GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle: 43012C Inscrit le 24 mai 2019 Audience publique du 22 octobre 2019 Appel formé par Madame … et consorts, …, contre un jugement du tribunal administratif du 30 avril 2019 (n° 40918 du rôle) en matière de police des étrangers Vu l’acte d’appel inscrit sous le numéro 43012C du rôle et déposé au greffe de la Cour administrative le 24 mai 2019 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à … (Syrie), demeurant à … en Syrie et ayant élu domicile en l’étude de Maître Ardavan FATHOLAHZADEH sise à L-1940 Luxembourg, 310, route de Longwy, de son fils Monsieur …, né le … à …, et de sa belle-fille Madame …, née le … à …, demeurant ensemble à L-…, dirigé contre le jugement rendu par le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg le 30 avril 2019, par lequel ils ont été déboutés de leur recours tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 7 mars 2018 rejetant la demande de regroupement familial en faveur de Madame … ;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 24 juin 2019 par le délégué du gouvernement ;
Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;
Le rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Shirley FREYERMUTH, en remplacement de Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, et Madame le délégué du gouvernement Danièle NOSBUSCH en leurs plaidoiries à l’audience publique du 8 octobre 2019.
Par décision du 28 septembre 2017, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après « le ministre », accorda à Monsieur … et à son épouse, Madame … le statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés.
Par courrier de son mandataire du 31 octobre 2017, réceptionné par le ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, le 6 novembre 2017, Monsieur … fit 1introduire une demande de regroupement familial en faveur de sa mère Madame …, demande qui fut refusée par le ministre par décision du 7 mars 2018, libellée comme suit :
« (…) J’accuse bonne réception de vos courriers reprenant l’objet sous rubrique qui me sont parvenus en date des 6 novembre et 22 décembre 2017.
Je suis au regret de vous informer que je ne suis pas en mesure de faire droit à votre requête.
En effet, afin de pouvoir bénéficier du regroupement familial conformément à l’article 70, paragraphe (5) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, les ascendants directs doivent être à charge du regroupant et privés du soutien familial nécessaire dans leur pays d’origine. Or, il n’est pas prouvé que Madame … est à charge de votre mandant et qu’elle ne peut pas subvenir à ses besoins élémentaires par ses propres moyens.
Selon nos informations, votre mandant a encore de la fratrie en Syrie et Madame … n’est donc pas privée du soutien familial nécessaire.
Par ailleurs, Madame … ne remplit aucune condition qui lui permettrait de bénéficier d’une autorisation de séjour dont les catégories sont fixées à l’article 38 de la loi du 29 août 2008 précitée.
L’autorisation de séjour lui est donc refusée conformément aux articles 75 et 101, paragraphe (1), point 1. de la loi du 29 août 2008 précitée. (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 16 mars 2018, Madame …, ainsi que son fils et sa belle-fille, Monsieur … et Madame …, firent introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle du 7 mars 2018.
Par jugement du 30 avril 2019, le tribunal administratif reçut le recours en annulation en la forme, au fond, le déclara non justifié, partant en débouta les demandeurs, ces derniers ayant encore été condamnés aux frais de l’instance.
Le 24 mai 2019, les consorts … ont régulièrement relevé appel contre ce jugement.
Ils rappellent que Monsieur … a obtenu, par décision du 28 septembre 2017, le statut de réfugié et relèvent que la demande de regroupement familial pour compte de Madame … a été introduite dans un délai de trois mois après l’obtention dudit statut, de sorte que les conditions prévues à l'article 69, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008 ne devraient pas être remplies.
Concernant les conditions restantes, celles figurant à l'article 70, paragraphe (5), point a) de la loi du 29 août 2008, ils font valoir que Monsieur … est le seul fils à pouvoir prendre en charge sa mère, les autres frères et sœurs étant actuellement dispersés en Europe et en Syrie. Plus précisément, les membres de la famille se trouvant en Syrie ne pourraient pas s’occuper de leur mère au vu du salaire moyen en Syrie et de la situation actuelle de guerre y régnant. Ils signalent 2encore que Monsieur … aurait régulièrement fait des envois d’argent à sa mère via des « bureaux de change » sis en Allemagne et via des intermédiaires et que Madame … aurait bénéficié de l’assistance de la « Charity Association of Al Yamana » suite à son déplacement dans un autre village en Syrie, sa maison ayant été détruite. Ils estiment dès lors avoir rapporté la preuve que Madame … se trouverait dans le besoin et nécessiterait une assistance indispensable afin de pouvoir survivre. Les appelants se réfèrent à un article de presse décrivant la situation générale de la population civile en Syrie et la situation des prix très élevés concernant les denrées alimentaires.
Comme Monsieur … vivrait confortablement au Luxembourg, il serait le seul à pouvoir utilement prendre en charge sa mère afin de permettre à celle-ci de subvenir à ses besoins matériels et alimentaires.
