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08/10/2020 | LUXEMBOURG | N°44627C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 08 octobre 2020, 44627C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 44627C Inscrit le 7 juillet 2020

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Audience publique du 8 octobre 2020 Appel formé par Monsieur …, …, contre un jugement du tribunal administratif du 24 juin 2020 (n° 43041 du rôle) dans un litige l’opposant à une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale

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Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 44627C...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 44627C Inscrit le 7 juillet 2020

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Audience publique du 8 octobre 2020 Appel formé par Monsieur …, …, contre un jugement du tribunal administratif du 24 juin 2020 (n° 43041 du rôle) dans un litige l’opposant à une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale

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Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 44627C du rôle, déposé au greffe de la Cour administrative le 7 juillet 2020 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Guinée), de nationalité guinéenne, demeurant à L-…, dirigé contre un jugement rendu par le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg le 24 juin 2020 (n° 43041 du rôle), l’ayant débouté de son recours tendant à la réformation 1) de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 29 avril 2019 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et 2) de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 7 août 2020 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;

Le rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Rudatinya MBONYUMUTWA, en remplacement de Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, et Monsieur le délégué du gouvernement Felipe LORENZO en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 29 septembre 2020.

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Le 19 avril 2018, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par le « ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par la « loi du 18 décembre 2015 ».

Par décision du 29 avril 2019, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée expédiée le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par le « ministre », après avoir retenu qu’au regard de l’analyse médico-légale relative à l’estimation de son âge telle qu’elle avait été effectuée, Monsieur … aurait avec une très grande probabilité plus de … ans et plus précisément même un âge minimum de … ans, résuma les déclarations de celui-ci auprès du service de police judiciaire et de la direction de l’Immigration comme suit :

« (…) Monsieur, il ressort de votre récit que vous auriez quitté votre pays d'origine en 2016 suite à une dispute avec votre beau-père pour avoir perdu un bœuf de son troupeau.

Vous précisez dans ce contexte que vous auriez régulièrement gardé les bœufs de votre famille lors des vacances scolaires. Un jour en 2016 un bœuf se serait échappé et vous n'auriez pas pu rattraper la bête car vous auriez eu une crise d'épilepsie. En rentrant, vous auriez expliqué la situation à votre beau-père qui n'aurait eu aucune compréhension pour votre situation et qui vous aurait chassé de la maison. Vous soulignez qu'il vous aurait lancé des cailloux dessus et qu'il vous aurait menacé avec son fusil.

Suite à cet incident, vous auriez rejoint votre frère aîné et vous auriez décidé de quitter votre pays d'origine pour rejoindre l'Europe à l'aide d'un passeur, auquel vous auriez payé la somme de …. euros. Après avoir parcouru le Mali et l'Algérie, vous auriez traversé la Méditerranée fin août 2017 - votre frère serait décédé lors du passage. Vous seriez finalement arrivé en Italie le 1er septembre 2017. Après un séjour de six mois en Italie, vous auriez parcouru la France et l'Allemagne pour finalement arriver au Luxembourg en date du 14 avril 2018.

Pour étayer vos dires quant à votre état de santé, vous avez déposé un certificat médical du Service de Neurologie du Centre Hospitalier de Luxembourg ».

Le ministre informa ensuite Monsieur … que sa demande de protection internationale avait été rejetée comme étant non fondée sur base des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 31 mai 2019, Monsieur … fit déposer un recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 29 avril 2019 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

Dans son jugement du 24 juin 2020, le tribunal administratif rejeta ce recours, pris en ses deux volets, comme non fondé.

Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 7 juillet 2020, Monsieur … a fait régulièrement relever appel du jugement du 24 juin 2020.

A l’appui de son appel, il déclare se rapporter à la sagesse de la Cour en ce qui concerne le rejet de sa demande en obtention du statut de réfugié, mais soutient que les faits mis en avant par lui seraient constitutifs d’actes de persécution en ce qu’ils constitueraient une accumulation de diverses mesures qui se seraient succédées.

