La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

28/06/2018 | LUXEMBOURG | N°40849C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 28 juin 2018, 40849C


28 GR AND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 40849C Inscrit le 2 mars 2018

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Audience publique du 28 juin 2018 Appel formé par la société en commandite par actions …, …, contre un jugement du tribunal administratif du 22 janvier 2018 (n° 37534 du rôle) dans un litige opposant la société à responsabilité limitée …, …, à l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg en matière d’impôts

---------------------------------------

-------------------------------------------------------------------------

Vu l’acte d’appel,...

28 GR AND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 40849C Inscrit le 2 mars 2018

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Audience publique du 28 juin 2018 Appel formé par la société en commandite par actions …, …, contre un jugement du tribunal administratif du 22 janvier 2018 (n° 37534 du rôle) dans un litige opposant la société à responsabilité limitée …, …, à l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg en matière d’impôts

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 40849C du rôle, déposé au greffe de la Cour administrative le 2 mars 2018 par Maître Nicolas THIELTGEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société en commandite par actions de droit luxembourgeois … (LUXEMBOURG) …, établie et ayant son siège social à L-…, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le n° B … et inscrite au Companies House anglais comme overseas company sous le n° …, sous procédure de liquidation judiciaire en Angleterre et placée en liquidation judiciaire sous le Insolvency Act anglais de 1986, par ordre du 1er décembre 2011 de l’honorable Mr. …de la Chancery Division, Companies Court, in the High Court of Justice (n° 10471 de 2011), à titre de procédure principale sous l’article 3 du règlement européen en matière de procédures d’insolvabilité du 29 mai 2000, avec siège d’activité principal actuel à .., (Royaume-Uni), représentée par ses deux liquidateurs actuellement en fonctions, Monsieur …, sans état particulier, né le …, demeurant professionnellement à … (Royaume-Uni), et Monsieur …, sans état particulier, né le …, demeurant professionnellement à … (Royaume-Uni), dirigé contre un jugement rendu par le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg le 22 janvier 2018 (n° 37534 du rôle), par lequel ledit tribunal, vidant avant tout autre progrès en cause la question de la recevabilité de sa requête en intervention volontaire et celle de son accès aux actes de procédure et aux pièces de l’instance principale, toutes autres questions et moyens de forme et de fond relatifs à l’instance principale demeurant saufs, a déclaré irrecevable pour défaut d’intérêt son intervention volontaire dans le cadre du recours formé par la société à responsabilité limitée …, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, établie et ayant son siège social à L-…, représentée par son organe de gestion actuellement en fonction, et tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du directeur de l’administration des Contributions Directes du 14 janvier 2016 (n° C 21188 du rôle), portant rejet de sa réclamation introduite à l’encontre du bulletin de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux pour l’année 2006, du bulletin de l’impôt sur le revenu des collectivités pour l’année 2006 et du bulletin de l’impôt commercial communal pour l’année 2006, tous émis le 1er juillet 2015 ;

Vu l’exploit de l’huissier de justice Guy ENGEL, demeurant à Luxembourg, du 2 mars 2018 ayant porté signification de cette requête à la société à responsabilité limitée …, préqualifiée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 14 mars 2018 ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 29 mars 2018 par la société en commandite simple …, établie à L…, inscrite sur la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du Barreau de Luxembourg, représentée par son gérant, la société à responsabilité limitée …, établie à la même adresse, représentée par Maître Marc KLEYR, avocat à la Cour, pour compte de la société à responsabilité limitée de droit luxembourgeois …;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe de la Cour administrative le 30 avril 2018 par Maître Nicolas THIELTGEN pour compte de la société en commandite par actions de droit luxembourgeois … (LUXEMBOURG) …, préqualifiée ;

Vu le mémoire en duplique déposé au greffe de la Cour administrative le 24 mai 2018 par la société en commandite simple …, représentée par son gérant, la société à responsabilité limitée …, représentée par Maître Marc KLEYR, avocat à la Cour, pour compte de la société à responsabilité limitée de droit luxembourgeois … ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;

Le rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maîtres Nicolas THIELTGEN et Mélanie TRIENBACH et Monsieur le délégué du gouvernement Eric PRALONG en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 7 juin 2018.

