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17/07/2019 | LUXEMBOURG | N°42043C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 17 juillet 2019, 42043C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 42043C Inscrit le 30 novembre 2018

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Audience publique du 17 juillet 2019 Appel formé par la société anonyme … S.A., …, contre un jugement du tribunal administratif du 22 octobre 2018 (n° 40348 du rôle) dans un litige l’opposant à une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’impôt sur le revenu

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Vu l’acte d’appel...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 42043C Inscrit le 30 novembre 2018

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Audience publique du 17 juillet 2019 Appel formé par la société anonyme … S.A., …, contre un jugement du tribunal administratif du 22 octobre 2018 (n° 40348 du rôle) dans un litige l’opposant à une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’impôt sur le revenu

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Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 42043C du rôle, déposé au greffe de la Cour administrative le 30 novembre 2018 par Maître Laetitia BORUCKI, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société anonyme … S.A., ayant son siège social à …, …, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions, dirigé contre un jugement rendu par le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg le 22 octobre 2018 (n° 40348 du rôle), par lequel ledit tribunal l’a déboutée de son recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 7 août 2017 (nos C 20675 et C 20676) portant rejet de ses réclamations introduites à l’encontre des bulletins rectificatifs de la retenue d’impôt sur revenus de capitaux des années 2011 et 2012, émis tous les deux le 26 novembre 2014 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 21 décembre 2018 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe de la Cour administrative le 17 janvier 2019 par Maître Laetitia BORUCKI pour compte de la société anonyme … S.A. ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 15 février 2019 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;

Le rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Laetitia BORUCKI et Monsieur le délégué du gouvernement Eric PRALONG en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 28 février 2019.

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Ayant été constituée le 20 novembre 2007, la société anonyme de droit luxembourgeois … S.A., ci-après la « société … », acquit en l’année 2008 un immeuble en France au prix de … euros, dont le montant de … euros fut financé par un prêt d’actionnaire (« UNSECURED LOAN AGREEMENT ») à un taux d’intérêt fixe de 12% prenant effet le 1er janvier 2011.

En date du 11 juillet 2014, le bureau d'imposition Sociétés 2 de l’administration des Contributions directes, ci-après le « bureau d'imposition », adressa à la société … des projets d’imposition de la retenue d’impôt sur revenus de capitaux des années 2011 et 2012, qui renseignèrent des distributions cachées de bénéfices à hauteur de … euros pour l’année 2011 et de … euros pour l’année 2012. La qualification de ces distributions cachées de bénéfices fut justifiée comme suit : « Les transactions entre la société et son actionnaire doivent se passer comme entre des tiers. Selon l’information téléphonique de la fiduciaire du 11/07/2014 le taux des intérêts sur la dette vis-à-vis de l’actionnaire est de 12 %. (…) ». Le projet d’imposition pour l’année 2011 précisa que « Le taux accepté par le bureau d’imposition (moyenne du taux interbancaire placement 12 mois) est de 1,87%. Les intérêts admis = … x 1,87 % = … euro », tandis que le projet d’imposition pour l’année 2012 renseigna que « Le taux accepté pour le bureau d’imposition pour 2012 est de 0,82%. Les intérêts admis : … x 0,82% = … euro. … – … = … euros = DCB ».

La société … soumit ses objections contre ces projets d’imposition par courrier du 15 octobre 2014 à travers lequel elle contesta en substance la qualification de distributions cachées de bénéfices dans le chef d’une partie des intérêts relatifs à la convention de prêt susvisée et transmit à l’administration des Contributions directes une étude de prix de transfert effectuée par la société à responsabilité limitée ALTER DOMUS s.à r.l., désignée ci-après par la « société ALTER DOMUS », société fournissant différents services financiers.

En date du 26 novembre 2014, le bureau d'imposition émit à l’égard de la société … deux bulletins de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux des années 2011 et 2012, celui de l’année d’imposition 2011 précisant que « Le taux accepté de 1,87% a été augmenté d’une prime de risque de 1,7%. Le taux total accepté est donc pour 2011 de 3,57%. Les intérêts admis pour 2011 sont de … x 3,57% = … euro. La DCB est donc égale à … – … = … euro » et celui de l’année d’imposition 2012 que « Comme pour 2011 le taux accepté de 0.82% a été augmenté d’une prime de risque de 1,7% (cf. jugement de la cour administrative n° 23053C du rôle du 13 juin 2007). Le taux total accepté est donc de 2,52% pour 2012. Les intérêts admis sont de … x 2,52% = … euros. La DCB est donc égale à … – … = … euro ».

Par deux courriers de son litismandataire du 26 février 2015, la société … fit introduire deux réclamations devant le directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après le « directeur », à l’encontre de ces bulletins de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux du 26 novembre 2014.

