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19/11/2020 | LUXEMBOURG | N°154/20

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 19 novembre 2020, 154/20


N° 154 / 2020 du 19. 11.2020 Numéro CAS-2019-00157 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, dix-neuf novembre deux mille vingt.

Composition:

Jean-Claude WIWINIUS, président de la Cour, Eliane EICHER, conseiller à la Cour de cassation, Michel REIFFERS, conseiller à la Cour de cassation, Roger LINDEN, conseiller à la Cour de cassation, Anne-Françoise GREMLING, conseiller à la Cour d’appel, Simone FLAMMANG, premier avocat général, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.

Entre:

X, demeurant à (…), demand

eresse en cassation, comparant par Maître Anne-Marie VOGEL, avocat à la Cour, en l’étude...

N° 154 / 2020 du 19. 11.2020 Numéro CAS-2019-00157 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, dix-neuf novembre deux mille vingt.

Composition:

Jean-Claude WIWINIUS, président de la Cour, Eliane EICHER, conseiller à la Cour de cassation, Michel REIFFERS, conseiller à la Cour de cassation, Roger LINDEN, conseiller à la Cour de cassation, Anne-Françoise GREMLING, conseiller à la Cour d’appel, Simone FLAMMANG, premier avocat général, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.

Entre:

X, demeurant à (…), demanderesse en cassation, comparant par Maître Anne-Marie VOGEL, avocat à la Cour, en l’étude de laquelle domicile est élu, et:

Y, demeurant à (…), défendeur en cassation, comparant par Maître Lony THILLEN, avocat à la Cour, en l’étude de laquelle domicile est élu.

Vu l’arrêt attaqué, numéro 72/19, rendu le 26 avril 2019 sous le numéro CAL-

2018-00846 du rôle par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, première chambre, siégeant en matière civile ;

Vu le mémoire en cassation signifié le 21 octobre 2019 par X à Y, déposé le 4 novembre 2019 au greffe de la Cour ; Vu le mémoire en réponse signifié le 18 décembre 2019 par Y à X, déposé le 20 décembre 2019 au greffe de la Cour ;

Ecartant le nouveau mémoire intitulé « mémoire en réplique », signifié le 3 février 2020 par X à Y, déposé le 12 mars 2020 au greffe de la Cour, ainsi que le nouveau mémoire intitulé « mémoire en réplique aux conclusions du Parquet Général du 29 juillet 2020 », signifié le 12 octobre 2020 par X à Y, déposé le 19 octobre 2020 au greffe de la Cour, pour ne pas répondre aux dispositions de l’article 17 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation ;

Sur le rapport du président Jean-Claude WIWINIUS et les conclusions du premier avocat général Simone FLAMMANG ;

Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, le tribunal d’arrondissement de Luxembourg, statuant dans le cadre de difficultés de liquidation et de partage de l’indivision des époux divorcés X et Y, avait dit qu’un immeuble, dont le caractère propre ou commun était litigieux, était un bien commun. La Cour d’appel a confirmé ce jugement.

Sur l’unique moyen de cassation Enoncé du moyen « tiré de la violation des articles 552, 1405, 1406 alinéa 1er et 1406 alinéa 2 du Code civil en ce que l'arrêt attaqué a confirmé les jugements déférés en ce qu'ils ont conclu au caractère commun de l'immeuble sis à (…) aux motifs notamment que Alors qu’ aux termes de l'article 1406 alinéa 2 du Code civil, et qu'il ressortait des propres constatations de la Cour qu'en l'espèce, la construction avait été érigée avant mariage sur le terrain propre de l'épouse au moyen de fonds provenant d'un emprunt contracté par l'épouse ante mariage et entièrement libéré ante mariage, partant au moyen de fonds nécessairement propres de l'épouse en l'absence, par ailleurs, de communauté entre époux ayant existé à l'époque de l'investissement de telle sorte que la Cour d'appel, en concluant au caractère commun de l'immeuble pour le tout par application de l'article 1406 alinéa 2 du Code civil malgré l'absence de fonds communs investis dans l'érection de sa construction, au lieu de conclure au caractère propre par accession de l'immeuble pour le tout, n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article 1406 alinéa 2 du Code civil par fausse application et les articles 552, 1405 et 1406 alinéa 1er du Code civil par refus d'application et que partant son arrêt du 26 avril 2019 encourt la cassation. ».

Réponse de la Cour En retenant « C’est partant à bon droit que les juges de première instance ont retenu que l’origine des fonds ayant servi à la construction de l’immeuble était déterminante dans la recherche du caractère propre ou commun de l’immeuble et que la valeur de cet immeuble était supérieure à celle du terrain, de sorte que l’immeuble devait être considéré comme appartenant à la communauté. », les juges d’appel n’ont pas violé les dispositions visées au moyen.

