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08/12/2016 | LUXEMBOURG | N°38378C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 08 décembre 2016, 38378C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 38378C Inscrit le 23 août 2016

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Audience publique du 8 décembre 2016 Appel formé par Monsieur …, … (B), contre un jugement du tribunal administratif du 14 juillet 2016 (n° 36443 du rôle) en matière d’impôts - appel en garantie

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Vu la requête d’appel, inscrite sous le numéro 38378C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrat

ive le 23 août 2016 par Maître Gilbert REUTER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordr...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 38378C Inscrit le 23 août 2016

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Audience publique du 8 décembre 2016 Appel formé par Monsieur …, … (B), contre un jugement du tribunal administratif du 14 juillet 2016 (n° 36443 du rôle) en matière d’impôts - appel en garantie

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Vu la requête d’appel, inscrite sous le numéro 38378C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 23 août 2016 par Maître Gilbert REUTER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom et pour le compte de Monsieur …, gérant commercial, demeurant à B-…, dirigée contre le jugement du 14 juillet 2016 (n° 36443 du rôle), par lequel le tribunal administratif a rejeté son recours tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du 18 mars 2015 du directeur de l’administration des Contributions directes (n° C 20646 du rôle), rejetant sa réclamation introduite à l’encontre d’un bulletin d’appel en garantie établi à son encontre le 21 novembre 2014 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 26 septembre 2016 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe de la Cour administrative le 24 octobre 2016 par Maître Gilbert REUTER au nom de l’appelant ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris;

Le rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Jean-Luc GONNER, en remplacement de Maître Gilbert REUTER, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Lou THILL en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 1er décembre 2016.

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Le 21 novembre 2014, le bureau d’imposition Sociétés Diekirch de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par « le bureau d’imposition », émit un bulletin d’appel en garantie (Haftungsbescheid) en vertu du paragraphe 118 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO », à l’encontre deMonsieur …, en sa qualité de gérant unique de la société à responsabilité limitée … S.àr.l., ledit bulletin déclarant Monsieur … redevable d’un montant de 33.000,52 euros, en principal, intérêts et avances, au titre de l’impôt sur le revenu des collectivités relatif aux années d’imposition 2008 à 2010 et 2012 à 2014, de l’impôt commercial communal relatif aux années d’imposition 2008 à 2010 et de l’impôt sur la fortune relatif aux années d’imposition 2008 à 2010 et 2012 à 2014 incombant à la société ….

Par courrier de son litismandataire du 19 février 2015, Monsieur … fit introduire une réclamation auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par « le directeur », à l’encontre dudit bulletin d’appel en garantie.

Par décision du 18 mars 2015 (n° C 20646 du rôle), le directeur rejeta cette réclamation comme non fondée au terme de la motivation suivante :

« (…) Vu la requête introduite le 20 février 2015 par Me Gilbert REUTER, au nom du sieur …, demeurant à B-…, pour réclamer contre le bulletin d'appel en garantie émis en vertu du § 118 de la loi générale des impôts (AO) par le bureau d'imposition Sociétés Diekirch en date du 21 novembre 2014 ;

Vu le dossier fiscal ;

Vu le § 119 alinéa 1er AO, ensemble les §§ 228 et 301 AO ;

Considérant que la réclamation a été introduite par qui de droit (§238A0) dans les formes (§249A0) et délai de la loi ; qu'elle est partant recevable ;

Considérant que le bureau d'imposition, après avoir constaté que le réclamant était tenu en sa qualité de gérant de la société à responsabilité limitée …, en liquidation judiciaire, de payer sur les fonds administrés les impôts dont la société était redevable et qu'il avait négligé de remplir les obligations qui lui incombaient à cet égard aux termes du § 103 AO, l'a déclaré responsable du non paiement de l'impôt sur le revenu des collectivités, de l'impôt commercial communal et de l'impôt sur la fortune dus par la société pour les années 2008 à 2014 au montant total de 33.000,52 euros ; qu'à cet égard l'omission de verser les sommes échues serait à considérer comme faute grave au sens du § 109 AO ;

