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15/12/2016 | LUXEMBOURG | N°38144C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 15 décembre 2016, 38144C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 38144C du rôle Inscrit le 7 juillet 2016

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Audience publique du 15 décembre 2016 Appel formé par Maître …, Luxembourg, contre un jugement du tribunal administratif du 9 juin 2016 (n° 35817 du rôle) en matière de restitution de sommes consignées Vu l’acte d'appel, inscrit sous le numéro 38144C du rôle et déposé au greffe de la Cour administrative le 7 juillet 2016 par Maître Jonathan HOLLER, avocat à la

Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Maître...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 38144C du rôle Inscrit le 7 juillet 2016

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Audience publique du 15 décembre 2016 Appel formé par Maître …, Luxembourg, contre un jugement du tribunal administratif du 9 juin 2016 (n° 35817 du rôle) en matière de restitution de sommes consignées Vu l’acte d'appel, inscrit sous le numéro 38144C du rôle et déposé au greffe de la Cour administrative le 7 juillet 2016 par Maître Jonathan HOLLER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Maître …, demeurant professionnellement à L-2227 Luxembourg, 15, avenue de la Porte-Neuve, dirigé contre le jugement rendu par le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg le 9 juin 2016 (no 35817 du rôle), par lequel ledit tribunal s’est déclaré incompétent pour connaître de son recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du directeur du Trésor du 7 novembre 2014 refusant de faire droit à sa demande de déconsignation partielle de fonds consignés auprès de la Caisse de consignation;

Vu l’exploit de l’huissier de justice suppléant Partick MULLER, en remplacement de l’huissier de justice Frank SCHAAL, demeurant à Luxembourg, du 20 juillet 2016 portant signification dudit recours à Monsieur …, demeurant à F-…, à …, demeurant à F-

… et à la Trésorerie de l’Etat, dont les bureaux sont établis à L-1475 Luxembourg, 3, rue du Saint-Esprit;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 22 septembre 2016 par Monsieur le délégué du gouvernement Eric PRALONG;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe de la Cour administrative le 26 octobre 2016 en nom et pour compte de l’appelant;

1 Vu les pièces versées au dossier et notamment le jugement entrepris;

Le rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Jonathan HOLLER et Monsieur le délégué du gouvernement Eric PRALONG en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 8 décembre 2016.

Par arrêt du 21 mars 2005, la chambre criminelle de la Cour d’appel du Grand-

Duché de Luxembourg ordonna la mise en liberté provisoire de Monsieur …, poursuivi à l’époque devant les juridictions répressives luxembourgeoises du chef d’empoisonnement, en la subordonnant à la fourniture d’un cautionnement de … €, dont … € pour garantir la représentation de l’intéressé à tous les actes de procédure et pour l’exécution de l’arrêt à intervenir au fond et … € pour le paiement des frais exposés par la partie publique et des amendes.

Le 1er avril 2005, la Trésorerie de l’Etat - Caisse de consignation, ci-après désignée par la « Caisse de consignation », émit un récépissé rédigé comme suit : « (…) Sur base de l’article 4 (1) de la loi du 29 avril 1999 sur les consignations auprès de l’Etat, la Trésorerie de l’Etat, Caisse de Consignation, reconnaît avoir reçu, le 29 mars 2005, de la part de Monsieur …, ayant pour adresse F-…, la somme de … EUR (…) pour être consignée à titre de cautionnement pour Monsieur ….

La consignation a été faite en exécution de l’ordonnance no 6/05 de la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, chambre criminelle, rendue le 21 mars 2005 sur base de l’article 114 du Code d’instruction criminelle.

Elle garantit la représentation de l’inculpé à tous les actes de la procédure et pour l’exécution du jugement. (…) ».

Le même jour, elle émit un deuxième récépissé libellé comme suit : « (…) Sur base de l’article 4 (1) de la loi du 29 avril 1999 sur les consignations auprès de l’Etat, la Trésorerie de l’Etat, Caisse de Consignation, reconnaît avoir reçu, le 29 mars 2005, de la part de Monsieur …, ayant pour adresse F-…, la somme de … EUR (…) pour être consignée à titre de cautionnement pour Monsieur ….

