GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 38374C du rôle Inscrit le 22 août 2016 Audience publique du 16 février 2017 Appel formé par l’Association des Médecins et Médecins-Dentistes du Grand-Duché de Luxembourg, a.s.b.l., Luxembourg, contre un jugement du tribunal administratif du 11 juillet 2016 (n° 36345 du rôle) ayant statué sur son recours contre des décisions de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg et de la Caisse Nationale de Santé en matière de santé publique Vu l’acte d’appel inscrit sous le numéro 38374C du rôle et déposé au greffe de la Cour administrative le 22 août 2016 par Maître Marc THEWES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l’a.s.b.l. Association des Médecins et Médecins-Dentistes du Grand-Duché de Luxembourg, ayant son siège social à L-2680 Luxembourg, 29, rue de Vianden, représentée par son conseil d’administration en fonction, dirigé contre un jugement du tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg du 11 juillet 2016 (n° 36345 du rôle) par lequel ledit tribunal s’est déclaré incompétent pour connaître de son recours tendant à la reformation sinon à l’annulation de deux « décisions », ainsi qualifiées, qui auraient été prises par l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg et par la Caisse Nationale de Santé, à savoir la sentence arbitrale du Conseil Supérieur de la Sécurité Sociale du 23 janvier 2014 ayant retenu une revalorisation de 0,65 % de la lettre-clé des actes et services des médecins-dentistes pour les exercices 2013 et 2014, et la nomenclature des actes et services des médecins-dentistes adoptée par la Caisse Nationale de Santé, dans sa version coordonnée du 1er mars 2014 ;
Vu l’exploit de l’huissier de justice suppléant Patrick MULLER, en remplacement de l’huissier de justice Frank SCHAAL, les deux demeurant à Luxembourg, du 30 août 2016, portant signification de cet acte d’appel à la Caisse Nationale de Santé, établissement public, établie et ayant son siège social à L-1471 Luxembourg, 125, route d’Esch, représentée par son conseil d’administration en fonction, inscrite au R.C.S. de Luxembourg sous le numéro J 21 ;
1Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 29 septembre 2016 par le délégué du gouvernement ;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 12 octobre 2016 par Maître Jean MINDEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la Caisse Nationale de Santé, préqualifiée ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe de la Cour administrative le 11 novembre 2016 par Maître Marc THEWES au nom de l’Association des Médecins et Médecins-Dentistes du Grand-
Duché de Luxembourg, préqualifiée ;
Vu le mémoire en duplique déposé au greffe de la Cour administrative le 7 décembre 2016 par Maître Jean MINDEN au nom de la Caisse Nationale de Santé, préqualifiée ;
Vu le mémoire en duplique déposé au greffe de la Cour administrative le 12 décembre 2016 par le délégué du gouvernement ;
Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;
Le rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maîtres Camille SAETTEL, en remplacement de Maître Marc THEWES, Luc OLINGER, en remplacement de Maître Jean MINDEN, et Monsieur le délégué de gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries à l’audience publique du 12 janvier 2017.
A la suite de l’échec, fin 2012, des négociations au sujet de la revalorisation de la lettre-clé des actes et des services des médecins et des médecins-dentistes pour les années 2013 et 2014 entre l’a.s.b.l. Association des Médecins et des Médecins-Dentistes, ci-après « l’AMMD », et la Caisse Nationale de Santé, ci-après « la CNS », les parties continuèrent par la voie de la médiation.
En date du 8 novembre 2013, le médiateur dressa un procès-verbal de non-conciliation et sollicita le Conseil Supérieur de la Sécurité Sociale, ci-après « le CSSS », pour vider le contentieux opposant la CNS et l’AMMD au sujet de l’adaptation de la valeur de la lettre-clé des actes et services des médecins et des médecins-dentistes pour les exercices précités, par la voie d’une sentence arbitrale, en se référant notamment aux dispositions de l’article 70, paragraphe 1er, du Code de la sécurité sociale.
A l’audience publique du 23 janvier 2014, le CSSS rendit sa sentence arbitrale en retenant que, pour les exercices litigieux, la lettre-clé des actes et des services des médecins-dentistes était revalorisée de 0,65 %.
Le 11 février 2014 fut signé un protocole d’accord en exécution de l’article 68 de la convention du 13 décembre 1993 conclue entre l’AMMD et la CNS et portant fixation de la valeur de la lettre-clé pour les exercices 2013 et 2014 pour les actes et services professionnels des médecins-
dentistes, ledit protocole d’accord ayant été publié au Mémorial A, n° 31, du 10 mars 2014.
2Le 13 février 2014, fut signé un protocole d’accord en exécution de l’article 68 de la convention du 13 décembre 1993 conclue entre l’AMMD et la CNS portant fixation de la valeur de la lettre-
clé pour les exercices 2013 et 2014 pour les actes et services professionnels des médecins, ledit protocole ayant été publié audit Mémorial à la même date.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 28 mai 2015, l’AMMD fit introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de deux « décisions », ainsi qualifiées, qui auraient été prises par l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg et par la CNS, à savoir la sentence arbitrale du CSSS du 23 janvier 2014 et la nomenclature des actes et services des médecins-dentistes adoptée par la CNS, version coordonnée du 1er mars 2014, ci-après « la nomenclature ».
Par un jugement du 11 juillet 2016, le tribunal administratif se déclara incompétent pour connaître du recours, partant, le rejeta, de même que les demandes respectives en allocation d’une indemnité de procédure formulées tant par l’AMMD que par la CNS et condamna l’AMMD aux frais de l’instance.
Après avoir rejeté le moyen de défense de la CNS tiré d’un défaut de capacité à agir dans le chef de l’AMMD, le tribunal rappela que sa compétence, en tant que juridiction d’exception, était définie à l’article 2, paragraphe (1), de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, ci-après « la loi du 7 novembre 1996 », en vertu duquel un recours est ouvert « contre toutes les décisions administratives à l’égard desquelles aucun autre recours n’est admissible », le paragraphe (2) dudit article précisant encore que « le recours au tribunal prévu au présent article est admis même contre les décisions qualifiées par les lois et règlements de définitives ou en dernier ressort », et à l’article 3, paragraphe (1), de la même loi, en vertu duquel « le tribunal administratif connaît en outre comme juge du fond des recours en réformation dont les lois spéciales attribuent connaissance au tribunal administratif », l’article 7 de la même loi précisant en outre que le tribunal administratif est encore compétent pour connaître des recours dirigés contre des actes administratifs à caractère réglementaire.
