période prend cours le mois suivant la naissance ou l’adoption de l’enfant ou, le cas échéant, le mois suivant la date de l’expiration de l’indemnité pécuniaire de maternité ; la demande est à présenter, sous peine de forclusion, dans le délai de vingt-quatre mois à partir de la naissance ou de l’adoption de l’enfant ;

en cas de présentation d’une demande par chacun des parents dans ce délai, la mise en compte s’effectue en faveur de celui qui s’occupe principalement de l’éducation de l’enfant ; ».

1 J. et L. Boré, La cassation an matière civile, Dalloz, 5e éd., 2015/2016, n° 34.11 et n°34.23-34.24 2 Article 1er Il s’agissait de la première prise en compte des « années-bébé » ou « baby-years » dans le contexte de l’assurance pension. Cette innovation concernait la définition des périodes effectives d’assurance obligatoire et requerrait une demande du parent concerné.

Une loi du 6 avril 1999 adaptant le régime général d’assurance pension3 a modifié l’article 171, alinéa 1er, sous 7) comme suit :

7) sur demande, une période de vingt-quatre mois dans le chef de l’un ou des deux parents se consacrant à l’éducation d’un enfant légitime, légitimé, naturel ou adoptif âgé de moins de quatre ans lors de l’adoption, à condition que l’enfant soit né après le 31 décembre 1987, que l’intéressé ait été assuré au titre de l’article 171 pendant douze mois au cours de trente-six mois précédant celui de la naissance ou de l’adoption de l’enfant et que cette période ne se superpose pas avec une période couverte auprès d’un autre régime luxembourgeois ou étranger ; cette période prend cours le mois suivant la naissance ou l’adoption de l’enfant ou, le cas échéant, le mois suivant la date de l’expiration de l’indemnité pécuniaire de maternité. La période prévisée de vingt-quatre mois est étendue à quarante-huit mois si, au moment de la naissance ou de l’adoption de l’enfant, l’intéressé élève dans son foyer au moins deux autres enfants légitimes, légitimés, naturels ou adoptifs ou si l’enfant est atteint d’une ou de plusieurs affections constitutives d’une insuffisance ou d’une diminution permanente d’au moins cinquante pour cent de la capacité physique ou mentale de l’enfant normal du même âge. La période de vingt-quatre ou quarante-huit mois peut être répartie entre les deux parents, à condition que les demandes présentées par les deux parents n’excèdent pas la durée maximale. A défaut d’accord entre les parents au sujet de la répartition de la période, la mise en compte s’effectue prioritairement en faveur de celui des parents qui s’occupe principalement de l’éducation de l’enfant ; » Cette même loi a donné aux alinéas 1 et 2 de l’article 174 du Code des assurances sociales la teneur suivante :

« Les personnes qui ont, soit abandonné ou réduit leur activité professionnelle pour des raisons familiales, soit bénéficié d’un forfait de rachat ou d’un équivalent actuarial de la part d’un régime de pension étranger non visé par un instrument bi-ou multilatéral de sécurité sociale ou de la part d’un régime de pension d’une organisation internationale peuvent, sur avis favorable du contrôle médical de la sécurité sociale, couvrir ou compléter les périodes correspondantes par un achat rétroactif, à condition qu’elles résident au Grand-Duché de Luxembourg, qu’elles aient été affiliées au titre de l’article 171 pendant au moins douze mois et qu’au moment de la demande elles n’aient ni dépassé l’âge de soixante ans ni droit à une pension personnelle.

Un règlement grand-ducal précise les conditions de l’achat rétroactif, en détermine les modalités et définit les périodes pouvant être couvertes. » Cette nouvelle loi a donc, tout d’abord, étendu à vingt-quatre mois (et sous certaines conditions à quarante-huit mois) la période pouvant être prise en compte comme période effective d’assurance obligatoire et elle a prévu la possibilité de partager cette période entre 3 Article II, paragraphe 2) les deux parents, mais elle a surtout prévu la possibilité d’un achat rétroactif de droits de pension en cas d’abandon ou de réduction de l’activité professionnelle pour des raisons familiales.

