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14/03/2017 | LUXEMBOURG | N°38711C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 14 mars 2017, 38711C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 38711C du rôle Inscrit le 15 novembre 2016 Audience publique du 14 mars 2017 Appel formé par l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg contre un jugement du tribunal administratif du 18 octobre 2016 (n° 36839 du rôle) rendu dans un litige ayant opposé Madame …, L-…, à l’Etat en matière de rémunération Vu la requête d’appel, inscrite sous le numéro 38711C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 15 novembre 2016 par Monsieur le délégué du gouvernement Daniel RUPPERT, agissant au nom et pour compte de lâ

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GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 38711C du rôle Inscrit le 15 novembre 2016 Audience publique du 14 mars 2017 Appel formé par l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg contre un jugement du tribunal administratif du 18 octobre 2016 (n° 36839 du rôle) rendu dans un litige ayant opposé Madame …, L-…, à l’Etat en matière de rémunération Vu la requête d’appel, inscrite sous le numéro 38711C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 15 novembre 2016 par Monsieur le délégué du gouvernement Daniel RUPPERT, agissant au nom et pour compte de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, en vertu d’un mandat lui conféré à cet effet par le ministre de la Fonction Publique et de la Réforme administrative le 9 novembre 2016, dirigée contre un jugement du tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg rendu le 18 octobre 2016 (n° 36839 du rôle), dans un litige ayant opposé Madame …, demeurant à L-…, à l’Etat, le jugement entrepris ayant annulé une décision dudit ministre du 1er décembre 2014 refusant de faire droit à la demande de Madame … d’être dispensée du remboursement de rémunérations indûment touchées par elle pendant la période du 1er juin 2009 au 31 mai 2014, ensemble la décision implicite de rejet du recours gracieux de la demanderesse ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 14 décembre 2016 par Maître Edmond DAUPHIN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, préqualifiée ;

Vu le mémoire en réplique du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 6 janvier 2017 au nom de l’Etat ;

Vu le mémoire en duplique déposé au greffe de la Cour administrative le 1er février 2017 par Maître Edmond DAUPHIN au nom de Madame …;

Vu les pièces versées au dossier et notamment le jugement entrepris;

Le rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Daniel RUPPERT et Maître Arthur SCHUSTER, en remplacement de Maître Edmond DAUPHIN, en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 14 février 2017.

1 Par contrat de louage de services à durée indéterminée signé en date du 18 juillet 2007, Madame … fut engagée en qualité de chargée d’éducation auprès du …, sous le statut de l’employée de l'Etat, prenant effet au 15 septembre 2000.

Par courrier du 20 mars 2008, Madame …, qui allait atteindre, le 24 avril 2008, l’âge limite de … ans, demanda au ministre de l’Education nationale et de la Formation professionnelle de l’époque d’être maintenue en service jusqu’à la fin de l’année scolaire 2007-

2008.

Par lettres recommandées des 2 février et 14 août 2009, l’intéressée informa le ministre de l’Education nationale qu’elle avait erronément reçu des fiches de salaire pour les mois de janvier à août 2009, alors qu’elle n’avait plus droit à un salaire en 2009 et que son compte avait été crédité des montants afférents. Elle demanda communication d’un numéro de compte sur lequel elle pouvait procéder au remboursement des montants perçus.

Par courrier du 7 mai 2014, l’Administration du personnel de l’Etat informa Madame … avoir reçu en date du 4 avril 2014 l’arrêté ministériel concernant sa démission honorable de son emploi, pour cause de la limite d’âge, avec effet à partir du 15 juillet 2008 et qu’au vu de cet arrêté, l’administration n’allait plus lui verser d’indemnité mensuelle à partir du mois en cours et qu’elle se voyait obligée de lui demander la somme de … euros en remboursement des rémunérations indûment touchées depuis 2008, tout en lui indiquant la possibilité de formuler une demande de dispense de restitution auprès du ministre de la Fonction publique.

Par courrier du 5 juin 2014, Madame … adressa au ministre de la Fonction publique et de la Réforme administrative, ci-après « le ministre », une dispense de remboursement de la somme lui réclamée, tout en précisant qu’elle avait été au service de l’Etat jusqu’à la fin du mois de septembre 2008.

Par courrier du 3 novembre 2014, le ministre refusa de faire droit à cette demande aux motifs suivants :

« (…) En réponse à votre courrier du 5 juin 2014 et comme suite à votre entrevue du 25 juillet 2014 avec les responsables de mes services, j’ai l’honneur de vous faire part des observations suivantes relatives à l’objet sous rubrique.