Il nota encore qu’il n’était pas contesté que la sentence arbitrale du 23 janvier 2014 avait été prise par le CSSS sur le fondement de l’article 70 du Code de la sécurité sociale, après que la médiation dans le cadre des négociations entre l’AMMD et la CNS à propos de la revalorisation de la valeur de la lettre-clé des actes et services des médecins et médecins-dentistes pour les années 2013 et 2014 avait échoué, et que dans la mesure où aucun texte législatif n'attribuait au tribunal administratif compétence pour connaître, comme juge du fond, d’un recours dirigé contre les sentences arbitrales prises par le CSSS sur le fondement de l’article 70 du Code de la sécurité sociale, il était en toute hypothèse incompétent pour connaître du recours en réformation, introduit en ordre principal.
Le tribunal rappela ensuite que l’ouverture d’un recours devant les juridictions administratives était limité notamment aux conditions cumulatives que l’acte litigieux doit constituer une décision administrative, c’est-à-dire, premièrement, émaner d’une autorité administrative légalement habilitée à prendre des décisions unilatérales obligatoires pour les administrés, deuxièmement, s’analyser en un acte individuel à caractère non normatif, normalement un acte d’exécution ou d’application d’une norme générale à l’égard d’un ou de plusieurs administrés 3nettement individualisés, et, troisièmement, s’analyser en une véritable décision affectant les droits et intérêts de la personne qui la conteste et que si un acte attaquable devant les juridictions administratives doit dès lors émaner d’une autorité administrative, il convenait toutefois de relever qu’échappaient en principe à la compétence des juridictions administratives les actes se rattachant à une activité juridictionnelle.
Sur ce, il releva qu’aux termes des articles 69 et 70 du Code de la sécurité sociale, la procédure de revalorisation de la lettre-clé, telle que prévue par le législateur, était poursuivie en trois étapes, à savoir, premièrement, une phase de négociation entre, d’une part, la CNS et, d’autre part, les associations des médecins, ensuite, à défaut d’accord, une phase de médiation, et, enfin si la médiation aboutit au constat d’une non-conciliation, un arbitrage qui aux termes de l’article 70 du Code de la sécurité sociale constitue l’étape finale, dans la mesure où ladite disposition prévoit que la sentence arbitrale n’est pas susceptible d’une voie de recours. Le tribunal nota en outre qu’il se dégageait clairement des documents parlementaires à la base de la loi du 27 juillet 1992 portant réforme de l’assurance-maladie et du secteur de la santé que l’intention du législateur était de conférer un caractère juridictionnel à la sentence arbitrale du CSSS prise en tant qu’arbitre sur le fondement de l’article 70 du Code de la sécurité sociale.
Le tribunal nota ensuite que le CSSS présentait les caractéristiques d’une juridiction d’un point de vue organique, en ce qu’il est composé en général d’un président et de deux assesseurs-
magistrats, juges professionnels, ainsi que de deux assesseurs nommés par le ministre ayant dans ses attributions la Sécurité sociale et que dans les cas où il statue sur le fondement de l’article 70 du Code de la sécurité sociale, il siégeait sans les assesseurs nommés par le ministre, mais uniquement en composition collégiale composée de magistrats professionnels qui, par définition, sont indépendants par rapport au pouvoir exécutif, de sorte que le CSSS n’était pas susceptible d’être qualifié comme formant une autorité administrative, à savoir une autorité mettant en œuvre un pouvoir administratif participant à l’exécution de la puissance publique, ce d’autant plus que la procédure devant le CSSS est contradictoire et que la sentence arbitrale est rendue en audience publique.
Il estima encore que si la sentence arbitrale en cause s’imposait certes à la CNS et à l’AMDD, tel n’était pas le cas du fait qu’elle émanait d’une autorité administrative susceptible de prendre des décisions unilatérales opposables aux destinataires et exécutoires en tant que telles au besoin par la contrainte, mais de par son caractère juridictionnel, consacré par le législateur. Finalement, le tribunal nota que la procédure d’arbitrage en cause pouvait encore être qualifiée de conventionnelle puisque l’article 68 de la convention signée entre l’Union des Caisses de Maladie et l’AMMD le 13 décembre 1993 en exécution des articles 61 et suivants du Code de la sécurité sociale impliquait que les parties avaient convenu de soumettre la question de la fixation de la valeur de la lettre-clé, à défaut d’avoir pu aboutir à un accord sur la question, à l’arbitrage prévu par le Code de la sécurité sociale.
Le tribunal arriva dès lors à la conclusion que la sentence arbitrale du CSSS du 23 janvier 2014 relevait d’une fonction juridictionnelle et qu’il n’était dès lors pas compétent pour connaître du recours pour autant que dirigé contre ladite sentence arbitrale.
4S’agissant ensuite du recours pour autant que dirigé contre la nomenclature des actes et services des médecins-dentistes adoptée par la CNS, version coordonnée du 1er mars 2014, le tribunal conclut que ladite nomenclature ne contenait, par rapport à la valeur des lettres-clés pour les années 2013-2014, aucun élément décisionnel propre dans la mesure où les coefficients à la base du calcul sont fixés par règlement grand-ducal et que la valeur de la lettre-clé avait été fixée à travers la sentence arbitrale du CSSS faisant l’objet du présent litige, de sorte qu’il se déclara également incompétent pour connaître du recours en ce qu’il est dirigé contre la nomenclature des actes et services des médecins-dentistes adoptée par la CNS.
Par requête d’appel déposé au greffe de la Cour administrative en date du 22 août 2016, l’AMMD a régulièrement relevé appel du jugement du 11 juillet 2016.
Dans son mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour en date du 12 octobre 2016, la CNS réitère son moyen de défense soulevé en première instance tiré du défaut de capacité à agir dans le chef de l’AMMD.
Elle soutient que l’AMMD, en tant qu’association sans but lucratif, ne disposerait pas ipso facto de la personnalité juridique, mais qu’elle devrait remplir certaines conditions, notamment au niveau des publications à effectuer en vertu des articles 9 et 10 de la loi modifiée du 21 avril 1928 sur les associations sans but lucratif et les établissements d’utilité publique visant respectivement la publication de toute nomination, démission ou révocation des administrateurs au Mémorial et le dépôt d’une liste actualisée des membres au tribunal civil. Or, comme l’AMMD serait défaillante à ce niveau, l’article 26, alinéa 1er, de la loi précitée du 21 avril 1928 lui interdirait de se prévaloir de la personnalité juridique à l’égard de tiers. Dans ce contexte, la CNS conteste qu’une régularisation ex post serait possible après le dépôt du recours introductif de première instance effectué le 28 mai 2015 et signale que la situation n’aurait toujours pas été régularisée au vu des publications consultables au 4 octobre 2016. Finalement, elle signale encore que diverses pièces auraient été déposées devant le tribunal sans lui avoir été communiquées et ceci en violation du principe du contradictoire, ce qui serait inacceptable.