Le règlement grand-ducal du 5 mai 1999 concernant l’assurance continuée, l’assurance complémentaire, l’assurance facultative, l’achat rétroactif de périodes d’assurance et la restitution de cotisations remboursées dans le régime général d’assurance pension, pris en exécution de ladite loi du 6 avril 1999, a précisé que « la période à couvrir rétroactivement ne peut [pas]se situer avant l’âge de dix-huit ans, » et a défini quatre catégories de périodes permettant un achat rétroactif des droits de pension, dont « les périodes de mariage »,4 et « les périodes d’éducation d’un enfant âgé de moins de quinze ans accomplis ».5 Dans ses avis relatifs au projet de loi aboutissant à la loi du 27 juin 2018 instituant le juge aux affaires familiales, portant réforme du divorce et de l’autorité parentale et portant modification de diverses dispositions légales6 (ci-après « loi du 27 juin 2018 instituant le juge aux affaires familiales ») le Conseil d’Etat a commenté le prédit règlement grand-

ducal du 5 mai 1999 en écrivant qu’il découlait de l’article 10 dudit règlement que le mariage constituait en lui-même une raison familiale au sens de la l’article 174 du Code des assurances sociales, de sorte qu’il s’agit d’un régime qui profite à tout conjoint qui a arrêté ou réduit ses activités à une date quelconque suivant le mariage.

La possibilité pour un conjoint de demander l’achat rétroactif de droits de pension pour les périodes de mariage pendant lesquelles il a abandonné ou réduit son activité professionnelle, respectivement pour un parent de demander l’achat rétroactif de droits de pension pour les périodes d’éducation d’un enfant mineur pendant lesquelles il a abandonné ou réduit son activité professionnelle, existe donc bien avant et indépendamment de loi du 27 juin 2018 instituant le juge aux affaires familiales.

A noter encore que l’article 173 du Code des assurances sociales dispose que « sont prises en compte en outre comme périodes, mais uniquement aux fins de parfaire le stage requis pour la pension de vieillesse prévue à l’article 184 et pour la pension minimum, ainsi qu’aux fins de l’acquisition des majorations forfaitaires dans les pensions, les périodes ci-

après pour autant qu’elles ne soient pas autrement couvertes par un régime de pension luxembourgeois ou étranger, à savoir:

1) 4 Article 10, paragraphe 1er, point 1), du règlement.

5 Article 10, paragraphe 1er, point 2) du règlement.

Les points 2) et 3) de ce paragraphe 1er ont été modifiés et deux points 5) et 6) ont été ajoutés par règlements grand-

ducaux du 4 mai 2001 et du 25 juin 2009 modifiant le règlement grand-ducal du 5 mai 1999 concernant l’assurance continuée, l’assurance complémentaire, l’assurance facultative, l’achat rétroactif de périodes d’assurance et la restitution de cotisations remboursées dans le régime général d’assurance pension.

Depuis l’entrée en vigueur du règlement du 4 mai 2001, le point 2 du paragraphe 1er se réfère aux « périodes d’éducation d’un enfant mineur » 6 Doc. Parl 6996, Avis CE du 6 décembre 2016, page 27, concernant l’article 257 du projet de loi (devenu par la suite l’article 252 du Code civil) et avis complémentaire CE de xxxxxxx concernant l’article 252 nouveau du Code civil ….

4) les périodes pendant lesquelles l’un des parents a élevé au Luxembourg un ou plusieurs enfants âgés de moins de six ans accomplis; ces périodes ne peuvent être inférieures à huit ans pour la naissance de deux enfants, ni être inférieures à dix ans pour la naissance de trois enfants; l’âge prévisé est porté à dix-huit ans si l’enfant est atteint d’une infirmité physique ou mentale, sauf si l’éducation et l’entretien de l’enfant ont été confiés à une institution spécialisée. Le ministre ayant dans ses attributions la Sécurité sociale peut dispenser de la condition que l’enfant soit élevé au Luxembourg;

….

9)… ».

Dans le cadre de l’assurance-pension, plusieurs dispositifs étaient partant déjà prévus dans la législation luxembourgeoise pour éviter que n’apparaissent des lacunes au niveau de la carrière d’assurance pension des personnes ayant abandonné ou réduit leur activité professionnelle pour des raisons familiales :

-les «baby-years » étaient considérées comme périodes effectives d’assurance obligatoire (article 171 du Code des assurances sociales) - les périodes consacrées à l’éducation des enfants étaient prises en compte (6 ans pour le premier enfant ; au moins huit ans pour deux enfants ; au moins dix ans pour 3 enfants) pour parfaire le stage requis pour la pension de vieillesse et pour la pension minimum (article 173 du Code des assurances sociales).