Il en suit que le moyen n’est pas fondé.

Sur la demande en allocation d’une indemnité de procédure Il serait inéquitable de laisser à charge du défendeur en cassation l’intégralité des frais exposés non compris dans les dépens. Il convient de lui allouer l’indemnité de procédure sollicitée de 2.000 euros.

PAR CES MOTIFS, la Cour de cassation :

rejette le pourvoi ;

condamne la demanderesse en cassation à payer au défendeur en cassation une indemnité de procédure de 2.000 euros ;

la condamne aux dépens de l’instance en cassation.

La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le président Jean-Claude WIWINIUS en présence du premier avocat général Simone FLAMMANG et du greffier Daniel SCHROEDER.

Conclusions du Parquet Général dans l’affaire de cassation X contre Y N° CAS-2019-00157 du registre Le pourvoi en cassation, introduit à la requête de X, signifié en date du 21 octobre 2019 à Y et déposé le 4 novembre 2019 au greffe de la Cour, est dirigé contre un arrêt rendu le 26 avril 2019 par la Cour d’appel, première chambre, siégeant en matière civile, dans la cause inscrite sous le numéro CAL-2018-

00846 du rôle.

Il ne résulte pas du dossier soumis à Votre Cour que cet arrêt ait fait l’objet d’une signification.

Le pourvoi, déposé dans les forme et délai de la loi du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation telle que modifiée, est recevable.

Le mémoire en réponse de Y, signifié 18 décembre 2019 à X en son domicile élu et déposé le 20 décembre 2019 au greffe de la Cour, peut être pris en considération pour avoir été signifié dans le délai et déposé conformément aux prescriptions de la loi.

Au vœu de l’article 17 de la loi précitée de 1885, le mémoire en réplique de la partie demanderesse en cassation, déposé le 12 mars 2020 au greffe de la Cour, ne devrait par contre pas être pris en considération, dès lors qu’il ne tend ni à redresser l’appréciation fausse que la partie défenderesse aurait faite des faits qui servent de fondement au recours, ni à répondre à un pourvoi incident ou à des exceptions ou fins de non-recevoir opposées au pourvoi par la partie défenderesse.

Faits et rétroactes Statuant dans le cadre de difficultés de liquidation et de partage de l’indivision des époux divorcés X et Y, le tribunal d’arrondissement de Diekirch a décidé, par jugement du 30 mai 2018, qu’un immeuble litigieux, sis à (…), dont les ex-conjoints sont en désaccord quant à son caractère propre sinon commun, est un bien commun et a refixé les débats afin de permettre aux parties de prendre position quant aux récompenses éventuellement dues à X.

Sur appel de X, la Cour d’appel, première chambre, a, par un arrêt du 26 avril 2019, confirmé ce jugement, en retenant que c’était à bon droit que les premiers juges avaient décidé que l’origine des fonds ayant servi à la construction de l’immeuble était déterminante dans la recherche du caractère propre ou commun de l’immeuble et que la valeur de cet immeuble était supérieure à celle du terrain, de sorte que l’immeuble devait être considéré comme appartenant à la communauté.

Il se dégage dudit arrêt que X et Y se sont mariés le 28 février 1993.

Avant la célébration du mariage, X a fait construire une maison d’habitation sur un terrain qui lui appartenait. Pour financer cet immeuble, elle a signé un contrat de prêt à hauteur de 5.000.000.- LUF en date du 19 février 1992. Elle a payé une première tranche de cet emprunt à hauteur de 183.000.- LUF le 4 janvier 1993. Les autres échéances du prêt ont été remboursées par les époux X-Y postérieurement au mariage.

L’expert désigné par les juges de première instance a estimé la valeur du terrain à 1.500.000.- LUF (37.184.03.- euros), tandis que la valeur de l’immeuble a été évaluée à 6.800.000.- LUF (168.567,60.- euros).

Après avoir constaté que les époux ont remboursé, au cours de la phase communautaire, une somme de 4.817.000.- LUF (119.410,31.- euros) sur le prêt hypothécaire, la Cour d’appel a retenu que la partie du coût de la construction pris en charge par la communauté X-Y est supérieure aux fonds propres que X y a investis et que la valeur de la construction dépasse celle du terrain.

Ainsi, elle a décidé que c’était à juste titre que les premiers juges avaient décidé que l’immeuble était un bien commun, au vœu de l’article 1406, alinéa 2, du Code civil et elle a renvoyé les parties en prosécution de cause devant les juges de première instance.

