GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 41357C Inscrit le 28 juin 2018 Audience publique du 16 octobre 2018 Appel formé par l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg contre un jugement du tribunal administratif du 7 juin 2018 (n° 40199 du rôle) dans un litige l’opposant à M. …, …, en matière de protection internationale Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 41357C du rôle, déposé au greffe de la Cour administrative le 28 juin 2018 par Madame le délégué du gouvernement Sarah ERNST au nom de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, sur base d’un mandat afférent lui conféré par le ministre de l’Immigration et de l’Asile le 27 juin 2018, dirigé contre un jugement rendu par le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg le 7 juin 2018 (n° 40199 du rôle), par lequel ledit tribunal a déclaré partiellement justifié le recours introduit au nom de Monsieur …, né le … à … (Irak), de nationalité irakienne, demeurant à L-…, …, …, et tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 21 août 2017 portant refus de faire droit à sa demande de protection internationale, ainsi que de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte, de manière à avoir, par réformation de ladite décision, accordé à Monsieur …le statut conféré par la protection subsidiaire au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, renvoyé l’affaire devant le ministre de l’Immigration et de l’Asile pour exécution, ainsi que, par réformation, dit que Monsieur …ne devait pas quitter le territoire dans un délai de trente jours ;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 16 juillet 2018 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, pour compte de Monsieur … ;
Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;
Le rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Christiane MARTIN et Maître Ardavan FATHOLAHZADEH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 9 octobre 2018.
Le 18 décembre 2015, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par le « ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, entretemps abrogée par la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par la « loi du 18 décembre 2015 ».
Par décision du 21 août 2017, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé du 22 août 2017, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, dénommé ci-après le « ministre », rejeta la demande de protection internationale de Monsieur …comme étant non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours à compter du jour où la décision sera devenue définitive et ce à destination de l’Irak ou de tout autre pays dans lequel il serait autorisé à séjourner.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 22 septembre 2017, Monsieur …fit introduire un recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 21 août 2017 portant rejet de sa demande de protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.
Dans son jugement du 7 juin 2018, le tribunal rejeta ce recours comme étant non justifié en ce qu’il tend à la reconnaissance du statut de réfugié, mais le déclara justifié en ce qu’il est dirigé contre le refus d’octroi d’une protection subsidiaire, de manière à avoir, par réformation de la décision ministérielle déférée du 21 août 2017, accordé à Monsieur …le statut conféré par la protection subsidiaire au sens de la loi du 18 décembre 2015 et renvoyé l’affaire devant le ministre pour exécution. Le tribunal déclara pareillement justifié le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 21 août 2017 ordonnant à Monsieur …de quitter le territoire et, par réformation, dit que Monsieur …ne devait pas quitter le territoire dans un délai de trente jours. Pour aboutir à cette solution, le tribunal a essentiellement retenu qu’un conflit armé interne entraînant des violences aveugles a lieu au Nord et au centre de l’Irak, et plus particulièrement à …, et qu’en conséquence, le demandeur serait confronté à un risque réel de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 sub c) de la loi du 18 décembre 2015, en cas de retour à ….
Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 28 juin 2018, l’Etat a fait régulièrement relever appel de ce jugement du 7 juin 2018.
Dans son mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 16 juillet 2018, Monsieur …a, de son côté, régulièrement relevé appel incident du jugement du 7 juin 2018, dont il sollicite la réformation dans le sens de se voir accorder le statut de réfugié politique.
Il convient dès lors, par souci de cohérence, d’analyser en premier lieu le volet de la décision ministérielle du 21 août 2017 ayant refusé d’accorder à Monsieur …le statut de réfugié politique, une réformation du jugement sur ce point rendant l’examen du volet subsidiaire de l’octroi ou non d’une protection subsidiaire sans objet.