C’est cependant à bon droit que les premiers juges ont rappelé que les règles conditionnant l’existence de la personnalité juridique des personnes morales, son maintien et l’opposabilité aux tiers sont appelées à être interprétées de façon stricte, cette interprétation découlant de l’essence même de la fiction juridique à la base de l’existence des personnes morales (cf. Cour adm. 17 avril 2008, n° 23851C du rôle, Pas. adm. 2016, V° Procédure contentieuse, n° 171) et que s’agissant des associations sans but lucratif, ce sont les dispositions des articles 2, 3 et 9, ainsi que celles de l’article 26 de la loi précitée du 21 avril 1928, qui conditionnent la naissance, le maintien et l’opposabilité de la personnalité juridique dans le chef des groupements en question, tout en relevant que les juridictions administratives admettent une régularisation de la situation jusqu’à la prise en délibéré de l’affaire par la juridiction saisie (cf. Cour adm. 17 avril 2008, n° 23851C du rôle, Pas. adm. 2016, V° Procédure contentieuse, n° 179).
Pour le surplus, c’est à bon escient que le tribunal a constaté, au regard des pièces déposées le 6 mai 2016 au greffe du tribunal administratif par l’AMMD, à savoir la liste de ses membres ainsi que la liste de ses administrateurs, enregistrées et déposées au registre de commerce le 26 avril 2016, que le moyen fondé sur un défaut de capacité à agir dans le chef de l’AMMD en raison 5d’un défaut de publication de la liste de ses membres et de ses administrateurs est à déclarer non fondé, le prétendu défaut de communication des pièces pertinentes à la CNS en première instance ne pouvant enlever à l’AMMD sa personnalité juridique et partant sa capacité pour agir en justice.
Il s’ensuit que le moyen afférent de la CNS est à rejeter.
A l’appui de son appel, l’AMMD, après avoir rappelé les antécédents du litige et les dispositions pertinentes du Code de la sécurité sociale applicables au litige et expliqué la méthode de revalorisation des lettres-clés et l’historique des débats ayant abouti à la sentence arbitrale litigieuse du CSSS, affirme que ladite sentence arbitrale ne constituerait pas un acte juridictionnel mais une décision administrative contre laquelle un recours serait ouvert devant les juridictions administratives. Plus précisément, l’AMMD rappelle que le CSSS a hérité sa compétence en la matière de l’ancienne Commission de Conciliation et d’Arbitrage et la procédure suivie à l’heure actuelle, mis à part la suppression de l’homologation ministérielle, serait la même que celle appliquée auparavant devant ladite commission.
L’AMMD soutient ensuite que le tribunal aurait à tort dégagé d’un faisceau d’indices plusieurs éléments comme révélant la nature juridictionnelle de la sentence arbitrale litigieuse. Ainsi, contrairement aux premiers juges, elle estime que le critère organique du CSSS, « juridiction de la sécurité sociale », dont les compétences sont notamment prévues à l’article 454 du Code de la sécurité sociale et présentant les caractéristiques d’une juridiction, ne serait pas déterminant pour apprécier la nature juridictionnelle d’un acte. Ainsi, il faudrait encore que l’acte tende à l’élaboration d’une décision juridictionnelle, ce qui ne serait nullement le cas de la sentence arbitrale sous analyse. Elle renvoie dans ce contexte à une sentence arbitrale du CSSS rendue le 21 octobre 2013 dans laquelle le CSSS affirmerait lui-même qu’une sentence arbitrale rendue sur base de l’article 70 du Code de la sécurité sociale ne constitue pas un acte juridictionnel, ainsi qu’à un arrêt du Conseil d’Etat français du 13 mars 1998 (n° 118908) ayant retenu qu’une décision d’arbitrage rendue par une chambre régionale des comptes constitue une décision administrative.
L’AMMD estime ensuite que la décision litigieuse constituerait une décision d’autorité voire d’opportunité incompatible avec ce que pourrait faire un juge, étant donné que le CSSS se serait saisi de la prérogative de réguler la rémunération des médecins, agissant de sorte comme une autorité administrative et aucune disposition légale n’autoriserait le CSSS à s’arroger le droit de fixer d’office l’augmentation de la valeur de la lettre-clé à un taux différent de celui qui découle de l’application des dispositions légales. Par contre, si le CSSS était intervenu comme une juridiction, il aurait dû se contenter de trancher le débat, c’est-à-dire décider si l’augmentation du volume des frais médicaux sur la période de référence était justifiée ou si elle s’analysait en une surconsommation et en tirer les conséquences sur le plan de la revalorisation des lettres-clés et non pas rechercher des motifs de pure opportunité en imposant une troisième voie. Or, il ne serait pas possible de reconnaître un caractère juridictionnel à une décision unilatérale prise en dehors de tout cadre juridique lui donnant un fondement légal, c’est-à-dire sans appliquer une norme de droit. L’application d’une règle de droit serait un caractère cosubstantiel de l’acte juridictionnel qui le distingue d’une décision administrative et cet élément fondamental ferait défaut au niveau 6de la sentence arbitrale litigieuse, celle-ci n’étant qu’une prise de position purement politique et détachée de toute règle de droit juridiquement contraignante.
Elle soutient encore que les conditions devant être réunies pour conduire à une procédure d’arbitrage ne seraient pas réunies au motif que tant la compétence du CSSS que la procédure suivie devant lui seraient en rupture avec les caractéristiques propres à un véritable arbitrage.
Ainsi, le recours au CSSS ne relèverait pas d’un accord entre parties, sa compétence étant expressément prévue par une loi, et le renvoi dans la convention signée le 13 décembre 1993 entre l’Union des Caisses de Maladie et l’AMMD en exécution des articles 61 et suivants du Code de la sécurité sociale ne saurait être qualifié de clause compromissoire, ce d’autant plus qu’il ne serait guère démontré qu’une convention entre un organisme de santé et des professionnels de ce secteur puisse valablement contenir une clause compromissoire portant sur des éléments relevant des dépenses de santé publique. Pour le surplus, comme la signature de cette convention aurait été imposée par la loi, les médecins ayant l’obligation d’être conventionnées pour exercer leur profession, les parties n’auraient pas librement consenti audit arbitrage. Partant, il ne serait pas possible de déduire de ce conventionnement obligatoire une adhésion libre et éclairée au système mis en place par le Code de la sécurité sociale et l’AMMD n’aurait jamais marqué son accord sur un système qui autoriserait le CSSS à adopter une décision de sa propre initiative et sans discussion contradictoire préalable.