Le pourvoi est dirigé contre cet arrêt.

Quant au premier et unique moyen de cassation :

tiré de la violation des articles 552, 1405, 1406 alinéa 1er et 1406 alinéa 2 du Code civil Sur la recevabilité du moyen :

Un moyen de cassation est irrecevable lorsqu’il met en œuvre plusieurs cas d’ouverture distincts, sans pourtant être articulé en autant de branches, contrairement aux exigences de l’article 10 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation.

En l’espèce, le moyen est tiré de la violation de l’article 552 du Code civil, concernant le principe général de l’accession, de l’article 1405 du Code civil, définissant les biens qui sont à considérer comme propres dans le régime matrimonial de la communauté légale, de l’article 1406, alinéa 1er, du Code civil, retenant le caractère propre des biens acquis à titre d’accessoires d’un bien propre, de même que de l’article 1406, alinéa 2, du même code, posant une exception au principe général de l’accession pour les constructions érigées au moyen de fonds communs sur un terrain propre, partant autant de cas d’ouverture différents.

La soussignée se rapporte à la sagesse de Votre Cour pour ce qui est de la recevabilité de l’unique moyen de cassation.

Sur le bien-fondé du moyen :

L’unique moyen de cassation reproche aux magistrats d’appel d’avoir retenu le caractère commun de l’immeuble litigieux, sur base de l’article 1406, alinéa 2, du Code civil, en ce qu’il aurait été financé par des fonds communs, alors que l’emprunt à l’aide duquel la construction avait été payée était un prêt immobilier contracté par la seule épouse antérieurement au mariage. En l’absence de fonds communs ayant servi au financement de la construction de l’immeuble en cause, la Cour d’appel aurait dû conclure au caractère propre de l’immeuble, au vœu du principe général de l’accession posé par l’article 552 du Code civil.

Selon la demanderesse en cassation, l’application de l’article 1406, alinéa 2, du Code civil serait subordonnée à « une concordance dans le temps entre l’érection de la construction et l’investissement des fonds communs »1. Ainsi, pour déterminer la provenance des fonds investis, il faudrait nécessairement se placer au jour de la construction de l’immeuble et non pas à celui de la liquidation de la communauté. Or, une construction érigée au moyen de fonds provenant d’un emprunt contracté par un époux antérieurement au mariage et entièrement libéré avant celui-ci, ne pourrait pas être considérée comme étant érigée au moyen de fonds communs. La question du remboursement de cet emprunt au cours du mariage, qu’il soit partiel, majoritaire ou même intégral, serait inopérant à cet égard et n’aurait pas comme conséquence de rendre les fonds investis communs.

Selon le défendeur en cassation, seule la provenance des fonds qui servent à apurer la dette serait à prendre en considération pour déterminer le caractère propre ou commun du bien que l’emprunt a servi à financer. Etant donné que le prêt aurait été remboursé presque dans son intégralité, hormis la première tranche, pendant la durée du mariage, ce serait à juste titre que la Cour d’appel aurait considéré que la construction sur le terrain propre de l’épouse avait été financé par des fonds communs.

La question soulevée par le moyen porte donc sur l’interprétation de la notion de « fonds communs » au sens de l’article 1406, alinéa 2, du Code civil. Plus précisément, il s’agit de savoir si une construction, érigée sur un terrain propre avant le mariage et financée en majeure partie par de l’argent provenant d’un emprunt, contracté par le seul époux propriétaire du terrain antérieurement à la célébration du mariage, mais dont les échéances ont été remboursées par la communauté pendant le mariage, peut être considérée comme ayant été « érigée au moyen de fonds communs ».

L’article 1406, alinéas 1 et 2, du Code civil dispose ainsi :

« Forment des propres, sauf récompense, s’il y a lieu, les biens acquis à titre d’accessoires d’un bien propre ainsi que les valeurs nouvelles et autres accroissements se rattachant à des valeurs mobilières propres.

1 Mémoire en cassation, page 9, alinéa 9 Toutefois, lorsque des constructions ont été érigées au moyen de fonds communs sur un terrain propre, l’immeuble devient commun pour le tout, sauf récompense, si la valeur des constructions dépasse celle du terrain au moment de la construction. » Par un arrêt du 3 décembre 20152, Votre Cour a précisé que selon l’article 1406, alinéa 2, du Code civil, c’est l’origine des fonds ayant servi à la construction de l’immeuble et non pas l’époque de la construction qui est déterminante dans la recherche du caractère propre de l’immeuble.