La consignation a été faite en exécution de l’ordonnance no 6/05 de la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, chambre criminelle, rendue le 21 mars 2005 sur base de l’article 114 du Code d’instruction criminelle.

Elle garantit le paiement par l’inculpé dans l’ordre suivant : a) des frais faits par la partie publique ; b) de ceux avancés par la partie civile et c) des amendes (…) ».

Par jugement du 18 juin 2014, le tribunal d’arrondissement de Luxembourg, siégeant en matière civile, déclara bonne et valable une saisie-arrêt pratiquée le 6 février 2014 par Maître … entre les mains de la Caisse de consignation à l’encontre de Monsieur 2 … pour le montant de … € et dit qu’en conséquence, toutes les sommes dont la partie tierce-saisie se reconnaîtra ou sera jugée débitrice envers la partie saisie, Monsieur …, seront versées par elle entre les mains de la partie saisissante, Maître …, en déduction et jusqu’à concurrence de sa créance en principal et frais.

Par courrier du 16 juillet 2014, Maître … demanda à la Caisse de consignation de lui verser la somme de … €, en exécution du jugement susmentionné du tribunal d’arrondissement de Luxembourg du 18 juin 2014.

Par courrier du 16 octobre 2014, Maître … réitéra cette demande, qui fut rejetée par une décision du directeur du Trésor, ci-après désigné par le « directeur », du 7 novembre 2014, libellée comme suit :

« (…) Je reviens au dossier sous référence, et plus particulièrement à votre demande de déconsignation partielle de fonds consignés en exécution de l'arrêt No 6/05 de la Chambre Criminelle de la Cour d'Appel du 21 mars 2005.

Ledit arrêt avait ordonné la mise en liberté provisoire de Monsieur … moyennant versement d'un cautionnement de EUR ….- (… euros) visant à garantir, en application des articles 114 et 120 et suivants du Code d'instruction criminelle, la représentation de l'inculpé à tous les actes de procédure et pour l'exécution de l'arrêt qui sera rendu en instance d'appel ainsi que le paiement des frais exposés par la partie publique et des amendes (pièce 1).

Il ressort des pièces en notre possession que Monsieur …, le frère de …, a fourni le cautionnement requis en date du 29 mars 2005 (pièce 2).

Deux récépissés référencés 05-1-J006-0003 et 05-1-J006-0004 respectivement, ont été établis en date du 1er avril 2005 en faveur du déposant …, en application de l'article 4 (1) de la loi du 29 avril 1999 sur les consignations auprès de l'Etat (pièces 3 & 4).

Le 6 février 2014, la Trésorerie de l'Etat, Caisse de consignation s'est vu signifier de votre part une ordonnance de saisie-arrêt à concurrence de EUR …,- (…) à titre de sommes, deniers ou valeurs que la Trésorerie de l'Etat, Caisse de consignation pourrait redevoir à …. (pièce 5).

En date du 21 février 2014, la Trésorerie de l'Etat, Caisse de consignation certifie, conformément à l'article 705 du Nouveau Code de procédure civile, avoir reçu un montant de EUR … (… euros) en date du 29 mars 2005 de la part de …, pour être consigné en exécution de l'arrêt No 6/05 à titre de cautionnement pour … (pièce 6).

Le 16 juillet 2014, la Trésorerie de l'Etat, Caisse de consignation reçoit copie du jugement civil no 145/2014 du 18 juin 2014 déclarant bonne et valable la saisie-arrêt du 6 février 2014 entre les mains de la Trésorerie de l'Etat au préjudice de … pour le montant de € … (pièce 7).

3 Or, en application des articles 123, 124 et 125 du Code d'Instruction criminelle, la Trésorerie de l'Etat, Caisse de consignation affectera, sur information du Ministère Public, la première partie du cautionnement soit à l'Etat, soit au déposant, et la deuxième partie du cautionnement soit au déposant, soit aux réparations, frais et à l'amende, en restituant le surplus, s'il y en a, au déposant.