L’AMMD critique ensuite le fait qu’aucun recours ne serait ouvert contre la sentence arbitrale, ce qui serait contraire à l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH). La procédure suivie devant le CSSS n’aurait pas offert toutes les garanties d’un procès équitable et la procédure organisée par le Code de la sécurité sociale accorderait au CSSS des pouvoirs exorbitants en dehors de tout cadre légal, sous réserve du plafond légal, sans tenir compte des revendications des parties, et sans les inviter à prendre position sur le motif qu’il entend privilégier pour prendre sa décision. Partant, la manifestation unilatérale de volonté du CSSS, dans le cadre de cette compétence juridictionnelle, serait une pure mascarade privant les médecins-dentistes d’un moyen de recours contre des décisions politiques prises à leur encontre. Il conviendrait dès lors de reconnaître à la décision du CSSS un caractère administratif.
Partant, l’appelante estime que la sentence arbitrale du CSSS relèverait indubitablement de la sphère du droit administratif, conçu comme le droit régissant les liens entre les pouvoirs publics et les citoyens et la valeur de la lettre-clé conditionnerait les tarifs médico-dentaires opposables tant aux assurés sociaux qu’à la CNS et aurait également pour effet de réguler le budget des dépenses de santé. En décidant du taux de revalorisation, le CSSS aurait encore fait usage de prérogatives exorbitantes du droit commun puisque sa décision unilatérale s’impose aux parties intéressées, si bien que la CSSS se comporterait comme une autorité administrative, le caractère administratif se dégageant du caractère obligatoire de la sentence qui est directement exécutoire et opposable aux médecins-dentistes.
L’AMMD soutient encore que le tribunal aurait rejeté à tort son recours pour autant que dirigé contre la nomenclature au motif que celle-ci ne contiendrait aucun élément décisionnel propre.
Or, il ne ferait aucun doute que la nomenclature servirait de base aux décisions de remboursement et elle serait opposable aux médecins. Elle signale encore que la sentence 7arbitrale ne ferait que définir un taux général et ne donnerait jamais les nouveaux tarifs et l’affirmation du tribunal que la nomenclature ne contient aucun élément additionnel par rapport à la sentence arbitrale manquerait en fait.
Pour le surplus, la nomenclature serait obligatoirement applicable. L’AMMD renvoie dans ce contexte aux articles 64, alinéa 1er, point 2, et 65, paragraphe 7, du Code de la sécurité sociale selon lesquels les nomenclatures sont déterminées par des règlements grand-ducaux, ainsi qu’à l’article 68 de la convention modifiée du 13 décembre 1993, de sorte qu’il ne serait pas possible de soutenir que la nomenclature ne serait qu’un simple « guide pratique » et la revalorisation finalement retenue serait celle figurant dans la nomenclature.
Finalement, l’AMMD pose la question de la constitutionnalité du régime de l’article 70 du Code de la sécurité sociale qui, à ses yeux, serait incompatible avec les articles 11, paragraphes (5) et (6), 32, paragraphe (3), et 36 de la Constitution. Ainsi, la matière dont s’agit serait doublement réservée à la loi pour régler la sécurité sociale et affecter l’exercice de la profession libérale de médecin et ledit article 70 conférerait au CSSS une compétence d’exécution de la loi, ladite compétence étant cependant réservée d’après la Constitution au Grand-Duc, ce d’autant plus que le pouvoir du CSSS s’exercerait en-dehors de toute surveillance, ses sentences n’étant susceptibles ni d’appel, ni d’un pourvoi en cassation et ne seraient pas suffisamment encadrées.
Partant, elle suggère de saisir sur ce point la Cour constitutionnelle des deux questions préjudicielles suivantes, à savoir :
« les articles 70, paragraphe 1er et paragraphe 3 du Code de la sécurité sociale, en tant que le paragraphe 1er, alinéa 2 confère au Conseil supérieur de la sécurité sociale le pouvoir de fixer la revalorisation des lettres-clés des médecins-dentistes dans une sentence arbitrale qui en vertu du paragraphe 3 s’applique ensuite à l’ensemble des prestataires dans leurs relations avec les personnes couvertes par l’assurance maladie sont-ils conformes aux articles 11 (5) et 11 (6) de la Constitution en ce qu’ils ne déterminent pas [les] fins, les conditions et les modalités de l’exercice de cette prérogative et laissent au Conseil [supérieur de la sécurité sociale] une large marge de manœuvre dans sa prise de décision », et « les articles 70, paragraphe 1er et paragraphe 3 du Code de la sécurité sociale, en tant que le paragraphe 1er, alinéa 2 confère au Conseil supérieur de la sécurité sociale le pouvoir de fixer la revalorisation des lettres-clés des médecins-dentistes dans une sentence arbitrale qui en vertu du paragraphe 3 s’applique ensuite à l’ensemble des prestataires dans leurs relations avec les personnes couvertes par l’assurance maladie sont-ils conformes aux articles 32 (3) et 36 de la Constitution en ce qu’ils confèrent au Conseil supérieur de la sécurité sociale une compétence d’exécution de la loi ».
La partie étatique rappelle que si la CNS négociait en principe avec les médecins et les médecins-dentistes tous les deux ans la revalorisation des lettres-clés, il serait arrivé dans le passé, que le législateur aurait fixé lui-même la valeur de la lettre-clé, comme à l’article 4 de la loi du 17 décembre 2010 portant réforme des soins de santé pour la période du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2012. Par contre pour la période 2013 et 2014, la revalorisation de la lettre-clé aurait de nouveau fait l’objet d’une négociation encadrée dans la mesure où l’article 66 du Code de la sécurité sociale prévoit comme limite supérieure la variation du revenu moyen cotisable, 8soit 1,25 %. En cas d’échec de la négociation, l’Inspection générale de la sécurité sociale convoquerait, conformément aux articles 69 et 70 du Code de la sécurité sociale, les parties en vue de la désignation d’un médiateur et le médiateur serait tenu de dresser un procès-verbal de non-conciliation à l’adresse du CSSS, si aucun accord n’est trouvé, le CSSS rendant ensuite une sentence arbitrale qui ne serait susceptible d’aucune voie de recours.
