N° 178 / 2019 du 19.12.2019.
Numéro CAS-2019-00005 du registre.
Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, dix-neuf décembre deux mille dix-neuf.
Composition:
Romain LUDOVICY, conseiller à la Cour de cassation, président, Carlo HEYARD, conseiller à la Cour de cassation, Eliane EICHER, conseiller à la Cour de cassation, Michel REIFFERS, conseiller à la Cour de cassation, Paul VOUEL, conseiller à la Cour d’appel, Sandra KERSCH, avocat général, Viviane PROBST, greffier à la Cour.
Entre:
1) la société en commandite par actions SOC1), établie et ayant son siège social à (…), inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro (…), représentée par son gérant commandité, la société anonyme Soc2), ayant son siège social à (…), représentée par son conseil d’administration, 2) A), demeurant à (…), 3) B), demeurant à (…), demandeurs en cassation, comparant par Maître Patrick KINSCH, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, assisté de la société en commandite simple KLEYR GRASSO, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, représentée aux fins de la présente instance par Maître Marc KLEYR, avocat à la Cour, et:
1) la société anonyme SOC2), établie et ayant son siège social à (…), inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro (…), représentée par son administrateur provisoire, Maître Yann BADEN, avocat à la Cour, demeurant à Gonderange, 2) la société en commandite par actions – société d’investissement à capital variable SOC3), établie et ayant son siège social à (…), inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro (…), représentée par son administrateur provisoire, Maître Yann BADEN, avocat à la Cour, demeurant à Gonderange, défenderesses en cassation, comparant par Maître Moritz GSPANN, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, 3) C), demeurant à (…), 4) la société anonyme SOC4), établie et ayant son siège social à (…), inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro (…), représentée par son conseil d’administration, défendeurs en cassation, comparant par Maître Nicolas THIELTGEN, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, assisté de la société en commandite simple BONN STEICHEN & PARTNERS, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, représentée par son gérant, la société à responsabilité limitée BONN STEICHEN & PARTNERS, représentée aux fins de la présente instance par Maître Fabio TREVISAN, avocat à la Cour, 5) D), demeurant à (…), défendeur en cassation.
Vu l’arrêt attaqué, numéro 165/18, rendu le 14 novembre 2018 sous les numéros CAL-2018-00260 et CAL-2018-00267 du rôle par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, septième chambre, siégeant en matière de référé ;
Vu le mémoire en cassation signifié le 18 janvier 2019 par la société en commandite par actions SOC1) (ci-après « la société SOC1)»), A) et B) à la société anonyme SOC2) (ci-après « la société SOC2) ») , à la société d’investissement à capital variable SOC3) (ci-après « la société SOC3) »), à C), à la société anonyme SOC4) (ci-après « la société soc4) ») et à D), déposé le 21 janvier 2019 au greffe de la Cour ;
Vu le mémoire en réponse signifié le 14 mars 2019 par la société SOC2) et la société SOC3) à la société SOC1), à A), à B), à C), à la société SOC4) et à D), déposé le 18 mars 2019 au greffe de la Cour ;
Vu le mémoire en réponse signifié le 15 mars 2019 par C) et la société SOC4) à la société SOC2), à la société SOC3), à Maître Yann BADEN, pris en sa qualité d’administrateur provisoire de la société SOC3) et de la société SOC2), à D), à la société SOC1), à A) et à B), déposé le 18 mars 2019 au greffe de la Cour ;
Vu le nouveau mémoire signifié le 19 juillet 2019 par la société SOC1), A) et B) à la société SOC2), à la société SOC3), à C), à la société SOC4) et à D), déposé le 22 juillet 2019 au greffe de la Cour ;
Sur le rapport du conseiller Eliane EICHER et les conclusions du procureur général d’Etat adjoint John PETRY ;
Sur les faits :
Selon l’arrêt attaqué, le juge des référés du tribunal d’arrondissement de Luxembourg avait, par une ordonnance du 3 janvier 2017, interprétée par une ordonnance du 6 octobre 2017, nommé un administrateur provisoire avec la mission de gérer et d’administrer la société SOC3) et l’obligation de solliciter en justice, les autres parties dûment appelées, une autorisation spéciale dès qu’un engagement dépassant soit l’acte de gestion et d’administration pur et simple, soit la valeur de 500.000 euros par acte, lui paraît indispensable ou nécessaire à la préservation de l’intérêt social. Par une ordonnance du 16 février 2018, le juge des référés avait rejeté la demande de l’administrateur provisoire de la société SOC3) tendant à être autorisé à conclure avec deux banques une opération de refinancement de crédits bancaires octroyés à la société SOC3) et venus à échéance. La Cour d’appel a, par réformation, accordé l’autorisation sollicitée par l’administrateur provisoire.