La Trésorerie de l'Etat, Caisse de consignation n'étant donc pas débitrice envers la partie saisie, …, je ne peux de ce fait donner de suite favorable à votre demande de déconsignation partielle en votre faveur. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 6 février 2015, Maître … fit introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision directoriale précitée du 7 novembre 2014.

Par jugement du 9 juin 2016, le tribunal administratif se déclara incompétent ratione materiae pour connaître de ce recours dans ses deux volets, tout en condamnant le demandeur aux frais et en rejetant sa demande tendant à l’allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 1.000.- €.

Les premiers juges retinrent que le litige leur soumis a pour objet une contestation portant sur la détermination de l’ayant droit auquel la Caisse de consignation est chargée de faire la distribution de sommes déposées dans le cadre d’un cautionnement en matière pénale, en vertu de l’article 125, alinéa 3 du CIC.

Pour arriver à cette conclusion, les premiers juges considérèrent que le litige qu’ils étaient amenés à analyser avait pour objet une contestation portant sur la détermination de l’ayant droit auquel la Caisse de consignation est chargée de faire la distribution de sommes déposées dans le cadre d’un cautionnement en matière pénale, en vertu de l’article 125, alinéa 3 du Code d’instruction criminelle, en abrégé « CIC ».

Sur ce, ils constatèrent qu’aucune compétence spéciale n’avait été conférée au juge administratif pour connaître de pareille contestation, d’une part, et que sa compétence générale pour connaître d’un recours en annulation introduit à l’encontre d’une décision administrative, était conditionnée par l’absence d’un autre recours prévu par les lois et règlements et que cette condition n’était pas remplie en l’espèce, l’article 125, alinéa 4 du CIC conférant une compétence exclusive à la chambre du conseil pour en connaître, d’autre part.

Par requête déposée le 7 juillet 2016 au greffe de la Cour administrative, Maître … a régulièrement relevé appel du jugement du 9 juin 2016.

A l’appui de sa requête d’appel, l’appelant soutient que les premiers juges se seraient référés à tort à l’article 125, alinéas 3 et 4 du CIC pour en dégager l’incompétence du juge administratif pour connaître de son recours.

4 L’appelant estime que le litige n’aurait pas trait à une contestation au sens de l’article 125 du CIC ni à une question relativement à l’existence d’un droit subjectif civil.

Au contraire, le recours aurait trait à un contentieux administratif objectif et, plus particulièrement, une question de légalité d’une décision administrative de refus de déconsignation relevant clairement de la compétence du juge administratif.

Sur ce, il fait valoir que le droit subjectif qu’il ferait valoir aurait été consacré par le jugement du tribunal d’arrondissement de Luxembourg du 18 juin 2014, n° 145/2014 et que le directeur ne saurait valablement refuser la déconsignation des sommes consignées par Monsieur … pour compte de son frère.

En ordre subsidiaire, l’appelant demande à la Cour de saisir la Cour supérieure de justice d’une question préjudicielle en application, in fine, de l’article 95 de la Constitution aux termes duquel « (…) La Cour supérieure de justice réglera les conflits d’attributions d’après le mode déterminé par la loi ».

En guise de conclusion sur ce point, l’appelant demande à la Cour de réformer le jugement a quo et de constater la compétence du juge administratif pour connaître du recours lui soumis et, pour le surplus, de renvoyer le dossier devant les premiers juges pour voir statuer quant au fond, afin qu’il puisse bénéficier de deux degrés de juridiction.

Au fond, pour le cas où la Cour entendrait évoquer le fond, l’appelant soutient que ce serait tardivement, en l’occurrence près de six mois après le prononcé du jugement de validation de saisie du 18 juin 2014, que la Caisse de consignation lui aurait « (…) opposé les articles 123, 124 et 125 du [CIC] et [aurait] privilégié la théorie selon laquelle elle [serait] débitrice du déposant des fonds plutôt que débitrice du propriétaire réel de la caution (…) ». Cette attitude serait non seulement préjudiciable à ses intérêts patrimoniaux, mais aurait aussi pour effet de « (…) conforter Monsieur … dans son sentiment de toute puissance vis-à-vis de la justice luxembourgeoise et dans ses manœuvres tendant à organiser son insolvabilité (…) ».