Considérant que le réclamant fait notamment valoir que tout en ayant été nommé gérant de la société en cause, il n'a pas pu engager cette dernière vu qu'il aurait été tenu à l'écart de la gestion ;

Considérant que le représentant est responsable du paiement des dettes d'impôt de la personne morale qu'il représente dans les conditions prévues aux §§ 103 et 109 AO ;

Qu'aux termes du § 103 AO il est tenu de remplir les obligations fiscales incombant à la société, notamment de remettre les déclarations fiscales dans les délais légaux et de payer sur les fonds qu'il gère les impôts dont la société est redevable (CE 20.10.1981 no 6902) ;

Que dans la mesure où le gérant, par l'inexécution fautive de ces obligations, a empêché la perception de l'impôt légalement dû, il est, en principe constitué codébiteur solidaire des arriérés d'impôt de la société, conformément au § 109 AO ;

2 Que la responsabilité du gérant est à qualifier de fautive du moment que les impôts échus, même avant son entrée en fonction, ne sont pas payés sur les fonds disponibles de la société à l'administration ;

Considérant que sa responsabilité, pour les actes par lui accomplis pendant la période de ses fonctions, survit à l'extinction de son pouvoir de représentation (§110 AO) ;

Considérant que sous l'empire du § 118 AO la poursuite du tiers responsable, à la différence de l'imposition du contribuable, est toujours discrétionnaire et exige de ce fait, en vertu du § 2 de la loi d'adaptation fiscale (StAnpG), une appréciation effective et explicite des circonstances qui justifient la décision en raison et en équité (BFH 19.02.1965 StRK § 44 EStGR,13 ; jurisprudence constante TA et CA) ;

Que l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire implique une motivation quant au principe-même de la mise en oeuvre de la responsabilité d'un ou de plusieurs représentants, quant à la désignation du représentant dont la responsabilité est engagée et quant au quantum de sa responsabilité ;

Considérant qu'un manquement à une obligation fiscale découlant du § 103 AO dans le chef du gérant d'une société n'est pas suffisant pour engager sa responsabilité en application du § 109 alinéa 1er AO et pour voir émettre à son encontre un bulletin d'appel en garantie, le législateur ayant posé à cet égard l'exigence supplémentaire d'une inexécution fautive — «schuldhafte Verletzung » - des obligations du représentant de la société envers le fisc (CA du 22.02.2000, no 11694C) ;

Considérant qu'en l'espèce l'auteur de la décision a révélé les circonstances particulières susceptibles de justifier sa décision et de poursuivre le réclamant et de mettre à sa charge l'intégralité des arriérés de la société au titre de l'impôt sur le revenu des collectivités, de l'impôt commercial communal et de l'impôt sur la fortune dus par la société pour les années 2008 à 2014 ;

Qu'il développe clairement les raisons qui l'ont conduit à engager la responsabilité du réclamant pour les années d'imposition litigieuses ;

Considérant qu'il se dégage d'une publication au Registre de Commerce et des Sociétés que lors de l'assemblée générale extraordinaire du 2 mai 1991, le réclamant a été nommé gérant unique de la société …, sans qu'une démission n'ait été publiée par la suite ;

Qu'en cette qualité il était en charge de la gestion journalière de la société et avait le pouvoir d'engager la société sous sa seule signature ;

Considérant que l'auteur de la décision a également motivé sa décision en ce qui concerne le montant pour lequel la responsabilité du réclamant est engagée en vue des éléments qui précèdent ;

Considérant en effet qu'il se dégage du dossier fiscal, que les déclarations pour l'impôt sur le revenu des années 1991 à 2000 ont été déposées tardivement et que les suivantes non pas été déposées du tout de même que les bilans n'ont pas été publiés au Registre de Commerce et des Sociétés ;

3 Que cette façon de procéder constitue une faute grave et une violation des obligations incombant au représentant légal de la société ;