Si malgré ces mécanismes, une personne devait encore manquer des périodes requises pour avoir droit à une pension, elle peut couvrir ou compléter les périodes correspondantes par un achat rétroactif dans les conditions prévues à l’article 174 du Code des assurances sociales.

La loi du 27 juin 2018 instituant le juge aux affaires familiales a innové en introduisant dans l’article 252 du Code civil, en combinaison avec les articles 174, paragraphe 2, et l’article 197, aliné3 3, du Code de la sécurité sociale, un mécanisme en vertu duquel, en cas de divorce, le conjoint qui a abandonné ou réduit son activité professionnelle dispose, sous certaines conditions, d’une créance vis-à-vis de l’autre conjoint. L’idée est que l’achat des périodes sera financé par l’actif commun disponible après règlement du passif, de sorte que la charge financière du montant théorique calculé sera supportée par chacun des conjoints à cinquante pourcent.

L’article 252, paragraphe 1er, du Code civil applicable au divorce pour rupture irrémédiable des relations conjugales, à l’exclusion du divorce par consentement mutuel, dispose :

«(1) En cas d’abandon ou de réduction de l’activité professionnelle par un conjoint au cours du mariage7 pendant une période qui prend fin au plus tard à la date de la requête de divorce, celui-ci peut demander, avant le jugement de divorce et à condition qu’au moment de la demande il n’ait pas dépassé l’âge de soixante-cinq ans, au tribunal de procéder ou de faire procéder au calcul d’un montant de référence, basé sur la différence entre les revenus respectifs des conjoints pendant la période d’abandon ou de réduction de l’activité professionnelle et destiné à effectuer un achat rétroactif auprès du régime général d’assurance pension, conformément à l’article 174 du Code de la sécurité sociale.

Les deux conjoints ont l'obligation de fournir au tribunal les informations et pièces relatives aux revenus à la base du calcul du montant de référence visé à l’alinéa qui précède ainsi que les informations et pièces relatives à la période d’abandon ou de réduction de l’activité professionnelle. Le tribunal fixe les revenus et la période à considérer pour le calcul.

(2) Aux fins de l’achat rétroactif auprès du régime général d’assurance pension, le conjoint qui a abandonné ou réduit son activité dispose d’une créance envers l’autre conjoint à hauteur de cinquante pourcent du montant de référence visé au paragraphe 1 er, considéré dans les limites de l’actif constitué des biens communs ou indivis disponible après règlement du passif.

(3) Un montant équivalent à la créance visée au paragraphe 2 est à charge du conjoint créancier.

(4) Le conjoint qui a abandonné ou réduit son activité peut renoncer à l’achat rétroactif visé au paragraphe 1 er. Cette renonciation peut intervenir jusqu’au jugement de divorce. Elle ne peut intervenir avant l’introduction de la requête de divorce.

(5) Les montants visés aux paragraphes 2 et 3 sont versés à la Caisse nationale d’assurance pension, sauf justification légitime, au plus tard dans les trois mois qui suivent la clôture de la liquidation et du partage des biens communs ou indivis ou la date de la décision fixant la créance visée au paragraphe 2, selon ce qui survient en dernier.

Le conjoint débiteur en vertu du paragraphe 2 est valablement libéré par le paiement effectué entre les mains soit du conjoint créancier, soit de la Caisse nationale d’assurance pension.

(6) À défaut pour le conjoint créancier d’effectuer le versement à la Caisse nationale d’assurance pension, le conjoint débiteur peut demander la restitution du montant par lui versé.