Par ailleurs, l’appelant conteste l’argumentation de la partie étatique selon laquelle le simple acte matériel de dépôt des fonds, conformément aux articles 120 et 121 du CIC, ferait naître une présomption de propriété de ceux-ci dans le chef du déposant. A cet égard, il fait valoir que dans l’hypothèse d’une mise en liberté provisoire sous la condition de fournir un cautionnement, l’inculpé serait débiteur, à l’égard de la Trésorerie de l’Etat, d’une obligation de verser une certaine somme d’argent. Pour le cas où ce ne serait pas l’inculpé lui-même qui dépose cette somme, mais un tiers, il conviendrait de considérer que ce tiers agit en qualité de mandataire de l’inculpé.

Selon l’appelant, la Caisse de consignation aurait commis une erreur quant à la qualification juridique des faits de l’espèce, en ce qu’elle se serait considérée débitrice à l’égard non pas du propriétaire réel des fonds, en l’occurrence Monsieur …, qui serait, d’ailleurs, seul susceptible de détenir une telle somme d’argent, mais du tiers déposant, respectivement du mandataire du propriétaire des fonds, à savoir Monsieur …, sans exiger de ce dernier la fourniture d’une preuve de la propriété des fonds déposés. A cet égard, il 5 est insisté sur ce que les fonds consignés auprès de la Caisse de consignation seraient la propriété de Monsieur … et que son frère, en procédant au dépôt des sommes en question, n’aurait agi qu’en tant que mandataire de ce dernier. Dès lors, ce serait à tort que la Caisse de consignation se serait considérée débitrice à l’égard de Monsieur ….

Le délégué du gouvernement conclut principalement à la confirmation du jugement entrepris pour les motifs y énoncés.

Ainsi, les premiers juges auraient à bon escient rejeté la demande de saisine de la Cour supérieure de justice pour toiser un conflit d’attribution entre les juridictions de l’ordre administratif et celles de l’ordre judiciaire, faute d’existence d’un mécanisme, obligatoire ou facultatif, de renvoi préjudiciel portant sur la question de la répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction.

Ensuite, les premiers juges seraient encore à confirmer en ce qu’ils ont dégagé de la lecture combinée des alinéas 3 et 4 de l’article 125 du CIC que la chambre du conseil est compétente pour connaître de toutes contestations se rapportant à la distribution aux ayants droits des sommes déposées dans le cadre d’un cautionnement en matière pénale, cette compétence incluant nécessairement, du fait de la généralité des termes employés par le législateur, les contestations ayant trait à la détermination de l’ayant droit des sommes en question.

Dans ce contexte, le tribunal aurait à juste titre rappelé que par courriers des 16 juillet et 16 octobre 2014, Maître … aurait réclamé à la Caisse de consignation le versement d’une partie des sommes consignées en application de l’arrêt, précité, de la chambre criminelle de la Cour d’appel du 21 mars 2005, en se prévalant à cet égard du jugement, précité, du 18 juin 2014 portant validation de saisie et que ce faisant, il aurait demandé la distribution, à son profit, d’une partie des fonds consignés dans le cadre du cautionnement susmentionné, en se prévalant de la qualité d’ayant droit desdits fonds de Monsieur …, qui lui aurait été cédée par l’effet dudit jugement, qualité que la Caisse de consignation refuserait de reconnaître, au motif qu’elle ne serait pas débitrice à l’égard de Monsieur …, le bien-fondé de cette motivation étant contestée par le demandeur initial.

Sur ce, les premiers juges seraient à confirmer en ce qu’ils auraient conclu que le litige leur soumis avait pour objet une contestation portant sur la détermination de l’ayant droit auquel la Caisse de consignation est chargée de faire la distribution de sommes déposées dans le cadre d’un cautionnement en matière pénale, en vertu de l’article 125, alinéa 3 du CIC et retenu que seule la chambre du conseil serait compétente pour ce faire.

