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12/12/2017 | LUXEMBOURG | N°39672C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 12 décembre 2017, 39672C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 39672C Inscrit le : 2 juin 2017

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Audience publique du 12 décembre 2017 Appel formé par l’administration communale de la Ville de Diekirch contre un jugement rendu par le tribunal administratif le 25 avril 2017 (no 37557 du rôle) suite à un recours en annulation introduit par la société à responsabilité limitée …, …, contre une décision du bourgmestre de la Ville de Diekirch en matière d’urbanisme



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GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 39672C Inscrit le : 2 juin 2017

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Audience publique du 12 décembre 2017 Appel formé par l’administration communale de la Ville de Diekirch contre un jugement rendu par le tribunal administratif le 25 avril 2017 (no 37557 du rôle) suite à un recours en annulation introduit par la société à responsabilité limitée …, …, contre une décision du bourgmestre de la Ville de Diekirch en matière d’urbanisme

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Vu la requête d’appel, inscrite sous le numéro 39672C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 2 juin 2017 par Maître Alain BINGEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom et pour le compte de l’administration communale de la Ville de Diekirch, représentée par son collège des bourgmestre et échevins actuellement en fonction, dirigée contre un jugement rendu par le tribunal administratif le 25 avril 2017, par lequel ledit tribunal a reçu et déclaré fondé le recours introduit par la société à responsabilité limitée …, établie et ayant son siège social à …, tendant à l’annulation d’une décision du bourgmestre de la Ville de Diekirch du 25 novembre 2015, modifiant une autorisation de construire portant le numéro …, délivrée par ledit bourgmestre en date du 19 décembre 2013 à la société à responsabilité limitée …;

Vu l’exploit de l’huissier de justice Alex MERTZIG, demeurant à Diekirch, du 20 juin 2017, portant signification de la susdite requête d’appel à la société à responsabilité limitée …, préqualifiée, ainsi qu’à la société à responsabilité limitée …, établie et ayant son siège social à L-9022 Ettelbruck, 59, Chemin du Camping;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 7 août 2017 par Maître Georges KRIEGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société à responsabilité limitée …;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe de la Cour administrative le 13 octobre 2017 au nom de l’administration communale de la Ville de Diekirch;

Vu le mémoire en duplique déposé au greffe de la Cour administrative le 7 novembre 2017 au nom de la société à responsabilité limitée …;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement dont appel;

Le magistrat rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Alain BINGEN et Maître Sébastien COUVREUR, en remplacement de Maître Georges KRIEGER, en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 30 novembre 2017.

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Le 19 décembre 2013, le bourgmestre de la Ville de Diekirch, ci-après désigné par le « bourgmestre », délivra une autorisation de construire à la société à responsabilité limitée …, ci-après désignée par la « société … », inscrite sous le numéro …, pour la construction d’un nouveau cinéma au site « … » à Diekirch, ….

Les plans à la base de ladite autorisation de construire furent par la suite modifiés, pour faire l’objet d’un accord du bourgmestre en date du 25 novembre 2015.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 19 février 2016, inscrite sous le numéro 37557 du rôle, la société à responsabilité limitée …, ci-

après désignée par la « société … », fit introduire un recours en annulation contre la décision du bourgmestre du 25 novembre 2015, modifiant l’autorisation de construire du 19 décembre 2013.

Par jugement du 6 janvier 2016, le tribunal administratif reçut le recours en annulation en la forme, au fond, le dit également justifié, partant annula l’autorisation du bourgmestre du 25 novembre 2015 modifiant les plans de l’autorisation de construire initiale par lui délivrée le 19 décembre 2013 à la société … et renvoya le dossier en prosécution devant le bourgmestre, le tout en rejetant les demandes en allocation d’une indemnité de procédure respectivement formulées par la société …, la Ville de Diekirch et par la société … et en condamnant la Ville de Diekirch aux frais.

Les premiers juges estimèrent que les nouveaux plans, tels qu’autorisés le 25 novembre 2015, modifiant la décision initiale du 19 décembre 2013, n’étaient pas conformes avec le règlement sur les bâtisses de la Ville de Diekirch et, plus particulièrement, avec son article 21 intitulé: « Prescriptions dimensionnelles » qui prévoit sous son point e) les marges de reculement latéral à respecter, allant d’une marge minimale de 3 mètres dans les zones d’habitation, jusqu’à une marge minimale de 6 mètres dans les zones d’activités.