A l’appui de son appel incident et en fait, l’intimé expose les faits et rétroactes gisant à la base de la décision entreprise, en précisant être de nationalité irakienne, de confession musulmane sunnite, être né à … et y avoir vécu avec sa famille dans le quartier …, avant son départ d’Irak. Il explique que son départ aurait été motivé par le fait qu’ayant été entre 2005 et 2015 policier dans l’unité anti-terroriste du ministère de l’Intérieur et participé à l’arrestation d’un grand nombre de terroristes, il aurait fait l’objet de menaces et d’attentats contre sa vie de la part d’un ancien terroriste et ancien dirigeant de la milice Armée du Mahdi, actuellement officier du Ministère de la Défense irakien et de la part de la milice Asa’ib Ahl al-Haq contre laquelle aucune protection ne serait garantie en Irak malgré son déménagement vers ….
L’intimé précise que les autorités policières et judiciaires irakiennes ne seraient pas en mesure, voire disposées à lui accorder une protection effective, en raison de l’absence de moyens, de la corruption qui règnerait au sein des institutions irakiennes, de la violence aveugle et de la situation de conflit interne en Irak. Quant aux motifs à la base des persécutions dont il aurait été victime, le demandeur invoque qu’il s’agirait de motifs religieux, politiques et/ou d’appartenance à un « double groupe social » et minoritaire, à savoir celui des « sunnites victimes d’une vendetta ».
L’intimé se prévaut d’un mandat d’arrestation émis, sur le fondement des articles 6 et 14 du code pénal des forces de sécurité intérieure irakien à son encontre en 2018 qu’il aurait reçu après la décision ministérielle déférée. Il estime que ce mandat d’arrêt démontrerait la réalité de son récit et des menaces à son encontre qui resteraient toujours d’actualité, d’autant plus que la milice en cause aurait été légalisée entretemps et aurait obtenu des pouvoirs similaires aux autorités irakiennes, de manière que sa vie se trouverait en danger réel au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015. Il ajoute qu’il se trouverait pris entre deux feux, soit les miliciens d’un côté et les autorités irakiennes d’un autre côté sans pouvoir bénéficier d’une fuite interne. Ainsi, les faits mis en avant par lui démonteraient qu’il craindrait de manière justifiée d’être persécuté, en cas de retour en Irak, pour des motifs cumulés sur base d’une des raisons visées par l’article 2 sub f) de la loi du 18 décembre 2015.
Il se dégage de la combinaison des articles 2 sub h), 2 sub f), 39, 40 et 42, paragraphe 1er, de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond y définis, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe 1er, de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de ladite loi, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.
Il s’y ajoute que dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure qu’un demandeur ne saurait bénéficier d’une protection internationale.
A l’instar des premiers juges, la Cour est amenée à dégager des éléments d’appréciation soumis en cause que les faits et motifs de persécution avancés par Monsieur …ne sont pas fondés sur un des critères de fond définis par la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés et à l’article 2 sub f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir sa race, sa religion, sa nationalité, ses opinions politiques ou son appartenance à un certain groupe social. Il y a en effet lieu de rappeler que l’intimé se prévaut en substance de plusieurs faits qui l’ont amené à quitter son pays d’origine et qui justifieraient l’octroi du statut de réfugié, à savoir, (i) le fait qu’un dénommé …, membre de la milice Asa’ib Ahl al-Haq, se soit informé sur lui et que ladite milice se soit rendue à son domicile pour lui parler, (ii) l’attaque de personnes non autrement identifiées qui ont tiré sur sa voiture à …, (iii) le fait qu’il ait été suivi par deux individus armés faisant partie de l’Asa’ib Ahl al-Haq.
Or, les premiers juges ont justement estimé que le simple fait pour Monsieur …d’être policier à … ne saurait être qualifié comme étant susceptible de le faire appartenir à un groupe social, ayant une identité innée et immuable, au sens de l’article 43, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015, et que les faits mis en avant par l’intimé ne peuvent dès lors pas être rattachés à son appartenance au groupe social « de la minorité religieuse sunnite dans un quartier à … majoritairement chiite » et à celui « des policiers de … ». Les premiers juges ont encore valablement considéré que le fait d’avoir participé en tant que policier à une arrestation et la crainte de subir des représailles pour cette raison, ne sauraient être rattachés à l’un des critères de fond susvisés tels qu’énumérés à l’article 2 sub f) de la loi du 18 décembre 2015.