Dans ses conclusions prises dans le cadre du pourvoi ayant donné lieu à l’arrêt sus-mentionné, Madame le premier avocat général Marie-Jeanne KAPPWEILER a écrit :

« Le principe énoncé à l’article 1406, alinéa 2, du Code civil constitue une spécificité du droit luxembourgeois. Ni la législation française ni la législation belge ne prévoient de telle exception au principe de l’accession3. A l’origine de cette particularité se trouve le projet de loi n° 1395 portant réforme des régimes matrimoniaux déposé en date du 5 décembre 1969. Dans le commentaire des articles, la Commission d’études législatives écrit à propos du nouveau libellé proposé de l’article 1406 du Code civil : « L’al.1er du texte, consacrant la jurisprudence actuelle notamment en matière immobilière (Cass. fr. 30 déc.1959, J.C.P. 1960 II 11 567 note H.B.), admet en toutes les matières le principe de l’accession en déclarant propres, sauf récompense éventuelle, les biens acquis à titre d’accessoires d’un bien propre et les valeurs nouvelles et autres accroissements se rattachant à des valeurs mobilières propres. Utile et approprié dans la généralité des cas, le principe de l’accession peut donner lieu à des solutions peu satisfaisantes et inéquitables lorsque la valeur de l’accession dépasse de loin la valeur du bien originaire. C’est ce qui se produit en cas de construction moyennant des fonds communs d’un immeuble important sur un terrain propre. Reconnaître à la communauté uniquement une récompense pour le montant dépensé devient injuste en cas de dévaluation monétaire ou lorsque l’immeuble a augmenté de valeur à la suite d’une conjoncture économique favorable ou la création d’un nouveau centre commercial ou résidentiel. On peut se demander si l’article 1437 ne permet pas dans ces cas d’allouer à la communauté une récompense supplémentaire pour le profit spécial que l’époux propriétaire du terrain a tiré de l’investissement, c’est-à-dire la plus-value acquise par l’immeuble postérieurement à la construction. Il faut remarquer toutefois que cette solution n’est pas admise actuellement en présence du même texte. Pour éviter de telles situations injustes, la Commission propose de limiter l’application aux seuls cas où l’accessoire acquis par les fonds communs est inférieur en valeur au propre. Dans le cas contraire, le bien accessoire devient commun et il peut y avoir indivision entre la communauté et l’époux propriétaire du bien principal auquel le nouveau bien se rattache à titre d’accessoire4. Cette solution a paru plus satisfaisante pour la sauvegarde des droits de l’époux 2 Cas. N°95/15, n°3563 du registre, réponse au premier moyen 3 Tant dans le code civil belge que dans le code civil français, le principe de l’accession est prévu à l’article 552.

4 Le projet de loi a été amendé en ce sens qu’initialement il était prévu qu’il puisse y avoir une indivision entre l’époux propriétaire du terrain et la communauté, alors que dans le texte final il est prévu que, lorsque des constructions ont été érigées au moyen de fonds communs sur un terrain propre, l’immeuble devient commun pour le tout, sauf récompense, si la valeur des constructions dépasse celle du terrain au moment de la construction.

non-propriétaire qui a contribué à l’accroissement, alors qu’en lui attribuant un droit de copropriété indivise, elle évite à la dissolution du régime les aléas de la liquidation en valeur et fait obstacle à ce que son conjoint ne dispose du bien en fraude de ses droits. Il est vrai que l’article 1469 nouveau permet dans une certaine mesure d’atteindre le même but en disposant que lorsque la valeur empruntée a servi à acquérir ou améliorer un bien et lorsque ce bien se retrouve à la dissolution dans le patrimoine emprunteur, la récompense ne pourra être inférieure au profit subsistant. Mais le but n’est atteint qu’imparfaitement alors que d’après les termes mêmes de cet article le profit est évalué non au jour de la liquidation, mais au jour de la dissolution du régime. D’ailleurs c’est à partir de ce jour que l’article 1473 fait courir les intérêts des récompenses. Or, dans la pratique ces deux événements peuvent être séparés par un intervalle assez long, lorsque p.ex. la communauté dissoute par le décès d’un époux n’est liquidée qu’après le décès du survivant. Des variations de valeur diverses peuvent avoir lieu entre-temps et fausser le jeu des récompenses dans une matière particulièrement importante où la solution retenue par le texte constitue une dérogation au droit commun de propriété. » La rédaction actuelle de l’alinéa 2 de l’article 1406 du Code civil procède donc d’un souci d’équité et vise à éviter que le conjoint, qui n’était pas propriétaire du terrain sur lequel une construction a été érigée au moyen de fonds communs, ne se trouve dans une situation inéquitable en cas de dissolution de la communauté. Si le but poursuivi par cette nouvelle disposition est clairement énoncé dans les travaux parlementaires, ceux-ci sont toutefois muets par rapport à la notion de « constructions (…) érigées au moyen de fonds communs. » A priori cette définition peut sembler ne soulever aucun problème. Il s’avère toutefois que des difficultés peuvent surgir lorsque la construction a été entamée, voire quasiment achevée au moment de la célébration du mariage, comme c’était le cas dans la présente affaire. Deux interprétations sont alors envisageables :