Par décision du 7 août 2017, référencée sous les numéros C 20675 et C 20676 du rôle, le directeur rejeta comme non fondées les réclamations précitées du 26 février 2015 en les termes suivants :

« (…) Vu la requête (C20675) introduite le 26 février 2015 par le sieur Dirk Leermakers, au nom de la société anonyme …, L-2168 Luxembourg, pour réclamer contre le bulletin rectificatif de la retenue d'impôt sur revenus de capitaux de l'année 2011, émis le 26 novembre 2014 ;

Vu la requête (C20676) introduite le 26 février 2015 par le sieur Dirk Leermakers, au nom de la société anonyme …, L-2168 Luxembourg, pour réclamer contre le bulletin rectificatif de la retenue d'impôt sur revenus de capitaux de l'année 2012, émis le 26 novembre 2014 ;

Vu le dossier fiscal ;

Vu les paragraphes 228 et 301 de la loi générale des impôts (AO) ;

Considérant que les réclamations ont été introduites par qui de droit dans les forme et délai de la loi ; qu'elles sont partant recevables ;

Considérant que la réclamante fait grief au bureau d'imposition d'avoir admis une distribution cachée de bénéfices en relation avec un prêt accordé par l'actionnaire ;

Considérant qu'en vertu du § 243 AO, une réclamation régulièrement introduite déclenche d'office un réexamen intégral de la cause, sans égard aux conclusions et moyens des réclamants, la loi d'impôt étant d'ordre public ;

qu'a cet égard, le contrôle de la légalité externe de l'acte doit précéder celui du bien-

fondé ;

qu'en l'espèce la forme suivie par le bureau d'imposition ne prête pas à critique ;

Considérant qu'en vertu des statuts de constitution, la réclamante a pour objet l'acquisition de biens immobiliers résidentiels, hôteliers, para-hôteliers et commerciaux ;

qu'elle peut également prendre des participations, sous quelque forme que ce soit, dans des sociétés luxembourgeoises ou étrangères ou acquérir par achat, souscription ou de toute autre manière, ainsi qu'aliéner par vente, développer et gérer son portefeuille ;

Considérant qu'il résulte du dossier fiscal que la réclamante a été constituée en 2007 avec un capital social de … euros ;

Considérant qu'il résulte du dossier fiscal qu'en 2011 et 2012 la réclamante a refinancé un immeuble sis en France par un prêt qui lui a été accordé par l'actionnaire unique à un taux d'intérêt de 12% ;

Considérant que les modes de financement utilisés par les sociétés ont une incidence sur l'imposition de leurs revenus ;

que les sociétés peuvent avoir recours soit à l'émission d'actions ou de parts sociales soit à des emprunts pour financer leur activités ;

que les détenteurs d'actions ou de parts sociales ont droit à une quote-part du résultat de la société ;

que les prêteurs de fonds d'une société ont seulement droit à une rémunération fixe sous forme d'intérêts sur les prêts accordés, indépendamment des bénéfices réalisés par la société ;

Considérant que les sociétés cherchent souvent à se financer en ayant plutôt recours à des fonds empruntés qu'à des fonds propres ; que ce choix du mode de financement pour les fonds empruntés entraîne en dehors de l'avantage d'une grande flexibilité au niveau de la politique de financement d'une entreprise, un traitement fiscal plus avantageux ;

qu'en matière d'impôt sur le revenu des collectivités et d'impôt commercial communal, les intérêts débiteurs relatifs aux fonds empruntés diminuent les bases d'imposition d'une société tandis que la rémunération des détenteurs d'actions sous forme de dividendes et en fonction des résultats réalisés de la société, ne constitue pas une dépense d'exploitation déductible ;

qu'en outre, les fonds empruntés, notamment les dettes, diminuent la fortune imposable en matière d'impôt sur la fortune ;

Considérant qu'en établissant les bases d'imposition des années 2011 et 2012, le bureau d'imposition n'a pas admis la déduction des montants d'intérêts respectifs de … euros et de … euros ;

Considérant qu'il résulte du dossier fiscal que le bureau d'imposition a admis pour les années 2011 et 2012 la déduction d'intérêts débiteurs avec le prêt litigieux à hauteur de taux d'intérêts respectifs de 3,57% et de 2,52% ;

Considérant qu'il ressort du dossier fiscal que le bureau d'imposition a émis des bulletins rectificatifs en date du 26 novembre 2014 ; que les bulletins rectificatifs tiennent compte d'une prime de risque de 1,7% et ont fixé les taux admis à raison de 3,57% et de 2,52% pour les années 2011 et 2012 ;

Considérant que les montants des distributions cachées de bénéfices ont été déterminés comme suit par le bureau d'imposition :

Année 2011 Année 2012 Intérêts déduits : taux : 12% ….

… Intérêts admis : 3,57 et 2,52% … … Distribution cachée de bénéfices … … Considérant qu'aux termes de l'article 164 alinéa 3 L.I.R., il y a distribution cachée de bénéfices si un associé, sociétaire ou intéressé reçoit directement ou indirectement des avantages d'une société ou d'une association dont normalement il n'aurait pas bénéficié s'il n'avait pas eu cette qualité ;

Considérant que la disposition de l'article 164 alinéa 3 L.I.R. est l'application du principe suivant lequel il y a lieu, pour les besoins du fisc, de restituer aux actes leur véritable caractère et doit partant s'interpréter en fonction de cette finalité ;

Considérant qu'aux termes de l'article 45 alinéa 1 L.I.R., les dépenses provoquées exclusivement par l'entreprise constituent des dépenses d'exploitation déductibles ;

Considérant qu'il y a lieu d'analyser si les intérêts en relation avec le prêt d'un montant de … euros reconsidérés par le bureau d'imposition comme distributions cachées de bénéfices constituent des dépenses d'exploitation en vertu de l'article 45 L.I.R, ;

Considérant qu'en guise de motivation, la requérante fait valoir qu'une étude aurait « été préparée à la lumière des standards applicables en matière de « prix de transfert» » ;

que sur « base de cette étude et tenant compte des spécificités du cas, un taux d'intérêt s'élevant à 7.88% a été considéré comme conforme aux conditions de pleine concurrence » ;