Considérant que par ces agissements le réclamant a donc sciemment omis de verser l'impôt sur le revenu des collectivités, l'impôt commercial communal et l'impôt sur la fortune dus par la société pour les années 2008 à 2014 au montant total de 33.000,52 euros et que partant il a empêché la perception de l'impôt légalement dû ;

Considérant qu'il s'ensuit que la responsabilité du réclamant en tant que gérant de la société en cause est incontestablement établie et la mise à charge de l'intégralité des arriérés de celle-ci au titre des impôts ci-avant énumérés est justifiée ;

Considérant par ailleurs, que de même qu'en matière de responsabilité du fait personnel (art. 1382 du code civil), l'auteur du dommage ne peut pas s'exonérer en invoquant une prétendue faute d'un tiers, lequel n'entrera en ligne de compte qu'au stade du recours entre les coresponsables, le représentant responsable sur le fondement du § 109 AO ne peut s'opposer à une poursuite au motif qu'elle n'a pas été engagée contre l'autre ;

PAR CES MOTIFS reçoit la réclamation en la forme, la rejette comme non fondée ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 17 juin 2015, Monsieur … fit introduire un recours tendant à la réformation sinon à l’annulation de la décision précitée du directeur du 18 mars 2015.

Par jugement du 14 juillet 2016, le tribunal administratif reçut le recours en réformation dirigé contre ladite décision directoriale en la forme, au fond, le déclara non justifié et en débouta le demandeur, tout en disant qu’il n’y avait pas lieu d’analyser le recours subsidiaire en annulation. Il déclara encore irrecevable la demande en obtention d’un sursis à exécution sinon d’un échelonnement du paiement du montant dû au titre de l’impôt sur le revenu des collectivités, de l’impôt commercial communal et de l’impôt sur la fortune et rejeta la demande en allocation d’une indemnité de procédure du demandeur tout en le condamnant aux frais de l’instance.

Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 23 août 2016, Monsieur … a régulièrement relevé appel de ce jugement.

A l’appui de son appel, il fait exposer qu’il aurait été nommé gérant de la société …, constituée le 18 décembre 1990, par l’assemblée générale extraordinaire des associés du 2 mai 1991, en remplacement de Monsieur …. Il aurait été écarté des commandes de la société à la fin des années 1990 sans pouvoir acter cet état de fait auprès du registre de commerce et des sociétés (RCS). Il n’aurait eu plus aucune possibilité pour accéder au RCS afin d’y effectuer les modifications nécessaires ou pour déposer les bilans. Ce serait Monsieur … qui aurait été considéré comme gérant de la société pendant toutes ces années. Le 13 novembre 2014, il aurait finalement pu faire déposer auprès du RCS une « modification non statutaire » consistant en la radiation de Monsieur … comme gérant et sa propre nominationcomme nouvel gérant. Toutefois, dans l’extrait de la société du 19 novembre 2014, le RCS aurait commis l’erreur de l’inscrire comme nouveau gérant en indiquant comme date du début de son mandant celle du 2 mai 1991. Le bulletin d’appel en garantie aurait été envoyé le 21 novembre 2014, soit deux jours seulement après la publication de la modification de gérant. Il précise encore que depuis sa nomination en tant que gérant de la société … en date du 13 novembre 2014, il aurait fait procéder, avec l’aide de sa fiduciaire, au dépôt des bilans de la société des années 1997 à 2014 en l’espace de moins de cinq mois. Les retards dans le dépôt des bilans s’expliqueraient par le fait qu’il n’aurait plus eu qualité pour agir en tant que gérant de la société. Il estime que les efforts qu’il a entrepris pour régulariser la situation de la société en procédant au dépôt des bilans des dix-huit dernières années seraient un indice supplémentaire de ce qu’il n’aurait pas géré la société avant le 19 novembre 2014. Ce serait à cause d’une erreur du RCS, qui l’aurait considéré comme un tiers par rapport à la société avant la date du 19 novembre 2014, qu’il n’aurait plus été habilité à agir comme gérant.