Par votre courrier précité, vous m’informez qu’une somme nette de … € vous a été réclamée de la part de l’Administration du personnel de l’Etat, montant qui correspond à la rémunération que vous auriez indûment touchée en qualité de chargée d’éducation auprès du … à partir du 15 juillet 2008 et pour laquelle vous demandez une dispense de remboursement.

Au vu de votre dossier personnel, je puis constater que par décision du 2 avril 2014 de Monsieur le Ministre de l’Education nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse, démission honorable de vos fonctions vous avait été accordée avec effet au 15 juillet 2008. Il s’ensuit que vous avez indûment touché une rémunération pendant la période du 15 juillet 2008 jusqu’au 31 mai 2014.

Dans ce contexte, je tiens à relever tout d’abord qu’en vertu de l’article 2 du règlement grand-ducal modifié du 4 mars 2004 fixant les conditions et modalités de renonciation à la 2récupération des rémunérations indûment touchées, une dispense de rembourser tout ou partie des rémunérations indûment touchées peut être accordée par le ministre ayant la Fonction publique dans ses attributions, ceci dans le cas de la constatation d’une erreur matérielle de la part de l’administration. Or, la situation d’avoir indûment touché l’intégralité de la rémunération suite à une cessation des fonctions n’est pas visée par l’article 2 précité.

Par ailleurs, il y a lieu de signaler que le Code civil prévoit à son article 1376 que « celui qui reçoit par erreur ou sciemment ce qui ne lui est pas dû, s’oblige à le restituer à celui de qui il l’a indûment reçu ». Partant, dans la mesure où vous aviez pleinement connaissance du caractère non dû de la rémunération susvisée pendant toute la période consécutive à votre démission et à défaut d’informations de votre part demandées par nos services dans le cadre de l’entrevue précitée, je suis obligé de vous demander la restitution du montant net indûment perçu conformément à l’article 1235 du Code civil relatifs à la répétition de l’indu en vertu desquels tout ce qui a été payé sans être dû doit être remboursé.

Toutefois et en ce qui concerne les montants se rapportant à la période du 15 juillet 2008 au 31 mai 2009, je tiens à vous faire savoir que le remboursement de ces montants tombe sous l’application de l’article 2277 du Code civil qui prévoit pour les cas de l’espèce un délai de prescription de cinq années. Par conséquent, vous devez au Trésor la somme nette correspondant à la rémunération que vous avez indûment touchée pendant la période du 1er juin 2009 au 31 mai 2014 et dont le montant global vous sera communiqué dès que l’Administration du personnel de l’Etat aura effectué les calculs nécessaires.

A toutes fins utiles, je vous prie de noter que vous disposez de la possibilité d’introduire un recours contre la présente décision devant le Tribunal administratif, à exercer par ministère d’avocat inscrit endéans les trois mois à partir du jour de notification. (…) ».

Par courrier du 1er décembre 2014, le ministre s’adressa encore à Madame … en les termes suivants :

« (…) Par ma lettre du 3 novembre 2014, je vous avais informée de la régularisation de votre situation sur la base de la décision du 2 avril 2014 de Monsieur le Ministre de l’Education nationale et de la Jeunesse et concernant votre démission en qualité de chargée d’éducation auprès du …. Il ressort du courrier précité que vous devez au Trésor public une somme nette correspondant à la rémunération que vous avez indûment touchée pendant la période du 1er juin 2009 au 31 mai 2014.

Partant et suite à la communication des montants par l’Administration du personnel de l’Etat sur la base des calculs effectués, je tiens à vous faire savoir que les sommes concernées par le remboursement pour la période visée s’élèvent à un montant total de … euros. Dans ce contexte, je vous prie de trouver en annexe le relevé reprenant, mois par mois, les sommes en question.

Par conséquent, je suis obligé de vous demander la restitution du montant précité conformément à l’article 1235 du Code civil relatifs à la répétition de l’indu en vertu desquels tout ce qui a été payé sans être dû doit être remboursé. Le montant en questions est à virer au CCP (…) de la Trésorerie de l’Etat avec la mention (…).

3A toutes fins utiles, je vous prie de noter que vous disposez de la possibilité d’introduire un recours contre la présente décision devant le Tribunal administratif, à exercer par ministère d’avocat inscrit endéans les trois mois à partir du jour de la notification. (…) ».