A l’instar des premiers juges, force est également de constater que l’intimé n’émet que des suppositions quant à la réaction du prénommé … à son égard et en relation avec sa participation à son arrestation en 2010, de sorte que les craintes de l’intimé d’être victime de représailles en raison de sa confession sunnite ou de ses opinions politiques doivent être qualifiées de purement hypothétiques et ne permettent pas de retenir une crainte fondée de persécution en cas de retour dans son pays de provenance.
Cette conclusion n’est point invalidée par le mandat d’arrêt, nouvellement produit en instance d’appel, qui aurait prétendument été délivré à l’encontre de l’appelant en l’année 2018. En effet, le chef d’accusation fondé sur les articles 6 et 14 du code pénal des forces de sécurité intérieure sans autres précisions ne permet pas à première vue de retenir que l’intimé risque d’être arrêté pour des motifs arbitraires ou liés à son activité antérieure au sein d’une unité anti-terroriste. Quant à l’affirmation de l’intimé que ce mandat d’arrêt ne serait qu’un prétexte pour pouvoir l’arrêter du fait de son appartenance à la communauté sunnite, celle-ci reste à l’état de simple supposition.
Il s’ensuit que c’est à bon droit que le ministre d’abord, les premiers juges par la suite ont retenu que les conditions permettant l’octroi du statut de réfugié ne sont pas remplies dans le chef de Monsieur ….
Concernant ensuite l’appel étatique visant l’octroi, par les premiers juges, à Monsieur …du statut conféré par la protection subsidiaire, le délégué du gouvernement soutient que les conditions cumulatives posées par l'article 48 sub c) de la loi du 18 décembre 2015 ne seraient pas remplies dans le chef de l’intimé.
Plus particulièrement, la situation sécuritaire générale en Irak ne correspondrait pas aux critères de l'article 48 sub c) de la loi du 18 décembre 2015 et les juges auraient retenu à tort, par renvoi à un jugement rendu en date du 7 mai 2018 non encore définitif en raison de l’appel formé par l’Etat, que l’intimé « est confronté à un risque réel de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015, en cas de retour à …, de sorte qu’il y a lieu de lui octroyer le bénéfice de la protection subsidiaire ».
Le délégué reproche aux premiers juges d’avoir commis des erreurs d’appréciation dans le contexte de leur analyse des notions de « conflit armé interne » et de « violences aveugles », telles que ces notions ont été interprétées par la Cour de Justice de l'Union Européenne (« CJUE ») dans les affaires ELGAFAJI du 17 février 2009 et DIAKITE du 30 janvier 2014, et qu’ils n’auraient pas pris en compte les récentes évolutions en Irak. Il leur reproche plus particulièrement ainsi encore de ne pas avoir fait une analyse plus poussée de la situation sécuritaire en Irak, étant soutenu que seule une analyse complète, exhaustive et minutieuse de la situation sécuritaire actuelle de la région respectivement de la ville d'origine de Monsieur …aurait permis de trancher la question relative à l'existence de menaces graves et individuelles en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international au sens de l'article 48 sub c) précité.
Plus précisément, ce serait à tort que les premiers juges auraient retenu qu’« (…) il est indéniable que l’Etat irakien, appuyé par les milices chiites, lutte contre le groupe terroriste Etat islamique, sur une grande partie du territoire irakien, et particulièrement à … (…), de sorte que la condition de conflit armé interne, tel que défini par la CJUE dans l’arrêt « Diakité c. Belgique », y est remplie. (…) ». Ainsi, la situation de ce groupe terroriste aurait profondément changé en Irak au cours des derniers mois et que si l’« Etat islamique » aurait été fortement présent en 2014, tel ne serait plus le cas en 2018. Dès lors, on ne saurait conclure qu’une région d’Irak serait encore soumise à un « conflit armé interne » respectivement à des conflits pouvant atteindre un niveau tel qu’ils puissent être qualifiés de « violences aveugles ».
