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05/01/2021 | LUXEMBOURG | N°44939C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 05 janvier 2021, 44939C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 44939C du rôle Inscrit le 31 août 2020

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Audience publique du 5 janvier 2021 Appel formé par la commune de X, contre un jugement du tribunal administratif du 22 juillet 2020 (n° 42595 du rôle) ayant statué sur un recours de Monsieur …, Luxembourg, et de la société à responsabilité limitée … s.à r.l., Luxembourg, contre des décisions du collège échevinal de la commune de X en matière de droit de préemption Vu la requête d'appel

inscrite sous le numéro 44939C du rôle et déposée au greffe de la Cour administra...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 44939C du rôle Inscrit le 31 août 2020

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Audience publique du 5 janvier 2021 Appel formé par la commune de X, contre un jugement du tribunal administratif du 22 juillet 2020 (n° 42595 du rôle) ayant statué sur un recours de Monsieur …, Luxembourg, et de la société à responsabilité limitée … s.à r.l., Luxembourg, contre des décisions du collège échevinal de la commune de X en matière de droit de préemption Vu la requête d'appel inscrite sous le numéro 44939C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 31 août 2020 par Maître Steve HELMINGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la commune de X, représentée par son collège des bourgmestre et échevins en fonctions, ayant sa maison communale à L-…, dirigée contre un jugement du tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg du 22 juillet 2020 (n° 42595 du rôle), ayant déclaré recevable et fondé le recours en annulation de Monsieur …, demeurant à L-…, et de la société à responsabilité limitée … s.à r.l., établie et ayant son siège social à la même adresse, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, de sorte à annuler la décision du collège échevinal de la commune de X d’exercer un droit de préemption par rapport à une vente portant sur un terrain inscrit au cadastre de la commune de X, section A, sous le numéro …, au lieu-dit « … », décision matérialisée à l’égard des parties demanderesses par un courrier du 19 décembre 2018, de même que la décision du même collège échevinal du 27 février 2019 confirmant sa décision d’exercer son droit de préemption à la suite d’un recours gracieux ;

Vu l’exploit de l’huissier de justice Patrick KURDYBAN, demeurant à Luxembourg, immatriculé près du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, du 3 septembre 2020 portant signification de cette requête d’appel à Monsieur … et à la société à responsabilité limitée … s.à r.l., préqualifiés ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 15 octobre 2020 par la société anonyme KRIEGER ASSOCIATES S.A., inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-2146 Luxembourg, 63-65, rue de Merl, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B 240.929, représentée aux fins de la présente procédure d’appel par Maître Georges KRIEGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … et de la société à responsabilité limitée … s.à r.l. ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe de la Cour administrative le 13 novembre 2020 par Maître Steve HELMINGER au nom de la commune de X ;

1 Vu le mémoire en duplique déposé au greffe de la Cour administrative le 10 décembre 2020 par Maître Georges KRIEGER au nom des intimés … et la société à responsabilité limitée … s.à r.l. ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement dont appel ;

Vu les courriers respectifs de Maître Steve HELMINGER et de Maître Georges KRIEGER du 11 décembre 2020 marquant leur accord avec une prise en délibéré de l’affaire en l’absence des mandataires des parties à l’audience publique à laquelle elle se trouve fixée pour plaidoiries ;

Sur le rapport du magistrat rapporteur l’affaire a été prise en délibéré sans autres formalités à l’audience publique du 15 décembre 2020 à laquelle elle s’est trouvée fixée pour plaidoiries.

En date du 8 août 2018, Monsieur … signa avec la société à responsabilité limitée … s.à r.l., ci-

après « la société … », un compromis de vente portant notamment sur un terrain inscrit au cadastre de la commune de X, section A, sous le numéro …, au lieu-dit « … ».

Par un courrier du 19 décembre 2018, le collège échevinal de la commune de X, ci-après respectivement « le collège échevinal » et « la commune », informa le notaire instrumentaire de sa décision d’exercer son droit de préemption concernant la parcelle précitée dans les termes suivants :

« Suite à votre courrier du 5 décembre 2018, nous vous informons que le terrain sis à X section A portant le numéro cadastral … au « … » se trouve dans une « zone d'activités commerciales, artisanales et de services », couverte par une zone d'aménagement particulier « activités ».

De plus, en date du 27 avril 2018, le Conseil Communal a lancé la procédure d'adoption d'un nouveau Plan d'Aménagement Général (PAG). Suivant notre Projet d'Aménagement Général, le terrain se trouve dans une « zone Eco-CI » soumis à l'élaboration d'un plan d'aménagement particulier « nouveau quartier ».

La partie écrite et la partie graphique du Plan d'Aménagement Général / règlement des bâtisses actuellement en vigueur sont à votre disposition sur le site Internet de la Commune de X (…).

En application des dispositions de la loi sur le pacte logement du 22 octobre 2008, la parcelle susmentionnée est assujettie au droit de préemption et le collège des bourgmestre et échevins a décidé d'exercer son droit de préemption pour ce terrain, situé dans une « zone urbanisée ou destinée à être urbanisée » sur le territoire communal pour la somme de …€.

Nous vous demandons donc de bien vouloir rédiger un acte authentique comme le stipule l'article 11 de la loi susmentionnée : « Dans les trois mois de l'exercice du droit de préemption conformément à l'article 10, l'acte authentique devra être dressé par le notaire en charge. » (…) ».

Par un courrier de leur mandataire du 23 janvier 2019, Monsieur … et la société … s’adressèrent à la commune de X pour contester l’exercice du droit de préemption par la commune et pour lui demander de procéder au « retrait de la décision querellée », ledit courrier ayant été complété par un écrit du 15 février 2019.

Par un courrier du 27 février 2019, la commune répondit dans les termes suivants :

2« En main vos courriers des 23 janvier et 15 février 2019 et dont le contenu a retenu toute notre attention.

On ne saurait partager votre interprétation de la loi qui conduirait à la rendre lettre morte.

La commune ayant à la lettre suivi la procédure légale imposée par la loi modifiée 22 octobre 2008 dite "Pacte logement" et le terrain concerné tombant sans l'ombre d'un doute dans les prévisions de cette loi, elle n'entend pas renoncer à son droit de préemption et nous venons de demander au notaire Wersandt de préparer l'acte de vente afférent. (…) ».