Le 25 février 2015, Madame … introduisit un recours gracieux contre les deux courriers précités des 3 novembre et 1er décembre 2014, qui resta sans réponse de la part du ministre.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 20 août 2015, Madame … fit introduire un recours en annulation contre la décision précitée du ministre du 1er décembre 2014 portant refus de sa demande de dispense de remboursement de rémunérations indûment touchées pendant la période du 1er juin 2009 au 31 mai 2014.

Dans son jugement du 18 octobre 2016, le tribunal administratif reçut le recours en annulation en la forme, au fond, le déclara justifié, partant annula la décision du ministre du 1er décembre 2014, ensemble la décision implicite de rejet du recours gracieux de la demanderesse et renvoya l’affaire devant ledit ministre en prosécution de cause, tout en rejetant la demande en allocation d’une indemnité de procédure formulée par la demanderesse et en condamnant l’Etat aux frais.

Pour ce faire, les premiers juges écartèrent tout d’abord comme non fondés les moyens d’irrecevabilité du recours soulevés par le délégué du gouvernement et tirés, d’une part, de ce que le courrier du ministre du 1er décembre 2014 ne constituerait pas une véritable décision susceptible de recours et, d’autre part, de la tardiveté du recours, pour ensuite déclarer recevable le recours en annulation. Ils relevèrent encore que bien que le recours n’eût été introduit que contre la seule décision de refus initiale du 1er décembre 2014, le recours était à considérer comme valablement introduit et dirigé tant contre la décision du 1er décembre 2014, que contre la décision implicite de rejet du recours gracieux introduit par Madame … en date du 25 février 2015, en ce qu’une décision, intervenue sur recours gracieux, purement confirmative d’une décision initiale, tire son existence de cette dernière et les deux doivent dès lors être considérées comme formant un seul tout, de sorte que le recours introduit contre l’une des deux décisions est à considérer comme valable.

Après avoir tracé le cadre légal du litige à partir de l’article 29quater de la loi du 22 juin 1963 fixant le régime des traitements des fonctionnaires de l’Etat, ci-après « la loi du 22 juin 1963 », ainsi que des articles 1er et 2 du règlement grand-ducal du 5 mars 2004 fixant les conditions et modalités de renonciation à la récupération des rémunérations indûment touchées, ci-après « le règlement grand-ducal du 5 mars 2004 », les premiers juges constatèrent que l’Administration du personnel de l’Etat avait continué à rémunérer Madame …, malgré la fin de la relation de travail la liant à l’Etat. Ils écartèrent comme inopérant l’argument de l’Etat consistant à soutenir que les sommes versées ne seraient pas à considérer comme rémunération au sens des articles précités au motif qu’elles seraient dénuées de cause dès lors que l’indu au sens du règlement grand-ducal du 5 mars 2004 est par essence dénué de cause. Ils en déduisirent que les paiements effectués au-delà de la fin, en 2008, de la relation de travail entre Madame … et l’Etat étaient à considérer comme rémunérations indues au sens des articles 1er et 2 du règlement grand-ducal du 5 mars 2004.

Les premiers juges relevèrent encore le fait que Madame … avait, par deux courriers des 2 février et 14 août 2009, informé l’Administration du personnel de l’Etat de la cessation de son contrat de travail. Or, malgré cette information, l’administration avait continué à verser des 4montants non dus à titre de rémunération jusqu’en mai 2014 en faveur de Madame … ce qui, aux yeux des premiers juges, était à considérer comme une erreur matérielle au sens de l’article 2 du règlement grand-ducal du 5 mars 2004.

Ils en conclurent que Madame … avait droit, en application de l’article 2 in fine du règlement grand-ducal du 5 mars 2004, à une dispense de remboursement des montants indûment perçus entre septembre 2008 à avril 2013. En revanche, concernant les montants indûment versés entre mai 2013 et mai 2014, pour lesquels le ministre, en vertu de l’article 2, alinéa 1er, du règlement grand-ducal du 5 mars 2004, disposait d’une faculté d’accorder une dispense de remboursement, les premiers juges considéraient qu’il aurait appartenu au ministre de statuer sur le mérite de la demande de dispense de Madame …, de sorte qu’il y avait lieu d’annuler la décision du ministre du 1er décembre 2014, ensemble la décision implicite de rejet née du silence gardé à la suite de l’introduction du recours gracieux du 25 février 2015.

Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 15 novembre 2016, l’Etat a relevé appel du jugement du 18 octobre 2016.