Considérant que dans la requête introductive, la réclamante admet que le taux de 12% serait excessif ;

Considérant que la réclamante a conclu le prêt litigieux avec son actionnaire unique afin de financer l'acquisition d'un immeuble près de Saint-Tropez ;

Considérant que les comptes annuels de la réclamante au 31 décembre 2011 et au 31 décembre 2012 renseignent, d'une part, un capital social de … euros et, d'autre part, des résultats reportés négatifs de montants respectifs de - … euros et de - … euros ;

Considérant encore que la réclamante a réalisé des pertes respectives de -… euros et de -… euros au titre des années 2011 et 2012, i.e. des résultats négatifs augmentant davantage les résultats reportés ;

Considérant qu'il résulte de qui précède que la réclamante n'a donc pas disposé de fonds propres au moment où elle a pris l'engagement d'un prêt d'environ … millions d'euros qui a donné lieu à une charge d'intérêt de 12%;

Considérant que l'étude de prix de transfert produite en guise de motivation n'a été établie qu'en date du 7 octobre 2014, i.e. quelques semaines après l'émission des premiers bulletins de la retenue d'impôt sur revenus de capitaux des années 2011 et 2012 ;

Considérant que l'auteur de l'étude de prix de transfert établie retient entre autres que « For this study, Alter relied upon factual and financial information an projections furnished by LUXCO. Consequently, the description of facts and circumstances in this document reflects the situation at the moment of gathering the information. No independent verification was sought to validate this information » ;

Considérant que le prêt de l'actionnaire unique a été accordé à la réclamante au cours du mois de janvier 2011 ; qu'il n'est pas litigieux qu'il s'agit d'un prêt « sans sécurité » («Payment ranking - Unsecured », étude de prix de transfert, page 12) ;

Considérant que l'étude de prix de transfert retient en conclusion que « Based on our findings in Chapter 4, it is commercially and economically justified to understand that, as at 31 December 2011, in the context of the Loan granted by the Shareholder to LUXCO:

- an interest rate which falls within the range bounded by the lower quartile point of the three methodologies described in Chapter 4 (i.e. between 239 bps and 688 bps) falls within the arm's length terms ;

- an interest rate which falls within the range bounded by the median quartile point of the three methodologies described in Chapter 4 (i.e. between 313 bps and 688 bps) falls within the arm's length terms ;and - an interest rate which falls within the range bounded by the upper quartile point of the three methodologies described in Chapter 4 (i.e. between 321 bps and 788 bps) falls within the arm's length terms.

In line with the International transfer pricing standards, any point in the interquartile range may be appropriate to satisfy the arm's length principle.

As a result, it is reasonable to conclude that, under the prudent business management principle, using a point bounded by either, the lower points, the median points or the upper quartile points of the three ranges will satisfy the arm's length principle.

Finally, it is worth mentioning that the arm's length interest rate on the Loan granted by the Shareholder to LUXCO must be determined every year, based on the Loan's outstanding amount recorded at fiscal year-end approved accounts and subject to year-end true-up adjustment » ;

Considérant qu'il n'est pas litigieux que l'étude de prix de transfert ne se prononce qu'au taux d'intérêt applicable pour l'année 2011 ;

Considérant que la réclamante revendique la prise en compte d'un taux d'intérêt de 7,88% ; que ce taux ressort de la troisième catégorie des taux obtenus (« upper quartile point»), i.e. un taux entre 3,21% et 7,88% ;

Considérant qu'un gestionnaire même moyennement diligent et consciencieux, tendant à assurer la rentabilité d'une exploitation commerciale, n'aurait pas conclu un prêt grevé d'une charge d'intérêt de 12% et n'aurait payé un tel taux à un tiers ;

que l'«administration peut supposer une diminution indue des bénéfices de l'entreprise si les circonstances la rendent probable, sans avoir à la justifier exactement. Il y a alors renversement de la charge de la preuve, le contribuable devant prouver qu'il n'y a pas diminution de bénéfice ou que celle-ci est économiquement justifiée, et non seulement motivée par des relations particulières entre deux entités liées » (jugement tribunal administratif du 9 juin 2008 n° 23324 du rôle, arrêt Cour administrative du 11 février 2009, n° 24642C du rôle);

Considérant que les relations entre la société et les actionnaires doivent se nouer comme entre tiers ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le paiement d'intérêts débiteurs à raison d'un taux de 12% au profit de l'actionnaire unique tire son origine de la relation particulière entre associé et société ;

Considérant que le paragraphe 217 AO prévoit le procédé de la taxation, lorsque les bases d'imposition ne peuvent pas être déterminées autrement ;

Considérant que c'est donc à bon droit que le bureau d'imposition a évalué une distribution cachée de bénéfice au profit de l'actionnaire unique ;

qu'il résulte du dossier fiscal que le bureau d'imposition a pris en compte un taux d'intérêt de 3,57% afin d'évaluer le montant de la distribution cachée de bénéfices de l'année 2011, taux rangeant d'ailleurs dans la catégorie de taux choisie par la réclamante ; que le montant de la distribution cachée de bénéfices évalué pour l'année 2011 est dès lors à confirmer ;

Considérant finalement que la réclamante est restée en défaut de produire une étude de prix de transfert ou d'autres moyens concluants pour l'année 2012 ;

Considérant qu'en vertu de l'article 146 L.I.R., les distributions de bénéfices tant ouvertes que cachées doivent faire l'objet d'une retenue d'impôt sur les revenus de capitaux ;

Considérant qu'aux termes de l'article 148, alinéa 1 L.I.R., le taux de la retenue d'impôt sur revenus de capitaux applicable pour les années 2011 et 2012 est de 15%, à moins que le débiteur des revenus ne prenne à sa charge l'impôt à retenir, ce qui, même en matière de distribution cachée de bénéfices n'est jamais présumé ;

PAR CES MOTIFS reçoit les réclamations en la forme, les rejette comme non fondées. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 7 novembre 2017, la société … fit introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision directoriale précitée du 7 août 2017.