Par délibération du 22 mars 2019, le conseil communal de X déclara, à l’unanimité des voix, approuver l’exercice d’un droit de préemption pour la parcelle … en question.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 2 avril 2019 et inscrite sous le numéro 42595 du rôle, Monsieur … et la société …, ci-après « les consorts … », introduisirent un recours en annulation contre 1) la « décision NOT-I 12-2018 de la commune de X-courrier du 19 décembre 2018 adressé au notaire Carlo Wersandt, indiquant la volonté d’exercer « son droit de préemption » concernant la parcelle inscrite au cadastre sous le n° … au lieu-dit … » et 2) la « décision de confirmation NOT-I 12-2018 courrier du 27 février 2019 adressé à l’étude Krieger & Associés, indiquant la volonté de la commune de X de maintenir l’exercice de « son droit de préemption » » sur ladite parcelle.

Par jugement du 22 juillet 2020, le tribunal se déclara compétent pour connaître de ce recours en annulation, le déclara recevable et fondé pour annuler la décision du collège échevinal d’exercer un droit de préemption par rapport à une vente portant sur un terrain inscrit au cadastre de la commune de X, section A, sous le numéro …, au lieu-dit « … », décision matérialisée à l’égard des parties demanderesses par un courrier du 19 décembre 2018, de même que la réponse du même collège échevinal du 27 février 2019 confirmant sa décision d’exercer son droit de préemption à la suite d’un recours gracieux. Le tribunal rejeta la demande en paiement d’une indemnité de procédure formulée par les parties demanderesses et condamna la commune aux frais et dépens.

Pour arriver à cette solution, le tribunal retint d’abord la compétence d’attribution des juridictions administratives en matière d’exercice de droit de préemption à la suite de l’arrêt de la Cour du 21 janvier 2020 (n° 43240C du rôle). Au titre de la légalité externe, le tribunal écarta ensuite les moyens des demandeurs tirés de la violation respectivement des dispositions des articles 9 et 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, ci-après « le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 ».

Au niveau de la question de la compétence de l’autorité communale ayant exercé le droit de préemption litigieux, le tribunal procéda à une analyse des dispositions respectives des articles 28 et 57 de la loi communale modifiée du 13 décembre 1988, ci-après « la loi communale », sur toile de fond des dispositions de la loi modifiée du 22 octobre 2008 dite « pacte logement », ci-après « la loi pacte logement », dont plus particulièrement son article 3. Le tribunal aboutit à la conclusion, en s’appuyant complémentairement sur l’article 106 de la loi communale, qu’en application de son article 28 c’est le conseil communal qui est compétent pour décider de l’exercice d’un droit de préemption en la matière.

A partir de ce constat, le tribunal conclut à l’annulation des deux décisions matérialisées par les écrits du collège échevinal des 19 décembre 2018 et 27 février 2019 lui déférés. A titre superfétatoire et uniquement en vue d’être complet, le tribunal procéda par la suite à une analyse des 3exigences découlant de l’article 3 de la loi pacte logement. Il en dégagea la volonté du législateur de cadrer l’exercice du droit de préemption par l’obligation à charge du pouvoir préemptant d’expliquer la finalité de l’exercice du droit de préemption qui non seulement doit correspondre à l’une des finalités énumérées à l’article 3 de la loi pacte logement mais encore à un projet concret, du moins en voie de concrétisation, les explications fournies par la commune ne pouvant en tout cas pas se limiter à des considérations abstraites et hypothétiques.

En conséquence, le tribunal retint que l’affirmation péremptoire de la commune qu’elle pourrait réaliser un projet de l’une quelconque des trois catégories prévues à l’article 3 de la loi pacte logement, sans même préciser laquelle de ces trois catégories de projet elle entendait réaliser, et a fortiori, sans faire état d’un quelconque projet concret, ne fut-il qu’en voie de concrétisation, n’était en tout état de cause pas conforme aux exigences posées par l’article 3 en question, interprétées à la lumière des travaux parlementaires à sa base.

Par requête d’appel déposée au greffe de la Cour administrative le 31 août 2020, la commune de X a fait entreprendre ce jugement du 22 juillet 2020 dont elle sollicite, à titre principal, l’annulation pour avoir statué ultra petita et, à titre subsidiaire, la réformation avec confirmation de la légalité des « décisions » communales querellées.

Quant à une éventuelle surséance à statuer Entre-temps, par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 20 novembre 2020 (n° 45252 du rôle), non seulement Monsieur … et la société …, préqualifiés, mais encore Madame …, demeurant à la même adresse, L-…, ont fait introduire un recours en annulation de la délibération précitée du conseil communal du 22 mars 2019 portant approbation de l’exercice du droit de préemption sur la parcelle litigieuse …, en indiquant n’avoir eu connaissance de cette délibération qu’à travers la signification de l’acte d’appel précité en date du 3 septembre 2020 dans la présente affaire et en justifiant leur démarche en vue de ne pas voir rendre définitive et inattaquable cette délibération en l’absence de recours formulé dans le délai de la loi.

Avant tout autre progrès en cause, la Cour est amenée à décider si, compte tenu de ce deuxième recours pendant devant le tribunal, elle surseoit à statuer jusqu’à ce que le tribunal ait rendu sa décision et que, le cas échéant, elle soit saisie d’un appel afférent pour, dans cette hypothèse, toiser les deux appels en même temps ou, sinon, à considérer le risque d’une éventuelle contrariété de décisions comme étant somme toute mineur face aux exigences d’effectivité du recours initial et de l’appel actuellement sous analyse, lesquels soulèvent des questions de principe d’une importance telle qu’un balisage aussi rapide que possible de la part de la Cour s’impose.

La Cour opte pour cette deuxième alternative et estime que compte tenu de l’importance et du caractère de principe des argumentations respectives soulevées devant elle dans la présente instance, un balisage aussi rapide que possible s’impose dans une optique de sécurité juridique, d’effectivité des recours et d’effet utile de la procédure de préemption mise en place par le législateur à travers la loi pacte logement, telle que modifiée par la suite. Par ailleurs, le recours introduit sous le numéro 45252 du rôle devant le tribunal revêt un caractère essentiellement conservatoire, tel que les recourants le mettent eux-mêmes en exergue.

Quant à la recevabilité de l’appel Au niveau de la recevabilité de l’appel, les intimés, dans leur mémoire en réponse, constatent l’absence, à ce moment, de toute autorisation d’ester en justice pour l’instance d’appel délivrée par le 4conseil communal de X.