Au-delà, le délégué estime que l’appelant serait à considérer comme un ayant droit au sens des articles 123 et 124 du CIC et que la Caisse de consignation aurait à juste titre vérifié et contesté la qualité d’ayant droit de Maître …. En substance, la partie étatique estime que l’argumentation de l’appelant selon laquelle la « (…) question du droit subjectif civil (…) » aurait été définitivement tranchée par le jugement susvisé du tribunal d’arrondissement de Luxembourg du 18 juin 2014, au motif, d’une part, que si les fonds litigieux n’appartiennent certes pas à l’Etat, ledit jugement n’aurait pas retenu 6 que lesdits fonds pourraient être saisis au bénéfice de Maître … et, d’autre part, que l’absence de déclaration négative de la part de l’Etat ne constituerait pas une confirmation implicite que l’ayant droit des fonds versés par Monsieur … serait Monsieur ….

En vertu de l'article 84 de la Constitution, « les contestations qui ont pour objet des droits civils sont exclusivement du ressort des tribunaux », tandis que l'article 95bis, (1) de la Constitution attribue le contentieux administratif aux juridictions administratives.

Le recours contentieux dont Maître … a saisi les juridictions administratives est dirigé contre une décision prise par le directeur par laquelle il est refusé de faire droit à la demande de Maître … de voir libérer en sa faveur une partie d’une somme consignée auprès de la Caisse de consignation, sur base de la loi du 29 avril 1999 sur les consignations auprès de l’Etat, ci-après désigné par « la loi du 29 avril 1999 », et en application d’une décision judiciaire (i.e. l’arrêt précité de la chambre criminelle de la Cour d’appel du 21 mars 2005) pour compte de Monsieur ….

Le cadre légal des consignations, forcées ou volontaires, est tracé par la loi du 29 avril 1999 et son article 6 a trait plus spécialement à la restitution des biens consignés. Il y est disposé ce qui suit :

« (1) La restitution des biens consignés aux ayants droit nécessite une décision motivée de la part de la caisse de consignation.

En cas de consignation sur base de l’article 1er (1), la restitution intervient suite à l’acte qui l’autorise. En cas de consignation sur base de l’article 1er (2), la restitution intervient sur demande dûment justifiée.

(2) La restitution porte soit sur les biens consignés en nature, soit sur les sommes acquises en lieu et place des biens initialement consignés. Sous réserve de l'article 5(5), elle porte également sur les fruits et produits de ces biens et sommes, tels qu'établis par la caisse de consignation. La caisse de consignation n'est pas tenue de verser ces fruits et produits avant la fin de la consignation.

(3) La caisse de consignation ne peut effectuer la restitution qu'après avoir reçu paiement, de la part des ayants droit au profit du Trésor, des frais restant dus ».

La décision critiquée au fond par Maître … se révèle de par sa nature constituer une décision telle que prévue par l’article 1er de la loi du 29 avril 1999, partant a priori une décision administrative au sens de l’article 95bis de la Constitution, qui pour le surplus, est manifestement de nature à faire grief à l’intéressé.

Comme il est patent que ni la loi du 29 avril 1999, ni une quelconque autre disposition légale n’ont conféré une compétence au juge administratif pour connaître comme juge du fond en la matière, c’est à bon escient que les premiers juges se sont 7 déclarés incompétents pour connaître du recours principal en réformation. Le jugement est donc à confirmer sur ce premier point.

Les premiers juges se sont encore déclarés incompétents pour connaître du recours subsidiaire en annulation au motif que le législateur aurait conféré une compétence spéciale à un autre organe, en l’occurrence la chambre du conseil, pour connaître du litige.

Il est vrai que l'article 2 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l'ordre administratif attribue une compétence générale au tribunal administratif pour connaître, comme juge de l’annulation, des recours dirigés contre les actes administratifs contre lesquels aucun autre recours n'est légalement prévu.

Ainsi, pour décliner sa compétence de droit commun pour connaître d’un recours en annulation dirigé contre un acte administratif, le juge administratif devra constater l'existence d’un recours spécifique prévu à son encontre.

Si ainsi la démarche du tribunal n’est en principe pas critiquable, la Cour ne partage pas la constatation des premiers juges relativement à l’existence d’une disposition légale conférant une compétence spéciale à un autre organe.

