GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéros 37299C et 37321C du rôle Inscrits respectivement les 17 et 21 décembre 2015
_____________________________________________________________________
Audience publique du 27 octobre 2016 Appels formés respectivement par 1. l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg et 2. la Ville de Luxembourg contre un jugement du tribunal administratif du 11 novembre 2015 (n° 34338a du rôle) ayant statué sur le recours des époux … … et … …, … contre cinq actes de l’administration communale de la Ville de Luxembourg et contre une décision du ministre de la Famille et de l’Intégration en matière de chèque-service accueil I.
Vu la requête d’appel inscrite sous le numéro 37299C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 17 décembre 2015 par Maître Pierre Reuter, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, dirigée contre un jugement du tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg du 11 novembre 2015 (n° 34338a du rôle) ayant vidé un jugement interlocutoire non appelé du 17 juin 2015 (n° 34338 du rôle) pour déclarer le recours en annulation introduit le 10 avril 2014 par les époux … … et … …, demeurant ensemble à L-…, contre la décision de la Ville de Luxembourg du 11 novembre 2013 ayant annulé les contrats d’adhésion au chèque-service accueil conclu par eux justifié, de sorte à annuler à son tour la décision en question tout en rejetant les demandes en obtention d’une indemnité de procédure formulées de part et d’autre et en condamnant la Ville de Luxembourg aux frais de l’instance ;
Vu l’exploit de l’huissier de justice suppléant Laura GEIGER, en remplacement de l’huissier de justice Frank SCHAAL, les deux demeurant à Luxembourg, immatriculés près le tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg du 23 décembre 2015, portant signification de cette requête d’appel à la Ville de Luxembourg, ainsi qu’aux époux … … et … …, préqualifiés ;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 15 janvier 2016 par Maître Anaïs BOVE, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom des époux …-… ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe de la Cour administrative le 15 février 2016 par Maître Pierre REUTER au nom de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ;
Vu le mémoire en duplique déposé au greffe de la Cour administrative le 25 février 2016 par Maître Anaïs BOVE au nom des époux …-… ;
II.
Vu la requête d’appel déposée au greffe de la Cour administrative le 21 décembre 2015 (n° 37321C du rôle) par Maître Sophie DEVOCELLE, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l’administration communale de la Ville de Luxembourg, représentée par son bourgmestre en fonction, sinon par son collège des bourgmestre et échevins en fonction, ayant sa maison communale à L-2019 Luxembourg, 42, Place Guillaume II, dirigée contre le jugement précité du 11 novembre 2015 ;
Vu l’exploit de l’huissier de justice suppléant Laura GEIGER, en remplacement de l’huissier de justice Carlos CALVO, les deux immatriculés près du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, et demeurant à Luxembourg, du 30 décembre 2015 portant signification de cette requête d’appel aux époux …-… ;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 15 janvier 2016 par Maître Anaïs BOVE, au nom des époux …-… ;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 21 janvier 2016 par Maître Pierre REUTER au nom de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe de la Cour administrative le 15 février 2016 par Maître Sophie DEVOCELLE au nom de l’administration communale de la Ville de Luxembourg ;
Vu le mémoire en duplique déposé au greffe de la Cour administrative le 25 février 2016 par Maître Anaïs BOVE au nom des époux …-… ;
Vu le mémoire en duplique déposé au greffe de la Cour administrative le 15 mars 2016 par Maître Pierre REUTER au nom de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ;
I. et II.
Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement dont appel ;
Le rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maîtres Thibault CHEVRIER, en remplacement de Maître Pierre REUTER, Sophie DEVOCELLE et Anaïs BOVE en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 24 mars 2016 ;
Vu la rupture du délibéré prononcée par la Cour en date du 27 juin 2016 afin de permettre aux parties de prendre position à travers des mémoires supplémentaires par rapport aux questions y formulées ;
Vu les mémoires complémentaires déposés le 1er août 2016 au greffe de la Cour administrative respectivement par Maître Pierre REUTER pour l’Etat du Grand-Duché du Luxembourg, Maître Sophie DEVOCELLE pour la Ville de Luxembourg, ainsi que par Maître Anaïs BOVE pour les époux …-… ;
Vu les seconds mémoires complémentaires déposés au greffe de la Cour administrative le 21 septembre 2016 respectivement par les mêmes mandataires pour les mêmes parties ;
Revu les pièces versées en cause et notamment le jugement dont appel ;
Le rapporteur entendu en son rapport complémentaire, ainsi que Maîtres Thibault CHEVRIER, en remplacement de Maître Pierre REUTER, Sophie DEVOCELLE et Anaïs BOVE en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 27 septembre 2016.