En droit, il reproche tout d’abord au tribunal de ne pas avoir examiné tous les arguments et pièces qu’il avait fournis à l’appui de son argumentation selon laquelle il n’avait pas la qualité à agir comme gérant au nom de la société … au titre des années d’imposition pour lesquelles il est appelé en garantie. Il lui aurait été impossible de déposer le moindre document au RCS, tout comme il lui aurait également été impossible d’effectuer des paiements au nom de la société. Il ne lui aurait pas non plus été possible de démissionner, puisqu’aux yeux du RCS, il n’était pas gérant. Ainsi, il ressortirait d’un extrait du RCS de la société … du 24 septembre 2010 que Monsieur … était inscrit comme gérant. Il n’aurait lui-

même été inscrit comme gérant à la place de Monsieur … qu’en date du 13 novembre 2014.

S’il avait réellement revêtu la qualité de gérant durant ces 20 dernières années, il n’aurait pas eu besoin de requérir une modification au RCS afin de se voir inscrire comme gérant. D’après l’appelant, la seule réponse possible à cette question ne pourrait résider que dans un dysfonctionnement du RCS. N’ayant pas été pas en charge de la gestion de la société durant les années fiscales visées, il n’aurait également pas eu le pouvoir d’agir en temps utile contre les bulletins d’imposition émis à l’encontre de la société …, voire de déposer les bilans et de procéder au paiement des impôts.

A titre subsidiaire, pour le cas où la Cour devrait retenir qu’il avait néanmoins qualité pour agir au nom et pour le compte de la société …, l’appelant conteste tout comportement fautif dans son chef. N’étant pas considéré comme gérant, il n’aurait pas pu faire acter sa démission comme gérant auprès du RCS. Il conteste par ailleurs avoir été l’associé unique de la société. En raison de son impossibilité de démissionner voire de déposer les bilans, aucune faute ne pourrait lui être reprochée. Il en conclut que les impôts échus avant la date de sa nomination comme gérant en date du 13 novembre 2014 ne pourraient pas lui être imputés.

L’appelant reproche ensuite tant à l’administration des Contributions directes qu’aux premiers juges de ne pas avoir apprécié les éléments de la cause en équité et en opportunité.

Il serait ainsi injuste de mettre à sa charge personnelle des impôts échus pour les années fiscales pendant lesquelles il n’était pas en charge de la gestion de la société …, d’autant plus qu’il aurait entrepris de véritables efforts pour reprendre en main et régulariser la situation de la société et procéder au dépôt des bilans des dix-huit dernières années. Il s’interroge ainsi sur les intentions de l’administration des Contributions directes qui aurait préféré le poursuivre personnellement au lieu de taxer la société sur la base des bilans désormais disponibles.

En dernier ordre de subsidiarité, il conteste encore le montant lui réclamé de 33.000,52 euros, en faisant valoir que l’administration des Contributions directes aurait dû calculer les impôts effectivement dus par la société … sur la base des bilans qu’il a faitdéposer entre les mois de décembre 2014 et mars 2015. Il sollicite partant de la Cour, soit de renvoyer le dossier à l’administration des Contributions directes pour le calcul du montant réel des impôts dont la société reste redevable, sinon d’ordonner une expertise pour déterminer les montants exacts des impôts dus par la société et partant par le gérant appelé en garantie. A cet effet, il se prévaut encore de la jurisprudence en la matière selon laquelle le tiers appelé en garantie dispose des mêmes voies de recours et peut faire valoir les mêmes moyens contre le bulletin d’appel en garantie que ceux dont dispose le débiteur principal de l’impôt, à condition qu’il ait été le représentant du débiteur principal et qu’il ait pu agir en temps utile contre les bulletins d’impôt, ce qui précisément n’aurait pas été son cas, comme précédemment développé, de sorte que les bulletins d’impôt ne sauraient emporter autorité de chose décidée à son égard.

L’appelant invoque ensuite la prescription quinquennale pour soutenir que toute dette d’impôt antérieure à 2009 serait en tout état de cause prescrite.