En effet, au-delà de toutes autres considérations relativement à la délimitation de l’objet de l’article 125, alinéa 3 du CIC et à admettre que ladite disposition soit à entrevoir comme attribuant une compétence à la chambre du conseil pour connaître d’une contestation portant sur la détermination de toutes les personnes auxquelles la Caisse de consignation doit faire la distribution de sommes déposées dans le cadre d’un cautionnement en matière pénale, force est de constater que l’objet du recours introduit par Maître … reste une décision administrative dont le contrôle de la légalité se situe entre les mains de la juridiction de droit commun en la matière, à savoir le tribunal administratif.

En effet, si la contestation de la qualité d’ayant droit dans le chef Maître … dégagée par les premiers juges est certes une question fondamentale en l’espèce et la solution à y apporter de nature à déterminer l’issue du litige, il s’agit cependant d’une question qui relève du fond de l’affaire, mais non pas d’une question de nature à interférer au niveau de la compétence du juge saisi.

Il convient partant de réformer le jugement a quo en ce sens et de retenir la compétence du juge administratif pour connaître du recours en annulation introduit par Maître ….

Lorsque les premiers juges n'ont pas été amenés à statuer au fond, la Cour, sur base notamment des dispositions de l'article 597 du Nouveau Code de procédure civile, applicable à défaut de dispositions spécifiques afférentes prévues en matière de procédure contentieuse administrative, après avoir infirmé le premier jugement en ce qu'il s’est déclaré, à tort, incompétent pour connaître du recours lui soumis, détient la faculté de statuer en même temps sur le fond, définitivement, par un seul et même arrêt (cf. Cour 8 adm. 15 juin 2006, n° 21087C du rôle, Pas. adm. 2016, V° Procédure contentieuse, n° 934 et autres références y citées).

Dans la mesure où la recevabilité du recours en annulation n’est point litigieuse et où la question à solutionner au fond se trouve suffisamment instruite pour qu’un arrêt puisse intervenir sur base des mémoires et pièces d’ores et déjà déposés, étant relevé que les deux parties ont pu développer leurs argumentations afférentes tant devant le tribunal que devant la Cour, de manière que leurs droits de la défense ne se trouvent point affectés, il y a lieu, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, d’évoquer le fond du recours de Maître ….

Aucune question de recevabilité du recours introductif d’instance n’étant soulevée, il reste à la Cour de constater que celui-ci ayant pour le surplus été introduit suivant les formes et délai prévus par la loi, est dès lors recevable.

Au fond, il convient de prime abord de relever que la loi du 29 avril 1999 distingue fondamentalement entre consignations obligatoires, au sens de l’alinéa 1er de son article 1er, et consignations volontaires, au sens de l’alinéa 2 dudit article 1er.

En effet, l’article 1er de la loi du 29 avril 1999 qui trace le champ d’application de ladite loi, dispose comme suit :

« (1) Tout bien à consigner en vertu d’une loi, d’un règlement, d’une décision judiciaire ou administrative doit être consigné auprès de la caisse de consignation, conformément aux dispositions de la présente loi, nonobstant toutes dispositions légales ou règlementaires antérieures.

(2) Tout bien à consigner volontairement par un débiteur pour se libérer à l'égard d'un créancier peut être consigné avec effet libératoire pour le débiteur auprès de la caisse de consignation, conformément aux dispositions de la présente loi, lorsque la consignation a lieu sur base des articles 1257 à 1263 ou 1264 du Code civil ou lorsque le débiteur, sans faute de sa part, ne peut se libérer en toute sécurité pour des raisons relatives au créancier.

(3) La présente loi s'applique aussi aux consignations faites par l'Etat ».

En l’espèce, en présence d’une consignation obligatoire au sens de l’article 1er, alinéa 1er, de la loi du 29 avril 1999, en l’occurrence intervenue en application d’une décision judiciaire, la restitution de la somme consignée se fait, au vœu de l’article 6 de la loi du 29 avril 1999 aux ayants droit, « suite à l’acte qui l’autorise ».