Ils estimèrent que dès lors qu’il se dégageait des plans modifiés que la marge de recul latéral par rapport à la limite de propriété du local « déchets » et du local « branchement », nouvellement autorisés était seulement de 1 mètre le long de cette construction, il convenait de retenir que ces locaux, adossés au mur extérieur du cinéma, ne respectaient en tout état de cause pas les marges de recul minimales prescrites.

Par requête déposée le 2 juin 2017, l’administration communale de la Ville de Diekirch a régulièrement interjeté appel contre ce jugement du 25 avril 2017.

L’appelante relève que l’immeuble précédemment implanté sur le site sur lequel le nouveau cinéma est érigé, démoli pour y faire place, aurait compris, du côté donnant sur le terrain de la société …, un quai d’accès dont l’emprise au sol aurait été exactement la même que celle des locaux « déchets » et « branchement » présentement critiqués, d’une part.

Il s’y ajouterait qu’un local poubelle avait déjà été prévu et autorisé par le bourgmestre le 19 décembre 2013, laquelle décision n’aurait point été attaquée.

Ainsi, la société … serait malvenue de se prévaloir d’un changement d’implantation de quelques mètres qui ne l’affecterait nullement dans ses droits.

En guise de conclusion, l’appelante estime que la demanderesse originaire ne justifierait pas d’un intérêt certain, personnel, né et actuel pour agir en annulation et sur ce, elle demande à voir, par réformation du jugement a quo, déclarer irrecevable le recours introductif de première instance.

La société … fait valoir que l'autorisation de bâtir querellée serait distincte de l'autorisation initiale du 19 décembre 2013 et qu’il s’agirait bien d'une décision administrative lui faisant grief, dans la mesure où « les modifications accordées par le bourgmestre, bouleversent une situation de fait et de droit préexistante ».

Bien que n’ayant pas contesté la décision de 2013, elle estime ne pas pouvoir être privée de ses droits de quereller la nouvelle décision.

Elle demande à voir confirmer les premiers juges en ce qu’ils ont retenu que le nouveau local « poubelle » aurait une plus grande superficie et que son emplacement aurait encore changé de quelques mètres.

Concernant son intérêt à agir, elle soutient qu’en tant que voisin d'une construction l’on devrait présumer son intérêt à agir contre l'autorisation de bâtir afférente. Au-delà, les locaux « poubelle » et « branchement » installés dans le recul latéral réglementaire causeraient des désagréments visuels et potentiellement olfactifs.

Par ailleurs, l'espace entre la limite de propriété de l'intimée et le local-

poubelle aurait été considéré comme chemin de fuite en cas d'incendie par exemple, de sorte qu’il conviendrait de faire respecter le recul latéral de 3 mètres plutôt que d'un mètre seulement. En effet, toute évacuation à cet endroit, dans un couloir large d'un mètre, s'avèrerait dangereuse pour les personnes cherchant à fuir. A ce niveau, la partie intimée déclare ne pas s'emparer de l'intérêt général, mais elle craindrait les « débordements divers sur sa propriété, du fait de l'étroitesse du chemin, qu'il soit utilisé couramment ou seulement en cas d'urgence ».

Elle ajoute encore que comme la construction projetée relèverait également de la matière des établissements classés, l'intérêt à agir devrait être analysé de façon plus globale, c’est-à-dire au regard du projet pris dans son ensemble.

L’administration communale de Diekirch conteste que l’espace entre la limite de propriété de la société intimée et le nouveau local aurait été considéré comme chemin de fuite, de même qu’il ne serait susceptible d’affecter l’odorat ou d’engendrer des désagréments visuels.

Il est soutenu plus particulièrement que l'espace entre ce local et la limite séparative ne serait pas un chemin d'évacuation, ni un couloir de fuite et que la société … tenterait de lui attribuer cette fonction pour justifier son intérêt à agir.