Il fait encore plaider qu’il faudrait, le cas échéant, également tenir compte des montants saisis par l’administration des Contributions directes auprès de la banque BIL qui seraient à déduire du montant réclamé.

L’appelant demande finalement à la Cour, pour le cas où son appel en garantie serait confirmé, de lui accorder un sursis à exécution ainsi qu’un échelonnement du paiement du montant dont il serait redevable au titre de l’appel en garantie.

Le délégué du gouvernement fait en substance valoir que tant l’administration des Contributions directes que les premiers juges auraient fait une saine appréciation de la situation de l’appelant, de sorte que ce dernier serait à débouter de son appel. Il ne serait pas contesté que Monsieur … avait occupé, depuis le 2 mai 1991, la fonction de gérant unique de la société …, alors qu’aucune démission n’aurait été publiée par la suite. Il en déduit que l’appelant aurait été responsable de la gestion journalière de la société avec le pouvoir d’engager celle-ci par sa seule signature. L’appelant ne pourrait pas non plus se soustraire à sa responsabilité en prétendant avoir été tenu à l’écart de la gestion de la société. De même, d’éventuelles irrégularités au niveau des dépôts et publications auprès du RCS ne seraient pas opposables aux tiers, mais il aurait appartenu à l’appelant de régler d’éventuels problèmes au sein de la société ainsi que d’éventuelles erreurs de publication. Il précise que les autorisations d’établissement de la société … n’auraient été valables qu’à la condition que la gérance soit exercée par l’appelant. Il serait également constant que l’appelant aurait été l’associé unique de la société … depuis le 2 mai 1991. Quant à la contestation de l’appelant des montants retenus par le bureau d'imposition, le délégué du gouvernement soutient que les développements afférents seraient à écarter, dès lors que tous les bulletins d’impôt auraient acquis autorité de chose décidée et que l’appelant, en sa qualité de gérant unique de la société, aurait eu la possibilité de les contester par l’introduction d’une voie de recours en temps utile.

L’appelant réfute l’affirmation du délégué du gouvernement selon laquelle il aurait été le gérant unique depuis le 2 mai 1991, tout en insistant sur le fait qu’il n’aurait pas eu cette qualité vis-à-vis du RCS, ce qui l’aurait d’ailleurs empêché de démissionner. Il renvoie aux pièces qu’il a produites qui démontreraient qu’il n’avait pas le pouvoir d’agir au nom et pour le compte de la société …. Il reproche à la partie étatique de ne choisir, parmi les actes publiés au RCS, que ceux qui soutiendraient sa thèse et de faire abstraction de ceux qui l’invalideraient. Or, les publications effectuées par le RCS seraient opposables aux tiers. Ilconteste également l’affirmation de l’Etat selon laquelle il aurait été l’associé unique de la société …, en renvoyant à cet égard à l’acte de constitution de la société.

Concernant le bien-fondé de la mise en œuvre de la responsabilité personnelle de l’appelant, les premiers juges ont à juste titre dégagé le cadre légal applicable à partir des dispositions des paragraphes 103, 108 et 109 AO.

Aux termes du paragraphe 103 AO : « Die gesetzlichen Vertreter juristischer Personen und solcher Personen, die geschäftsunfähig oder in der Geschäftsfähigkeit beschränkt sind, haben alle Pflichten zu erfüllen, die denen Personen, die sie vertreten, obliegen ; insbesondere haben sie dafür zu sorgen, dass die Steuern aus den Mitteln die sie verwalten, entrichtet werden. Für Zwangsgeldstrafen und Sicherungsgelder die gegen sie erkannt, und für Kosten von Zwangsmitteln, die gegen sie festgesetzt werden, haften neben ihnen die von ihnen vertretenen Personen. ».

Il résulte de cette disposition que le gérant d’une société à responsabilité limitée est tenu de remplir les obligations fiscales incombant à la société et notamment de payer sur les fonds qu’il gère les impôts dont la société est redevable.