A travers sa décision litigieuse, la Caisse de consignation refuse de libérer les fonds consignés auprès d’elle essentiellement au motif que la qualité d’ayant droit par rapport à la somme consignée par Monsieur … pour garantir la représentation de son frère, Monsieur …, dans le cadre de l’affaire pénale qui a été poursuivie à son encontre, ne serait pas établie à suffisance dans le chef de Maître ….

9 Indépendamment de la question de savoir si la détermination de l’ayant droit auquel reviennent les 50.000.- € est à faire en application de l’article 125 du CIC ou si les questions de propriété et d’appropriation qui se posent en l’occurrence relèvent de la sphère de compétence d’un autre organe judiciaire, force est de retenir qu’en tout état de cause il s’agit d’un problème au sujet de l’existence d’un droit civil subjectif dont le règlement ne relève pas de la sphère de compétence de la Caisse de consignation.

En effet, en vertu des dispositions combinées des articles 1er, alinéa 1er, et 6 de la loi du 29 avril 1999 relativement aux consignations obligatoires, la Caisse de consignation est certes appelée à vérifier si les prétentions de la personne qui revendique leur libération sont valablement soutenues par un « acte qui autorise » leur libération, mais il n’appartient pas à la Caisse de consignation de déterminer la qualité d’ayant droit, mais seulement de vérifier cette qualité et d’examiner, sur base des éléments de fait lui soumis, si la personne requérant la restitution de fonds consignés se fonde sur un acte l’y autorisant.

Selon la partie appelante, l’acte qui autoriserait cette libération serait le jugement précité rendu par le tribunal d’arrondissement de Luxembourg en date du 18 juin 2014, sous le n° 145/2014.

Or, de concert avec la partie étatique, la Cour arrive à la conclusion que ce jugement est bien loin de consacrer le droit subjectif dont Maître … entend se prévaloir.

En effet, ledit jugement civil déclare bonne et valable la saisie-arrêt du 6 février 2014 pratiquée par Maître … entre les mains de la Trésorerie de l’Etat au préjudice de Monsieur … pour un montant de … € et il dit que « toutes les sommes dont la tierce-

saisie se reconnaîtra ou sera jugée débitrice envers la partie saisie, … » seront à verser à la partie saisissante, mais il ne se prononce pas sur la question de la propriété du montant de 50.000.- € consigné par le frère de Monsieur ….

Or, dès lors que ledit montant de … € n’a pas été versé par Monsieur …, mais par son frère, certes pour le compte du premier, mais dans le cadre spécifique de la procédure pénale menée à l’encontre de Monsieur … et que ce n’est pas l’Etat bénéficiaire de la somme consignée qui réclame leur libération du fait d’une non-représentation de celui-ci, la Caisse de consignation paraît a priori non critiquable en ce qu’elle présume que le montant consigné revient au déposant et non pas à Monsieur … et requiert de la part de l’actuel appelant qu’il produise une décision judiciaire par laquelle elle est jugée débitrice envers Monsieur … ou un autre acte autorisant la libération sollicitée.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en annulation laisse d’être fondé et l’actuel appelant est à en débouter.

Eu égard à l’issue du litige, les demandes en allocation d'une indemnité de procédure formulées par l'appelant, moyennant appel incident, d’un montant de 1.000.- € pour la première instance, respectivement d’un montant de 1.250.- € pour l’instance 10 d’appel, sont à rejeter, les conditions d'application de l'article 33 de la loi du 21 juin 1999 n'étant pas remplies Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause;

reçoit l’appel en la forme;

au fond, le dit partiellement justifié;

partant, par réformation du jugement entrepris, dit que le tribunal administratif est compétent pour connaître du recours en annulation;

évoquant, dit ce recours recevable ;

au fond, le déclare cependant non fondé ;

confirme le jugement dont appel pour le surplus ;

rejette les deux demandes de l’appelant en allocation d'une indemnité de procédure;

condamne l’appelant aux frais des deux instances.

Ainsi délibéré et jugé par:

Henri CAMPILL, vice-président, Lynn SPIELMANN, conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, et lu par le vice-président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier de la Cour André WEBER.

s. WEBER s. CAMPILL 11


Synthèse
Numéro d'arrêt : 38144C
Date de la décision : 15/12/2016

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2016-12-15;38144c ?

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