Finalement, les appelants se réfèrent encore à l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH), consacrant le respect de la vie privée et familiale, et soutiennent que la décision ministérielle de refus litigieuse s’y heurterait en empêchant la reconstitution de l'unité familiale déjà compromise par la guerre en Syrie.
Partant, leur demande de regroupement familial et de délivrance d’un permis de séjour pour Madame … serait légalement justifiée et le jugement entrepris serait à réformer en ce sens.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet de l’appel et à la confirmation du jugement a quo.
Il convient de rappeler de prime abord que lorsque le juge administratif est saisi d’un recours en annulation, il a le droit et l’obligation d’examiner l’existence et l’exactitude des faits matériels qui sont à la base de la décision attaquée, de vérifier si les motifs dûment établis sont de nature à motiver légalement la décision attaquée et de contrôler si cette décision n’est pas entachée de nullité pour incompétence, excès ou détournement de pouvoir ou pour violation de la loi ou des formes destinées à protéger les intérêts privés.
Le cadre légal de l’affaire sous examen est tracé par les articles 69 et 70 de la loi du 29 août 2008.
L’article 69 de la loi du 29 août 2008 dispose que : « (1) Le ressortissant de pays tiers qui est titulaire d’un titre de séjour d’une durée de validité d’au moins un an et qui a une perspective fondée d’obtenir un droit de séjour de longue durée peut demander le regroupement familial des membres de sa famille définis à l’article 70, s’il remplit les conditions suivantes :
1. il rapporte la preuve qu’il dispose de ressources stables, régulières et suffisantes pour subvenir à ses propres besoins et ceux des membres de sa famille qui sont à sa charge, sans recourir au système d’aide sociale, conformément aux conditions et modalités prévues par règlement grand-ducal ;
2. il dispose d’un logement approprié pour recevoir le ou les membres de sa famille ;
3. il dispose de la couverture d’une assurance maladie pour lui-même et pour les membres de sa famille.
3(2) Sans préjudice du paragraphe (1) du présent article, pour le regroupement familial des membres de famille visés à l’article 70, paragraphe (5) le regroupant doit séjourner depuis au moins douze mois sur le territoire luxembourgeois.
(3) Le bénéficiaire d’une protection internationale peut demander le regroupement des membres de sa famille définis à l’article 70. Les conditions du paragraphe (1) qui précède, ne doivent être remplies que si la demande de regroupement familial est introduite après un délai de trois mois suivant l’octroi d’une protection internationale ».
L’article 70 de cette même loi précise quant à lui que : « (1) Sans préjudice des conditions fixées à l’article 69 dans le chef du regroupant, et sous condition qu’ils ne représentent pas un danger pour l’ordre public, la sécurité publique ou la santé publique, l’entrée et le séjour est autorisé aux membres de famille ressortissants de pays tiers suivants : (…) (5) L’entrée et le séjour peuvent être autorisés par le ministre : a) aux ascendants en ligne directe au premier degré du regroupant ou de son conjoint ou partenaire visé au paragraphe (1), point b) qui précède, lorsqu’ils sont à sa charge et qu’ils sont privés du soutien familial nécessaire dans leur pays d’origine (…) ».
Il se dégage de la combinaison de ces deux dispositions légales que lorsqu’un bénéficiaire d’une protection internationale introduit une demande de regroupement avec un membre de sa famille, tel que défini à l’article 70 précité, concernant notamment un ascendant en ligne directe au premier degré du regroupant, dans un délai de trois mois suivant l’octroi d’une protection internationale, il ne doit pas remplir les conditions du paragraphe (1) de l’article 69 précité, à savoir celles de rapporter la preuve qu’il dispose (i) de ressources stables, régulières et suffisantes pour subvenir à ses propres besoins et ceux des membres de sa famille qui sont à sa charge, sans recourir au système d’aide sociale, (ii) d’un logement approprié pour recevoir le ou les membres de sa famille et (iii) de la couverture d’une assurance maladie pour lui-même et pour les membres de sa famille.
Il est constant en cause que Monsieur …, qui s’est vu reconnaître le statut de réfugié par décision ministérielle du 28 septembre 2017, a introduit sa demande de regroupement familial dans le délai de trois mois suivant ledit octroi, de sorte à être dispensé du respect des conditions prévues à l’article 69, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008.
Il s’ensuit que pour prospérer dans sa démarche, il doit seulement justifier que les conditions figurant au point a) du paragraphe (5) de l’article 70 de la loi du 29 août 2008 sont remplies en cause.
En l’occurrence, si les parties s’accordent encore sur le fait que Monsieur … est le fils de Madame …, de sorte que cette dernière constitue un ascendant en ligne directe au premier degré du regroupant, au sens dudit article 70, paragraphe (5), point a), de la loi du 29 août 2008 et qu’aucune menace pour l’ordre public, la santé ou la sécurité publiques ne sont mises en discussion, elles sont en désaccord sur la question de savoir si l’intéressée remplit les conditions cumulatives d’être à charge du regroupant et d’être privée du soutien familial nécessaire dans son pays d’origine.