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

En date du 1er juillet 2015, le bureau d’imposition Sociétés 6 de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par le « bureau d’imposition », émit à l’égard de la société à responsabilité limitée …, ci-après désignée par la « société … », sur le fondement du § 222, n° 1, de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO », des bulletins rectificatifs pour l’année 2006 en matières d’impôt sur le revenu des collectivités et d’impôt commercial communal, le bulletin de l’impôt sur le revenu ayant qualifié de distributions cachées de bénéfices des sommes traitées par la société … comme une charge comptable en relation avec un rachat de « Convertible Preferred Equity Certificates », en abrégé « … ».

En conséquence de ces bulletins rectificatifs, le bureau d’imposition émit encore le même jour le bulletin de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux pour l’année 2006 exigeant le paiement d’une retenue à la source de 20 % sur le montant de cette distribution cachée de bénéfice.

La société … fit introduire en date du 14 juillet 2015 une réclamation contre ces bulletins auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par le « directeur », réclamation qui fut rejetée par une décision du directeur du 14 janvier 2016 (n° C 21188 du rôle).

Par une requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 18 février 2016, et inscrite sous le numéro 37534 du rôle, la société … fit introduire un recours tendant à la réformation sinon à l’annulation de la décision du directeur du 14 janvier 2016.

Par une requête introduite le même jour et inscrite sous le numéro 37535 du rôle, la société … demanda encore au président du tribunal administratif d’ordonner le sursis à l’exécution par rapport à ladite décision du directeur. Par une ordonnance du 29 février 2016, le président du tribunal administratif ordonna le sursis à l’exécution de la décision du directeur du 14 janvier 2016 jusqu’au jour où le tribunal aura statué sur le mérite du recours introduit sous le numéro 37534 du rôle.

Par une requête en intervention volontaire, déposée au greffe du tribunal administratif en date du 21 septembre 2017, la société en commandite par actions de droit luxembourgeois … (LUXEMBOURG) …, ci-après désignée par la « société …», sous procédure de liquidation judiciaire en Angleterre, sollicita le droit d’intervenir volontairement dans le cadre de la procédure portant le numéro 37534 du rôle.

Après avoir donné aux parties la faculté de prendre position par rapport à cette requête, le tribunal administratif, dans son jugement du 22 janvier 2018, vidant avant tout autre progrès en cause la question de la recevabilité de la requête en intervention volontaire de la société …… et celle de son accès aux actes de procédure et aux pièces de l’instance principale, toutes autres questions et moyens de forme et de fond relatifs à l’instance principale demeurant saufs, déclara l’intervention volontaire de la société …… irrecevable pour défaut d’intérêt, condamna cette dernière aux frais engendrés par sa requête en intervention volontaire et les actes de procédure y relatifs, rejeta la demande de la société … tendant à ordonner l’effet suspensif du recours sur le fondement de l’article 35 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après désignée par la « loi du 21 juin 1999 », et réserva les frais de l’instance principale.

Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 2 mars 2018, la société …… a fait régulièrement relever appel de ce jugement du 22 janvier 2018.

Quant aux faits et rétroactes, elle expose avoir été utilisée comme véhicule d'investissement par les fonds d'investissement … et … pour prendre le contrôle en 2005 d'un opérateur grec de téléphonie mobile au travers de nombreuses entités luxembourgeoises.

Ainsi, elle aurait eu pour actionnaire unique la société à responsabilité limitée …, ci-après dénommée la « société … », actuellement en instance de faillite, elle-même détenue intégralement par la société …, laquelle aurait été détenue par plusieurs entités liées aux fonds d'investissement … et …. Dans le cadre d'un refinancement du groupe …décidé par les fonds d’investissement, elle aurait émis, entre juin 2005 et janvier 2006, plusieurs instruments financiers … en faveur de la société ….