Tel que la commune le relève à bon escient, la Cour, consciente qu’en matière de procédure administrative contentieuse les délais d’appel et d’instruction de l’affaire en appel sont particulièrement serrés, elle a toujours pris soin de donner une latitude au conseil communal pour ne pas devoir autoriser le collège échevinal à ester en justice dès avant le dépôt de la requête d’appel, mais de lui donner la possibilité de ne livrer l’autorisation d’ester en justice pour l’instance d’appel qu’à la phase finale de la procédure et en tout cas avant la prise en délibéré de l’affaire. La Cour a suivi en cela une jurisprudence constante du comité du contentieux du Conseil d’Etat.

En l’occurrence, la commune verse l’autorisation d’ester en justice pour l’instance d’appel résultant de la délibération du conseil communal de X du 25 septembre 2020, délivrée à l’unanimité des voix. Dans leur duplique, les intimés contestent la validité de la délibération précitée du conseil communal de X du 25 septembre 2020, en ce qu’elle serait libellée de telle manière que le conseil communal représente la commune pour introduire l’instance d’appel, alors que pourtant ce serait le collège échevinal qui aurait compétence à ce faire et qu’il appartiendrait au conseil communal de l’y autoriser.

Pour des raisons de réalisme élémentaires, la Cour est amenée à procéder à une lecture substantielle et non point simplement formelle des écrits lui soumis dans une optique de faire sens plutôt que de ne pas en faire.

Il est patent qu’au moment où le conseil communal a statué le 25 septembre 2020, l’appel avait été introduit plus de trois semaines auparavant le 31 août 2020 par la commune représentée par son collège échevinal. La délibération du conseil communal du 25 septembre 2020, au surplus prise à l’unanimité, ne peut être lue de manière raisonnable que valant, ex post, conformément à la jurisprudence constante en la matière, autorisation dans le chef de l’instance compétente, en l’occurrence le collège échevinal, d’avoir agi tel qu’il a fait. Elle vaut en quelque sorte entérinement unanime de la procédure d’appel entamée. Aucune critique valable ne saurait dès lors être opposée à cette démarche de la part des intimés.

Le moyen d’irrecevabilité soulevé par les intimés laisse dès lors d’être fondé.

L’appel ayant pour le surplus été formé suivant les formes et délai prévus par la loi, il est recevable.

Quant à l’appel incident Dans leur mémoire en réponse, les parties intimées déclarent former appel incident quant à leurs moyens d’annulation de première instance déclarés non fondés par le tribunal et réitèrent en appel leurs moyens tirés de la violation des dispositions respectives des articles 9 et 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, écartés par les premiers juges et ceux de la violation de l’article 16 de la Constitution et de l’article 1er du premier protocole additionnel de la Convention européenne des droits de l’homme, ci-après « la CEDH », pour lesquels le tribunal avait jugé l’analyse surabondante.

Dans la mesure où le jugement dont appel a entièrement accueilli la demande en annulation des demandeurs initiaux et – suivant la thèse de la commune – a même statué au-delà de ce qui avait été demandé, aucun chef de ce jugement figurant à son dispositif ne se trouve de la sorte entrepris, s’agissant d’une simple réitération de moyens de défense en appel.

5L’appel incident est dès lors irrecevable en tant que tel, les moyens réitérés étant à toiser, le cas échéant, suivant l’analyse à mener par la Cour, en tant que moyens de défense des parties intimées par rapport à l’appel principal interjeté.

Quant au fond L’argumentaire d’appel de la commune appelante procède en deux temps.

Dans un premier temps, la commune sollicite l’annulation du jugement dont appel pour avoir statué ultra petita.

Dans un deuxième temps, la commune sollicite la réformation de ce jugement. D’abord ce serait à tort que le juge administratif se serait déclaré compétent ratione materiae, ensuite ce serait toujours à tort qu’il n’a pas retenu le moyen d’irrecevabilité du recours en annulation pour absence de caractère décisionnel des courriers attaqués.

Plus loin au fond, la commune reproche au tribunal d’avoir procédé à une interprétation et à une application de la loi pacte logement allant à l’encontre de ses objectifs, d’un côté, en concluant à la compétence du conseil communal pour exercer le droit de préemption prévu par cette loi et, d’un autre côté, sur base de son article 3, en exigeant l’indication d’un projet concret très précis afin de permettre à la commune l’exercice de son droit de préemption. Suivant la commune, la loi n’imposerait aucune de ces conditions, de sorte qu’il y aurait lieu de conclure d’abord à la compétence du collège échevinal pour l’exercice de son droit de préemption. Au niveau des indications à fournir par l’autorité communale compétente au moment d’exercer son droit de préemption, la commune estime qu’il suffit d’indiquer que celui-ci s’inscrit dans les objectifs de la loi sans que l’indication d’un projet concret soit nécessaire à ce stade. A toutes fins, la commune indique qu’elle a proposé de réaliser sur la parcelle en cause des travaux de voirie et notamment de réaliser une liaison de mobilité douce entre la rue « … » et la … et ainsi relier plus facilement les différents PAP qui ont été adoptés ou qui sont en cours d’élaboration dans la zone. Suivant la commune, une telle liaison de mobilité douce s’inscrit clairement dans les objectifs de la loi observés par la commune et sa volonté de faciliter la circulation entre les différents sites à réaliser. Le droit de préemption exercé aurait dès lors suffi aux exigences de la loi, dont plus particulièrement de l’article 3 de la loi pacte logement.

Les intimés concluent en substance à la confirmation du jugement dont appel, sauf à réitérer, pour autant que de besoin leurs moyens d’annulation initiaux respectivement rejetés ou déclarés surabondants par le tribunal, tirés de la violation des dispositions respectives des articles 9 et 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 ainsi que de l’article 16 de la Constitution et de l’article 1er du protocole additionnel à la CDEH concernant la protection de leur droit de propriété.

Quant à la demande en annulation du jugement dont appel pour avoir statué ultra petita.

La commune entend imputer au tribunal d’avoir statué au-delà de ce qui avait été demandé par les demandeurs initiaux. Ainsi, elle estime que le recours initial aurait été dirigé uniquement contre le courrier de notification par la commune au notaire commis de ce qu’elle entendait exercer le droit de préemption dont s’agit, mais non pas contre la décision d’exercice d’un droit de préemption elle-même. En étendant la portée du recours à cette décision d’exercice, le tribunal aurait statué au-

delà de ce qui avait été demandé par les requérants initiaux.