L’intimée conclut tout d’abord à l’irrecevabilité de la requête d’appel au motif que celle-

ci a été signée par Monsieur le délégué du gouvernement Daniel RUPPERT, alors que le mandat pour interjeter appel a été conféré par le ministre de la Fonction Publique et de la Réforme administrative à Madame le délégué du gouvernement Marie-Anne KETTER auprès du ministère de la Justice. A l’appui de son moyen, il invoque l’article 39, paragraphe (4), de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives qui prévoit que la requête d’appel doit être signée par le délégué du gouvernement ayant reçu mandat exprès à cet effet de l’Etat.

S’il est certes vrai qu’en l’espèce, le mandat pour interjeter appel a été conféré à Madame le délégué du gouvernement Marie-Anne KETTER, mais que la requête d’appel a été signée par Monsieur le délégué du gouvernement Daniel RUPPERT, cette circonstance est sans incidence sur la validité du mandat, étant donné que l’article 39, paragraphe (4), de la loi précitée du 21 juin 1999 requiert que le délégué du gouvernement « ayant reçu mandat exprès à cet effet de l’Etat » peut introduire une requête d’appel devant la Cour administrative.

Cette disposition légale ne prévoit pas que le mandat, qui peut ainsi être conféré, doit désigner nommément celui des délégués du gouvernement qui est habilité à signer la requête d’appel. A l’inverse, ce n’est pas parce que le mandat d’interjeter appel contre un jugement est confié à un délégué du gouvernement nommément désigné, comme c’est le cas en l’espèce, que la requête d’appel ne peut pas être signée par un autre délégué du gouvernement, étant donné que les délégués du gouvernement peuvent se remplacer mutuellement.

En l’espèce, la requête d’appel a été signée par un délégué du gouvernement, en l’occurrence, Monsieur Daniel RUPPERT, dont la qualité de délégué du gouvernement n’a par ailleurs pas été contestée. En outre, le mandat a été donné par le ministre du ressort dont émane la décision litigieuse, à savoir le ministre de la Fonction Publique et de la Réforme administrative. Il s’ensuit que la requête d’appel a été introduite en conformité avec les prescriptions de l’article 39, paragraphe (4), de la loi précitée du 21 juin 1999.

Le moyen d’irrecevabilité afférent est partant à écarter pour ne pas être fondé.

5La requête d'appel étant par ailleurs régulière quant aux exigences de formes et de délai, elle est recevable.

Quant au fond, l’Etat réexpose tout d’abord les faits et rétroactes de l’affaire. Il précise que l’arrêté ministériel du 2 avril 2014 accordant démission honorable à Madame … n’aurait été reçu par l’Administration du personnel de l’Etat que le 4 avril 2014, de sorte que cette dernière aurait continué à virer au cours de la période allant de juillet 2008 à avril 2014 une somme d’argent équivalente à celle que Madame … percevait comme indemnité lorsqu’elle était encore en activité. Elle aurait ainsi perçu indûment la somme globale de … euros après la cessation de son contrat de travail, mais la somme qu’elle devrait finalement rembourser s’élèverait à … euros, compte tenu de la prescription quinquennale.

En ordre principal, l’Etat reproche aux premiers juges d’avoir retenu que les versements effectués en faveur de l’intimée au-delà de la fin de leur relation de travail seraient à considérer comme des rémunérations indues au sens du règlement grand-ducal du 5 mars 2004, alors que la relation de travail aurait cessé à la date du 15 juillet 2008. Or, d’après le délégué du gouvernement, la fin de la relation de travail entraînerait la cessation du droit de percevoir une rémunération. Par voie de conséquence, les versements effectués, alors même qu’ils correspondraient au montant de l’ancienne indemnité que touchait Madame …, ne devraient plus être considérés comme des rémunérations. La conséquence en serait que l’article 29quater de la loi du 22 juin 1963 et le règlement grand-ducal du 5 mars 2004 ne seraient pas applicables à l’espèce. Il ajoute que si l’Etat entendait obtenir restitution de ces sommes, il devrait passer par les articles 1376 et suivants du Code civil en intentant une action en répétition de l’indu à l’encontre de l’intimée devant les juridictions civiles.