Sur base de résolutions adoptées par la société …, en sa qualité de gérant et d'associé commandité de l’appelante, en date du 18 décembre 2006 et à travers la conclusion d'une convention de rachat (« redemption agreement ») entre l’appelante et la société … en date du 21 décembre 2006, il aurait été décidé de procéder au rachat anticipé des … détenus par … et ce au prix unitaire de … euros, aboutissant à un prix total de … euros, alors même que la valeur nominale des … aurait été de … euro par …. Après avoir reçu le produit du rachat des …, les fonds d’investissement prévisés auraient décidé par la suite, en février 2007, de céder le groupe …à un investisseur tiers, la société …, au moyen d'une cession des actions de la société … et des … restants pour une valeur nominale de … euro par ….

Dans la mesure où elle n’aurait pas disposé des réserves suffisantes pour lui permettre de payer ce prix de rachat et où cette opération de rachat anticipé aurait entraîné son insolvabilité, l’appelante aurait été placée sous administration judiciaire au Royaume-Uni dès novembre 2009, puis en liquidation judiciaire en novembre 2011. A travers ses liquidateurs, elle aurait intenté une action devant le tribunal d’arrondissement de Luxembourg pour voir ordonner la nullité des résolutions du 18 décembre 2006 et de la convention de rachat du 21 décembre 2006 et pour demander le remboursement de la somme payée dans ce contexte, au motif que cette opération de rachat aurait été réalisée en violation des dispositions impératives de la loi modifiée du 10 août 2015 concernant les sociétés commerciales, ci-après désignée par la « loi du 10 août 2015 », et, plus particulièrement, de ses articles 72-1 et 167 interdisant les distributions aux actionnaires en l’absence de bénéfice, ainsi qu’en violation des « terms and conditions ». Par jugement du 23 décembre 2015, le tribunal d’arrondissement de Luxembourg l’aurait déboutée de sa demande. L’appel serait actuellement pendant devant la Cour d’appel de Luxembourg.

En outre, les liquidateurs de l’appelante auraient été informés que l’opération de rachat litigieuse avait fait l’objet de plusieurs décisions du bureau d’imposition en dates des 16 juin 2005, 11 janvier et 3 mai 2006, respectivement 7 mars 2007 et de bulletins d’imposition émis en conséquence. S’étant néanmoins rendus compte que toutes les informations utiles et nécessaires n’auraient pas été transmises à l’administration des Contributions directes dans le contexte de l’adoption des décisions, les liquidateurs auraient informé celle-ci de « l’existence de faits nouveaux de nature à justifier de revenir sur les différentes décisions anticipatives et sur les bulletins d’imposition précédemment émis ». Suite à des investigations menées sur base de ces informations, le bureau d'imposition aurait émis le 1er juillet 2015 les bulletins rectificatifs prévisés, par l’effet desquels la perte commerciale déclarée de l’ordre de … euros pour l’année 2006 aurait été réduite à … euros à travers la réintégration, en tant que distribution cachée de bénéfice, de la somme de … euros déclarée à l’origine comme une charge déductible. L’appelante expose qu’elle-même se serait également vu notifier par le bureau d’imposition deux bulletins rectificatifs pour l’année d’imposition 2006, datant du 11 mars 2015, au titre de l’impôt sur le revenu des collectivités et de l’impôt commercial communal. Elle se serait, en outre, vu infliger une amende de … euros pour fausse déclaration de ses résultats pour l’année d’imposition 2006.

L’appelante critique le jugement entrepris en ce qu'il lui a refusé le droit d'intervenir dans la procédure pendante devant le tribunal administratif au motif que celle-ci serait prétendument dépourvue de tout intérêt à agir.