La commune entend ainsi tirer de la différence dégagée par l’arrêt précité de la Cour du 21 janvier 2020 un distinguo qui, cependant, eu égard à la démarche des demandeurs initiaux, ne fait 6pas de sens en l’espèce.

Si la Cour a dû effectivement distinguer entre la notification faite au notaire par la commune dans le cadre de la procédure précise prévue par la loi pacte logement et la décision préalable d’exercice du droit de préemption, cette distinction est due précisément aux caractéristiques de cette procédure telle que prévue par la loi en ce que l’élément important, pour que l’exercice du droit de préemption puisse être utilement retenu, est celui de la notification dans le délai légal par la commune de l’intention de préempter à l’encontre du notaire ayant formulé la demande afférente en vertu de la loi. La distinction a notamment son importance dans le cas de figure où les organes de la commune auraient décidé de préempter, mais où, pour une raison ou une autre, la notification prévue par la loi n’aurait pas été effectuée dans le délai légal à l’égard du notaire commis. Ces questions ne se posent toutefois pas en l’occurrence.

La démarche des demandeurs initiaux, parties au compromis de vente ayant donné lieu à la déclaration de préemption litigieuse, a été univoque, en ce qu’elle visait au plus tard, dès le recours gracieux du 23 janvier 2019, à un retrait de la décision d’exercice du droit de préemption querellée.

Dans une optique de recours effectif et efficient, le recours en annulation dirigé à la fois contre le courrier communal du 19 décembre 2018 et celui du 27 février 2019, intervenu sur recours gracieux, vise clairement à voir annuler, c’est-à-dire éliminer de l’ordonnancement juridique, d’abord la décision de préempter matérialisée pour la première fois à travers le courrier communal au notaire du 19 décembre 2018 et, ensuite, de manière encore plus claire, la décision réitérée de préemption formulée à travers le courrier communal du 27 février 2019 sur recours gracieux.

Dès lors, en accueillant le recours en annulation en tant que dirigé contre les deux décisions successives du collège échevinal portant précisément sur son exercice du droit de préemption, le tribunal n’a nullement statué ultra petita, mais a rencontré concrètement et exactement la demande d’annulation des requérants par rapport aux deux expressions décisionnelles du collège échevinal intervenues en la matière et portées à leur connaissance.

La demande en annulation du jugement dont appel est dès lors à écarter.

Quant aux chefs de la demande de réformation du jugement dont appel Quant à la compétence d’attribution des juridictions administratives en matière d’exercice du droit de préemption La commune estime qu’il serait erroné que les juridictions de l’ordre administratif se déclarent compétentes pour connaître, à titre d’acte détachable, de la décision de préemption d’une commune, pareille compétence d’attribution n’étant prévue nulle part par la loi. En somme, cette déclaration de compétence n’ajouterait rien en termes de droits des parties, mais serait uniquement de nature à compliquer la procédure et à rendre inefficient le droit de préemption prévu par la loi pacte logement.

La commune plaide pour un retour à l’ancien système suivant lequel la notification de la déclaration de préemption par la commune au notaire vaudrait rencontre des volontés et substitution, en application de l’article 1583 du Code civil, de l’organe préemptant, en l’occurrence la commune, à l’acquéreur initial prévu au compromis de vente dont s’agit. Ce système seul serait automatique, efficient et conforme aux objectifs de la loi pacte logement.

Il est constant en cause que nulle part dans l’ordonnancement juridique il n’est précisé distinctement quels seraient les recours juridictionnels ouverts pour contrôler l’exercice par une 7personne de droit public du droit de préemption lui conféré par la loi pacte logement.

Il est tout aussi constant que la décision d’une personne de droit public d’exercer le droit de préemption lui conféré par la loi met en œuvre des droits exorbitants du droit commun et ne se conçoit qu’en tant qu’exercice de prérogatives de puissance publique lui conférées par la loi. L’effet d’une décision d’exercer le droit de préemption prévu par la loi pacte logement, à condition d’observer la procédure prévue par la loi et plus particulièrement la notification au notaire dans le délai légal, interfère de manière dirimante tant par rapport aux grands principes de la liberté contractuelle que par rapport au droit de propriété garanti à la fois par l’article 16 de la Constitution et par l’article 1er du protocole additionnel à la CEDH.

Sous tous ces aspects, la décision d’une personne de droit public d’exercer le droit de préemption lui conféré par la loi pacte logement s’analyse en décision administrative individuelle détachable pour laquelle, dans la logique de l’ordonnancement juridique en place, compétence échoit en application directe de l’article 95bis de la Constitution au juge administratif afin de vérifier le respect des conditions afférentes prévues par la loi suivant un recours effectif devant le juge naturel de l’action de l’administration dans une hypothèse quasiment d’école comportant l’exercice de droits exorbitants du droit commun en vertu de prérogatives de puissance publique conférées par la loi.

Aucune disposition de l’ordonnancement juridique ne prévoyant une compétence différente, le contrôle des décisions d’exercice du droit de préemption prévu par la loi pacte logement dans le chef des personnes de droit public y visées ne pouvait dès lors que relever du contentieux administratif tel que délimité par l’article 95bis de la Constitution en tant que faisant partie du contentieux administratif y visé Le moyen d’incompétence ratione materiae des juridictions de l’ordre administratif soulevé par la commune est partant à écarter et le jugement dont appel est à confirmer en ce que le tribunal s’est à juste titre déclaré compétent pour connaître du recours lui déféré.

Quant à l’irrecevabilité du recours en annulation pour absence de caractère décisionnel des courriers attaqués.

La commune soulève ensuite l’irrecevabilité du recours en annulation dans la mesure où les deux courriers attaqués des 19 décembre 2018 et 27 février 2019 s’analyseraient en simples informations fournies respectivement au notaire et au mandataire des demandeurs et ne revêtiraient de la sorte aucun caractère décisionnel.

Il a été retenu ci-avant, au niveau de l’analyse de la demande en annulation du jugement dont appel pour avoir statué ultra petita, que la démarche des demandeurs a été univoque et a visé de manière constante la décision, en l’occurrence du collège échevinal, portant précisément sur l’exercice du droit de préemption communal litigieux, telle que celle-ci a été confirmée sur recours gracieux des demandeurs.