Quant au statut de la protection subsidiaire, il considère qu’il satisferait à toutes les conditions pour se voir octroyer le statut de la protection subsidiaire tel que prévu par l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015. Il soutient que les notions de tortures et de traitements inhumains ou dégradants devraient être interprétées à la lumière de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme relativement à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH). Il estime qu’il aurait déjà souffert d’atteintes graves dans le passé qui l’auraient poussé à fuir la Guinée et qu’il pourrait se prévaloir d’une crainte réelle de subir à nouveau de telles atteintes graves. Ces éléments devraient être qualifiés de traitements inhumains ou dégradants au sens de l’article 3 CEDH au vu de leur accumulation et de leur succession dans le temps.

Il souligne qu’il aurait expliqué que sa mère aurait toujours été malade et aurait été opérée trois fois, qu’il aurait été maltraité par son beau-père, alors qu’il souffrirait d’une épilepsie chronique pour laquelle il ne recevrait aucun soin dans son pays d’origine, sa famille ignorant même sa maladie. Ce serait parce qu’il aurait perdu un bœuf du troupeau que son beau-père l’aurait presque tué, le poursuivant armé d’un fusil sans que les voisins ou encore la police ne soient intervenus. Ces faits l’auraient conduit, alors qu’il aurait été encore mineur, à fuir son pays d’origine ensemble avec son frère aîné.

Il poursuit qu’il ne lui aurait pas été possible de porter plainte à la police, en renvoyant au rapport d’audition à ce sujet. Il estime qu’il aurait été inutile d’entreprendre des démarches auprès des autorités policières, puisque celles-ci seraient incapables, respectivement n’aurait pas la volonté de lui accorder une protection policière contre son beau-père. Ainsi, il manquerait totalement de confiance dans les autorités étatiques censées le protéger. A cela s’ajouterait qu’il aurait été mineur au moment des faits.

L’appelant souligne qu’il n’aurait plus aucun lien avec son pays d’origine, au motif que sa mère serait décédée après son départ, que son frère qui l’aurait aidé à quitter la Guinée aurait disparu et qu’il serait sans nouvelles de la part de ses autres frères et sœurs. Au vu de la nécessité de se cacher face à son beau-père, il devrait vivre en Guinée dans une situation entièrement précaire sans lien avec sa famille et le risque de cette situation constituerait dans son chef un traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 3 de la CEDH.

Le délégué du gouvernement conclut à la confirmation pure et simple du jugement entrepris.

Il se dégage de la combinaison des articles 2 sub h), 2 sub f), 39, 40 et 42, paragraphe 1er, de la loi du 18 décembre 2015, que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond y définis, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe 1er, de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de ladite loi, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

L’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c) de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire. La loi du 18 décembre 2015 définit la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir des atteintes graves définies à l’article 48 ».

Les premiers juges ont encore souligné à juste titre que dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire. En outre, l’examen de la situation personnelle du demandeur de protection internationale, tout en prenant en considération la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance, ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais comporte également l’appréciation de la valeur des éléments de preuve et de la crédibilité des déclarations du demandeur. Les premiers juges ont encore justement admis que si, comme en l’espèce, des éléments de preuve font défaut pour étayer les déclarations du demandeur de protection internationale, celui-ci doit bénéficier du doute en application de l’article 37, paragraphe (5), de la loi du 18 décembre 2015 si, de manière générale, son récit peut être considéré comme crédible, s’il s’est réellement efforcé d’étayer sa demande, s’il a livré tous les éléments dont il disposait et si ses déclarations sont cohérentes et ne sont pas en contradiction avec l’information générale et spécifique disponible.

Quant au statut de réfugié, la Cour rejoint le tribunal dans son analyse que les craintes avancées par l’appelant n’ont manifestement aucun lien avec les critères de fond définis à l’article 2, point f), de la loi du 18 décembre 2015, mais se situent exclusivement dans un contexte familial, de sorte que c’est à juste titre qu’il a confirmé le rejet, par le ministre, de sa demande en obtention du statut de réfugié.