Concernant la première de ces deux conditions, il est généralement retenu qu’il convient d’entendre la notion d’« être à charge » en ce sens que le membre de la famille désireux de bénéficier d’un regroupement familial doit nécessiter le soutien matériel du regroupant à un tel 4point que le soutien matériel fourni est nécessaire pour subvenir aux besoins essentiels dans le pays d’origine de l’intéressé, respectivement que l’absence de ce soutien aurait pour conséquence de priver le membre de la famille des moyens pour subvenir à ses besoins essentiels.
La deuxième condition posée par l’article 70 de la loi du 29 août 2008 rajoute l’exigence dans le chef du bénéficiaire d’un regroupement familial de se trouver privé d’un soutien familial adéquat au sein même de son pays d’origine.
Il y a lieu de rappeler en premier lieu le fait que si le ministre dispose en la matière d’un pouvoir d’appréciation discrétionnaire, il est néanmoins tenu de respecter le principe général de proportionnalité et qu’ainsi, le pouvoir discrétionnaire du ministre n’échappe pas au contrôle des juridictions administratives, en ce que le ministre ne saurait verser dans l’arbitraire.
Pour le surplus, il convient de retenir en synthèse qu’une demande de regroupement familial n’est justifiée que si la preuve de l’existence d’une situation de dépendance économique effective vis-à -vis du regroupant est rapportée et la charge de la preuve appartient principalement au demandeur au regroupement.
Or, en l’espèce, à l’instar des premiers juges, la Cour constate qu’au jour de la prise de décision, moment auquel le juge de l’annulation peut seul avoir égard, les appelants n’ont apporté le moindre élément de preuve tangible d’une situation de dépendance économique de Madame … envers son fils.
Ainsi, sans préjudice de la réalité incontestable d’une situation sécuritaire préoccupante en Syrie et de conditions de vie essentiellement difficiles auxquelles semble être confrontée Madame …, les premiers juges ont dégagé à bon escient des éléments d’appréciation soumis en cause que le dossier ne renseigne pas que Monsieur … ait procuré, lorsqu’il séjournait encore en Syrie ou depuis son arrivée au Luxembourg, un quelconque soutien matériel à sa mère afin de lui permettre de subvenir à ses besoins essentiels, celui-ci affirmant par ailleurs lui-même ne pas être en mesure de prouver les envois d’argent qu’il aurait effectués au profit de sa mère.
Partant, il y a lieu de retenir que les appelants sont restés en défaut de rapporter la preuve de ce que l’absence de soutien de Monsieur … priverait sa mère des moyens pour subvenir à ses besoins essentiels et partant la preuve de ce que celle-ci était, au moment pertinent, à charge de son fils ….
Il s’ensuit que les appelants, sur base des éléments auxquels le juge administratif peut avoir égard, ne peuvent prétendre à un regroupement familial au Luxembourg, cette conclusion s’imposant sans qu’il ne soit encore nécessaire d’examiner si la deuxième condition cumulative posée par l’article 70, paragraphe (5), de la loi du 29 août 2008, selon laquelle la mère de Monsieur … doit encore être privée du soutien familial nécessaire dans son pays d’origine, est remplie, étant rappelé sur ce point que d’autres frères et sœurs de Monsieur … résident toujours en Syrie et peuvent apporter un soutien familial à leur mère.
Enfin, la Cour ne dénote pas non plus des éléments de la cause l’existence de circonstances exceptionnelles et spécifiques impliquant, notamment en application de l’article 8 de la CEDH, la tenue en échec de la condition légale de preuve de l’existence d’une situation de dépendance 5économique effective vis-à -vis du regroupant, étant rappelé que les articles 69 et 70 de la loi du 29 août 2008 constituent une règlementation spécifique relativement à une procédure de regroupement familial allégée dont peuvent se prévaloir les bénéficiaires d’une protection internationale.
En effet, mis à part les liens affectifs normaux entre parents et enfants, les appelants restent en défaut d’invoquer des éléments supplémentaires de dépendance requérant une protection prévue à travers l’article 8 de la CEDH.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que l’appel n’est pas fondé et que le jugement a quo est à confirmer.
Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit l’appel du 24 mai 2019 en la forme ;
le dit non fondé et en déboute ;
partant, confirme le jugement entrepris du 30 avril 2019 ;
condamne les appelants aux dépens de l’instance d’appel.
Ainsi délibéré et jugé par:
Henri CAMPILL, vice-président, Lynn SPIELMANN, conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, et lu par le vice-président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier assumé de la Cour ….
S. … s. CAMPILL Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 24 octobre 2019 Le greffier de la Cour administrative 6