Dans son jugement du 22 octobre 2018, le tribunal reçut le recours principal en réformation en la forme, au fond, le déclara non justifié et en débouta la société …, dit qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation et condamna la société … aux frais.

Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 30 novembre 2018, la société … a fait régulièrement relever appel de ce jugement du 22 octobre 2018.

A l’appui de son appel, la société … argue que l’article 164, paragraphe (3), de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu, ci-après désignée par « LIR », consacrerait en droit fiscal luxembourgeois le principe de pleine concurrence, en vertu duquel les transactions entre parties liées devraient être rémunérées comme si elles avaient été conclues entre des sociétés indépendantes négociant dans des circonstances comparables et dans des conditions de pleine concurrence. Elle se prévaut des lignes directrices élaborées au niveau de l’Organisation de coopération et de développement économiques, ci-après « OCDE », et de la circulaire LIR 164/2 du directeur du 28 janvier 2011 qui aurait reconnu l’applicabilité des lignes directrices de l’OCDE en matière de prix de transfert afin de déterminer les conditions de pleine concurrence dans le cadre de l’application de l’article 164, paragraphe (3), LIR. Dans la mesure où le droit fiscal luxembourgeois serait encore marqué par le principe de l’appréciation d’après des critères économiques, ce serait dès lors à tort que le tribunal a écarté les lignes directrices de l’OCDE dans le cadre de l’interprétation de l’article 164, paragraphe (3), LIR.

L’appelante fait valoir qu’afin de démontrer la conformité de l’emprunt contracté par elle aux conditions de pleine concurrence, elle aurait fait établir une première étude du 7 octobre 2014 par la société A, ci-après « l’étude A », mais que, dans la mesure où l’administration aurait refusé d’appliquer les conclusions de cette étude quant à l’année 2011 également en ce qui concerne l’année 2012, elle aurait dû faire dresser une seconde étude du 7 novembre 2017 par un autre expert indépendant, la société B, ci-après « l’étude B », cette étude couvrant l’intégralité de la durée de l’emprunt en cause, à savoir les années 2011 à 2013.

L’appelante explique ensuite que parmi les cinq méthodes reconnues par les lignes directrices de l’OCDE pour établir une approximation des prix de pleine concurrence pour les transactions et la répartition des bénéfices entre les sociétés d'un même groupe, les deux études se seraient fondées sur celle du prix comparable sur le marché libre (en anglais « comparable uncontrolled price » (CUP), ci-après la « méthode CUP ») qui constituerait le moyen le plus direct et le plus fiable pour mettre en œuvre le principe de pleine concurrence lorsqu'il est possible d'identifier des transactions comparables sur le marché libre. Elle explique que cette méthode consisterait à fixer un prix de transfert par comparaison avec le prix d'une même transaction entre des sociétés indépendantes, ce prix pouvant être considéré à ce titre comme un prix de marché, et qu’elle requerrait l'utilisation de comparables pertinents en ce sens que les conditions économiques et financières de la transaction entre entités indépendantes doivent être suffisamment proches pour servir de référence. Elle souligne que sur base de la même méthode CUP, les deux experts seraient arrivés à des résultats similaires, l’étude A ayant considéré qu'un taux d'intérêt se situant entre 321 points de base et 788 points de base serait conforme aux prix de marché et l’étude B ayant admis dans sa première partie un taux d'intérêt se situant entre 509 points de base et 812 points de base. Le fait que les résultats des deux études ne soient pas exactement les mêmes trouverait son explication dans le fait que les facteurs de comparabilité utilisés et les ajustements pratiqués par les 2 experts ne seraient pas identiques, comme le confirmerait un rapport complémentaire de la société B, ci-après la « société B ». En se fondant sur le renvoi aux lignes directrices de l’OCDE suivant lesquelles la fixation des prix de transfert ne serait pas une science exacte et pourrait déboucher sur un intervalle de chiffres tous relativement aussi fiables, l’appelante soutient qu’une « approche agrégée et raisonnable confirme ici un intervalle de taux d'intérêt se situant entre 509 et 788 points de base, puisque ces chiffres se chevauchent dans les deux rapports ».