1) Celle invoquée en appel par la défenderesse en cassation M. G. et retenue par la Cour d’appel dans son arrêt du 17 décembre 2014 :

Puisque les travaux de construction étaient pratiquement achevés à la date du mariage (23 juin 1993), le principe de l’accession prévu à l’article 552 du code civil trouvait à s’appliquer, et, à la date du mariage, la construction était devenue un bien propre. Puisque la construction n’avait pas eu lieu après le mariage (pendant la « phase communautaire »), l’article 1406, alinéa 2, du Code civil, ne pouvait trouver application. Cette analyse revient à considérer comme définitive la propriété de la construction au moment de l’achèvement des travaux.

2) Celle invoquée en appel par l’actuel demandeur en cassation G. S. :

Pour l’application de l’article 1406, alinéa 2, du Code civil, l’origine commune des fonds au moyen desquels la construction a été érigée, est déterminante, indépendamment de la date de construction.

Sauf exception5, le financement de la construction se fait moyennant un crédit dont les mensualités sont remboursées pendant des années, souvent pendant 15 ou 20 ans, voire plus longtemps. Puisque les fonds nécessaires à la construction ne sont pas déboursés instantanément au moment où la construction est achevée, mais sont déboursés sur une période de plusieurs années, c’est au moment de la liquidation de la communauté qu’il faut se placer pour apprécier si une construction a été érigée au moyen de fonds communs. Ce n’est que dans le cadre de la 5 Il faudrait alors supposer que les époux aient des économies équivalant au coût de la construction. Si pareille hypothèse est envisageable, elle ne correspond toutefois pas à la situation la plus courante, qui est quand-même celle d’un couple marié contractant un prêt pour financer la construction.

liquidation que les calculs et les évaluations sont faits, et que la propriété (commune ou propre) de l’immeuble est déterminée sur base de l’article 1406, alinéa 2. Il s’agit là d’une analyse plus évolutive, qui comporte la possibilité de voir changer la propriété de l’immeuble par rapport à la situation initiale.

Cette « analyse évolutive » s’appuie sur le texte-même de l’article 1406, alinéa 2, puisqu’il dispose que « l’immeuble devient commun pour le tout ». Il y a un véritable transfert de propriété qui se produit lorsque toutes les conditions sont remplies.6 Dans son arrêt du 17 décembre 2014, la Cour d’appel a considéré que, si la construction est devenue un bien propre par accession avant le mariage conformément à l’article 552 du Code civil, les dispositions relatives au régime de communauté ne trouvent pas à s’appliquer, la construction n’ayant pas été effectuée pendant la phase communautaire.

Toutefois les articles 1400 et suivants du Code civil relatifs à la communauté légale contiennent aussi des dispositions relatives à des biens dont un époux avait déjà la propriété avant le mariage, 7 et ils règlent le sort de ces biens, respectivement de leurs fruits et revenus, après le mariage. Certaines dispositions « relatives à la communauté » visent expressément à des biens dont les époux avaient déjà la possession ou la propriété à la date de la célébration du mariage.

C’est dès lors à tort que la Cour d’appel a décidé d’emblée que « les dispositions relatives à la communauté ne sauraient trouver application, à défaut de communauté ayant existé entre les parties au moment de la construction. » C’est à tort qu’elle a ainsi écarté l’article 1406, alinéa 2, du Code civil et en a restreint le champ d’application en le limitant aux seules constructions effectuées après la célébration du mariage.

Le libellé-même de l’article 1406, alinéa 2, ne permet pas non plus d’en limiter l’application aux seules constructions érigées ou achevées au cours du mariage. L’article vise les « constructions érigées au moyen de fonds communs. » Bien évidemment l’existence de « fonds communs » présuppose l’existence d’une communauté ; mais il suffit que celle-ci existe au moment où les fonds destinés à financer la construction sont déboursés.