En date du 3 septembre 2012, Madame … …, agente auprès de la Commission européenne, épouse de Monsieur … …, agent auprès de la Cour des comptes européenne, conclut avec l’administration communale de la Ville de Luxembourg, dénommée ci-après « la Ville de Luxembourg », un contrat d’adhésion au chèque-service accueil pour l’enfant … et ce sans justificatifs concernant le revenu des parents.
Le 31 octobre 2012, Madame … conclut un nouveau contrat d’adhésion au chèque-
service accueil pour le même enfant en versant cette fois des fiches de salaire respectivement de la Cour des comptes européenne et de la Commission européenne.
Par courrier recommandé du 30 novembre 2012, les époux …-… contestèrent la valeur du chèque-service accueil relevée dans le contrat du 31 octobre 2012 en se basant sur l’article 9 du règlement grand-ducal du 13 février 2009 instituant le « chèque-service accueil », ci-
après « le règlement grand-ducal du 13 février 2009 », disposant selon eux que seul le revenu imposable serait à prendre en compte et non point le revenu mensuel. Ils demandèrent en conséquence la rectification dudit contrat.
Par courrier du 11 décembre 2012, la Ville de Luxembourg leur répondit que le montant à considérer pour le calcul de la valeur du chèque-service accueil est le revenu net, alors que « comme les fonctionnaires européens des institutions de l’Union européenne siégeant au Luxembourg ne sont pas soumis à l’impôt luxembourgeois, le Ministère de la famille et de l’Intégration a émis la consigne aux administrations communales de considérer le revenu net qui peut être documenté par les trois dernières fiches de salaires les plus récentes ».
Par courrier recommandé du 24 janvier 2013, les époux …-…, par l’intermédiaire de leur mandataire, contestèrent à nouveau auprès de la Ville de Luxembourg le mode de calcul de la valeur du chèque-service accueil pour l’enfant … ….
Par courrier du 28 janvier 2013, la Ville de Luxembourg répondit que : « Le Bierger-Center respecte la consigne émise par le Ministère de la Famille et de l’Intégration aux administrations communales de considérer le revenu net qui peut être documenté par les trois dernières fiches de salaires les plus récentes ».
Par courrier recommandé du 30 janvier 2013, le mandataire des époux …-… demanda une prise de position de la part du ministre de la Famille et de l’Intégration. Ce courrier resta sans réponse dudit ministre.
En date du 25 octobre 2013, un nouveau contrat d’adhésion au chèque-service accueil fut conclu au bénéfice de l’enfant … … … sur base d’une fiche de salaire et d’une attestation de la Commission européenne concernant les revenus de Madame … et une attestation de la Cour des comptes européenne concernant ceux de Monsieur …. Ce contrat prit en compte le revenu imposable des époux …-… figurant sur les attestations fournies au moment de la conclusion du contrat d’adhésion au chèque-service accueil.
Par courrier recommandé du 11 novembre 2013, la Ville de Luxembourg informa les époux …-… d’une erreur d’appréciation de la part du fonctionnaire ayant saisi les données relatives au revenu du ménage de ces derniers et en expliquant ce qui suit : « l’agent a repris le revenu imposable figurant sur les attestations fournies par vos soins au lieu d’appliquer la méthode de calcul pour la détermination du revenu des fonctionnaires et agents travaillant pour le compte d’une institution européenne ou d’une organisation internationale détaillée dans la circulaire du Ministère de la Famille et de l’Intégration du 9 juillet 2013. Etant donné que les deux contrats n’ont pas été établis conformément à cette circulaire nous nous voyons contraints de procéder à leur annulation ».