A la suite de cette première approche, l’appelante expose que la société B ne se serait cependant pas arrêtée à ce stade d’analyse, mais qu’elle aurait vu la nécessité de compléter cette analyse par un examen de l'impact du rang de l’emprunt en cause par rapport à un prêt bancaire également accordé à la société par une banque tierce, examen auquel l’étude A n’avait pas procédé, pour arriver à la conclusion finale d’un taux d'intérêt applicable à la portion subordonnée de la dette d'une manière à assurer que le taux d'intérêt inclut clairement la compensation due au prêteur pour le risque de crédit additionnel lié à la subordination de l’emprunt en cause. Le rapport complémentaire de la société B serait basé sur la théorie financière reconnue et formalisée sous les noms « Capital Asset Pricing Model » et « capital structure theory » de MILLER et MODIGLIANI et l’ajustement ainsi effectué serait justifié par les développements récents dans le domaine des prix de transfert, ajustements en relation avec la manière dont les prêts subordonnés peuvent être, de manière fiable, analysés et estimés en utilisant des méthodes de prix de transfert recommandées et les données du marché disponibles. Dans son rapport complémentaire, l'expert préciserait également que l'utilisation de cette théorie économique pour répondre au problème de la subordination des prêts intra-

groupes, aurait spécifiquement pris forme dans les 3 à 4 dernières années et progressivement été reconnue et acceptée par les autorités fiscales de plusieurs pays. Le résultat de l’analyse opérée par l’étude B, ensemble son rapport complémentaire ferait ainsi apparaitre qu'un intervalle de taux allant de 9,95% à 19,61% correspondrait au taux du marché. Le taux litigieux de 12% appliqué sur l’emprunt en cause serait donc bien conforme aux taux du marché.

L’appelante en déduit que dans la mesure où l’OCDE reconnaîtrait que si la condition de la transaction entre entreprises associées se situe à l'intérieur de l'intervalle de pleine concurrence, il n'y aurait pas lieu de procéder à un ajustement. Il faudrait conclure que toute fixation d'un taux entrant dans cet intervalle devrait être considéré comme étant conforme aux conditions de pleine concurrence.

Par rapport aux postulats déjà mis en avant par l’Etat dans le cadre du faisceau de circonstances destiné à prouver l'existence de distributions cachées, suivant lesquels aucune tierce partie n'accorderait de prêt tel qu'il en est question à une société qui serait en sous-

capitalisation et qui ne disposerait pas de fonds propres, l’appelante avance que l’Etat n'apporterait cependant aucun élément pour étayer ces affirmations et ferait fi de la circonstance qu'une partie tierce, en l'occurrence un établissement de crédit, lui ait déjà accordé un prêt indépendamment de cet état de sous-capitalisation et de ce défaut de fonds propres.

En outre, si l’Etat argue qu'un gestionnaire prudent et avisé n'aurait pas conclu un prêt grevé d'une charge d'intérêt de 12% et n'aurait payé un tel taux à un tiers, l’appelante s'interroge néanmoins sur les conditions auxquelles un tel prêt devrait satisfaire afin de répondre à l'exigence de gestion prudente et avisée selon l’Etat. Elle estime que la gestion prudente et avisée ne consisterait pas à refuser tout risque dans l'exercice d'une activité commerciale, mais à mettre en balance les risques d'une opération vis-à-vis de la rémunération qui peut en découler, et partant à accepter le risque d'un taux d'intérêt important si les profits qui peuvent en découler sont significatifs. Si l'investissement dont il est question était effectivement porteur de risques, les rémunérations qui en découleraient en cas de réussite du projet seraient significatives. Ainsi, la justification commerciale et économique du taux d'intérêt évoqué se trouverait dans le risque de la transaction.

L’appelante reproche encore à l’administration un manquement à son obligation d'effectuer un examen impartial et objectif des faits et une ignorance de la documentation fournie par elle qui serait en tous points conforme aux exigences de la loi luxembourgeoise et qui prouverait que ce taux est de pleine concurrence, la circonstance que les deux rapports proposent des fourchettes de taux différentes se fonderait sur une explication économique présentée par la société B dans son rapport complémentaire.

Sur base de ces éléments, l’appelante fait valoir qu’elle aurait fourni des preuves économiques, objectives, circonstanciées et détaillées, documentées par une étude, complétée par un rapport complémentaire, établis par un expert indépendant qui confirmerait que le taux d'intérêt sur l’emprunt litigieux de 12% serait conforme aux conditions de pleine concurrence existantes sur la période dudit emprunt, de sorte que ce taux d'intérêt ne constituerait pas une diminution de bénéfice indue motivée par la relation entre les parties au sens de l'article 164, paragraphe (3), LIR. Elle ajoute que, de son côté, l'administration n'aurait apporté aucun élément économique objectif pouvant justifier les taux qu'elle souhaite voir appliqués sur l’emprunt en cause, ces taux devant dès lors être qualifiés de discrétionnaires, sinon de forfaitaires et en contradiction totale avec le principe de l'appréciation économique applicable en droit fiscal luxembourgeois. La seule explication donnée par une référence à un arrêt de la Cour administrative pour justifier l'application d'une prime de risque de 1,7% serait relative à des faits datant de l’année 2000 et n'ayant aucun rapport économique avec le cas sous analyse.

Or, à défaut d'apporter une base économique quelconque à son analyse, l'administration aurait dû se baser sur sa propre pratique administrative et appliquer le taux d'intérêt admis par la circulaire 164/1 LIR du 23 mars 1998 au compte courant débiteur d'associés de collectivités soumises à l'impôt sur le revenu des collectivités et établi forfaitairement à 5,00 % l'an.

L’article 164 LIR dispose que : « 1) Pour déterminer le revenu imposable, il est indifférent que le revenu soit distribué ou non aux ayants droit.

2) Sont à considérer comme distribution dans le sens de l’alinéa qui précède, les distributions de quelque nature qu’elles soient, faites à des porteurs d’actions, de parts bénéficiaires ou de fondateurs, de parts de jouissance ou de tous autres titres, y compris les obligations à revenu variable donnant droit à une participation au bénéfice annuel ou au bénéfice de liquidation.

3) Les distributions cachées de bénéfices sont à comprendre dans le revenu imposable.