Elle estime d’abord qu’elle aurait respecté les formes auxquelles l’article 20 de la loi du 21 juin 1999 soumettrait une intervention volontaire.

Quant à la condition de ne pas retarder l'instruction de l'affaire, l’appelante soutient que l'article 20 de la loi du 21 juin 1999 devait être concilié avec le droit d'accès à un recours effectif qui serait garanti, notamment, par les dispositions de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH) en ce sens qu'il devrait être permis à la partie intervenante de retarder la procédure seulement dans le but d'assurer sa propre défense et pour permettre aux autres parties d'y répliquer, lecture qui se trouverait confirmée par la loi du 21 juin 1999 en ce qu’elle accorde à chacune des parties un délai d'un mois pour communiquer un mémoire supplémentaire lorsque l'intervention est faite alors que tous les mémoires ont été échangés. L’appelante déclare avoir appris en toute dernière minute l'existence de la procédure contentieuse en cause engagée par la société … en l’absence d’une signification à son égard ou d’une publication des actes décisionnels en cause, la mise en ligne des décisions des juridictions administratives ou la publication d’un article de presse concernant l’ordonnance du 29 février 2016 ne pouvant pas être considérées comme communications de ces actes à son égard. En outre, quel qu’aurait été le stade de procédure, son intervention aurait de toute façon emporté la nécessité de conférer aux autres parties la faculté de prendre position et aurait partant en toute occurrence causé un retard. Ce serait donc à tort que le jugement entrepris a considéré que l'intervention signifiée un an et sept mois après le dépôt du recours contentieux et quelques jours avant l'audience de plaidoiries est faite dans de telles conditions qu'elle serait de nature à différer le jugement à intervenir par rapport à l'instance principale.

En deuxième lieu, l’appelante argue que l'appréciation de l'intérêt à agir de la partie intervenante ne serait pas subordonnée, au stade de l'examen de la recevabilité de la requête, à l'indication précise des raisons pour lesquelles elle entend intervenir en défense ou en appui d'un recours, son intérêt ne se confondant pas nécessairement parfaitement avec celui de l'une ou l'autre des parties, alors que la jurisprudence requérait seulement un intérêt à intervenir qui ne serait pas défini par rapport à celui des autres parties. Par ailleurs, ce serait à tort que le jugement entrepris a relevé que les intérêts de l’appelante ne se confondraient pas avec les intérêts de l'Etat. L’intérêt de l’appelante d’un point de vue strictement administratif correspondrait à celui de l’Etat tendant à ce que la décision du directeur retenant l’existence d’une distribution cachée de bénéfices soit confirmée en ce qu’elle viserait à taxer une opération lorsque celle-ci a eu lieu à la condition implicite qu’elle existe, l'Etat n'ayant pas intérêt à taxer à tout prix et à faire comme si une opération rétroactivement annulée existait toujours. Même si l’objet du procès civil serait celui de voir annuler l'opération litigieuse alors que l'objet de l'intervention serait la défense de la décision attaquée, cet intérêt se rapporterait uniquement à la procédure pendante devant les juridictions civiles et il n'y aurait pas d'opposition entre les procédures civiles et administratives, puisqu'elles interviendraient chacune dans leur ordre propre. En tout état de cause, ce ne serait pas parce que le maintien de la décision directoriale déférée supposerait l’existence de l’opération de rachat des … que la demande de l’Etat et celle de l’appelante tendraient au maintien de la décision de rachat des …, sa demande étant faite pour le cas où la décision de rachat ne devrait pas être considérée comme nulle. L’appelante conclut que ce serait partant à tort que le jugement entrepris a apprécié son intérêt à intervenir au regard de la prétendue contradiction par rapport aux intérêts des autres parties et que le jugement entrepris a considéré que la circonstance que ses intérêts ne se confondraient ni avec ceux de la partie défenderesse, ni avec ceux de l’Etat serait ainsi de nature à mettre en doute l'intérêt de celle-ci à la solution de l'affaire.