Dans une optique de recours effectif, le tribunal a dès lors à bon droit analysé le recours en annulation dirigé contre les deux courriers en question en tant que visant à chaque fois la décision sous-jacente du collège échevinal d’exercer le droit de préemption litigieux, étant constant que l’existence même de pareille décision n’a jamais été remise en cause par la partie communale et ne saurait d’ailleurs être valablement visée en cause.

Le moyen est partant à écarter.

8 Quant à la ratio legis de la loi pacte logement Plus loin au fond, la commune reproche au tribunal que son interprétation et l’application par lui faite de la loi pacte logement iraient directement à l’encontre des objectifs de celle-ci, plus particulièrement en attribuant la compétence pour décider d’un droit de préemption au seul conseil communal et en exigeant l’existence d’un projet concret très précis pour permettre à une commune d’exercer son droit de préemption, la loi n’imposant par ailleurs aucune de ces deux conditions.

Plus loin, la commune critique encore le tribunal quant à son analyse des objectifs de la loi pacte logement, plus particulièrement au niveau de la modification intervenue à travers la loi Omnibus de 2017 en tentant de distinguer la portée des oppositions formelles formulées par le Conseil d’Etat à l’époque et celle des réactions afférentes du législateur.

Les objectifs de la loi pacte logement se lisent quasiment à livre ouvert. En 2008 déjà, le législateur constata que le marché du logement accusait une pénurie caractérisée de logements accessibles à des personnes économiquement plus faibles. Afin de générer l’offre de pareils logements, le législateur entendait faire appel aux opérateurs publics, dont plus particulièrement les communes. Suivit alors le constat basique fait en 2008 que pour pouvoir créer des logements collectifs subventionnés ou sociaux les communes également avaient besoin de terrains adéquats qui, d’après la réglementation d’urbanisme applicable, leur permettaient de remplir pareille mission. L’autre constat de l’époque fut qu’en règle générale, les communes ne disposaient pas de pareils terrains disponibles immédiatement aux fins voulues. C’est sur cette toile de fond que la loi pacte logement introduisit non pas un élargissement des possibilités d’expropriation pour cause d’utilité publique, mesure jugée trop incisive, mais une mise en place du mécanisme de droit de préemption qui, quoiqu’interférant directement par rapport à la liberté contractuelle et au droit de propriété, fut jugé correspondre à une méthode plus douce et dès lors plus adéquate afin de parvenir aux fins voulues.

Dès 2008, les mobiles de la loi pacte logement, consistant à justifier le droit de préemption par l’objectif de création de logements pour personnes économiquement plus faibles sont manifestes.

Ces mobiles ont été maintenus et affermis par la modification opérée par la loi Omnibus en 2017. Cette modification législative élargit l’assiette des terrains pouvant faire l’objet d’une préemption communale notamment et précise, à côté de l’objectif de création de logements pour personnes économiquement plus faibles, deux autres objectifs, en quelque sorte accessoires au premier, ceux consistant en des travaux de voirie et d’équipements publics et ceux consistant en des travaux visant à ériger des équipements collectifs, ces deux derniers devant également être vus en corrélation avec l’objectif majeur maintenu qui est celui de la création de logements accessibles à un public économiquement plus faible.

Dans la mesure où le droit de préemption ne se conçoit qu’en considération de l’objectif en raison duquel il a été mis en place, il va de soi que le pouvoir préemptant, en décidant de procéder à la préemption, se trouve obligé non seulement d’indiquer l’objectif concret de sa démarche – création de logements pour personnes économiquement plus faibles – terrains nécessités pour travaux de voirie et d’équipements publics – terrains nécessités pour travaux visant à ériger des équipements collectifs - , mais encore de s’engager à utiliser effectivement le terrain préempté aux fins voulues dans les meilleurs délais possibles. L’efficience de la mesure exceptionnelle, interférant directement par rapport à la liberté contractuelle et au droit de propriété, prévue par la loi est à ce prix.

Tel que les premiers juges l’ont dégagé à bon escient, aucun texte de loi ne prévoit de manière 9expresse l’organe compétent au niveau communal en vue de prendre la décision d’exercer le droit de préemption prévu par la loi pacte logement.

L’exercice du droit de préemption revêt deux facettes essentielles. D’une part, il s’agit pour la commune, dans le cadre d’une procédure strictement balisée dans le temps, dans des délais prédéfinis justifiés par l’interférence exceptionnelle à la liberté contractuelle et au droit de propriété, d’accuser réception du dossier envoyé par le notaire dans le mois et, à partir de cet accusé de réception, de notifier la décision d’exercice ou de non-exercice du droit de préemption au même notaire dans un nouveau délai d’un mois également.

Sous ce premier aspect, il s’agit pour la commune de décider sur l’exercice d’un droit de préemption prévu par la loi.

En conséquence c’est l’organe exécutif de la commune, à savoir le collège échevinal, qui se trouve prédestiné, notamment en application de l’article 57, nos 1 et 7, de la loi communale, de prendre à ce stade la décision d’exercer le droit de préemption, c’est-à-dire d’exercer une option prévue par la loi dans le chef de la commune.

D’un autre côté, tel que les premiers juges l’ont également dégagé à bon escient, la décision d’exercer le droit de préemption implique nécessairement l’acquisition du bien immobilier préempté, aux conditions et modalités stipulées dans le compromis de vente ayant donné lieu à l’exercice du droit de préemption. Sous ce dernier aspect, par référence également à l’article 106 de la loi communale, l’intervention du conseil communal est également requise.

Il est sous-jacent à l’économie de la loi pacte logement dès ses origines que le législateur a entendu mettre en place une procédure utile et efficiente de nature à garantir l’objectif visé : celui de permettre aux communes d’acquérir des terrains pour lesquels elles s’engagent à œuvrer dans le sens voulu par la loi, qui consiste essentiellement à dynamiser la création de logements pour personnes économiquement plus faibles, accessoirement celle de travaux d’infrastructures et d’équipements collectifs afférents.

Eu égard aux délais stricts et essentiellement courts impartis – compte tenu de l’importance de la décision à prendre – le seul système utilement praticable au stade actuel et dans les conditions tracées par la loi est celui inspiré par le régime des autorisations d’ester en justice pratiqué depuis longue date par le comité du contentieux et repris par les juridictions de l’ordre administratif, système ci-avant déjà esquissé.