En droit, l’Etat demande la confirmation pure et simple du jugement dont appel. Il soutient que la sentence arbitrale litigieuse ne constituerait ni un acte administratif individuel, ni un acte réglementaire et n’émanerait pas d’une autorité administrative, mais d’une juridiction, et ne serait partant susceptible d’aucune voie de recours. Ainsi, il se dégagerait des documents parlementaires n° 3513 que la volonté du législateur aurait été de renforcer le caractère juridictionnel de la procédure lors de l’introduction de l’article 70 du Code de la sécurité sociale, auquel renvoie l’article 68 de la convention modifiée du 13 décembre 1993 conclue entre l’AMMD et la CNS, et le système de fixation de la valeur de la lettre-clé mis en place par le législateur aurait été expressément accepté par l’AMMD. Ainsi, l’arbitrage critiqué par l’AMMD ne serait non seulement prévu par la loi, mais serait également conventionnel.
Concernant la prétendue violation de l’article 6 de la CEDH, la partie étatique souligne que le législateur a souhaité que la procédure de fixation de l’adaptation de la valeur de la lettre-clé se déroule dans un laps de temps assez bref et que l’article 6 de la CEDH, dans son volet civil, ne requérait pas que soit mis en place un deuxième degré de juridiction, à condition que la juridiction ayant tranché le litige réponde aux exigences dudit article 6, l’AMMD restant pour le surplus en défaut de soumettre des éléments suffisants permettant de conclure que la procédure litigieuse devant le CSSS ne réponde pas aux exigences de l’article 6 de la CEDH.
En relation avec le recours pour autant que dirigé contre la nomenclature, l’Etat soutient qu’il s’agirait uniquement d’une publication de la CNS destinée à servir de guide pratique d’information et contenant la liste des actes et services des médecins et médecins-dentistes pris en charge par l’assurance maladie et les transferts applicables à ces actes et services, tarifs calculés à partir des coefficients fixés par règlement grand-ducal et de la lettre-clé fixée par voie conventionnelle ou par sentence arbitrale.
Quant à la motivation de la sentence arbitrale litigieuse, la partie étatique rappelle en premier lieu que la valeur de la lettre-clé constitue tant un élément qui détermine une partie de la rémunération des prestations des médecins et des médecins-dentistes qu’un instrument de régulation des dépenses de l’assurance-maladie et que si l’article 67, alinéa 1er, du Code de la sécurité sociale imposait une limite à l’augmentation de la lettre-clé, la loi n’imposerait ni un minimum à l’augmentation, ni le plafond comme taux obligatoire de revalorisation. Ainsi, le CSSS, après avoir constaté que l’augmentation du volume des actes des médecins-dentistes pour la période concernée était justifiée et les dépenses autorisées par le Contrôle médical, que l’article 67 de Code de la sécurité sociale laissait une marge de manœuvre et de fixation de l’adaptation de la valeur de la lettre-clé, que pour la période de référence le volume des dépenses de l’assurance-maladie avait augmenté et que ces dépenses constituaient une augmentation de la rémunération globale des médecins-dentistes, tout en correspondant à un nombre accru des prestations justifiées, en aurait déduit que tant la revendication d’une augmentation maximale qu’un refus total d’augmentation de la valeur de la lettre-clé n’étaient pas justifiées pour ensuite 9fixer le valeur de la lettre-clé à 0,65 %. Partant, la décision litigieuse du CSSS, empruntant la voie médiane, serait motivée à suffisance de droit.
Finalement, quant aux violations constitutionnelles alléguées en relation avec l’article 11, paragraphes (5) et (6) de la Constitution, l’Etat rappelle que la Constitution autoriserait le législateur, en matière de sécurité sociale, d’apporter des restrictions à l’exercice des professions des médecins et médecins-dentistes, tout en renvoyant à l’avis du Conseil d’Etat du 23 novembre 2010 sur le projet de loi n° 6196 portant réforme du système de soins de santé ayant rappelé que « l’objectif de maintenir un système médical de qualité, équilibré et accessible à tous et celui de prévenir un risque d’atteinte grave à l’équilibre financier du système de sécurité sociale constituent des raisons impérieuses d’intérêt général qui justifient une restriction à la liberté d’exercice de la profession libérale ».
Quant à la question de constitutionalité visant les articles 32, paragraphe (3), et 36 de la Constitution, le délégué du gouvernement est d’avis qu’elle est à rejeter faute de pertinence au motif que lesdits articles ne sont pas applicables au cas d’espèce, étant donné que la sentence arbitrale constituerait un acte émanant d’une autorité juridictionnelle.
La CNS, de son côté, rejoint en premier lieu la partie étatique pour soutenir que la nomenclature serait à l’évidence un outil pratique et non pas une décision autonome de nature à faire grief.
Quant à la sentence arbitrale, la CNS, tout en se ralliant au mémoire étatique, fait ajouter que la nature arbitrale de la sentence du CSSS découlerait de plusieurs éléments concordants, à savoir des travaux parlementaires retenant que le CSSS agirait comme arbitre conformément au droit commun de l’arbitrage, du terme de « sentence arbitrale » qui serait inhérent à l’arbitrage et du fait que le CSSS siégerait en composition d’arbitrage à trois magistrats professionnels. Ainsi, d’après la CNS, si la procédure d’arbitrage sous rubrique serait expressément prévue par la loi, elle serait également conventionnelle pour être prévue à l’article 68 de la convention signée le 13 décembre 1993 entre la CNS et l’AMMD. Elle précise sur ce point que l’AMMD n’aurait nullement été obligée de signer cette convention et qu’il n’y avait aucun risque de blocage du système alors que les textes prévoyaient noir sur blanc, qu’à défaut d’accord, c’est la sentence qui régit les rapports entre l’AMMD et la CNS.
La CNS précise encore que le CSSS serait à l’évidence une juridiction et qu’un arbitrage serait toujours rendu en application d’une fonction juridictionnelle et non pas en vertu d’une fonction exécutive.
Tout en se référant aux travaux parlementaires, la CNS rappelle que le législateur aurait choisi la solution avec trois magistrats indépendants et impartiaux pour écarter le plus possible la fonction exécutive par opposition à l’ancien régime où le ministre devait homologuer la décision de l’ancienne Commission de Conciliation et d’Arbitrage. Ainsi, afin d’éviter ce mélange des genres, le législateur aurait opté pour un arbitrage rendu par trois magistrats indépendants exerçant une fonction juridictionnelle, en rendant leur sentence en audience publique et après avoir entendu les parties au litige, c’est-à-dire dans le respect du contradictoire. Elle signale encore que l’AMMD aurait accepté de renoncer à tout recours contre les sentences arbitrales, renonciation qui serait conforme à l’article 1231 du Nouveau code de procédure civile.