Une interprétation téléologique de l’article 1406, alinéa 2, recommande également une application plus large. Si le but de cette disposition est d’éviter des « situations fort inéquitables »8 créées par la règle classique de l’accession, 9 et tenant à la dévaluation monétaire ou à l’accroissement de la valeur de la construction, il est évident que c’est bien l’origine des fonds qui doit être déterminante. En effet si la date de la construction était seule prise en compte pour considérer que la construction est devenue un bien propre par accession, il pourrait être fait totalement abstraction du fait que ce bien a été intégralement financé par un prêt remboursé par la communauté. Or, c’est justement à de telles situations iniques que l’article 1406, alinéa 4, du Code civil, était censé remédier. » 6 Cf. avis du Conseil d’Etat du 16.11.1973, Examen des articles, ad article 1406 7 p.ex. article 1403 : « Chaque époux conserve la pleine propriété de ses propres et en perçoit les fruits et revenus pour compte de la succession. » ; article 1405 : « Restent des propres les biens dont les conjoints avaient la propriété ou la possession au jour de la célébration du mariage, (…) » 8 Rapport de la Commission d’Etudes législatives (page 192) 9 La préoccupation de la commission a été reformulée comme suit dans l’avis du Conseil d’Etat (page 180) :

« Par cette modification qu’elle a apportée au texte français, la Commission d’études a eu en vue d’éviter les situations injustes pouvant naître, au détriment du patrimoine ayant fourni les deniers qui ont servi à créer la plus-value immobilière, d’une dévaluation monétaire ou d’un accroissement exceptionnel de la valeur de l’accessoire créé. » Selon les principes dégagés ci-dessus, le remboursement échelonné d’un emprunt qui a servi au financement d’une construction par des échéances au cours du mariage est susceptible de conférer à ces fonds un caractère commun.

Ce n’est donc pas l’origine directe de l’argent qui est versé à l’entrepreneur qui a construit l’immeuble qu’il faut prendre en compte, mais le financement de ces fonds, provenant en général en majeure partie d’un emprunt. De ce point de vue, l’élément déterminant n’est pas la personne qui a contracté l’emprunt, mais le caractère propre ou commun des sommes employées à son remboursement. Si le prêt ayant servi à financer l’immeuble a été remboursé au cours du mariage par de l’argent commun, la construction est à considérer comme ayant été érigée à l’aide de fonds communs, de sorte que l’article 1406, alinéa 2, du Code civil peut trouver application. Il faut donc se placer au jour de la liquidation de la communauté et non pas au moment du paiement de la construction, afin d’analyser la provenance exacte des fonds qui ont servi à financer l’immeuble.

C’est d’ailleurs ce même raisonnement que la Cour d’appel a appliqué dans l’arrêt rendu sur renvoi10 suite à l’arrêt de Votre Cour du 3 décembre 2015, précité. Elle a relevé que la maison litigieuse avait été financée par un prêt contracté avant le mariage par les deux époux, à un moment où il n’existait pas encore de communauté légale entre parties, et dont ils étaient donc tenus chacun personnellement et solidairement. Il s’agissait par conséquent d’une dette qui ne tombait pas dans la communauté. Certes, par la suite, la communauté avait remboursé une partie du prêt indivis contracté avant mariage par les parties en vue du financement de la construction. Etant donné que montant financé par la communauté était toutefois inférieur aux remboursements effectués au moyen de fonds propres par les parties, la Cour d’appel avait décidé que la construction ne pouvait pas être considérée comme étant érigée au moyen de fonds communs, de sorte que l’article 1406, alinéa 2, du Code civil ne pouvait pas trouver application.

La jurisprudence de la Cour d’appel est restée constante sur ce point.

Ainsi, dans un arrêt du 8 mars 201711, pour déterminer si un immeuble construit sur un terrain propre de l’époux était à considérer comme un bien propre ou un bien commun, les magistrats d’appel ont retenu qu’il fallait comparer la valeur du terrain y compris celles des constructions financées par des propres d’un côté et la valeur des investissements réalisés au moyen de fonds communs de l’autre côté. Après avoir analysé en détail l’origine des différentes sommes investies, respectivement la valeur du terrain et des 10 CA, septième chambre, 12 juillet 2017, n°40440 du rôle 11 CA, première chambre, 8 mars 2017, n°42926 du rôle travaux de construction, ils sont arrivés à la conclusion que « les investissements en propres, terrain et une grande partie de la construction de la maison unifamiliale, dépassent en valeur les investissements en commun et le jugement de première instance est partant à confirmer pour avoir conclu que la maison sise à U. est un bien propre. » Dans la même lignée, on peut encore citer un arrêt du 3 mai 201912, concernant une maison, financée au moyen de plusieurs prêts, dont deux avaient été contractés avant le mariage par les futurs époux en tant qu’emprunteurs et débiteurs solidaires, donc au moyen de dettes restant personnelles et ne tombant pas dans la communauté. Etant donné toutefois que la communauté avait remboursé une partie de ces prêts contractés avant mariage, ces remboursements étaient à considérer comme ayant été effectués par des fonds communs. La Cour d’appel en conclut que, puisque les investissements en fonds communs dépassaient en valeur les investissements en fonds propres, l’immeuble litigieux était à considérer comme étant commun pour le tout, en application de l’article 1406, alinéa 2, du Code civil.