Toujours eu égard aux délais essentiellement courts, il y a lieu d’admettre que l’organe exécutif de la commune, à savoir le collège échevinal, puisse prendre la décision d’exercice du droit de préemption prévu par la loi pacte logement.

En ce que l’opération aboutit nécessairement à faire entrer dans le patrimoine communal un nouvel immeuble, cette acquisition nécessite en plus l’intervention du conseil communal à un stade utile de la procédure. Dès lors, la décision d’exercice du droit de préemption par le collège échevinal n’est envisageable que sous obligation d’entérinement par le conseil communal en temps utile et, en toute occurrence, avant que n’ait lieu la passation de l’acte notarié à dresser, qui, d’après les prévisions de la loi, doit intervenir dans les trois mois de la notification de la décision d’exercice du droit de préemption au notaire, et, le cas échéant, la décision de tutelle du ministre compétent.

Ce système a le mérite de conjuguer les deux aspects essentiels de l’exercice du droit de 10préemption ci-avant esquissés consistant dans l’exercice d’une prérogative prévue par la loi, d’un côté, et comportant l’acquisition d’un bien immobilier, de l’autre, tout en impliquant un engagement formel de la commune d’utiliser le bien préempté suivant l’objectif indiqué correspondant à l’un au moins des trois critères prévus par la loi.

Ce système a encore le mérite d’être essentiellement flexible dans l’intérêt d’un exercice utile du droit de préemption par les instances communales, tel que voulu par la loi.

Rien n’empêche que dans le mois de l’accusé de réception du dossier le conseil communal lui-même, conformément à son pouvoir général de régler tout ce qui est d’intérêt communal lui attribué par l’article 28 de la loi communale, décide d’ores et déjà et que ce soit cette décision qui puisse être notifiée au notaire commis. Il faut, mais il suffit cependant que la décision communale soit communiquée au notaire commis dans le délai en question.

Dans l’hypothèse où la décision émane d’abord du collège échevinal, l’entérinement par le conseil communal reste toujours nécessaire. Si dans la majorité des cas l’on peut estimer que le conseil communal entérine la démarche du collège échevinal sur base des prémisses restées constantes, il n’est cependant pas impossible que le conseil communal, après avoir fait une balance de tous les éléments du dossier, se rétracte finalement et décide de ne pas préempter. Tel pourrait être notamment le cas lorsque le conseil communal se rend compte qu’une réalisation effective de l’objectif indiqué par le collège échevinal s’avère être illusoire et n’aboutirait qu’à voir mettre en cause l’inaction prévisible des instances communales, contraire aux objectifs de la loi. Dans ce cas, la notification utile de pareille décision de rétractation du conseil communal vaudrait levée de la condition suspensive prévue par la loi et permettrait au notaire de dresser l’acte entre les parties contractantes initiales.

La Cour estime qu’en l’absence de dispositions afférentes précises de la loi, le système ci-avant dégagé permet un exercice effectif, utile et réfléchi du droit de préemption par les autorités communales compétentes dans l’intérêt des objectifs de la loi et sous respect des droits fondamentaux en cause.

Tel que dégagé ci-avant, la démarche communale comporte nécessairement, en cas de déclaration d’exercice du droit de préemption, l’indication précise de l’objectif en vue duquel la préemption est exercée. Cette indication, sans devoir comporter un projet d’ores et déjà concrétisé, vaut cependant engagement par la commune de procéder à une réalisation afférente dans les délais les plus rapprochés possibles. La philosophie de la démarche communale, telle que prévue par la loi, s’exprime au mieux en langue allemande par la formule : « Die Ausübung des Vorkaufsrechts verpflichtet ».

Il se dégage de l’ensemble des développements qui précèdent que le droit de préemption instauré par la loi pacte logement est éminemment lié à son objectif prévu par la loi – essentiellement celui de créer des logements accessibles à des personnes économiquement plus faibles – et ne se justifie que par celui-ci. Dès lors, ce droit de préemption ne saurait être analysé en mécanisme d’étoffement des patrimoines des organismes préemptants d’immeubles ou de terrain tous azimuts, mais s’analyse clairement et concrètement en un droit de préemption d’affectation dont l’existence prévue par la loi ne se justifie qu’en raison de l’objectif dans lequel ce mécanisme a été créé.

Ces bases étant jetées au niveau de l’analyse de la ratio legis et des objectifs de la loi, il convient, en leur application, de toiser les moyens subséquents de la partie communale appelante.

Quant à la compétence du collège échevinal pour exercer le droit de préemption communal 11La commune déclare ne pas partager l’analyse des premiers juges ayant conclu à l’incompétence du collège échevinal pour exercer le droit de préemption communal prévu par la loi pacte logement et propose, au contraire, dans un esprit d’effet utile et d’opérabilité du système mis en place, de retenir plutôt la compétence du collège échevinal, organe exécutif de la commune, en vue d’exercer le droit de préemption prévu par la loi pacte logement.

Les intimés concluent à la confirmation du jugement dont appel sur ce point.

D’après la solution d’équilibre ci-avant dégagée par la Cour dans le cadre des dispositions légales existantes et en l’absence de prévision précise de la loi, il suffisait, mais il fallait que dans le mois de l’accusé de réception du dossier, la commune notifie au notaire commis sa décision sur la question de l’exercice du droit de préemption dont s’agissait. Tel a été le cas en l’espèce, de sorte que la démarche communale, matérialisée par les courriers successifs du 19 décembre 2018 et 27 février 2019 ne prête pas à critique, étant entendu que l’intervention du conseil communal dans le délai imparti pour dresser l’acte notarié se trouve également vérifiée en cause.

S’il est absolument irrétraçable pour la Cour comment il a pu être possible de passer sous silence durant toute la première instance et jusqu’au dépôt de la requête d’appel qu’un entérinement de la décision de préemption du collège échevinal a eu lieu par délibération du conseil communal en date du 22 mars 2019, de même que cette façon de procéder ne correspond aucunement aux exigences basiques d’une action transparente, ouverte et retraçable de la part d’une administration face à ses administrés, il n’en reste pas moins que le juge administratif, appelé à contrôler l’entérinement de la décision de préemption par le conseil communal dans les délais impartis ne peut, de manière réaliste, que constater que les conditions légales telles que ci-avant balisées, se trouvent en l’occurrence vérifiées à suffisance de droit.

Dès lors, par réformation du jugement dont appel, l’appel communal est à déclarer justifié par rapport à la question de la compétence de l’autorité administrative ayant statué et le moyen d’incompétence soulevé par les demandeurs initiaux est à écarter.