Concernant la mise en œuvre de la responsabilité personnelle du représentant du fait du non-paiement des impôts auxquels est assujettie la société, il y a lieu de se référer au paragraphe 109 (1) AO, qui dispose que : « Die Vertreter und die übrigen in den Paragraphen 103 – 108 bezeichneten Personen haften insoweit persönlich neben dem Steuerpflichtigen, als durch schuldhafte Verletzung der ihnen in den Paragraphen 103 – 108 auferlegten Pflichten Steueransprüche verkürzt oder Erstattung oder Vergütung zu Unrecht gewährt worden sind ».

Il résulte de cette disposition, ainsi que cela a été relevé à bon droit par les premiers juges, que le simple constat d’un manquement à une obligation fiscale découlant du paragraphe 103 AO dans le chef d’un gérant de société n’est pas suffisant pour engager sa responsabilité personnelle en application du paragraphe 109 (1) AO et pour pouvoir émettre à son encontre un bulletin d’appel en garantie, mais que le législateur a posé l’exigence supplémentaire d’une inexécution fautive, « schuldhafte Verletzung », des obligations du représentant de la société envers l’administration fiscale.

En l’espèce, il se dégage des pièces versées en cause que l’appelant a été nommé gérant unique de la société … par l’assemblée générale extraordinaire des associés du 2 mai 1991, en remplacement de Monsieur …, gérant démissionnaire, qui s’est vu accorder décharge pleine et entière. Cette nomination a fait l’objet d’une publication au Mémorial C n° 403 du 22 octobre 1991, sans que par la suite la démission de Monsieur … en tant que gérant ait été publiée. Si l’appelant conteste en outre avoir été l’associé unique de la société en renvoyant à cet égard à l’acte constitutif de la société, il ressort toutefois des pièces du dossier contentieux fiscal que l’assemblée précitée du 2 mai 1991 a également entériné la cession de 490 sur 500 parts sociales à Monsieur … et les 10 parts restantes à Madame …, de sorte qu’il est l’associé majoritaire de la société, même si cette cession n’a été déposée au RCS qu’en date du 17 mars 2015.

La Cour rejoint ainsi les premiers juges en leur constat que l’appelant doit être regardé de jure comme ayant été, à partir de la date du 2 mai 1991, seul en charge de la gestion journalière de la société avec le pouvoir d’engager celle-ci par sa seule signature, conformément à l’article 8 des statuts sociaux.

Dans la mesure où il n’est pas contesté que les bilans pour les années litigieuses n’ont pas été déposés dans les délais au RCS et que les déclarations fiscales n’ont pas non plus été déposées, ce qui a contraint le bureau d’imposition à procéder par la voie de la taxation d’office pour les années 2008 à 2010 et par la fixation d’avances pour les années 2012 à 2014, le bureau d’imposition a en principe valablement pu retenir une inexécution fautive dans le chef de l’appelant, étant donné qu’en sa qualité de gérant unique, il était conformément au paragraphe 103 AO personnellement tenu à l’accomplissement de toutes les obligations fiscales incombant à la société …, de sorte qu’il était tenu de veiller au dépôt des déclarations fiscales et au paiement des créances d’impôt et que l’omission de ce faire est à qualifier de comportement fautif.

L’appelant entend s’exonérer de sa responsabilité en soutenant qu’il n’aurait pas eu qualité à agir au nom et pour le compte de la société … en raison de prétendues irrégularités survenues auprès du RCS qui ne l’aurait pas considéré comme gérant de la société, l’empêchant de la sorte de procéder au dépôt de bilans et aux publications requises. Ce ne serait qu’en date du 19 novembre 2014 qu’il aurait réussi à obtenir de nouveau la qualité de gérant de manière officielle, par le biais d’une publication au RCS, de sorte qu’il ne pourrait pas être tenu personnellement responsable du paiement d’éventuels impôts dont ladite société serait redevable pour les exercices antérieurs.