En vertu de cette jurisprudence, le caractère des fonds au moyen desquels une construction a été érigée ne dépend donc ni du moment auquel l’emprunt a été contracté, ni de la personne qui l’a contracté, mais de la nature des deniers qui ont servi à financer les remboursements du prêt. Si la majeure partie des remboursements a été faite par la communauté, même dans l’hypothèse d’un prêt contracté par un seul époux avant le mariage, la jurisprudence décide qu’il s’agit de fonds communs. Si en plus le montant de ces fonds dépasse celui des fonds propres investis dans l’immeuble, celui-ci devient commun pour le tout, en application de l’article 1406, alinéa 2, du Code civil. Cette appréciation se fait donc in concreto, en fonction des circonstances factuelles de chaque espèce.

En faisant application de ce même raisonnement, la Cour d’appel avait décidé, par un arrêt du 21 novembre 201813, que c’était à juste titre que les premiers juges avaient retenu, sur base de la constatation qu’à la date de la liquidation de la communauté légale et de l’adoption du régime de la communauté universelle, la communauté n’avait remboursé sur le prêt contracté en commun qu’un montant inférieur à l’investissement en fonds propres de l’époux, propriétaire du terrain, que l’immeuble n’était pas devenu commun durant le régime de la communauté légale, mais qu’il n’était entré en communauté universelle que par l’effet du contrat de mariage. Elle avait estimé que l’argument tiré de ce qu’au vœu de l’article 1893 du Code civil, les emprunteurs étaient devenus propriétaires de la somme prêtée, de sorte que les 12 CA, première chambre, 3 mai 2019, n° CAL-2018-00491 du rôle 13 CA, première chambre, 21 novembre 2018, n°45302 du rôle fonds communs auraient servi à la construction du bien litigieux, n’était pas pertinent.

Cet arrêt a toutefois été cassé par Votre Cour en date du 9 janvier 202014. Votre Cour y a décidé, sous le visa des articles 1406, alinéa 2, et 1893 du Code civil :

« Il résulte des constatations des juges du fond que la construction érigée sur le terrain propre de J.L. a été financée par des fonds qui étaient communs, en vertu de l’article 1893 du Code civil, pour provenir d’un prêt contracté ensemble par les époux et que la valeur de la construction dépassait celle du terrain au moment de la construction.

De ce fait, l’immeuble était à ce moment devenu commun pour le tout, sauf récompense, en application de l’article 1406, alinéa 2, du Code civil, les questions du remboursement du prêt et des éventuelles récompenses qui se posent au moment de la liquidation de la communauté étant sans incidence à cet égard, de sorte qu’en se déterminant par les motifs reproduits au moyen, les juges d’appel ont violé les dispositions y visées. » La partie demanderesse en cassation entend s’emparer de cet arrêt pour affirmer que contrairement à la jurisprudence constante précitée, c’est bien la nature de l’emprunt contracté, à apprécier au moment du paiement du prix des travaux de la construction, qui détermine le caractère propre ou commun des fonds investis dans la construction. Ainsi, une construction érigée sur un terrain propre à l’aide d’un emprunt contracté par le seul époux, propriétaire du terrain, resterait propre par le mécanisme de l’accession, peu importe le remboursement de cet emprunt par la communauté en cours du mariage.

Or, il faut souligner que l’hypothèse factuelle qui a donné lieu à l’arrêt du 9 janvier 2020 diffère notablement de celle soumise actuellement à Votre Cour, en ce qu’il s’agissait dans ce cas de figure d’une construction érigée certes sur un terrain propre de l’époux, mais pendant la durée du mariage, sous le régime de la communauté légale, et financée dès le début par un emprunt contracté ensemble par les deux conjoints. Au sens de l’article 1401 du Code civil, cet immeuble, construit et acquis au cours du mariage, constituait donc un acquêt.

On peut donc seulement déduire de cet arrêt de Votre Cour que dans une telle hypothèse, la circonstance que des fonds propres de l’un des époux ont contribué à rembourser cet emprunt ne porte pas à conséquence.

14 Cas. 9 janvier 2020, n°05/2020, n°CAS-2019-00016 du registre Une interprétation extensive et a contrario de Votre décision au cas d’espèce, à savoir une construction érigée sur un terrain propre, payée à l’aide d’un emprunt contracté certes par le seul époux propriétaire du terrain, mais remboursé quasi intégralement par la communauté, semble contraire à l’esprit du texte de l’article 1406, alinéa 2, du Code civil et surtout à l’intention du législateur, dont le souci était celui de l’équité15, voire de la protection de la communauté16.