10 Concernant la prétendue violation de la liberté de faire le commerce, la CNS rappelle qu’une simple restriction de cette liberté, à condition qu’elle soit applicable à des médecins, serait permise lorsqu’elle est prévue par la loi, ce qui serait précisément le cas en l’espèce.
Quant à la violation de l’article 6 de la CEDH, la CNS conteste l’applicabilité dudit article à une procédure d’arbitrage non seulement obligatoire mais également conventionnelle, ce d’autant plus que l’article 6 de la CEDH ne requérait pas que soit mis en place un deuxième degré de juridiction, à condition que la juridiction ayant tranché le litige réponde aux exigences dudit article, ce qui serait le cas en l’espèce.
Elle estime encore que la sentence arbitrale serait suffisamment motivée, le CSSS ayant retenu que les arguments respectifs se neutralisaient et qu’il y avait donc lieu d’adopter une position médiane par rapport à cette question d’appréciation, sinon d’opportunité en fixant ainsi la hausse à 0,65 %, c’est-à-dire à un niveau supérieur de la hausse préconisée par le médiateur, soit 0,50 % et la seule hypothèse où le CSSS aurait pu prendre une décision illégale aurait été celle d’aller au-delà du plafond admissible. Pour le surplus, la CNS insiste encore sur le constat que la procédure en cause serait une procédure exceptionnelle sous-tendue par des exigences de rapidité et de sécurité juridique en fonction « de la nécessité du respect des délais imposés par la loi pour l’établissement du budget de l’assurance maladie » et sur l’exigence que le CSSS « rende sa sentence arbitrale avant l’expiration de l’ancienne convention ».
Comme la partie adverse ferait une lecture erronée des textes, la CNS estime que les questions préjudicielles articulées sont irrecevables pour ne pas être pertinentes pour la solution du litige.
Concernant la compétence d’attribution des juridictions administratives pour connaître du litige, c’est tout d’abord à bon droit que les premiers juges ont rappelé que cette compétence est définie aux articles 2, paragraphes (1) et (2) et 3, paragraphe 1er, de la loi du 7 novembre 1996, précités.
C’est encore à bon escient que le tribunal a relevé que la sentence arbitrale du 23 janvier 2014 rendue par le CSSS a été prise sur base de la procédure telle qu’inscrite aux articles 69 et 70 du Code de la sécurité sociale, rendue applicable par les parties à travers l’article 68 de la convention du 13 décembre 1993 conclue entre l’AMMD et la CNS, articles qui énoncent en leurs alinéas pertinents pour la solution du litige ce qui suit :
« En l’absence d’accord avant le 31 décembre sur l’adaptation de la lettre-clé conformément à l’article 67 ou sur les tarifs conventionnels non établis moyennant lettre-clé, l’Inspection générale de la sécurité sociale convoque les parties en vue de la désignation d’un médiateur. [article 69, alinéa 1er, du Code de la sécurité sociale] (…) (1) Lorsque la médiation déclenchée en vertu de l’article 69, alinéa 1, n’aboutit pas à un accord sur l’adaptation de la lettre-clé ou des tarifs conventionnels non établis moyennant lettre-clé, le médiateur dresse un procès-verbal de non-conciliation qu’il transmet au Conseil supérieur de la sécurité sociale.
11Le Conseil supérieur de la sécurité sociale rend une sentence arbitrale qui n’est susceptible d’aucune voie de recours. Elle doit être prononcée avant l’expiration de l’ancienne convention. [article 70, paragraphe (1), du Code de la sécurité sociale] ».
Comme aucun texte législatif n’attribue aux juridictions administratives compétence pour connaître, comme juge du fond, d’un recours dirigé contre les sentences arbitrales prises par le CSSS sur le fondement de l’article 70 du Code de la sécurité sociale, c’est à bon droit que le tribunal administratif s’est déclaré incompétent pour connaître du recours en réformation.
Quant au recours subsidiaire en annulation, les parties respectives sont précisément en désaccord sur la question de savoir si la sentence arbitrale litigieuse du CSSS est à qualifier de décision administrative unilatérale susceptible d’un recours en annulation, conformément à l’article 2, paragraphe 2, de la loi précitée du 7 novembre 1996, alors même que l’article 70 du Code de la sécurité sociale prévoit qu’elle n’est susceptible d’aucune voie de recours.
Sur ce point, le tribunal a rappelé qu’échappent en principe à la compétence des juridictions administratives les actes se rattachant à une activité juridictionnelle pour conclure ensuite, après examen d’un certain nombre de critères, que la sentence arbitrale rendue par le CSSS relève précisément d’une fonction juridictionnelle et n’est dès lors pas susceptible d’un recours devant les juridictions administratives.
La Cour constate en premier lieu que le CSSS, d’un point de vue organique, revêt en la présente matière à l’évidence les caractéristiques d’une juridiction pour être composé exclusivement de trois magistrats professionnels indépendants du pouvoir exécutif. S’il est certes exact que le CSSS a hérité ses compétences en la matière de l’ancienne Commission de Conciliation et d’Arbitrage, force est cependant de constater qu’à l’heure actuelle, la décision du CSSS n’est plus homologuée par l’autorité ministérielle et qu’il se dégage des travaux parlementaires à la base de la loi du 27 juillet 1992 portant réforme de l’assurance-maladie et du secteur de la santé, tel que relevé en détail par les premiers juges, qu’il était précisément dans l’intention du législateur de renforcer le caractère juridictionnel des sentences rendues par le CSSS en remplaçant l’ancienne commission composée de représentants des deux parties précisément par des magistrats professionnels et partant indépendants du pouvoir exécutif, tout en abrogeant l’homologation ministérielle. A cela s’ajoute encore, tel que mis en avant par la CNS, que la sentence arbitrale rendue par le CSSS est rendue en audience publique et après avoir entendu les parties au litige par souci du respect du principe du contradictoire, garanties qui sont traditionnellement respectées devant une juridiction et non pas au moment de la prise d’une décision administrative.