En ordre subsidiaire, pour le cas où la Cour serait néanmoins d’avis que les versements litigieux constituent des rémunérations, l’article 2 du règlement grand-ducal du 5 mars 2004 ne serait pas applicable, dès lors que l’Etat n’aurait pas commis d’erreur matérielle. En effet, ledit article 2 fournirait une liste non limitative de cas dans lesquels le ministre peut faire usage de son droit de dispenser totalement ou partiellement l’agent de l’Etat de rembourser les sommes indûment perçues. Le commentaire des articles du projet du règlement grand-ducal du 5 mars 2004 définirait les erreurs matérielles comme des erreurs qui sont à la base d’une modification des éléments de calcul de la rémunération allouée à l’agent de l’Etat. En d’autres termes, les hypothèses prévues par ledit article 2 viseraient des situations dans lesquelles il serait difficile voire impossible pour les agents de l’Etat de constater eux-mêmes les erreurs de calcul. Or, dans le cas d’espèce, l’intimée aurait été parfaitement consciente du fait qu’elle a continué à toucher une rémunération à laquelle elle n’avait plus droit. Il s’ensuivrait que la continuation du versement de la rémunération suite à la cessation des fonctions de Madame … ne tomberait pas dans le champ d’application dudit article 2.

L’intimée conclut en substance à la confirmation du jugement entrepris. Elle insiste cependant sur le fait qu’elle aurait vainement, par deux lettres recommandées des 2 février et 14 août 2009, informé le ministère de l’Education nationale qu’elle continuait à être rémunérée. Il serait également faux de soutenir, comme le ferait le délégué du gouvernement, que son contrat de travail serait venu à son terme le 15 juillet 2008, alors qu’il aurait pris fin de plein droit le jour de son …e anniversaire, soit le 24 avril 2008, mais qu’elle aurait continué à travailler, à la demande du directeur de son lycée, jusqu’à la mi-septembre 2008 pour s’occuper des ajournements de classe. Elle estime en outre que l’arrêté ministériel du 2 avril 2014 qui lui accorde démission honorable serait dépourvu de base légale. Elle fait encore valoir que 6contrairement à ce qui est plaidé par la partie appelante, l’article 29quater de la loi du 22 juin 1963 et le règlement grand-ducal du 5 mars 2004 seraient applicables en l’espèce, puisque même le ministre, dans son courrier précité du 7 mai 2014, lui aurait indiqué qu’elle pourrait, en application dudit règlement grand-ducal, demander une dispense de remboursement. Elle conteste ensuite l’argumentation de l’Etat consistant à soutenir que l’erreur de l’Etat ne serait pas à considérer comme une erreur matérielle au sens du règlement grand-ducal du 5 mars 2004, en faisant valoir que pour l’interprétation de cette notion il n’y aurait pas lieu de se référer au commentaire des articles du projet de règlement grand-ducal. D’après elle, la notion d’erreur matérielle visée à l’article 2 du règlement grand-ducal du 5 mars 2004 devrait être interprétée de manière large, sans qu’il y ait lieu de se limiter à la liste d’exemples d’erreurs matérielles y énoncée qui ne serait pas exhaustive. Elle se réfère ainsi à une jurisprudence ayant notamment retenu que le paiement erroné d’une allocation familiale était à considérer comme erreur matérielle au sens de ladite disposition règlementaire.

Dans son mémoire en réplique, le délégué du gouvernement développe ses moyens et arguments, tout en précisant qu’une erreur se serait glissée dans sa requête d’appel en ce qu’à la date du 15 juillet 2008 se situerait la cessation de service de Madame … et non pas la fin de plein droit de son contrat de travail.

La partie intimée, dans son mémoire en duplique, développe et précise encore son argumentation.

Les premiers juges sont de prime abord à confirmer en ce qu’ils ont retenu, à la lecture de la décision attaquée du 1er décembre 2014, et notamment de sa référence expresse à la demande de dispense de Madame …, que si elle a pour objet principal de réclamer à l’intéressée le remboursement des sommes indûment touchées, elle refuse également implicitement mais nécessairement la demande de dispense de l’intéressée.

La partie appelante conteste en ordre principal que les versements touchés par Madame … puissent être considérés comme des rémunérations indues au sens de l’article 29quater de la loi du 22 juin 1963 et des articles 1er et 2 du règlement grand-ducal du 5 mars 2004.

C’est cependant à bon droit et pour des motifs que la Cour adopte que les premiers juges ont rejeté l’argumentation afférente du délégué du gouvernement. En effet, il est constant que Madame … a continué à être rémunérée malgré la cessation de son contrat de travail, état des choses que l’Etat semble avoir ignoré, en dépit des courriers précités de l’intimée de 2009 par lesquels elle rendait l’Administration du personnel de l’Etat attentive à l’erreur. Quoiqu’il en soit, il est indéniable qu’elle a ainsi touché des rémunérations indues jusqu’au 31 mai 2014. Elle rentre dès lors, a priori, dans les prévisions des dispositions de l’article 29quater de la loi du 22 juin 1963 et des articles 1er et 2 du règlement grand-ducal du 5 mars 2004.