Or, force est à la Cour de constater que l’appelant, au-delà d’affirmer de manière générale qu’il aurait été écarté des commandes de la société … vers la fin des années 1990, est resté, d’après les actes sociaux publiés au Mémorial C, qui seuls sont opposables aux tiers, le gérant unique pour les années fiscales en question, à défaut de démission actée et publiée. S’il est exact que l’extrait du RCS de la société produit par l’appelant et datant du 24 septembre 2010, renseigne erronément Monsieur … comme gérant de la société …, il aurait cependant incombé à l’appelant de procéder aux rectifications nécessaires auprès du RCS. L’allégation qu’il n’aurait pas pu procéder au dépôt des bilans et des déclarations fiscales durant quatorze années, dès lors que le RCS de Diekirch aurait considéré Monsieur … comme gérant unique de la société au lieu de l’appelant, d’après les éléments du dossier, ne convainc point la Cour, mais témoigne plutôt d’une négligence flagrante dans le chef de l’appelant de procéder aux rectifications qui s’imposaient, le cas échéant, auprès du RCS, étant relevé qu’une réquisition modificative a pu être actée en novembre 2014 après que le Parquet avait décidé de demander la dissolution judiciaire de la société. Les affirmations de l’appelant selon lesquelles il lui aurait été impossible de procéder aux rectifications nécessaires auprès du RCS avant 2014 restent ainsi à l’état de simple allégation. La Cour ne saurait pas non plus suivre l’appelant en son raisonnement que le RCS aurait commis une erreur en indiquant comme date du début de son mandat de gérant celle du 2 mai 1991, dès lors que cette date est celle de sa nomination par l’assemblée extraordinaire des associés du 2 mai 1991 l’ayant désigné comme gérant unique en remplacement de Monsieur … sans qu’aucune démission n’ait été publiée par la suite. Monsieur … ne saurait être considéré comme gérant puisqu’il ressort de l’extrait du procès-verbal de cette assemblée du 2 mai 1991 qu’il a démissionné en tant que gérant, que décharge pleine et entière lui a été accordée par l’assemblée et que cette démission a été publiée au Mémorial C n° 403 du 22 octobre 1991.

A l’instar des premiers juges, la Cour considère que l’appelant n’a pas pu ignorer qu’en l’absence de toute démission de sa part à la suite de sa nomination le 2 mai 1991 en qualité de gérant unique de la société, il est demeuré, depuis cette date, seul responsable des obligations fiscales énumérées au paragraphe 103 AO, et notamment celles de payer sur les fonds qu’il gère les impôts dont la société est redevable.

Or, le fait pour l’appelant de ne pas avoir veillé, en tant que gérant unique de la société …, à ce que les déclarations d’impôt soient déposées en temps utile auprès de l’administration des Contributions directes, est à qualifier d’inexécution fautive des obligations du représentant d’une société envers les autorités fiscales, de sorte que les conditions pour la mise en œuvre de sa responsabilité personnelle à l’égard des créances d’impôt visées dans le bulletin d’appel en garantie litigieux se trouvent réunies en cause.

Cette conclusion ne saurait être invalidée par l’argumentation de l’appelant selon laquelle il serait inéquitable de le poursuivre personnellement après tous les efforts entrepris pour régulariser les affaires de la société, étant donné qu’il est resté trop longtemps inactif et qu’il semblerait, d’après les éléments du dossier, qu’il n’est devenu actif que lorsque le Parquet a décidé de demander la dissolution judiciaire de la société.

En ce qui concerne le moyen relatif à la prescription quinquennale, les premiers juges ont à bon droit rappelé les termes du paragraphe (1) de l’article 10 de la loi du 27 novembre 1933 concernant le recouvrement des contributions directes, des droits d’accise sur l’eau-de vie et des cotisations d’assurance sociale en vertu duquel la créance du Trésor se prescrit par cinq ans, et par dix ans en cas de non-déclaration ou en cas d’imposition supplémentaire pour déclaration incomplète ou inexacte, avec ou sans intention frauduleuse.