Il y a distribution cachée de bénéfices notamment si un associé, sociétaire ou intéressé reçoit directement ou indirectement des avantages d’une société ou d’une association dont normalement il n’aurait pas bénéficié s’il n’avait pas eu cette qualité ».

L’essence de la notion de distribution cachée doit être dégagée à partir du principe posé par l’article 164, paragraphe (1), LIR suivant lequel les distributions ne peuvent pas réduire le revenu imposable. Ainsi, le revenu à soumettre à l’impôt doit correspondre à celui réalisé par la collectivité soumise à l’impôt sur le revenu des collectivités agissant en tant qu’acteur indépendant dans une logique économique impliquant qu’elle entre en relation avec d’autres acteurs économiques sur une base synallagmatique en recherchant un équilibre entre ses engagements et la contre-prestation de l’autre partie. Toute forme de répartition de revenus aux actionnaires ou associés de la collectivité ne peut être opérée qu’à partir du revenu déjà préalablement soumis à l’impôt sur le revenu des collectivités. L’article 164 LIR opère à cette fin une distinction entre la sphère de réalisation des revenus, qui détermine le revenu devant être soumis à imposition, et celle d’utilisation ou de distribution des revenus qui ne doit pas influer sur le revenu imposable.

Ces principes n’empêchent évidemment pas des relations économiques entre la collectivité et ses propres actionnaires ou associés, mais ils soumettent ces relations au respect des mêmes exigences de rapports synallagmatiques impliquant un certain équilibre entre la prestation et la contre-prestation entre les deux parties telles celles qui seraient convenues sur le marché entre deux parties indépendantes sans lien participatif. L’article 164, paragraphe (3), LIR, dans la mesure où il requalifie en distribution cachée l’allocation d’un avantage sans contrepartie effective, qui pourrait être obtenue sur le marché, et motivée seulement par le lien participatif, s’analyse dans cette mesure et dans les relations entre une société et ses associés, actionnaires ou intéressés en une concrétisation du principe plus général de pleine concurrence (Cour adm. 26 mars 2015, n° 34024C, Pas. adm. 2018, V° Impôts, n° 525).

Les premiers juges ont néanmoins souligné à bon escient que l’interprétation et l’application de l’article 164, paragraphe (3), LIR ne sauraient être directement influencées par les principes découlant de l’article 9 du Modèle de convention fiscale de l’OCDE concernant le revenu et la fortune, ci-après visé comme le « Modèle de convention », et ce notamment pour les raisons que, premièrement, la genèse de l’article 164, paragraphe (3), LIR se situe ratione temporis bien avant l’adoption de la première version du Modèle de convention, deuxièmement, le champ d’application et la finalité de l’article 164, paragraphe (3), LIR sont plus limités que ceux de l’article 9 du Modèle de convention en ce que cette disposition s’applique aux seules relations entre une collectivité et ses actionnaires ou associés et aux seuls avantages ayant la nature d’une recette pouvant être qualifiée de revenu de capitaux mobiliers, troisièmement, conformément au principe de non-aggravation, les conventions préventives de la double imposition ont exclusivement l'effet négatif de délimiter les compétences d'imposition originaires des Etats signataires instaurées par leurs droits internes respectifs au vu de la finalité affichée d'éliminer les doubles impositions sans fonder un nouveau droit d'imposition autonome et ne sauraient en conséquence justifier une altération de l’interprétation d’une disposition préexistante en droit interne en l’absence, comme dans le cas de l’article 164, paragraphe (3), LIR, d’un renvoi expresse aux principes découlant du droit fiscal international (Cour adm. 2 août 2017, n° 39019C, Pas. adm. 2018, V° Impôts, n° 526).

Il n’en reste pas moins que les lignes directrices de l’OCDE en matière de prix de transfert peuvent servir comme élément d’appréciation dans le cadre du respect du principe de pleine concurrence.

Une distribution cachée de bénéfices s’analyse en une opération ayant l’apparence d’être intervenue dans le cadre de la réalisation de revenus, mais dont l’examen de la substance permet de dégager sa qualification réelle sous la forme d’une opération de distribution trouvant son fondement dans l’allocation d’un avantage direct ou indirect à un associé, actionnaire ou intéressé et ayant entraîné soit une diminution de l’actif (“Vermögensminderung”) soit un défaut d’accroissement de l’actif (“verhinderte Vermögensmehrung”).

Les distributions cachées de bénéfices visées par l’article 164, paragraphe (3), LIR existent dès lors à partir du moment où un associé, actionnaire ou intéressé, reçoit directement ou indirectement d’une société des avantages qui s’analysent, pour cette dernière, en un emploi de revenus sans contrepartie effective et que l’associé, actionnaire ou intéressé, n’aurait pas pu obtenir pareil avantage en l’absence de ce lien sociétaire. La situation concernée est celle où un gestionnaire prudent et avisé n’aurait pas accordé un avantage similaire à un tiers.

Les premiers juges ont encore à bon escient complété ce cadre légal par l’article 59 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après la « loi du 21 juin 1999 », aux termes duquel « la preuve des faits déclenchant l’obligation fiscale appartient à l’administration, la preuve des faits libérant de l’obligation fiscale ou réduisant la cote d’impôt appartient au contribuable ».