Il se réfère encore à différents rapports internationaux et à la jurisprudence internationale (not. autrichienne, allemande et belge) et il insiste sur le fait qu’il serait majoritairement reconnu dans les Etats membres de l'Union européenne que le seul fait d'être originaire d'Irak ou de … ne justifierait pas automatiquement l'octroi du statut conféré par la protection subsidiaire.
Concernant la situation sécuritaire à …, dernière ville de résidence de l'intimé, elle ne correspondrait pas aux critères de l'article 48 sub c) de la loi du 18 décembre 2015.
Le délégué expose qu’au regard des éléments soumis à la Cour (not. la jurisprudence internationale, les statistiques de l'Organisation des Nations Unies sur la ville de …), il conviendrait de constater que la ville de … ne saurait être considérée comme étant le théâtre de violences aveugles exposant chaque ressortissant, du seul fait de sa présence sur son territoire, au risque de subir des atteintes graves.
Il admet que si la ville de … se retrouverait fréquemment mise sur le devant de la scène médiatique en raison des violences qui s'y déroulent, il n'en demeurerait pas moins que la vie à … continuerait de suivre son cours, étant précisé que notamment les institutions, les établissements d'enseignement scolaire et universitaire, les transports, les restaurants, les chaînes de télévision fonctionneraient parfaitement.
Il est insisté encore sur le fait que l'Aéroport international de …, qui compterait plus de 7 millions de passagers par année, fonctionnerait et que de grandes compagnies aériennes telles que British Airways et Qatar Airways desserviraient …. Le même constat s'appliquerait à l'Université de … dont le site Internet témoignerait de la bonne marche de ses activités. Par ailleurs, la vie culturelle continuerait de s'organiser et de se développer.
En général, les structures étatiques continueraient de fonctionner, des élections parlementaires auraient eu lieu et elles auraient été considérées comme relativement bien organisées et des visites diplomatiques auraient toujours lieu à …. En outre, des ONG continueraient de délivrer une assistance et une protection aux civils touchés par le conflit en Irak.
Le délégué du gouvernement relève encore que les premières élections depuis la défaite de l’« Etat islamique » se sont déroulées en Irak le 12 mai 2018 sans incident majeur et dans une atmosphère sereine, de sorte qu’on ne saurait conclure à une dégradation de la situation sécuritaire à …, ce qui serait encore démontré par les dernières statistiques fournies par l’Organisation des Nation-Unies faisant état de 49 civils tués au mois de février 2018, respectivement 33 au mois de mars 2018 et 8 au courant du mois d’avril 2018.
Concernant plus particulièrement le quartier d’… à …, où l’intimé aurait vécu, force serait de constater que de nombreux cafés, restaurants, magasins, centres commerciaux, mosquées, écoles et autres centres médicaux seraient toujours ouverts et actifs. Le délégué relève encore que le fait que tous les membres de sa famille sont restés vivre à … dans le quartier de …, sans qu’il ne leur soit arrivé quelque chose, démontrerait que la situation sécuritaire serait stable.
Le délégué du gouvernement ajoute que la situation de l’intimé ne saurait pas non plus rentrer dans le champ des points a) et b) de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015. Il fait valoir qu’il se dégagerait des déclarations de l’intimé qu’il ne risquerait pas la peine de mort ou l’exécution, tout comme les faits par lui avancés manqueraient de la gravité nécessaire pour les qualifier de traitement inhumain ou dégradant.