Des débordements sur sa propriété ne seraient pas à craindre dans la mesure où du côté gauche du nouveau cinéma, il existerait une sortie de secours aménagée en retrait de la limite séparative des fonds contigus appartenant d'un côté à l'appelante et d'un autre côté à l'intimée. Il est ajouté que la commune disposerait d'une servitude de passage sur le fonds de l'intimée, rappelée par jugement du tribunal de paix de Diekirch rendu en date du 17 juillet 2017 sous le numéro 973/17 contre lequel l'intimée a introduit un appel. L’administration communale de Diekirch signale que l'intimée viendrait de mettre en place en toute illégalité et sans avoir sollicité préalablement l'autorisation de bâtir qui s'imposerait quelques jours avant l'inauguration du nouveau cinéma, en date du 21 juin 2017, une clôture composée d'éléments en fer métallique le long de la ligne séparative de propriété, cette clôture étant la seule source potentielle de dangers en cas de nécessité d'utilisation de la sortie de secours prévisée. Ainsi, ce serait avec une certaine mauvaise foi que l'intimée essayerait de tirer argument d'une situation de fait qu'elle a créée après coup pour se donner un semblant de justification.

En termes de duplique, la société … réitère que les modifications accordées par le bourgmestre bouleverseraient une situation de fait et de droit préexistante, ceci de par la nouvelle envergure du local annexe (une superficie initiale de 7.59 m2, étant passée à 11.8 m2).

Il ne saurait ainsi être question d’une amélioration de la situation.

Elle estime encore que l’administration communale de Diekirch se contredirait en ce qu'elle avance d'un côté que « l'espace entre ce local et la limite séparative n'est pas un chemin d'évacuation. Il ne constitue pas un couloir de fuite» et d'un autre côté que « des débordements sur sa propriété ne sont pas à craindre à partir du fonds accueillant le nouveau cinéma SCALA dans la mesure où du côté gauche du cinéma donnant sur sa propriété il y a une sortie de secours aménagée (…) ». En effet, une sortie de secours serait une sortie spécifiquement destinée à l'évacuation et seraient considérées comme voies d'évacuation aussi bien les voies de circulation intérieure normale que celles spécifiques empruntées qu'en cas d'urgence. Partant, l'espace entre le local litigieux et la limite séparative serait bien un chemin d'évacuation.

Elle estime encore que la partie appelante viendrait de confirmer elle-même sa crainte relativement à des débordements sur sa propriété.

Par ailleurs, un débat sur la légalité de l'installation de la clôture par elle resterait sans rapport avec la présente affaire.

En conclusion, selon la partie intimée son intérêt à agir à l’encontre du permis de construire litigieux ne serait pas sérieusement contesté.

La Cour entend remarquer liminairement que bien qu’aucun moyen tiré de l’intérêt à agir n’ait été soulevé par l’administration communale de Diekirch au cours de la première instance ou discuté en première instance, de sorte que le moyen afférent est nouveau en instance d’appel, cet état des choses n’est pas de nature à nuire à sa recevabilité. En effet, l'intérêt à agir conditionnant la recevabilité d'une demande s'analyse en question d'ordre public et il peut être, pour la première fois, invoqué en instance d'appel (cf. Cour adm. 29 mai 2008, n° 23728C du rôle, Pas. adm. 2017, V° Procédure contentieuse, n° 5 et autres références y citées).

En matière de contentieux administratif portant, comme en l'espèce, sur des droits objectifs, l'intérêt ne consiste pas dans un droit allégué, mais dans le fait vérifié qu'une décision administrative affecte négativement la situation en fait ou en droit d'un administré qui peut partant tirer un avantage corrélatif de la sanction de cette décision par le juge administratif (cf. Cour adm. 14 juillet 2009, n° 23857C et 23871C du rôle, Pas. adm. 2017, V° Procédure contentieuse, n° 3 et autres références y citées, jurisprudence confirmée récemment par arrêt du 17 octobre 2017, n°s 39527C et 39542C du rôle).

Par ailleurs, toute partie demanderesse introduisant un recours contre une décision administrative doit justifier d’un intérêt personnel distinct de l’intérêt général. Si les voisins proches ont un intérêt évident à voir respecter les raisons applicables en matière d’urbanisme, cette proximité de situation constitue un indice pour établir l’intérêt à agir, mais ne suffit pas à elle seule pour le fonder. Il faut de surcroît que l’inobservation éventuelle de ces règles soit de nature à entraîner une aggravation concrète de leur situation de voisin (cf. Cour adm. 26 mai 2005, n° 19208C du rôle, Pas. adm. 2017, V° Procédure contentieuse, n° 70 et autres références y citées).