Il reste dès lors à examiner la question subsidiaire soulevée par la partie étatique consistant à soutenir que l’intimée ne rentre pas dans le champ d’application de l’article 2 du règlement grand-ducal du 5 mars 2004. En d’autres termes, il reste la question de savoir si c’est à bon droit que le ministre, à travers les décisions litigieuses, a refusé de faire droit à la dispense de remboursement de l’intimée.

7Il est constant en cause que le montant réclamé s’élève à un montant de … euros et correspond aux rémunérations indûment touchées par l’intimée pendant la période du 1er juin 2009 au 31 mai 2014, compte tenu de la prescription quinquennale applicable.

Si l’article 1er du règlement grand-ducal du 5 mars 2004 dispose que le fonctionnaire, en l’occurrence, l’employé de l'Etat, qui a indûment touché des rémunérations de la part de l’Etat est tenu de les restituer dans leur intégralité, l’article 2, alinéa 1er, du même règlement y déroge dans la mesure où, en cas de constatation d'une erreur matérielle de la part de l’administration lors du calcul de la rémunération, une dispense de rembourser tout ou partie des rémunérations indûment touchées peut être accordée, l’alinéa 4 prévoyant même qu’en cas d’erreur matérielle, l’agent a droit à une dispense de remboursement lorsqu’un délai de plus d’un an s’est écoulé entre la date du virement de la somme indue et la date à laquelle elle a été réclamée. Selon l’alinéa 3, par erreur matérielle de l’administration, il y a lieu d’entendre notamment l’établissement erroné de la carrière, l’allocation d'échelons et de majorations de l'indice ou de primes non dues, l’application erronée de la valeur du point indiciaire, le calcul erroné d’indemnités ou d’accessoires de rémunération et l’attribution erronée de grades, d’allongements de grade ou de promotions.

En vertu de la liste d’exemples d’erreurs matérielles fournie par l’alinéa 3 de l’article 2 du règlement grand-ducal du 4 mars 2005, il faut admettre que ne sont visées que des erreurs portant sur les bases et les éléments de calcul de la rémunération allouée au fonctionnaire, mais en aucun cas ne sont visées par cette disposition des rémunérations touchées indûment dans leur substance totale à la suite de la cessation de la relation de travail.

La référence faite par la partie intimée dans ce contexte à la jurisprudence relative aux allocations de famille erronément perçues ne saurait valoir, étant donné que l’alinéa 3 de l’article 2 du règlement grand-ducal du 5 mars 2004 énumère précisément comme erreur matérielle l’allocation indue de primes.

La Cour est partant amenée à retenir, contrairement aux premiers juges, que le cas de figure de Madame … ne rentre pas dans les prévisions de l’article 2 du règlement grand-ducal du 5 mars 2004, de sorte que c’est à bon droit que le ministre a refusé de faire droit à la demande de dispense de remboursement de l’intimée.

Il découle de l’ensemble des considérations qui précèdent que l’appel étatique est justifié et que le jugement dont appel encourt la réformation en ce qu’il a annulé la décision ministérielle litigieuse du 1er décembre 2014, ensemble la décision implicite de refus du recours gracieux, de sorte que l’intimée est à débouter de son recours en annulation dirigé contre lesdites décisions.

Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l'égard de toutes les parties;

reçoit l’appel en la forme;

au fond, le déclare justifié;

8partant, par réformation du jugement entrepris du 18 octobre 2016, rejette comme non fondé le recours en annulation introduit contre une décision du ministre de la Fonction publique et de la Réforme administrative du 1er décembre 2014 et contre la décision implicite subséquente refusant de faire droit à la demande de Madame … d’être dispensée de remboursement de rémunérations indûment touchées par elle pendant la période du 1er juin 2009 au 31 mai 2014;

condamne Madame … aux dépens des deux instances.

Ainsi délibéré et jugé par :

Francis DELAPORTE, président, Serge SCHROEDER, premier conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, et lu par le président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en-tête, en présence du greffier de la Cour André WEBER.

WEBER DELAPORTE 9


Synthèse
Numéro d'arrêt : 38711C
Date de la décision : 14/03/2017

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2017-03-14;38711c ?

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