L’intimé estime par contre remplir les conditions pour se voir accorder ledit statut, alors qu’il aurait d’ores et déjà fait l’objet à deux reprises de menaces graves et individuelles contre sa vie, respectivement de deux tentatives de meurtre par la milice chiite Asa’ib Ahl al-Haq qui ferait partie du gouvernement irakien. Ces incidents permettraient de croire qu’en cas de retour dans son pays d’origine, il ferait à nouveau l’objet d’une atteinte grave. Par ailleurs, il précise encore qu’il aurait dû démissionner de manière précipitée de ses fonctions auprès de la police irakienne et qu’en cas de retour, il serait probablement exposé à une peine de mort ou à l’exécution par le gouvernement irakien ou les milices chiites qui en feraient partie intégrante.
Il sollicite la confirmation du jugement entrepris sur base de la situation de conflit armé régnant dans son pays d’origine et de l’absence de toute possibilité de se prévaloir d’une protection efficace de la part des autorités irakiennes au vu des exactions commises par les milices chiites à l’égard de la minorité sunnite et de leur rôle au sein du fonctionnement de l’Etat irakien. Il souligne que les milices chiites seraient en partie soutenues par des puissances étrangères, que le parlement irakien leur aurait accordé un statut légal et un rôle d’auxiliaires des forces de sécurité irakiennes et que la justice irakienne ne serait pas efficace et servirait surtout à protéger les intérêts des milices, de manière que ces dernières bénéficieraient d’une impunité certaine pour leurs crimes. L’intimé en déduit qu’il se trouverait sous la menace directe de la milice chiite Asa’ib Ahl al-Haq et des autorités irakiennes, matérialisée par le mandat d’arrêt émis à son encontre, avec la conséquence qu’il pourrait subir une exécution arbitraire ou une peine d’emprisonnement dans des conditions inhumaines. En s’appuyant sur différents articles de presse, il estime que la ville de … serait le théâtre d’attentats meurtriers réguliers et d’exactions commises par des groupes extrémistes chiites et que cette situation correspondrait à un conflit armé. Il met en avant qu’en tant que policier d’une unité anti-
terroriste ayant collaboré avec les Américains dans la lutte contre le terrorisme, il se verrait exposé au risque concret de réalisation des menaces encourues. L’intimé conclut partant à la confirmation du jugement entrepris sur base de l’article 48 sub c) de la loi du 18 décembre 2015, sinon sur base des points a) ou b) dudit article 48 en raison du risque pour lui de subir une exécution arbitraire et de la crainte constante qu’il devrait avoir en Irak que les menaces pesant sur sa personne se réalisent sans pouvoir bénéficier d’une protection adéquate.
Finalement, l’intimé invoque une violation du principe d’égalité devant la justice et la loi en arguant que plusieurs personnes nommément désignées s’étant trouvées dans la même situation que lui-même auraient bénéficié du statut de réfugié ou de celui de la protection subsidiaire et qu’un traitement similaire devrait partant être réservé à sa propre demande de protection internationale.
C’est tout d’abord à bon droit que les premiers juges ont cadré la demande du bénéfice de la protection subsidiaire par rapport aux dispositions des articles 2 sub g) et 48 de la loi du 18 décembre 2015.
Aux termes de l’article 2 sub g) de la loi du 18 décembre 2015 : « Tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays. (…) ».
L’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 définit comme atteintes graves : « a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Ceci dit, il y a lieu de distinguer entre les différentes régions d’un pays afin de décider, au cas par cas, si les conflits dans une certaine zone peuvent être qualifiés de « conflit armé interne » au sens de l’article 48 sub c) de la loi du 18 décembre 2015, conflit qui doit engendrer une violence aveugle telle que la personne concernée, dans sa situation personnelle et individuelle, se trouve exposée à un risque réel d’atteintes graves à sa vie en cas de retour dans son pays d’origine.