La charge de la preuve de l’existence d’une distribution cachée de bénéfices repose donc en premier lieu sur le bureau d’imposition. Celui-ci doit en effet procéder à un examen impartial et objectif des déclarations du contribuable et relever les éléments qui lui paraissent douteux et qui pourraient indiquer l’existence de distributions cachées de bénéfices. Ainsi, c’est essentiellement lorsque le bureau d'imposition peut faire état d’un faisceau de circonstances qui rendent une telle distribution probable et qui n’ont pas été éclairées ou documentées par le contribuable que le prédit bureau peut mettre en cause la réalité économique des opérations et supposer une diminution indue des bénéfices de l’entreprise sans avoir à la justifier exactement. Il y a alors renversement de la charge de la preuve, le contribuable devant prouver qu’il n’y a pas diminution de bénéfice ou que celle-ci est économiquement justifiée, et non seulement motivée par des relations particulières entre deux entités liées (trib. adm. 9 juin 2008, n° 23324 du rôle, confirmé par Cour adm. 12 février 2009, n°24642C du rôle, Pas. adm. 2018, V° Impôts, n° 527 et les autres références y citées).

En ce qui concerne la première condition de l’allocation d’un avantage sans contrepartie effective et équivalente, énoncée par l’article 164, paragraphe (3), LIR, il y a lieu de rappeler que le bureau d’imposition a fixé pour l’année d’imposition 2011 un taux d’intérêt de 1,87% et pour l’année d’imposition 2012 un taux d’intérêt de 0,82% pouvant être considérés comme taux respectant les conditions de marché. Ces taux correspondent, d’après les indications des projets d’imposition du 11 juillet 2014, aux moyennes respectives du taux interbancaire de placement pour une durée de 12 mois pour les années 2011 et 2012. Ces taux de 1,87% et 0,82% ont été augmentés par le bureau d'imposition d’une prime de risque de 1,7%, par référence à une telle prime reconnue comme valable dans un arrêt de la Cour administrative du 16 octobre 2007 (n° 23053C du rôle), de sorte que le bureau d’imposition a finalement admis un taux de 3,57% pour 2011 et un taux de 2,52% pour 2012.

En premier lieu, la Cour constate que les moyennes respectives du taux interbancaire de placement pour une durée de 12 mois pour les années 2011 et 2012, telles que retenues par le bureau d'imposition, n’ont pas été remises en question par l’appelante.

En ce qui concerne la justification des surplus de taux retenus par le bureau d'imposition et contestés par l’appelante qui conclut à la reconnaissance du taux de 12% convenu avec son actionnaire unique, la Cour se doit de relever que la situation patrimoniale et financière de l’appelante, telle qu’elle se dégage de ses comptes annuels, s’est caractérisée durant les années 2011 et 2012 par la détention, comme seul élément essentiel de son actif, d’une villa près de … acquise en l’année 2008 au prix de … millions d’euros, par la présence d’un passif constitué presqu’exclusivement par des prêts bancaires à hauteur d’un peu plus de … millions d’euros et des prêts ou avances en compte courant par l’associé oscillant entre … et … millions d’euros, tous destinés à financer l’acquisition de ladite villa. Pour le surplus, l’appelante n’a pas déployé d’autres activités susceptibles de lui procurer d’autres produits et ses charges se résument essentiellement aux intérêts débiteurs liés aux prêts ou avances susvisés et accessoirement à d’autres frais de fonctionnement.

En outre, l’appelante se caractérise elle-même dans le cadre de son appel comme « société sous-capitalisée et dépourvue de fonds propres » présentant un risque de crédit consistant justifiant un taux d’intérêt élevé, tout en admettant également implicitement que la perspective de la réalisation future d’une plus-value importante à travers la cession de son bien immobilier est de nature à lui procurer des revenus suffisants pour contrebalancer les résultats courants négatifs des années en cause.

La situation de l’appelante correspond ainsi à celle d’une société dont l’objet est limité à la détention d’un bien immobilier unique susceptible de lui procurer une plus-value importante et qui est certes dépourvue d’autres sources de revenus lui procurant les liquidités nécessaires à son fonctionnement, mais dont la situation patrimoniale et financière dépend entièrement de son actionnaire unique. Une telle société ne peut être considérée comme présentant un risque de crédit propre élevé tant que sa situation n’est pas amenée à faire l’objet d’un changement substantiel, puisque tous les engagements se trouvent contrebalancés par un actif équivalent présentant un potentiel de plus-value. Il convient de relever à cet escient que dans le cadre de la cession des actions de l’appelante par son actionnaire unique en l’année 2013, la villa était déjà évaluée à … millions d’euros.

Afin de contester les taux d’intérêt retenus par le bureau d'imposition et confirmés par le directeur, l’appelante s’est basée en premier lieu sur l’étude A qui, en substance, s’est fondée sur la méthode CUP et a, d’abord, recherché des prêts et emprunts obligataires comparables en termes de durée, de montant emprunté, de secteur d’activité et de localisation géographique et, ensuite, déterminé une fourchette de rendements des actifs comparables. Sur base de ces éléments, l’étude A conclut, après prise en compte de différentes fourchettes de variations de taux, que même en se fondant sur une fourchette de taux élevés, tout taux entre 3,21% et 7,88% pourrait être considéré comme conforme au principe de pleine concurrence.

Les premiers juges ont valablement déduit de cette étude qu’elle corrobore, du moins pour l’année 2011, le taux de 3,57 % admis par le bureau d’imposition en ce qu’il se situe clairement dans la fourchette de taux considérés comme conformes au principe de pleine concurrence.