Les époux …-… saisirent dans un premier temps le Tribunal de paix de Luxembourg, siégeant en matière civile, afin de faire condamner la Ville de Luxembourg et l’Etat à la modification de la valeur du chèque-service accueil et au remboursement des sommes indûment payées. Ledit tribunal s’est déclaré incompétent pour connaître d’une telle demande, par un jugement rendu en date du 13 mars 2014.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 10 avril 2014, les époux …-… firent introduire un recours tendant principalement à l’annulation et subsidiairement à la réformation de cinq décisions, ainsi qualifiées, de la Ville de Luxembourg, dont quatre concernant la prise en considération du revenu net mensuel moyen du ménage pour le calcul de la valeur du chèque-service accueil et celle du 11 novembre 2013 portant sur l’annulation du « contrat d’adhésion au chèque-service accueil » du 25 octobre 2013 pour l’enfant … …, ainsi que contre une décision implicite de refus du ministre de la Famille et de l’Intégration suite à leur demande de prise de position relative au litige les opposant à la Ville de Luxembourg.
Par jugement interlocutoire du 17 juin 2015 (n° 34338 du rôle), le tribunal se déclara incompétent pour connaître du recours en réformation et déclara le recours principal en annulation irrecevable en ce qu’il est dirigé contre les contrats d’adhésion au chèque-service accueil des 3 septembre 2012 et 31 octobre 2012, contre les courriers de la Ville de Luxembourg des 11 décembre 2012 et 28 janvier 2013, ainsi que contre le silence du ministre de la Famille et de l’Intégration suite à la demande de prise de position lui adressée par les demandeurs en date du 30 janvier 2013 relatif au litige les opposant à la Vill e de Luxembourg.
Par le même jugement, le tribunal déclara recevable le recours principal en annulation dirigé contre la décision du 11 novembre 2013 de la Ville de Luxembourg et, avant tout autre progrès en cause, invita les parties à prendre position par des mémoires complémentaires sur les questions suivantes :
-
la motivation soumise au Grand-Duc à l’appui de l’urgence invoquée dans le cadre du règlement grand-ducal du 13 février 2009 instituant le « chèque-service accueil » -
la légalité du règlement grand-ducal du 13 février 2009 instituant le « chèque-service accueil » au regard des articles 36, 95 et 99 de la Constitution.
Par jugement du 11 novembre 2015 (n° 34338a du rôle), le tribunal déclara le recours en annulation introduit contre la décision de la Ville de Luxembourg du 11 novembre 2013 justifié pour annuler cette décision ayant elle-même annulé les contrats d’adhésion au chèque-service accueil conclus par les époux …-…. Le tribunal rejeta encore les demandes en obtention d’une indemnité de procédure présentées de part et d’autre et condamna la Ville de Luxembourg aux dépens de l’instance.
Pour arriver à cette conclusion, le tribunal avait relevé que le règlement grand-ducal du 13 février 2009 excède de « manière évidente » le cadre légal posé par la loi du 8 septembre 1998 réglant les relations entre l’Etat et les organismes dans les domaines social, familial et thérapeutique, ci-après « la loi du 8 septembre 1998 », laquelle ne viserait que le soutien financier des prestataires de services dans les domaines social, familial et thérapeutique, de sorte à être contraire aux dispositions de l’article 36 de la Constitution.
De plus, dans la mesure où le cadre légal de la loi du 8 septembre 1998 n’a pas été respecté par le règlement grand-ducal du 13 février 2009, le dispositif du chèque-service accueil, charge grevant le budget de l’Etat pour plus d’un exercice, a été également jugé contraire à l’article 99 de la Constitution pour ne pas avoir été prévu par une loi, au-delà de l’argument étatique suivant lequel les aides financières versées par application du système du chèque-service accueil se trouvent inscrites annuellement au budget de l’Etat.
Dans le cadre de l’exception d’illégalité soulevée devant lui en vertu de l’article 95 de la Constitution, le tribunal déclara ainsi ne pas appliquer le règlement grand-ducal du 13 février 2009, sans avoir été amené à vérifier si le cas d’urgence inscrit à l’article 2, paragraphe 1er, de la loi modifiée du 12 juillet 1996 portant réforme du Conseil d’Etat avait pu être légalement invoqué.