En troisième lieu, l’appelante critique le motif dans le jugement entrepris suivant lequel elle ne serait pas directement affectée par la décision litigieuse qui concernerait exclusivement la situation fiscale de la société …. Elle rappelle d’abord qu'elle se prévaudrait d'une lésion dérivant directement du recours contre l'acte attaqué en ce sens que ce serait bien le dispositif de la décision déférée qui influencerait sa situation personnelle, en ce que le directeur confirmerait les bulletins d’impôt ayant retenu que la société … aurait effectué une distribution cachée de bénéfices concernant les sommes payées dans le cadre du rachat des …, et qu’elle subirait un préjudice direct en cas d’annulation de cette décision. En effet, dans cette hypothèse, le jugement obtenu serait notamment utilisé par la société … pour lui causer préjudice dans le cadre des procédures judiciaires qui les opposent. En outre, la confirmation de l’existence d’une distribution cachée de bénéfices au niveau de la société … impliquerait une diminution de l’actif net motivée par une relation d’actionnaire et la reconnaissance nécessaire de la même qualification de l’opération de rachat effectuée niveau de l’appelante même. L’appelante en déduit qu’elle retirerait du fait du rejet du recours dirigé contre la décision attaquée une satisfaction certaine et personnelle résultant du fait qu’elle pourrait être confortée dans sa vision de l'opération de rachat des … en tant qu’opération illégale ayant entraîné sa déconfiture et en tant que fraude. Elle estime ensuite que ce serait bien la solution du litige au principal dans le sens d'une confirmation de la décision du directeur à propos de la situation fiscale de la société … qui l’intéresserait et non pas la motivation éventuelle du jugement à intervenir. Elle souligne à cet escient qu’elle ne rechercherait pas à obtenir un jugement administratif pour le faire valoir dans le cadre d'une procédure civile, qu’elle disposerait bien d'un intérêt administratif à la solution du litige et que la jurisprudence luxembourgeoise aurait bien reconnu que le simple risque de création d'un préjugé défavorable constituerait un intérêt à agir suffisant. L’appelante invoque encore à son profit un intérêt moral à la solution du litige, au motif qu’elle aurait subi du fait de l’opération de rachat décidée par la société … une perte financière considérable ayant conduit à sa mise en liquidation et qu’en cas d’une infirmation de la décision directoriale par le juge administratif, elle subirait en quelque sorte une double peine du fait de l’injustice de cette situation et de l’atteinte à sa crédibilité. Elle indique que ses liquidateurs auraient une mission relevant de l’ordre public et devraient respecter un certain nombre de devoirs, dont celui d’agir dans l’intérêt des créanciers de la société en liquidation.

Finalement, l’appelante conteste le déni d’un intérêt à intervenir dans son chef par renvoi à sa propre situation fiscale. Elle souligne que l'imposition rectificative dont elle aurait fait l'objet serait la conséquence directe et unique de l'opération de rachat des … décidée par la société … en tant que son gérant et associé commandité et subie par elle-même.

Les premiers juges ont valablement tracé le cadre légal relatif à la recevabilité et au régime procédural d’une intervention volontaire en retenant qu’une telle intervention n’est réglée en contentieux administratif luxembourgeois que par l’article 20 de la loi du 21 juin 1999, - lequel ne constitue d’ailleurs qu’une retranscription de l’ancien article 22 de l’arrêté royal grand-ducal du 21 août 1866 portant règlement de procédure en matière de contentieux devant le Conseil d’Etat - disposant que : « L’intervention est formée par une requête, conforme aux dispositions des articles 1er et 2, qui est notifiée aux parties, pour y répondre dans le délai fixé par le président du tribunal ou le président de la chambre appelée à connaître de l’affaire principale ; néanmoins, la décision de l’affaire principale qui serait instruite ne peut être retardée par une intervention. Lorsque l’intervention est faite après que tous les mémoires prévus par l’article 5 ont été échangés, les parties défenderesses sur intervention peuvent communiquer dans le mois, à peine de forclusion, un mémoire supplémentaire. L’intervention n’est plus recevable après que le juge-rapporteur a commencé son rapport en audience publique ».