En l’espèce, l’analyse et l’appréciation de l’aggravation invoquée par la partie intimée, demanderesse initiale, de sa situation de voisin immédiat pour justifier son intérêt à agir appelle la Cour à avoir égard à la situation des lieux préexistante à l’autorisation de construire querellée.

Or, relativement à cette situation préexistante, la Cour dénote et relève une situation tout à fait particulière dans la mesure où non seulement se trouvait installé sur le site accueillant dorénavant le nouveau cinéma « … » à Diekirch, une bâtisse préexistante ayant accusé, du côté gauche en l’occurrence pertinent, une emprise au sol identique aux locaux litigieux, cet état des choses étant constant en cause, d’une part, mais encore que dans le cadre du premier et principal permis de construire octroyé par le bourgmestre le 19 décembre 2013 à la société …, avait déjà été autorisé un local « déchets » d'une superficie de 7,59 m2 adossé au mur extérieur gauche du cinéma, d’autre part.

S’il est vrai que le permis de construire attaqué du 25 novembre 2015 autorise un local « déchets » et un local « branchement » formant un bloc d’une superficie globale de 11.8 m2, donc supérieure à la surface antérieure de 7,59 m2, de même que le bloc en question se trouve déplacé de quelques mètres par rapport au premier endroit d’implantation, force est de constater que l’implantation reste toujours dans les limites du gabarit de la construction préexistante et la Cour ne dénote pas non plus une aggravation sensible par l’effet de l’augmentation de 4,51 m2 de la superficie par rapport à l’autorisation initiale.

Par ailleurs, en ce qui concerne les nuisances olfactives et visuelles mises en avant par la société …, la Cour ne voit guère en quoi le déplacement ou la majoration de la superficie du bloc, soit de nature à engendrer une gêne supérieure par rapport aux nuisances antérieurement engendrées par le local « déchets » initialement autorisé et qui ne paraît pas avoir apporté une gêne suffisamment caractérisée à la demanderesse initiale pour l’appeler à agir à son encontre.

Enfin, quoi qu’en dise la société …, par son argumentaire basé sur ce que la diminution à 1 mètre du passage latéral de 3 mètres par l’effet du local « déchets/branchement » à l’endroit de son implantation et sa prétendue dangerosité conséquente au niveau de la vocation de chemin de fuite du couloir latéral en cas d'urgence, elle entend s’emparer de considérations relevant ou se confondant essentiellement avec l’intérêt général, étant précisé que les prétendus risques de débordements sur sa propriété apparaissent comme étant simplement hypothétiques.

Au vu de toutes ces considérations et éléments objectifs du dossier, la Cour arrive à la conclusion que la société … n’a pas rapporté la preuve d’une aggravation concrète de sa situation de voisin et qu’elle ne fait partant pas valoir un intérêt personnel suffisant à agir pour solliciter l’annulation de l’autorisation de construire délivrée par le bourgmestre en date du 25 novembre 2015.

Partant, par réformation du jugement entrepris, il y a lieu de conclure à une absence d’intérêt suffisant à agir dans le chef de la demanderesse initiale, la société …, et de déclarer irrecevable son recours introductif de première instance.

Au vu de l’issue du litige, la demande de la société … tendant à se voir allouer une indemnité de procédure de 1.000.- € est à rejeter, les conditions légales afférentes n’étant pas remplies.

Par ces motifs, la Cour administrative, statuant contradictoirement;

reçoit l’appel en la forme;

au fond, dit l’appel justifié;

réformant, déclare irrecevable le recours en annulation de la société … contre la décision du bourgmestre de la Ville de Diekirch du 25 novembre 2015 modifiant une autorisation de construire antérieure, portant le numéro …, délivrée par ledit bourgmestre le 19 décembre 2013 à la société à responsabilité limitée …;

déboute la société … de sa demande en allocation d’une indemnité de procédure de 1.000.- €;

condamne la société … aux dépens des deux instances.

Ainsi délibéré et jugé par :

Henri CAMPILL, vice-président, Lynn SPIELMANN, conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, et lu par le vice-président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier assumé de la Cour Sam WICKENS.

S. WICKENS S. CAMPILL Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 12.12. 2017 le greffier de la Cour administrative 8


Synthèse
Numéro d'arrêt : 39672C
Date de la décision : 12/12/2017

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2017-12-12;39672c ?

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