7 Dans le projet de loi initial, l’article 257 du Code civil (devenu par la suite l’article 252) ne prévoyait une créance en faveur du conjoint ayant cessé ou réduit son activité pour des raisons familiales que lorsque cette cessation ou réduction s’étendait sur une période dépassant cinq ans au cours du mariage (7) Un règlement grand-ducal précise la méthodologie de calcul du montant de référence, les revenus entrant en compte et les modalités de versement des montants dus et de leur restitution.» Sur les deux moyens de cassation réunis:

Les deux moyens sont « tirés de la violation, sinon du refus d’application, sinon de la mauvaise application, sinon de la mauvaise interprétation de la loi, in specie de l’article 252, paragraphe 1er, du Code civil, en ce que la Cour d’appel a décidé que la notion d’ « activité professionnelle », dont l’abandon ou la réduction au cours du mariage conditionne le droit à l’achat rétroactif auprès du régime général d’assurance pension, tel que ce droit a été mis en place par la loi du 27 juin 2018 instituant le juge aux affaires familiales, portant réforme du divorce et de l’autorité parentale et portant modification de diverses dispositions légales en conférant à l’article 252 du Code civil sa rédaction actuelle, inclut les périodes d’inactivité professionnelle visées à l’article 171, paragraphe 1, point 7, du Code de la sécurité sociale, pour dire que l’abandon ou la réduction de l’activité professionnelle prend effet à l’expiration d’une période d’inactivité professionnelle ainsi visée, et en a déduit faussement que F) , qui a bénéficié d’une période d’inactivité professionnelle sur base de l’article 171, paragraphe 1, point 7, du Code de la sécurité sociale au cours de la période d’avril 2000 à mai 2004, avait abandonné ou réduit son activité professionnelle à partir du mois de mai 2004, à l’expiration de la période couverte par l’article 171, paragraphe 1, point 7, du Code de la sécurité sociale, partant au cours du mariage des parties à l’instance contracté le 27 juin 2003 ».

Le premier moyen est articulé en deux branches, la première branche faisant valoir que l’article 252 du Code civil ne renvoie pas à l’article 171 du Code de la sécurité sociale, et la deuxième branche exposant que ces deux dispositions règlent deux questions différentes.

Le deuxième moyen fait valoir que la notion d’ « activité professionnelle » doit s’entendre comme visant une activité professionnelle réelle, consistant en l’accomplissement d’actes liés à l’exercice d’une profession et procurant un revenu du fait de cette activité versée par le bénéficiaire de l’activité, sans que l’on ne puisse y assimiler d’autres activités ne répondant pas à ces critères, telle que la période couverte par l’article 171, paragraphe 1er, point 7, du Code des assurances sociales.

Il est utile de rappeler que la question à trancher par l’arrêt attaqué n’était pas celle de savoir si la défenderesse en cassation pouvait effectuer un achat rétroactif de droits de pension, mais de déterminer si, le cas échéant, un tel achat rétroactif était à la charge de la communauté ayant existé entre époux et devait être payé moyennant l’actif commun disponible après le règlement du passif.

Il découle du paragraphe 1er de l’article 252 que pour être créancier vis-à-vis de l’autre conjoint dans le cadre du divorce, un conjoint doit avoir abandonné ou réduit son activité professionnelle au cours du mariage.

La notion d’activité professionnelle n’est pas définie à l’article 252 du Code civil, mais cette notion vise nécessairement et indiscutablement toute activité professionnelle exercée pour le compte d’autrui ou pour le propre compte.

L’arrêt attaqué a indiqué qu’il convenait « de se référer à la législation sociale aux fins d’apprécier les conditions d’application de la nouvelle disposition issue de la loi du 27 juin 2018 » et il cite l’article 171 du Code des assurances sociales énumérant les périodes considérées comme « périodes effectives d’assurance obligatoire ».

Il en déduit :

« Cette énumération permet de retenir qu’au regard des règles régissant l’assurance pension, l’activité professionnelle visée ne saurait être définie au regard des seules règles applicables au contrat de louage de services ou d’ouvrage, respectivement du contrat de travail. Sont, en effet, visées des hypothèses dans lesquelles l’assuré ne travaille pas et dans lesquelles il ne perçoit pas de revenus.

Le 7ème point dudit article 171 du Code de la sécurité sociale prévoit même une hypothèse dans laquelle l’assuré ne paye pas de cotisations et dispose qu’est également assimilée à une période d’activité professionnelle au regard des principes gouvernant l’assurance pension obligatoire « sur demande, une période de vingt-quatre mois dans le chef de l’un ou des deux parents se consacrant au Luxembourg à l’éducation d’un enfant légitime, légitimé, naturel ou adoptif âgé de moins de quatre ans lors de l’adoption, à condition que l’intéressé justifie de douze mois d’assurance au titre de l’article 171 pendant une période de référence de trente-six mois précédant celui de la naissance ou de l’adoption de l’enfant », tout en précisant in fine que « La validation de la période se fait au moment de l’échéance du risque. La condition que des cotisations aient été versées ne s’applique pas ».