Quant à l’argumentaire de l’AMMD que la décision du CSSS ne serait pas une décision juridictionnelle pour constituer une décision d’autorité voire d’opportunité incompatible avec la fonction de juge, c’est à tort que l’appelante soutient que le CSSS aurait pris une décision unilatérale en dehors de tout cadre juridique et sans appliquer une norme de droit. En effet, il convient de noter, d’un point de vue procédural, que le CSSS ne s’est pas saisi lui-même en dehors de tout cadre légal de la problématique sous rubrique, mais sa saisine constitue l’aboutissement d’une procédure prévue en détail aux articles 69 et 70 du Code de la sécurité sociale, à savoir, en premier lieu, une phase de négociation entre la CNS et l’AMMD, en 12deuxième lieu, à défaut d’accord, la voie de la médiation, et, en troisième lieu en cas de constat d’une non-conciliation, un arbitrage qui constitue l’étape finale, la sentence arbitrale n’étant pas susceptible de voie de recours.
Concernant l’argumentation de l’AMMD selon laquelle le CSSS n’aurait pas appliqué une règle de droit mais pris une décision d’autorité reposant sur des motifs d’opportunité incompatible avec une fonction juridictionnelle, il convient de relever, à la lecture de la sentence arbitrale litigieuse, que le CSSS, après avoir rappelé les rétroactes de procédure, a résumé les positions respectives de la CNS et de l’AMMD pour ensuite cerner le cadre juridique applicable et décrire les critères de revalorisation de la lettre-clé et les mettre en relation avec les données pertinentes pour la période de référence, soit les exercices 2013 et 2014. Le CSSS a ensuite relevé que la valeur de la lettre-clé constitue tant un élément qui détermine une partie de la rémunération des prestations des médecins et des médecins-dentistes qu’un instrument de régulation des dépenses de l’assurance-maladie. Il a encore retenu que, même si l’augmentation du volume des actes est justifiée et que les dépenses ont été autorisées par le Contrôle médical, l’article 67 du Code de la sécurité sociale laissait une marge de négociation et de fixation de la valeur de la lettre-clé.
Constatant ensuite que pour la période de référence le volume des dépenses de l’assurance-
maladie pour les prestations des médecins-dentistes avait augmenté de 4,59 % et correspondaient à un nombre accru de prestations, mais qu’en même temps lesdites dépenses constituaient une augmentation de la rémunération globale des médecins-dentistes, le CSSS arriva à la conclusion que tant la revendication d’une augmentation maximale de 1,25 % que le refus total d’une augmentation n’étaient pas justifiés pour retenir une revalorisation de la valeur de la lettre-clé de 0,65 %.
Or, en procédant de la sorte, le CSSS a pris une décision dans les limites de la marge de manœuvre lui laissée par l’article 67 du Code de la sécurité sociale, c’est-à-dire en respectant le cadre légal lui imposé et, ce faisant, il n’a pas pris une décision d’opportunité ou une décision purement politique, mais il a procédé en « amiable compositeur » en jugeant qu’une augmentation de la valeur de la lettre-clé de 0,65 %, soit à une valeur médiane par rapport aux limites lui imposées, était de mise.
L’argumentation consistant à soutenir que le CSSS aurait pris une décision d’autorité incompatible avec une fonction juridictionnelle est partant à abjuger.
Il en est de même de l’argumentaire que la procédure d’arbitrage sous rubrique serait en rupture avec les caractéristiques propres à un véritable arbitrage au motif que tant la compétence du CSSS que la procédure suivie devant lui ne relèverait pas d’un accord entre parties. S’il est certes exact que la procédure suivie se dégage a priori d’un texte de loi, à savoir de l’article 70 du Code de la sécurité sociale, et non pas d’une clause compromissoire, c’est cependant à juste titre que tant la partie étatique que la CNS rétorquent que ladite procédure a été acceptée par l’AMMD par la signature de la convention en date du 13 décembre 1993 dont l’article 68 renvoie au Code de la sécurité sociale pour la revalorisation des lettres-clés des actes professionnels prévus par la nomenclature des actes médicaux. La Cour ne saurait non plus, dans ce contexte, accueillir l’objection de l’AMMD que la signature de la convention du 13 décembre 1993 aurait été imposée par la loi au corps médical, vu que les médecins ont l’obligation d’être conventionnés pour exercer leur profession, et que partant l’AMMD n’aurait pas librement 13consenti à l’arbitrage et marqué son accord avec le système mis en place. En effet, l’AMMD a non seulement accepté la procédure mise en place par le législateur via la signature sans réserve de la convention du 13 décembre 1993, mais l’AMMD n’a par la suite jamais critiqué ce système et a participé, sans la moindre réserve, suite à l’échec de la médiation, à l’arbitrage devant le CSSS, tel que cela se dégage de la sentence arbitrale du 23 janvier 2014.
Ce faisant, les parties au litige ont participé à un arbitrage que l’on peut qualifier de « judiciaire », par opposition à l’arbitrage privé et en confiant au CSSS le pouvoir d’amiable compositeur les parties ont manifesté leur volonté de voir trancher le litige non pas en application des seules règles de droit, mais aussi obtenir en vue d’obtenir une solution équitable et acceptable par l’adaptation, s’il y a lieu, du droit à l’ensemble des circonstances de fait régissant les rapports des parties. Ainsi, l’arbitrage judiciaire établit un pont entre la justice étatique et l’arbitrage privé. En la matière de l’arbitrage judiciaire, le juge, en l’occurrence le CSSS, est amiable compositeur au sein d’une juridiction étatique par la volonté des parties, et n’est pas un élément flottant, décroché de l’ordre des juridictions et les règles du Nouveau code de procédure civile consacrées à l’arbitrage ne lui sont pas applicables. A l’inverse, les règles de compétence judiciaire doivent être respectées et les parties ne peuvent choisir la personne du juge, ou des juges, qui les jugera (voir en ce sens, Jurisclasseur de procédure civile, Volume 9, Fascicule 1005, n° 24 et 25).
Concernant ensuite la critique de l’AMMD qu’aucun recours ne serait ouvert contre la sentence arbitrale en violation de l’article 6 de la CEDH et que la procédure suivie devant le CSSS n’offrirait pas toutes les garanties d’un procès équitable, c’est tout d’abord à bon droit que le tribunal a rappelé que les garanties du procès équitable s’appliquent uniquement à toute procédure mettant en jeu le bien-fondé d’une accusation en matière pénale et que sous son volet civil, l’article 6 de la CEDH ne s’applique qu’aux contestations sur les « droits et obligations de caractère civil », des contestations relevant du droit public ne rentrant pas dans le champ d’application de l’article 6, paragraphe 1er, de la CEDH. Pour le surplus, c’est encore à bon escient que les premiers juges ont rappelé que l’article 6 de la CEDH, dans son volet civil, ne requiert pas que soit mis en place un deuxième degré de juridiction, à condition que la juridiction ayant tranché le litige réponde aux exigences dudit article 6. Or, dans ce contexte, c’est à tort que l’AMMD soutient que la procédure suivie devant le CSSS n’aurait pas offert toutes les garanties d’un procès équitable en ce qu’elle n’aurait pas tenu compte des revendications des parties, étant donné qu’il se dégage du texte de la sentence arbitrale du 23 janvier 2014, d’une part, qu’une audience publique s’est tenue en date du 19 décembre 2013 et que l’AMMD y fut représentée par quatre de ses membres et assistée par son conseil juridique, et, d’autre part, que les revendications et prises de position respectives des parties s’y trouvent actées.