Il est constant en cause que pour les années fiscales litigieuses, aucune déclaration fiscale n’a été déposée préalablement à l’établissement du bulletin d’appel en garantie, de sorte que le délai de prescription de dix ans est applicable en l’espèce. Il s’ensuit que le moyen tiré d’une prescription de la créance du Trésor laisse d’être fondé.

En ce qui concerne la contestation du quantum des impôts imputés à l’appelant à travers le bulletin d’appel en garantie, il est vrai qu’en vertu du paragraphe 119 AO, le tiers appelé en garantie peut introduire les mêmes voies de recours et faire valoir les mêmes moyens contre le bulletin d’appel en garantie que ceux dont dispose le débiteur principal de l’impôt, tout en exceptant l’hypothèse où le bulletin émis à l’égard du débiteur principal a autorité de chose décidée et où le tiers appelé en garantie aurait eu la possibilité de réclamer contre ce bulletin en tant que représentant légal du contribuable principal, cas dans lequel ce bulletin est définitif également à l’égard de la personne appelée en garantie. Il peut ainsi soulever tant des moyens dirigés contre la décision de l’appeler en garantie, en ce que les conditions afférentes ne se trouveraient pas réunies dans son chef, que des moyens tendant à contester la soumission du débiteur principal à l’impôt ou la cote d’impôt fixée à son égard. Il n’est dérogé à cette étendue des voies de recours à disposition de la personne appelée en garantie que dans les hypothèses prévues par le paragraphe 119 (2) AO, dont notamment celle où la personne appelée en garantie était le représentant du débiteur principal en temps utile, de manière à avoir été en mesure d’introduire en cette qualité une voie de recours contre le bulletin d’impôt émis à l’égard du débiteur principal, mais que l’absence de recours a emporté l’autorité de chose décidée dans le chef dudit bulletin.

Or, en l’espèce, les bulletins émis par le bureau d’imposition Sociétés Nord Ressort 519, bureau de recette Ettelbruck, respectivement en date des 5 décembre 2012 et 14 mai 2014, en ce qu’ils ont servi de base au bulletin d’appel en garantie litigieux du 21 novembre 2014, ont tous acquis autorité de chose décidée, étant donné qu’il aurait été loisible à l’appelant en tant que gérant de les contester en temps utile au nom et pour le compte de de la société conformément au paragraphe 119 AO, ce qu’il a pourtant omis de faire, de sorte qu’il est forclos à contester le bien-fondé des impositions mises à charge de la société …. Par voiede conséquence, la demande tendant à voir ordonner une expertise en vue de calculer sur base des chiffres réels et bilans déposés l’éventuel impôt dû est à rejeter.

Quant à la demande réitérée en appel et tendant à l’octroi d’un sursis à exécution voire d’un échelonnement du paiement du montant dû au titre de l’impôt, les premiers juges ont relevé à juste titre que la décision directoriale déférée n’a pas porté sur l’octroi d’un sursis à exécution voire d’un échelonnement du paiement de la dette fiscale. Or, les pouvoirs du juge administratif sont limités à la vérification de la légalité de l’acte administratif attaqué, vérification qui s’avère impossible en l’absence d’un acte administratif préalable. Cette demande est partant irrecevable.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que l’appel n’est pas fondé et qu’il y a lieu de confirmer le jugement entrepris.

Au vu de l’issue du litige, la demande de l’appelant en allocation d’une indemnité de procédure de 2.000 euros est à rejeter, les conditions légales afférentes n’étant pas remplies.

Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause ;

reçoit l’appel en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute l’appelant ;

partant, confirme le jugement entrepris du 14 juillet 2016 ;

rejette la demande de l’appelant en allocation d’une indemnité de procédure ;

condamne l’appelant aux dépens de l’instance d’appel.

Ainsi délibéré et jugé par :

Henri CAMPILL, vice-président, Lynn SPIELMANN, conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, et lu par le vice-président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en-tête, en présence du greffier de la Cour André WEBER.

WEBER CAMPILL 10


Synthèse
Numéro d'arrêt : 38378C
Date de la décision : 08/12/2016

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2016-12-08;38378c ?

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