En ce qui concerne l’année 2012, les taux admissibles ne sont certes pas analysés directement par l’étude A. Elle prend pourtant en compte le taux de référence du marché monétaire du LIBOR (« London interbank offered rate ») en euros pour une maturité de 12 mois en retenant qu’il s’établissait à 1,91% au 31 décembre 2011. Or, ce taux a chuté à 0,44% jusqu’au 31 décembre 2012, de manière qu’il est permis de déduire que le taux de 2,52% admis par le bureau d'imposition au titre de l’année 2012 devrait également se situer dans la fourchette des taux correspondant à un marché concurrentiel dans la même logique.

La Cour rejoint partant les premiers juges dans leur analyse que le bureau d’imposition, confirmé par le directeur, a valablement pu conclure à la probabilité de l’existence d’une distribution cachée de bénéfices par rapport à la partie des intérêts dépassant le taux des conditions du marché au profit de l’actionnaire, eu égard à l’importance de l’écart entre le taux d’intérêt de 12% retenu dans la convention de prêt et les taux respectifs par le bureau d’imposition comme correspondant aux conditions du marché.

Afin d’assumer la charge de la preuve qui lui revient suite à la reconnaissance de ce faisceau d’indices indiquant l’existence d’une distribution cachée en prouvant que le taux d’intérêt repris dans la convention de prêt serait justifié, l’appelante se prévaut de l’étude B, dressée en vue de son recours contentieux, qui retient qu’un taux d’intérêt entre 9,95 et 19,61% serait conforme au principe de pleine concurrence tout en concluant qu’un taux d’intérêt de 12% serait fidèle audit principe.

Or, la Cour se doit de relever que, tout en appliquant la même méthode CUP, cette étude accorde plus de poids aux emprunts obligataires et recherche des emprunts comparables en se fondant plutôt sur la note de crédit (« credit ranking ») et le risque d’un défaut de remboursement, ainsi que la localisation géographique du risque pour aboutir déjà à des taux entre 5,92 et 8,121%. C’est cependant essentiellement au niveau de la prise en compte de l’absence de garanties pour le prêt accordé à l’appelante que l’étude B prend une approche largement divergeante qui se fonde sur la prémisse que le montant global d’intérêts payés sur le montant global des dettes devrait être indépendant de la structure des dettes et applique la méthode du « blended interest rate approach ». La prise en compte de l’absence de garanties de remboursement pour le prêt (« subordination adjustment ») aboutit ainsi à une fourchette de taux d’intérêt entre 9,95 et 19,61% qui seraient à considérer comme taux correspondant aux conditions du marché. L’étude A conclut par contre que l’absence de garanties justifierait une augmentation du taux de l’ordre de 1,2%. Au vu d’un cadre économique global caractérisé par des taux d’intérêt historiquement bas, de la situation spécifique de l’espèce caractérisée par une société détenant un bien immobilier, n’exerçant aucune autre activité et dépendant essentiellement d’un actionnaire unique et de l’écart inconciliable entre les taux retenus par l’étude B par rapport à ceux découlant de l’étude A, la Cour arrive à la conclusion que le résultat de l’étude B n’est pas transposable au cas d’espèce dans la mesure où les variables utilisées par cette étude sont de nature à correspondre à la situation d’opérateurs économiques importants, mais non pas à celle d’une société ayant un seul actionnaire et dont la seule activité réside dans la détention d’un bien immobilier. Il faut en déduire que cette étude ne fournit pas d’éléments suffisants pour renverser le faisceau d’indices permettant de conclure à l’existence d’une distribution cachée en l’espèce.

Il y a partant lieu de confirmer les premiers juges dans leur conclusion que l’appelante n’a pas rapporté la preuve de l’absence d’avantages indus, de sorte que le bureau d'imposition, confirmé par le directeur, a valablement pu conclure à une distribution cachée de bénéfices à hauteur des montants retenus dans les bulletins en cause.

L’argument subsidiaire de l’appelante fondé sur la circulaire 164/1 LIR du 23 mars 1998 et tendant à voir appliquer le taux forfaitaire de 5% y prévu pour les relations entre associés personnes physiques et la société concernée ne saurait infirmer cette conclusion. En effet, cette circulaire vise l’hypothèse, inverse à celle de l’espèce, où les associés sont débiteurs de sommes d’argent à l’égard de la collectivité dans laquelle ils participent.

Il découle de l’ensemble des développements qui précèdent que la Cour rejoint entièrement la conclusion des premiers juges en ce que les moyens de l’appelante ne sont point de nature à mettre en cause ni la légalité, ni le bien-fondé de la décision directoriale déférée, de sorte que l’appel sous examen laisse d’être justifié et que, par confirmation du jugement entrepris, le recours sous examen est à rejeter pour ne pas être fondé.

PAR CES MOTIFS la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause, reçoit l’appel du 30 novembre 2018 en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute l’appelante, partant, confirme le jugement entrepris du 22 octobre 2018, condamne l’appelante aux dépens de l’instance d’appel.

Ainsi délibéré et jugé par:

Francis DELAPORTE, président, Serge SCHROEDER, premier conseiller, Lynn SPIELMANN, conseiller, et lu à l’audience publique du 17 juillet 2019 au local ordinaire des audiences de la Cour par le président, en présence du greffier assumé de la Cour Ramon HERRIG.

s. HERRIG s. DELAPORTE Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 22 juillet 2019 Le greffier de la Cour administrative 14


Synthèse
Numéro d'arrêt : 42043C
Date de la décision : 17/07/2019

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2019-07-17;42043c ?

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