Quant à la violation alléguée de l’article 3 de la loi pacte logement et aux indications à fournir par la commune au moment de l’exercice de son droit de préemption La commune déclare enfin ne pas partager l’analyse des premiers juges quant aux exigences découlant de l’article 3 de la loi pacte logement au regard des indications à fournir par la commune au moment de la notification de sa décision de préemption. Si les premiers juges avaient exigé, à partir d’une lecture des travaux parlementaires et plus particulièrement de l’avis du Conseil d’Etat au niveau de la loi modificative dite Omnibus du 3 mars 2017 que la commune était obligée de faire état d’un projet précis en vue de pouvoir exercer son droit de préemption, la commune estime que cette vision des choses est contraire aux objectifs de la loi et à l’intention véritable du législateur. La commune estime avoir dès le début suffi aux exigences de la loi en indiquant rentrer dans les trois chefs de la loi rendant possible l’exercice du droit de préemption, tous les trois ayant été par elle indiqués à tous les niveaux de la procédure. Elle avance en instance d’appel qu’elle a pour projet de réaliser sur la parcelle litigieuse faisant l’objet de l’exercice du droit de préemption des travaux de voirie et notamment de réaliser une liaison de mobilité douce entre la rue « … » et la … et de relier ainsi plus facilement les différents PAP qui ont été adoptés ou qui sont en voie d’élaboration dans la zone concernée.

Les intimés contestent ce motif en faisant valoir qu’il aurait été énoncé tardivement et que, de toute manière, il se heurterait à l’existence à l’endroit, du moins à proximité, d’une liaison à mobilité douce d’ores et déjà réalisée. Pour le surplus, ils sollicitent la confirmation du jugement dont appel.

12La Cour vient de dégager ci-avant, à partir des dispositions de la loi, de l’intention du législateur et plus particulièrement des objectifs clairs et précis de la législation mise en place dès 2008, que le droit d’exercer le droit de préemption comporte nécessairement l’obligation pour la commune préemptante d’indiquer avec clarté et précision l’objectif concret rentrant parmi au moins l’un des trois motifs prévus par la loi – création de logements accessibles pour des personnes économiquement plus faibles – travaux de voirie et d’infrastructure – travaux d’équipements collectifs – en ce que cette indication comporte l’engagement pour la commune de procéder à la réalisation de l’objectif indiqué dans une optique d’application efficiente de la loi conformément à son but.

Dès lors, pour que le système puisse fonctionner utilement, que l’objectif de la loi soit réalisé et que la mesure de préemption puisse être valablement « digérée » par les cocontractants originaires dans un objectif de paix sociale, l’indication avec clarté et précision du motif justifiant la préemption est essentielle dans le système mis en place. Du moment que l’exercice du droit de préemption est conditionné de la sorte et vaut engagement corrélatif de la commune de réaliser l’objectif par elle mis en avant, l’acceptation de la démarche ne devrait, en règle générale, plus poser problème et l’objectif de la loi devrait pouvoir être réalisé tel qu’escompté par le législateur.

Ni au niveau de la notification de la décision du collège échevinal d’exercer le droit de préemption du 19 décembre 2018 ni à celui de la décision réitérée, sur recours gracieux, formalisée par courrier du 27 février 2019, la commune n’a indiqué avec précision le chef en raison duquel elle entendait effectivement procéder à la préemption. Elle ne s’est du coup pas engagée à une réalisation concrète d’un projet dans un sens ou dans l’autre, tout en affirmant que les trois chefs d’ouverture prévus par la loi seraient remplis dans son chef.

Pareille manière de procéder est éminemment insuffisante au regard des critères ci-avant dégagés.

L’exercice du droit de préemption est d’affectation et exige que la commune indique l’objectif avec précision dès la notification au notaire de sa décision d’exercice de son droit de préemption et s’engage à le réaliser en conséquence dans les meilleurs délais.

De même, la délibération communale d’approbation du conseil communal du 22 mars 2019 se limite à énoncer les trois chefs d’ouverture en vue de l’exercice du droit de préemption, sans toutefois se fixer d’aucune manière. C’est précisément pareille façon de procéder qu’il convient d’éviter. La commune qui préempte doit s’engager à réaliser les objectifs prévus par la loi en indiquant au moins une affectation précise qu’elle va par la suite également devoir réaliser.

Ce n’est qu’en instance d’appel que la commune vient d’indiquer qu’elle aurait un motif précis justifiant l’exercice de son droit de préemption en ce que le terrain litigieux devrait servir à la mise en place d’un chemin de mobilité douce appelé à rejoindre la …, d’un côté et la rue « … » de l’autre.

Ici encore il n’est pas raisonnablement retraçable pourquoi les instances communales compétentes n’ont pas été à même d’indiquer dès l’ingrès le projet concret de création d’une liaison de mobilité douce à l’endroit correspondant éminemment à la vocation de terrain charnière revêtue sans conteste par l’immeuble litigieux. Dans une optique de déroulement normal et correct, la commune aurait pu et dû être amenée à faire état de ce projet concret dès sa communication au notaire commis en date du 19 décembre 2018.

Dès lors, c’est à juste titre que les premiers juges ont conclu à l’annulation des décisions 13déférées du collège échevinal portant exercice du droit de préemption en ce que l’autorité communale n’a pas indiqué avec précision le motif pour lequel elle entendait procéder à pareil exercice, étant entendu que par la suite le conseil communal, en entérinant à l’unanimité cette démarche, n’a pas non plus précisé d’une quelconque manière le motif prévu par la loi de nature à la sous-tendre.

Si la Cour a été amenée de la sorte à confirmer la solution dégagée par les premiers juges, elle doit cependant rendre attentif au fait qu’elle n’a pas retenu l’exigence du tribunal consistant dans l’obligation des autorités communales de faire état, dès l’exercice de leur droit de préemption, d’un projet concret voire d’un projet suffisamment en voie de concrétisation. Aux yeux de la Cour, pareille exigence serait disproportionnée en ce qu’il ne peut pas être raisonnablement mis à charge d’une commune de mettre en avant dans un laps de temps éminemment court un projet qu’elle serait, le cas échéant, amenée à confectionner ex nihilo pour les besoins de la cause. De plus, si dans le cas sous rubrique, pareille confection à court terme d’un projet eut en plus été envisageable, il existe maintes hypothèses découlant de la loi où les terrains préemptés ne font même pas encore partie du périmètre d’agglomération et ne sont pas directement constructibles, la destination précise de ces terrains ne se trouvant, par la force des choses, non arrêtée définitivement.