S’agissant de la protection subsidiaire, le tribunal a pertinemment relevé que l’appelant a quitté la Guinée le jour même d’un incident qui se serait produit en 2015, à savoir le fait que son beau-père l’aurait poursuivi avec un fusil et aurait jeté des pierres sur lui puisqu’en raison d’une crise épileptique, il aurait perdu un bœuf du troupeau qu’il était censé surveiller pendant ses vacances scolaires. Le tribunal a valablement souligné que ce faisant, l’appelant se limite à invoquer un fait unique, qui l’aurait fait quitter le jour-même son pays d’origine, sans d’ailleurs avoir dénoncé cet incident à une quelconque autorité de son pays d’origine. Cet incident unique ne saurait être admis comme étant d’une gravité suffisante pour que l’appelant soit fondé à craindre de subir des atteintes graves de la part de son beau-père en cas de retour en Guinée.

S’il est vrai que l’appelant insiste plus particulièrement sur sa minorité au moment des faits et sur sa dépendance en tant que mineur à l’égard de son beau-père, sous l'autorité de laquelle il était placé, ainsi que sur sa situation isolée par rapport aux membres de sa famille, le tribunal a considéré à bon droit que même à supposer que l’appelant ait été mineur au moment des faits en 2015, il se dégage en tout état de cause du rapport médical du 8 mai 2018, émis par le docteur …, médecin spécialiste en radiologie, et du 9 mai 2018, émis par le même docteur …., le docteur .., médecin spécialiste en médecine légale, et le docteur …, médecin spécialiste en médecine légale, que celui-ci avait au moment des examens en mai 2018 probablement …, respectivement … ans, mais en tout cas avec une certitude atteignant presque 100 % plus que … ans, de sorte à avoir actuellement largement atteint la majorité.

Alors même que l’appelant a fait soumettre en instance d’appel un document présenté comme étant un acte de naissance original certifiant qu’il serait né le …, il n’en reste pas moins que la Cour ne saurait reconnaître à ce seul document une force probante supérieure au résultat de l’examen clinique effectué par le Service médico-judiciaire du Laboratoire National de Santé et renseigné dans les rapports prévisés des 8 et 9 mai 2018.

Dans ces conditions, c’est à juste titre que le tribunal a conclu que l’appelant ne risque pas, en cas de retour en Guinée, de se retrouver dans une même situation de dépendance ou qu’il ait à craindre quoi que ce soit de la part de son beau-père puisqu’il serait placé sous l’autorité de celui-ci, de sorte qu’il ne saurait déduire de cet incident unique une crainte de subir des atteintes graves à l’heure actuelle.

Il en découle que c’est à juste titre qu’il a été retenu qu’aucun élément du dossier ne permet de retenir qu’en cas de retour dans son pays d’origine, l’appelant risque de subir la peine de mort, l’exécution, la torture, des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, ou encore des menaces graves et individuelles contre sa vie en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que l’appel laisse d’être fondé sous ce rapport et qu’il y a lieu de retenir, par confirmation du jugement dont appel, que la demande de protection internationale, tant principale que subsidiaire, de l’appelant n’est pas fondée.

Par rapport à l’ordre de quitter le territoire, l’appelant soutient qu'en cas d'octroi de la protection internationale, l'ordre de quitter le territoire devra être annulé.

Or, comme le jugement entrepris est à confirmer en tant qu'il a rejeté la demande en octroi d’un statut de la protection internationale et que le refus dudit statut entraîne, automatiquement, l'ordre de quitter le territoire, l'appel dirigé contre le volet de la décision des premiers juges ayant refusé de réformer cet ordre est encore à rejeter.

Il suit des considérations qui précèdent que le jugement du 24 juin 2020 est à confirmer dans toute sa teneur.

PAR CES MOTIFS la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause, reçoit l’appel du 7 juillet 2020 en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute l’appelant, partant, confirme le jugement entrepris du 24 juin 2020, condamne l’appelant aux dépens de l’instance d’appel.

Ainsi délibéré et jugé par:

Henri CAMPILL, vice-président, Serge SCHROEDER, premier conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, et lu à l’audience publique du 8 octobre 2020 au local ordinaire des audiences de la Cour par le vice-président, en présence du greffier de la Cour Jean-Nicolas SCHINTGEN.

s. SCHINTGEN s. CAMPILL Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 8 octobre 2020 Le greffier de la Cour administrative 6


Synthèse
Numéro d'arrêt : 44627C
Date de la décision : 08/10/2020

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2020
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2020-10-08;44627c ?

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