C’est dès lors à tort que l’AMMD conclut dans ce contexte à une violation de l’article 6 de la CEDH pour voir reconnaître à la sentence arbitrale du CSSS un caractère administratif et en déduire une compétence d’attribution dans le chef des juridictions administratives.
Concernant ensuite le recours pour autant que dirigé contre la nomenclature, la Cour constate en premier lieu que l’AMMD a dirigé son recours originaire du 28 mai 2015 contre la nomenclature adoptée par la CNS, version coordonnée au 1er mars 2014, dans la seule mesure où celle-ci applique une revalorisation de la lettre-clé de 0,65 %, tout en sollicitant encore au dispositif de sa 14requête introductive d’instance l’annulation de la décision de la CNS d’appliquer aux honoraires des médecins-dentistes une lettre-clé dont la revalorisation est de 0,65 %.
S’il est exact, d’une part, que la nomenclature sert de base aux décisions de remboursement et qu’elle est opposable au corps médical et, d’autre part, que la sentence arbitrale, contrairement à la nomenclature, ne définit qu’un taux général sans pour autant se prononcer sur les coefficients et les nouveaux tarifs en résultant, et que la nomenclature est obligatoirement applicable, il convient cependant de noter que l’AMMD a sollicité l’annulation de la nomenclature dans la seule mesure où elle applique une revalorisation de la lettre-clé applicable aux actes et services des médecins-dentistes de 0,65 %, telle que fixée par la sentence arbitrale du 23 janvier 2014.
C’est dès lors à bon droit que le tribunal est arrivé à la conclusion que la nomenclature attaquée, version coordonnée au 1er mars 2014, ne contient aucun élément décisionnel propre par rapport au litige sous rubrique, étant donné que les coefficients à la base du calcul des tarifs sont fixés par règlement grand-ducal et que la valeur de la lettre-clé, revalorisée de 0,65 %, se trouve déterminée par la seule sentence arbitrale du CSSS non susceptible de recours devant les juridictions administratives.
Concernant finalement un éventuel contrôle de constitutionnalité de l’article 70 du Code de la sécurité sociale en ce qu’il violerait les articles 11 (5) et 11 (6) de la Constitution, c’est à juste titre que la partie étatique relève que la Constitution autorise le législateur, en matière de sécurité sociale, d’apporter des restrictions à l’exercice des professions de médecin et médecin-dentiste, ceci afin de contenir les dépenses de santé et de contribuer ainsi au maintien de l’équilibre financier du régime de la sécurité sociale, caractéristiques propres au système de la médecine conventionnée. Or, c’est précisément le législateur, en attribuant au CSSS le pouvoir de fixer la revalorisation des lettres-clés applicables aux médecins-dentistes dans une sentence arbitrale, qui a donné respectivement cette prérogative et compétence au CSSS en instaurant la procédure telle que prévue au Code de la sécurité sociale, compétence d’ailleurs acceptée par l’AMMD, tel que relevé ci-avant.
Concernant la deuxième question de constitutionnalité suggérée, à savoir la délégation de pouvoir conférée par le législateur au profit du CSSS en la présente matière, et ceci au préjudice du « monopole reconnu au Grand-Duc pour l’exécution des lois », il y a lieu de retenir que ce n’est pas le CSSS, ou une autre autorité, qui s’est saisi d’office de la question de la revalorisation de la valeur des lettres-clés, mais que c’est précisément le législateur qui a attribué une compétence juridictionnelle au CSSS en la matière, tel que retenu ci-avant.
Partant, la Cour, par application de l’article 6, alinéa 2, de la loi modifiée du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour Constitutionnelle, arrive à la conclusion qu’elle est dispensée de saisir la Cour Constitutionnelle, estimant que les questions constitutionnelles posées sont manifestement dénuées de tout fondement.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que l’appel de l’AMMD n’est pas justifié et qu’il y a lieu à confirmation du jugement entrepris, y compris en ce qu’il a débouté celle-ci de sa demande en allocation d’une indemnité de procédure pour la première instance, l’examen des autres moyens de défense tirés de la tardivité du recours de première instance et de l’absence 15d’intérêt à agir étant surabondant.
Au vu de l’issue du litige, la demande en allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 5.000.- € pour l’instance d’appel formulée par l’AMMD est à rejeter, les conditions légales afférentes n’étant pas remplies.
La CNS a encore relevé appel incident en ce que le tribunal administratif a refusé de faire droit à sa demande d'octroi d'une indemnité de procédure pour la première instance, de même qu’elle sollicite encore en instance d’appel la condamnation de l’AMMD au paiement d’une indemnité de procédure d’un montant de 5.000.- €.
Il convient cependant de rejeter la demande en paiement d’une indemnité de procédure tant pour la première instance que pour l’instance d’appel, étant donné qu’il n’appert pas des éléments en cause en quoi il serait inéquitable pour la CNS de laisser à sa charge les sommes exposées non comprises dans les dépens.
Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit l’appel du 22 août 2016 de l’a.s.b.l. Association des Médecins et Médecins-Dentistes du Grand-Duché de Luxembourg en la forme ;
au fond, le déclare non fondé et en déboute ;
partant, confirme le jugement entrepris du 11 juillet 2016 ;
déboute l’a.s.b.l. Association des Médecins et Médecins-Dentistes du Grand-Duché de Luxembourg et la Caisse Nationale de Santé de leurs demandes respectives en allocation d’une indemnité de procédure pour l’instance d’appel ;
condamne l’a.s.b.l. Association des Médecins et Médecins-Dentistes du Grand-Duché de Luxembourg aux dépens de l’instance d’appel.
Ainsi délibéré et jugé par :
Henri CAMPILL, vice-président, Lynn SPIELMANN, conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, et lu par le président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en-tête, en présence du greffier de la Cour André WEBER.
s. WEBER s. CAMPILL 16