Cette disposition, dite des « années-bébé », au niveau de l’assurance pension, ouvre droit aux majorations forfaitaires et proportionnelles se trouvant à la base du calcul de la pension du chef des cotisations à charge de l’Etat. L’assiette ne peut être inférieure au minimum cotisable, ni supérieure à la moyenne des revenus cotisables portés en compte au cours des 3 années précédant la naissance. Ainsi, chacun des parents pourra arrêter totalement son activité professionnelle ou travailler à mi-temps pour se voir mettre en compte une « année-bébé » (Loi du 6 avril 1999 adaptant le régime général d’assurance pension, doc. parl. 4340, exposé des motifs, p.3 et 4 et doc. parl. 4340(4), avis du comité du travail féminin, p.1).

Du point de vue du droit à pension, ces années sont donc complétement assimilées à des années travaillées et le parent qui s’adonne à l’éducation des enfants ne subit aucun préjudice au niveau de ses droits de pension.

Dans l’hypothèse d’une mère bénéficiant des « années-bébé », la perte des droits de pension due à l’abandon ou à la réduction de son activité professionnelle aux fins de s’occuper de l’éducation des enfants, que cherche à compenser l’article 252 du Code civil, ne naît ainsi qu’à la fin de la période de 24 mois visée à l’article 171, 7) du Code de la sécurité sociale.

L’abandon par F) de son activité professionnelle pour des raisons familiales liées à l’éducation des deux enfants communs est donc devenu effectif, en ce qui concerne le droit à pension objet de l’article 252 du Code civil, à partir du mois de mai 2004, soit à une date se situant après le mariage des parties. » Or, ce raisonnement ne tient pas compte du fait que l’article 252 du Code civil ne s’applique qu’en cas d’abandon ou de réduction de l’«activité professionnelle » au cours du mariage et ne couvre pas la situation où une « période assimilée pour laquelle des cotisations ont été versées » prendrait fin au cours du mariage. Ces périodes sont certes également considérées comme périodes effectives d’assurance obligatoire dans le cadre de l’assurance pension, mais elles ne sont visées par l’article 252 du Code civil.

Le Conseil d’Etat l’a d’ailleurs relevé dans son avis du 6 décembre 2016 sur le projet de loi 6996 ayant abouti à la loi du 27 juin 2018 instituant le juge aux affaires familiales8 :

« Le Conseil d’Etat comprend qu’est exclue la prise en compte d’une cessation ou d’une réduction des activités intervenue avant le mariage proprement dit mais qui est en relation avec le mariage à intervenir et s’est poursuivie au cours du mariage.

8 Doc parl. 6996, avis CE 6 décembre 2016, page 27, article 257 (devenu par la suite l’article 252 du Code civil), 4e paragraphe in fine et 5e paragraphe L’exemple type est celui d’un arrêt de travail de la femme à la suite d’une grossesse ou d’un accouchement avant le mariage. » Si le projet de loi a, par la suite, encore fait l’objet de nombreux amendements, il n’a néanmoins pas fait l’objet d’amendements sur ce point malgré ce constat clair et net. Si l’intention du législateur- dont l’attention a été attirée sur ce point- avait été d’inclure dans le champ d’application de l’article 252 du Code civil d’autres situations que celles où l’abandon ou la réduction de l’activité professionnelle proprement dite se situe au cours du mariage, le libellé de l’article 252 du Code civil aurait dû être modifié.

Il n’appartient pas aux juridictions, sous prétexte de silence, de l’obscurité ou de l’insuffisance de la loi, d’appliquer une disposition à des situations non couvertes par ladite disposition.

De lege lata, les termes clairs de l’article 252 du Code civil ne permettent pas d’assimiler aux périodes d’activité professionnelle des périodes y assimilées par l’article 171 du Code des assurances sociales dans un autre contexte et à d’autres fins.

Le premier moyen est fondé et l’arrêt encourt la cassation.

Conclusion Le pourvoi est recevable et fondé.

Pour le Procureur Général d’Etat, Le premier avocat général Marie-Jeanne Kappweiler 15


Synthèse
Numéro d'arrêt : 69/21
Date de la décision : 29/04/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 01/05/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2021-04-29;69.21 ?

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