La recevabilité d’une intervention est soumise à différentes conditions, soit expressément prévues par l’article 20 de la loi du 21 juin 1999, soit se dégageant des principes généraux relatifs à la procédure administrative contentieuse.

Ainsi, l’admissibilité d’une intervention volontaire est conditionnée par l’existence d’un intérêt à agir suffisant dans le chef de l’intervenant. Les qualité et intérêt de l'intervenant volontaire se mesurent aux qualité et intérêt pour former tierce opposition, lesquels sont conditionnés par le préjudice pouvant résulter pour lui du dispositif de la décision au principal, lequel peut seul faire l'objet d'une tierce opposition. Si une simple atteinte à des intérêts lésés, susceptible de trouver une satisfaction par d'autres voies ne suffit pas pour fournir un intérêt à agir au biais d'une tierce opposition, il n'en reste pas moins qu'au-delà d'un intérêt direct et immédiat, un intérêt indirect, sinon une crainte raisonnable d'un préjudice pouvant résulter du jugement rendu sur la demande principale, peuvent constituer des motifs suffisants pour justifier la tierce opposition et par conséquent le droit d'intervention volontaire (cf. trib. adm.

10 mai 2000, n° 11539 et autres décisions visées par Pas. adm. 2017, V° Procédure contentieuse, n° 461).

D’un autre côté, la recevabilité d’une requête en intervention est non seulement conditionnée par l’existence d’un intérêt direct ou indirect à l’issue de l’affaire principale, mais son objet est encore limité en ce sens que l’intervenant peut seulement étayer les moyens développés dans la requête principale, mais ne peut pas étendre la portée de la requête introductive d’instance, ni exposer des moyens nouveaux, de sorte qu’il ne peut que s’associer à l’action principale (cf. Cour adm. 14 juillet 2015, n° 36312C et autres décisions visées par Pas. adm. 2017, V° Procédure contentieuse, n° 464). La même limitation doit s’appliquer dans l’hypothèse où une intervention est destinée à appuyer non pas une requête principale, mais l’Etat en défense de la validité d’un acte émis en son nom.

Au niveau de la situation fiscale personnelle de l’appelante, il convient de relever qu’elle a fait l’objet de bulletins rectificatifs de l’impôt sur le revenu des collectivités et de l’impôt commercial communal pour l’année 2006, émis le 11 mars 2015, qui ont retenu dans son chef une distribution cachée de bénéfices à hauteur de … € et ont partant réduit sa perte commerciale déclarée de … € au montant de … €, tout en maintenant les cotes de l’impôt sur le revenu des collectivités et de l’impôt commercial communal à zéro au vu du revenu imposable négatif fixé.

Or, il découle des § 213 (1) et § 232 (1) AO que l’élément décisionnel d’un bulletin d’impôt stricto sensu consiste dans la fixation d’une cote d’impôt à charge du contribuable et que les bases d’imposition constatées dans ce bulletin sous-tendent certes la fixation de la cote d’impôt pour en constituer en quelque sorte la motivation, mais ne constituent pas en elles-

mêmes un élément décisionnel propre. C’est dans cette logique que le seul élément décisionnel de la cote d’impôt est susceptible d’acquérir force de chose décidée et que le § 232 (1) AO n’admet un recours que contre un bulletin d’impôt mettant à la charge du contribuable visé une obligation positive de payer une certaine cote d’impôt, entraînant qu’un bulletin ne fixant pas de cote d’impôt positive ne saurait partant en principe ouvrir le droit à réclamation, faute de charge fiscale imposée au contribuable lui causant grief.