Sur la recevabilité du pourvoi qui est contestée :
La société SOC2) et la société SOC3) concluent à l’irrecevabilité du pourvoi au motif que Maître Yann BADEN, administrateur provisoire desdites sociétés, partie à l’instance d’appel, n’avait pas été mis en cause et que le litige était indivisible à son égard.
Le pourvoi ayant été dirigé contre les sociétés SOC3) et SOC2), représentées par leur administrateur provisoire, Maître Yann BADEN, celui-ci figure dans la procédure de cassation.
Le moyen d’irrecevabilité n’est partant pas fondé.
Le pourvoi, introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.
Sur le deuxième moyen de cassation, pris en sa première branche, qui est préalable :
« Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir infirmé l'ordonnance de référé, d'avoir autorisé Me Baden en qualité d'administrateur provisoire d'Soc3) à conclure avec la banque soc5) et avec la banque SOC6) l'opération de refinancement telle que décrite aux des 1er et 4 décembre 2017, et d'avoir condamné la demanderesse en cassation aux frais et dépens des deux instances, aux motifs que le retard dans le remboursement des crédits bancaires était susceptible d'engendrer un dommage imminent et de mettre en péril les intérêts de la société Soc3), et que , alors que, première branche, en statuant telle qu'elle l'a fait, la Cour d'appel a laissé incertain si elle abandonne à l'appréciation de l'administrateur provisoire la question de l'opportunité de la mesure, considérée comme conservatoire, qu'il était demandé au juge des référés d'autoriser (et de ce qu'elle était par le dommage imminent constaté) ou si elle l'estime soumise au pouvoir d'appréciation judiciaire, qu'en statuant par de tels motifs ambigus qui ne permettent pas à la Cour de cassation de contrôler la légalité de l'arrêt attaqué, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 933, al. 1er du Nouveau code de procédure civile ».
Par les développements cités au moyen, les juges d’appel ont retenu sans équivoque que l’appréciation de l’opportunité de la mesure en cause revenait à l’administrateur provisoire.
Il en suit que le deuxième moyen, pris en sa première branche, n’est pas fondé.
Sur le premier moyen de cassation et le deuxième moyen de cassation, pris en sa deuxième branche, réunis :
le premier moyen, « Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir infirmé l'ordonnance de référé, d'avoir autorisé Me Baden en qualité d'administrateur provisoire d'Soc3) à conclure avec la banque SOC5) et avec la banque SOC6) l'opération de refinancement telle que décrite aux des 1er et 4 décembre 2017, et d'avoir condamné la demanderesse en cassation aux frais et dépens des deux instances, en retenant que les contestations des demandeurs en cassation, résumées à la page 9 de l'expédition de l'arrêt [page 8 de la copie], alinéa 4, n'étaient pas pertinentes en la cause, aux motifs que , alors que même dans le cadre d'un référé tendant à ce que des mesures conservatoires soient prescrites pour prévenir un dommage imminent, le juge des référés doit analyser tous les moyens de défense développés devant lui par le défendeur, et, étant par essence le juge de l'évident et de l'incontestable, il ne pourra faire droit à la prétention du demandeur que si les moyens invoqués par le défendeur pour s'opposer à la demande sont manifestement vains et dénués de tout fondement ;
qu'en décidant, au contraire, que dans le cadre d'un référé tendant à l'institution de mesures provisoires pour prévenir un dommage imminent, l'existence de contestations sérieuses n'interdit pas au juge de prendre des mesures conservatoires, la Cour d'appel a violé l'article 933, alinéa 1er, du Nouveau Code de procédure civile. » et le deuxième moyen, pris en sa deuxième branche, « Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir infirmé l'ordonnance de référé, d'avoir autorisé Me Baden en qualité d'administrateur provisoire d'Soc3) à conclure avec la banque SOC5) et avec la banque SOC6) l'opération de refinancement telle que décrite aux des 1er et 4 décembre 2017, et d'avoir condamné la demanderesse en cassation aux frais et dépens des deux instances, aux motifs que le retard dans le remboursement des crédits bancaires était susceptible d'engendrer un dommage imminent et de mettre en péril les intérêts de la société Soc3), et que , que, deuxième branche (subsidiaire par rapport à la première), dans l'hypothèse où la motivation reproduite ci-dessus devrait s'interpréter comme un abandon de l'appréciation de l'opportunité de la mesure prescrite (et de ce qu'elle était par le dommage imminent constaté) à l'administrateur provisoire, la Cour d'appel aurait méconnu, en refusant de l'exercer, son propre pouvoir d'appréciation ;