Si en effet, dans une telle hypothèse, c’était la seule nature de l’emprunt qui déterminait celle de l’immeuble, cela reviendrait à qualifier de propre un immeuble financé exclusivement par des deniers communs au cours du mariage, mais via un contrat de prêt contracté par un seul des époux la veille du mariage. Il est évident qu’il ne s’agirait-là ni d’une solution équitable pour les deux époux, ni protectrice pour la communauté et l’exception au principe de l’accession instituée par l’article 1406, alinéa 2, du Code civil se retrouverait vidée de sa substance.

A noter qu’en l’espèce, l’unique moyen de cassation ne vise pas, contrairement au pourvoi qui a donné lieu à Votre arrêt du 9 janvier 2020, l’article 1893 du Code civil. Le principe selon lequel par l’effet du prêt, l’emprunteur devient propriétaire de la chose prêtée n’est donc pas invoqué par la demanderesse en cassation à l’appui de son pourvoi et sa violation n’est pas reprochée à la Cour d’appel.

En l’espèce, c’est à bon droit et conformément à Votre arrêt précité du 3 décembre 2015, que les magistrats d’appel ont tout d’abord énoncé :

« Le libellé de l’article 1406, alinéa 2, du Code civil ne permet pas, comme le souhaiterait l’appelante, d’en limiter l’application aux seules constructions érigées ou achevées au cours du mariage, puisque l’article vise les « constructions érigées au moyen de fonds communs ». Si l’existence de « fonds communs » présuppose l’existence d’une communauté, il suffit que celle-ci existe au moment où les fonds destinés à financer la construction sont déboursés. »17 C’est encore à juste titre, et sans violer les dispositions visées au moyen, qu’ils ont ensuite retenu, sur base d’une analyse in concreto des différentes sommes 15 Travaux parlementaires, projet de loi 1395, 2ème avis du Conseil d’Etat du 16 novembre 1973, ad article 1406 16 Travaux parlementaires, projet de loi 1395, 1er avis du Conseil d’Etat du 8 décembre 1970, ad article 1406 ;

Travaux parlementaires, projet de loi 1395, rapport de la Commission d’études législatives, p.661 17 Arrêt attaqué, page 6, alinéa 2 payées par l’épouse, respectivement par la communauté, en vue du remboursement de l’emprunt ayant servi à financer l’immeuble litigieux, certes contracté par la seule épouse avant le mariage, que :

« Le remboursement du prêt contracté pour financer la construction de la maison a, par conséquent, été effectué avec des fonds communs à hauteur de 119.410,31 euros en principal, à augmenter des frais et intérêts. Même en retenant les frais de construction allégués par X comme ayant été financés par elle ou par son père et étayés par une pièce justificative, le coût de la construction pris en charge par la communauté X-Y reste supérieur aux fonds propres y investis ainsi qu’à la valeur du terrain.

C’est partant à bon droit que les juges de première instance ont retenu que l’origine des fonds ayant servi à la construction de l’immeuble était déterminante dans la recherche du caractère propre ou commun de l’immeuble et que la valeur de cet immeuble était supérieure à celle du terrain, de sorte que l’immeuble devrait être considéré comme appartenant à la communauté. »18 En décidant que l’immeuble litigieux avait été financé en majeure partie par des fonds communs, la Cour d’appel n’a violé ni l’article 1406, alinéa 2, du Code civil, ni les autres dispositions visées au moyen, de sorte que le moyen n’est pas fondé.

On pourrait également argumenter, au vu de l’appréciation in concreto à laquelle les juges du fond doivent se livrer dans le cadre de la détermination du caractère propre ou commun des fonds qui ont servi à ériger une construction, au sens de l’article 1406, alinéa 2, du Code civil, que cette détermination relève de l’appréciation souveraine de ces juges, sur base des éléments factuels de chaque cas d’espèce, et échappe par conséquent au contrôle de Votre Cour.

Sous cet aspect, le moyen ne saurait être accueilli.

Conclusion Le pourvoi est recevable, mais non fondé.

18 Arrêt attaqué page 6, deux derniers alinéas d’en bas Pour le Procureur général d’Etat, le premier avocat général, Simone FLAMMANG 17



Références :

Origine de la décision
Date de la décision : 19/11/2020
Date de l'import : 21/11/2020

Numérotation
Numéro d'arrêt : 154/20
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2020-11-19;154.20 ?

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