Pour toutes ces raisons, la seule indication pouvant être raisonnablement exigée dans le chef de la commune, mais devant l’être sous peine de rater à l’avenir encore la rencontre de l’objectif de la loi pacte logement et celle de l’indication précise de l’affectation qui va devoir être donnée à l’immeuble préempté, correspondant à la charge corrélative pour la personne publique préemptante de réaliser cet objectif dans les meilleurs délais possibles, compte tenu des circonstances du cas d’espèce.

Contrairement aux conclusions de la commune, la Cour ne sera pas amenée à faire application en l’occurrence de sa jurisprudence suivant laquelle, en cas de non-indication des motifs justifiant la décision prise au niveau précontentieux, une fourniture de ces motifs sera encore possible en phase contentieuse, à condition qu’ils aient existé au moment de la décision querellée. Il y a en effet lieu de distinguer entre la situation normale où, notamment en application de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, des motifs légaux sous-tendant la décision ne doivent pas seulement exister, mais sont à indiquer par l’autorité de décision sous les modalités y prévues et la situation de l’espèce où, en application de l’article 3 de la loi pacte logement compte tenu des objectifs clairs et précis de celle-ci, une condition essentielle de cet exercice valable du droit de préemption consiste en l’indication, dès la notification au notaire commis de la décision d’exercice du droit de préemption, d’un des trois motifs prévus par la loi en vue duquel cet exercice a pu intervenir, cette indication étant de manière corrélative l’expression de l’engagement communal dans le sens de la réalisation de cet objectif dans les meilleurs délais possibles compte tenu des circonstances du cas d’espèce.

Pareille solution s’impose d’autant plus que, suite à l’exercice du droit de préemption, le cédant sera obligé de signer avec le pouvoir préemptant l’acte notarié qui opérera définitivement le transfert du droit de propriété sur le bien immobilier en cause et qu’il ne saurait être admis qu’il obtienne une connaissance du projet concret avancé par le pouvoir préemptant seulement plus loin dans le temps dans le cadre d’une voie de recours exercée par lui à l’encontre de la décision d’exercice de son droit de préemption.

L’argumentaire communal tendant à voir entériner sa production tardive, en instance d’appel seulement, d’un motif sous-tendant l’exercice de son droit de préemption est dès lors à écarter, sous peine de vider les exigences procédurales afférentes de toute leur substance voir d’inciter les parties à un contentieux a priori non nécessaire.

14La Cour voudrait souligner encore qu’à une époque où l’exigence d’une administration transparente et ouverte, telle que découlant notamment de la loi du 12 septembre 2018 « dans le cadre des règles mises en place concernant une administration transparente et ouverte », l’action de la commune et surtout le respect et la réalisation de l’objectif par elle mis en avant au moment de l’exercice de son droit de préemption – essentiellement la réalisation de logements accessibles à des personnes économiquement plus faibles – doit pouvoir être apprécié par le public dans une optique d’acceptabilité des mesures y ainsi prévues par la loi pacte logement.

Il résulte de l’ensemble des développements qui précèdent que, quoique partiellement pour d’autres motifs, le jugement dont appel est à confirmer en ce qu’il a procédé à l’annulation des deux décisions querellées d’exercice du droit de préemption par le collège échevinal de la commune de X.

Dès lors, l’analyse des moyens réitérés par les parties intimées tirée de la violation respectivement des dispositions des articles 9 et 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 ainsi que de l’article 16 de la Constitution et de l’article 1er au premier Protocole additionnel à la CEDH devient surabondante, en ce que, en substance, ces moyens tendent à la même fin d’annulation des décisions querellées.

Il n’y a pas lieu à renvoi du dossier devant le collège échevinal de la commune de X, le délai d’exercice du droit de préemption ayant éminemment expiré entre-temps.

Quant à l’indemnité de procédure Les intimés sollicitent le paiement par la commune d’une indemnité de procédure de … € en reprochant à l’administration communale de X de persister dans cette histoire de préemption et d’en faire une affaire politique les ayant obligés à se défendre en instance d’appel.

Au-delà de l’issue du litige, il reste inexpliqué pourquoi la commune, conformément au prescrit de la loi pacte logement, n’avait pas, dès la notification de l’exercice du droit de préemption au notaire le 19 décembre 2018, indiqué avec précision que la préemption était opérée dans l’intérêt de créer un chemin de mobilité douce formant le lien entre la … et la rue « … », suivant la prédestination du terrain concerné en raison de sa fonction charnière entre ces deux voies de circulation, ni pourquoi l’approbation par le conseil communal n’a été communiquée au niveau du dossier administratif dont elle fait éminemment partie, que tardivement au niveau de l’instance d’appel, étant entendu que bien des discussions et échanges d’argumentaires finalement non pertinents auraient pu être évités de la sorte.

Le principe de l’allocation d’une telle indemnité de procédure dans le chef des intimés se trouve dès lors vérifié pour l’instance d’appel.

La Cour estime ex aequo et bono le montant devant revenir à chacune des parties intimées au titre d’indemnité de procédure en instance d’appel à … €.

Quant aux dépens Eu égard à l’issue du litige, les dépens des deux instances sont appelés à aller à charge de la commune de X.

Par ces motifs, 15la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause ;

déclare l’appel recevable ;

au fond, écarte la demande en annulation du jugement dont appel formulée par la commune ;

pour le surplus, dit l’appel non justifié ;

partant, confirme le jugement dont appel, quoique partiellement pour d’autres motifs ;

condamne la commune de X à payer à chacun des intimés, Monsieur … et la société à responsabilité limitée … s.à r.l., le montant de … € à titre d’indemnité de procédure ;

condamne la commune de X aux dépens de l’instance d’appel.

Ainsi délibéré et jugé par :

Francis DELAPORTE, président, Henri CAMPILL, vice-président, Serge SCHROEDER, premier conseiller, et lu par le président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier assumé de la Cour ….

s. … s. DELAPORTE Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 5 janvier 2021 Le greffier de la Cour administrative 16


Synthèse
Numéro d'arrêt : 44939C
Date de la décision : 05/01/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 13/01/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2021-01-05;44939c ?

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