qu'en effet, en vertu de l'article 933 al. 1er du Nouveau code de procédure civile, il faut que le président ou le juge qui le remplace vérifie que la mesure conservatoire qu'il prescrit en référé pour prévenir le dommage imminent dont l'existence est constatée par le juge ; que par conséquent, la vérification de l'opportunité de la mesure, et même du fait qu'elle , fait partie intégrante des missions du juge des référés dans ce cadre, et que la constatation que tel est le cas est une condition de légalité de l'ordonnance qui prescrit en référé une mesure conservatoire ; que le juge doit, lui-même, apprécier l'opportunité de la mesure à prendre et ne peut en abandonner l'appréciation à un tiers (en l'espèce l'administrateur provisoire d'Soc3)) ; que, par conséquent, la Cour d'appel a violé l'article 933 al. 1er du Nouveau code de procédure civile. ».
Vu l’article 933, alinéa 1, première phrase, du Nouveau code de procédure civile qui dispose :
« Le président, ou le juge qui le remplace, peut toujours prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. ».
Même si cet article n’exige pas formellement l’absence de contestations sérieuses, l’examen des contestations soulevées en cause, qui s’impose, peut cependant conduire au constat que les conditions d’application de cette disposition légale ne sont pas établies de façon suffisamment évidente pour permettre au juge des référés de prendre la mesure sollicitée.
En écartant, d’une part, pour défaut de pertinence, les contestations et moyens de défense opposés par les demandeurs en cassation, notamment quant au caractère conservatoire de la mesure litigieuse, et en omettant, d’autre part, après avoir constaté l’existence d’une situation susceptible d’engendrer un dommage imminent, et sauf à faire sous les termes « par ailleurs » une observation non déterminante pour leur décision sur l’incidence de la durée de la mesure litigieuse sur le caractère conservatoire de celle-ci, d’examiner tant le caractère conservatoire de la mesure pour laquelle l’administrateur provisoire sollicitait l’autorisation du juge des référés que son opportunité, à savoir en quoi celle-ci s’imposait pour prévenir le dommage imminent constaté, et en s’en remettant à cet égard aux pouvoirs de l’administrateur provisoire, les juges d’appel ont violé la disposition visée au moyen.
Il en suit que l’arrêt encourt la cassation.
Sur la demande en allocation d’une indemnité de procédure :
C) et la société SOC4) étant à condamner aux dépens de l’instance en cassation, leurs demandes en allocation d’une indemnité de procédure sont à rejeter.
PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur le deuxième moyen de cassation, pris en sa troisième branche, et sur le troisième moyen, la Cour de cassation :
casse et annule l’arrêt numéro 165/18, rendu le 14 novembre 2018 sous les numéros CAL-2018-00260 et CAL-2018-00267 du rôle par la Cour d’appel, septième chambre, siégeant en matière de référé ;
déclare nuls et de nul effet ladite décision judiciaire et les actes qui s’en sont suivis, remet les parties dans l’état où elles se sont trouvées avant l’arrêt cassé et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d’appel, autrement composée ;
rejette les demandes de C) et de la société anonyme SOC4) en allocation d’une indemnité de procédure ;
condamne chacun des défendeurs en cassation au cinquième des dépens de l’instance en cassation avec distraction au profit de Maître Patrick KINSCH, sur ses affirmations de droit ;
ordonne qu’à la diligence du procureur général d’Etat, le présent arrêt soit transcrit sur le registre de la Cour d’appel et qu’une mention renvoyant à la transcription de l’arrêt soit consignée en marge de la minute de l’arrêt annulé.
La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le conseiller Romain LUDOVICY, en présence de l’avocat général Sandra KERSCH et du greffier Viviane PROBST.