Conformément à ces principes, lorsqu’un bulletin fixe une cote d’impôt égale à zéro, donc pas de cote d’impôt positive, et reconnaît en plus une perte dans le chef du contribuable au titre de l’exercice en question, la perte retenue dans un tel bulletin n’a pas la valeur d’une décision définitive et irrévocable pour les années d’imposition ultérieures au cours desquelles la perte donnera lieu à un report de perte. La détermination définitive et irrévocable de cette perte n’aura lieu que dans le bulletin relatif à l’année d’imposition subséquente pendant laquelle le report de perte sera utilement pris en considération pour se répercuter sur la cote d’impôt (…, La procédure contentieuse en matière d’impôts directs, Etudes fiscales, nos 81-

85, p. 103 ; trib. adm. 4 février 1998, n° 9850, Pas. adm. 2017, V° Impôts, n° 867 et autres décisions y visées). Le contribuable n’est pas ainsi admis à introduire un recours directement contre le bulletin fixant une cote d’impôt égale à zéro, mais doit contester le montant de la perte retenue dans le cadre d’une réclamation contre le bulletin opérant le report de la perte reconnue par imputation sur le bénéfice imposable de cet exercice et fixant pour la première fois une cote d’impôt supérieure à zéro.

Par voie de conséquence, la loi dénie à l’appelante un intérêt reconnu afin de contester directement les bulletins rectificatifs émis à son égard le 11 mars 2015 et partant également la requalification du prix de rachat des … payé par elle en distribution cachée de bénéfices.

L’appelante ne pourrait faire valoir pareille contestation que dans le cadre d’un recours contre un bulletin d’impôt pour une année d’imposition ultérieure ayant fixé une cote d’impôt positive au vu d’un bénéfice dégagé au titre de cette année et après le report des pertes antérieures, hypothèse qui appert comme plutôt hypothétique dans le chef de l’appelante au vu de son placement, au Royaume-Uni, sous administration judiciaire dès novembre 2009, puis en liquidation judiciaire en novembre 2011.

Il convient ainsi de constater qu’à travers son intervention volontaire dans le cadre du recours introduit par la société …, l’appelante entend participer à un débat et obtenir une décision de justice quant à un litige fiscal qu’elle ne peut pas engager elle-même au stade actuel, même si la question à la base dudit litige correspond à celle qui se pose également par rapport aux bulletins rectificatifs émis à l’égard de l’appelante le 11 mars 2015. En outre, ce litige fiscal concerne le cas d’imposition isolé d’un autre contribuable, en l’occurrence la société …, et une décision judiciaire définitive quant à ce cas d’imposition n’influe pas de manière dirimante sur le cas d’imposition de l’appelante qui reste libre de porter devant les instances administratives et judiciaires le litige fiscal parallèle la concernant personnellement, en invoquant tous les moyens dont elle entend se prévaloir, du moment que la qualification retenue dans les bulletins du 11 mars 2015 lui causera un grief effectif, à savoir du moment qu’elle se verra imposer le paiement d’une cote d’impôt positive. L’intérêt fiscal lésé de l’appelante est dès lors susceptible de trouver une satisfaction par d'autres voies.

Au-delà de ce refus d’un droit d’agir direct contre ses propres impositions à l’appelante, son intérêt purement fiscal consiste à voir reconnaître la validité de son résultat négatif déclaré de … euros en vue d’un report de cette perte sur d’éventuels bénéfices d’exercices ultérieurs. Or, cet intérêt implique que le prix de rachat des … payé par elle à la société … ne soit pas qualifié comme distribution cachée de bénéfices non déductible du résultat imposable, de manière que cet intérêt se recoupe plutôt avec celui de la société … qui entreprend la décision directoriale du 14 janvier 2016 précisément dans le but de contester la qualification comme distribution cachée de bénéfices dans le chef de sa propre opération de rachat de … se situant dans la même suite d’opérations en cascade que celle effectuée par l’appelante même. L’appelante entend pourtant appuyer précisément la position contraire de l’Etat défendant la validité de la décision directoriale du 14 janvier 2016.