Au regard de l’ensemble des éléments d’appréciation lui soumis, la Cour est amenée à reconnaître que la situation de sécurité était et reste dangereuse et précaire dans différentes parties de l'Irak, et en particulier dans la ville de …, étant donné que les incidents violents continuent d’être nombreux et largement répandus. Si les derniers chiffres dont la Cour dispose témoignent indubitablement de nombreuses victimes dans la ville de … où Monsieur …a vécu avant son départ, à savoir 49 civils tués dans des attentats au mois de février 2018, 33 au courant du mois de mars 2018 et 8 au courant du mois d’avril 2018, il n’en reste pas moins que ces chiffres doivent être mis en relation avec le nombre total de la population vivant à …, à savoir environ 8 millions d’habitants. Or, sur base de la mise en relation du nombre des victimes d’incidents violents avec la population totale, il n’appert pas que la simple présence d’un individu à …, l’expose ipso facto, avec un certain degré de probabilité, à des menaces individuelles graves.
Ainsi, le seul fait d'être originaire d'Irak et, plus particulièrement, de … n’est pas un élément justifiant à lui seul et automatiquement l'octroi du statut conféré par la protection subsidiaire.
La Cour tient également à renvoyer à son arrêt du 27 mars 2018 (n° 40740 du rôle) dans lequel elle est arrivée à la conclusion suivante : « Sous l’angle de l’article 48, point c), de la loi du 18 décembre 2015, s’il résulte à la lecture des informations versées au dossier que la situation sécuritaire en Irak en général et à … en particulier où les intimés vivaient avant leur départ d’Irak, est grave et essentiellement évolutive, il ne se dégage cependant pas des éléments du dossier qu'il existerait, du fait de cette situation des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne des époux (…) ».
Ce constat ne se trouve pas invalidé à l’heure actuelle, dès lors que depuis le printemps 2018, la situation sécuritaire à … ne s’est pas dégradée, étant relevé que les structures étatiques avec ses institutions, les établissements d'enseignement scolaire et universitaire, les transports, les restaurants et les médias fonctionnent parfaitement et que des élections se sont déroulées en Irak le 12 mai 2018 sans incidents majeurs.
Pour le surplus, au vu des éléments du dossier, il y a lieu de conclure qu’il n’existe pas non plus d’éléments susceptibles d’établir qu’il existerait de sérieuses raisons de croire que Monsieur …encourrait, en cas de retour dans son pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 sub a) et sub b) de la loi du 18 décembre 2015, l’intéressé omettant encore d’établir qu’il risquerait d’encourir la peine de mort ou l’exécution, respectivement de devoir subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants.
L’argument de l’intimé tiré de la violation du principe d’égalité des justiciables ne saurait être accueilli dans la mesure où les indications fournies par l’intimé ne permettent pas de vérifier de manière circonstanciée si les personnes par lui visées se trouvent effectivement dans une situation strictement parallèle à la sienne.
Au vu de ce qui précède, c’est dès lors à tort que les premiers juges ont accordé à Monsieur …le statut conféré par la protection subsidiaire et il y a lieu, par réformation du jugement entrepris, de rejeter le recours en réformation dirigé contre la décision du ministre du 21 août 2017 portant rejet de la demande de protection internationale de Monsieur …et lui ordonnant de quitter le territoire.
PAR CES MOTIFS la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause, reçoit les appels principal et incident en la forme, au fond, déclare l’appel incident non justifié et en déboute l’intimé, déclare l’appel principal justifié, partant, par réformation du jugement du 7 juin 2018, rejette le recours en réformation dirigé contre la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 21 août 2017 portant rejet de la demande de protection internationale de Monsieur … et ordre de quitter le territoire ;
condamne Monsieur … aux dépens des deux instances.
Ainsi délibéré et jugé par:
Henri CAMPILL, vice-président, Serge SCHROEDER, premier conseiller, Lynn SPIELMANN, conseiller, et lu à l’audience publique du 16 octobre 2018 au local ordinaire des audiences de la Cour par le vice-président, en présence du greffier assumé de la Cour Colette MORIS.
s. MORIS s. CAMPILL Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 16 octobre 2018 Le greffier de la Cour administrative 8