Cette position adoptée par l’appelante à l’appui de l’Etat défendeur ne s’explique dès lors pas par un intérêt strictement fiscal sur base de ses opérations reconnues comme ayant été valablement effectuées, mais par contre par un intérêt se situant, au-delà des qualifications fiscales de ses opérations, au niveau de la mise en cause des opérations en tant que telles et de leur annulation rétroactive qui lui permettrait de récupérer le montant payé à la société … au titre du rachat des … émis par elle, ce paiement se trouvant, d’après ses propres affirmations, à l’origine de sa mise sous administration judiciaire puis en liquidation judiciaire. Or, s’il est vrai que l’appelante argue que la qualification des opérations de rachat des … comme distributions cachées au sens de l’article 164 LIR pourrait influer sur la question de la qualification des … comme instrument de dette ou de capital au niveau du droit des sociétés, question se trouvant au cœur du procès engagé par elle afin d’obtenir l’annulation judiciaire de l’opération de rachat effectuée par elle, il n’en reste pas moins que le dispositif de la décision directoriale du 14 janvier 2016, voire celui d’un jugement du tribunal administratif statuant sur le recours contre cette décision directoriale, dont l’objet est limité à la confirmation ou la modification de cotes d’impôt fixées dans les bulletins en cause à l’égard d’un autre contribuable, ne saurait être considéré comme exerçant, au-delà des questions de qualification fiscale d’opérations similaires à celles accomplies par la société …, sur le procès diligenté par l’appelante devant les juridictions judiciaires et portant sur une qualification des opérations visées en droit commercial et en droit des sociétés, une influence telle que l’appelante pourrait se prévaloir d’un intérêt à agir suffisant afin de se voir admettre à intervenir volontairement dans le cadre du recours formé par la société … contre la décision directoriale du 14 janvier 2016 portant sur le seul cas d’imposition de cette société.

Il s’ensuit que l’appel sous examen laisse d’être justifié et que le jugement entrepris est à confirmer en conséquence.

La société … sollicite l’octroi d’une indemnité de procédure de … euros pour chacune des deux instances en se prévalant de la nécessité pour elle de se faire représenter par un avocat afin d’assurer la défense de ses intérêts et en arguant que l’appelante entendrait retarder l’affaire fiscale et accéder au dossier et aux mémoires échangés dans le cadre de son recours afin de s’en servir dans le cadre du procès pendant devant les juridictions judiciaires, ce qui correspondrait à une situation rendant inéquitable de laisser à sa charge les sommes exposées par elle et non comprises dans les dépens.

Il y a cependant lieu de rejeter comme non justifiée cette demande, étant donné qu’il n’est pas inéquitable de laisser à charge de l’appelante les frais irrépétibles au vu de l’ensemble des éléments du dossier et nonobstant la solution au fond du litige.

PAR CES MOTIFS la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause, reçoit l’appel du 2 mars 2018 en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute l’appelante, partant, confirme le jugement entrepris du 22 janvier 2018, rejette la demande de la société … en allocation d’une indemnité de procédure de 5.000 euros pour chacune des deux instances, condamne l’appelante aux dépens de l’instance d’appel.

Ainsi délibéré et jugé par:

Henri CAMPILL, vice-président, Serge SCHROEDER, premier conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, et lu à l’audience publique du 28 juin 2018 au local ordinaire des audiences de la Cour par le vice-président, en présence du greffier de la Cour Vanessa SOARES.

s. SOARES s. CAMPILL Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 29 juin 2018 Le greffier de la Cour administrative 9


Synthèse
Numéro d'arrêt : 40849C
Date de la décision : 28/06/2018

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2018-06-28;40849c ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award