Par requête d’appel déposée au greffe de la Cour administrative le 17 décembre 2015, l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg a fait régulièrement entreprendre le jugement précité du 11 novembre 2015 pour le voir réformer et voir statuer à nouveau en constatant la légalité du règlement grand-ducal du 13 février 2009 et voir renvoyer l’affaire en prosécution de cause devant le tribunal en vue d’examiner les moyens au fond proposés de part et d’autre, sinon, en ordre subsidiaire, de voir évoquer l’affaire et de voir déclarer non fondé le recours introduit par les époux …-… avec condamnation de ces derniers aux frais de l’instance.
Par requête d’appel déposée au greffe de la Cour administrative le 21 décembre 2015, la Ville de Luxembourg a, à son tour, fait régulièrement entreprendre le jugement précité du 11 novembre 2015 dont elle sollicite la réformation pour voir à son tour constater la légalité du règlement grand-ducal du 13 février 2009 et partant voir renvoyer l’affaire en prosécution de cause devant le tribunal administratif afin d’y voir examiner les moyens de fond, sinon, subsidiairement, de voir évoquer le fond de l’affaire et de voir rejeter purement et simplement le recours introduit par les époux …-… et de voir dire légale la décision critiquée de la Ville du 11 novembre 2013 avec condamnation des intimés aux frais des deux instances.
Dans la mesure où les deux appels sont dirigés contre le même jugement, il y a lieu de les joindre et de les toiser par un seul et même arrêt dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice.
Les deux appels sont exclusivement dirigés contre le jugement précité du 11 novembre 2015, tandis qu’aucun d’eux n’entreprend le jugement également précité du 17 juin 2015, lequel doit dès lors être considéré comme étant coulé en force de chose jugée, aucun appel incident n’ayant par ailleurs été interjeté.
De la sorte, le recours initial des époux …-… se trouve définitivement déclaré irrecevable en tant qu’il était dirigé contre les décisions en matière de chèques-service accueil des 3 septembre et 31 octobre 2012, contre les courriers de la Ville de Luxembourg des 11 décembre 2012 et 28 janvier 2013, ainsi que contre le silence du ministre de la Famille et de l’Intégration par rapport à leur demande de prise de position formulée dans leur courrier du 30 janvier 2013.
Seule reste en litige la décision de la Ville de Luxembourg du 11 novembre 2013 qui porte annulation de celle antérieure du 25 octobre 2013, étant entendu que les époux …-… n’avaient pas entrepris cette dernière décision du 25 octobre 2013 qui avait largement adopté leur point de vue sur la question de savoir ce qu’il faut entendre par revenu imposable en application des dispositions de l’article 9 du règlement grand-ducal du 13 février 2009 en vue de la détermination du montant pertinent du chèque-service accueil dans le cas d’espèce.
Il est encore constant que le tribunal a été amené à statuer dans le cadre du recours principal en annulation dirigé contre la décision de la Ville de Luxembourg du 11 novembre 2013 en déclarant ce recours recevable. Dès lors, l’analyse de la légalité de cette décision du 11 novembre 2013 est à effecteur compte tenu des éléments de fait et de droit tels qu’ils se cristallisent à cette date précise.
Il est constant en cause que les premiers juges avaient dans un premier temps, d’office, soulevé la double exception d’illégalité tirée, l’une de l’urgence invoquée impliquant le non-passage devant le Conseil d’état pour le règlement grand-ducal du 13 février 2009, et l’autre, la conformité du même règlement grand-ducal aux articles 36, 95 et 99 de la Constitution, la question se résolvant dans celle de l’existence d’une base légale suffisante voire du dépassement de la base légale existante de l’époque.
Le jugement dont appel déclare inapplicable dans sa globalité le règlement grand-
ducal du 13 février 2009 pour non-conformité aux articles 36 et 99 de la Constitution.
L’exception d’illégalité sur base de l’article 95 de la Constitution, amena partant les premiers juges à déclarer inapplicable ledit règlement grand-ducal dans sa globalité, de sorte à rendre surabondante toute autre analyse des moyens par ailleurs invoqués, y compris celui également soulevé d’office par le tribunal concernant la question du caractère vérifié de l’urgence invoquée à la base de la prise du même règlement grand-ducal.
Toutes les trois parties concluent, sous des facettes différentes, au caractère inadapté de la solution trouvée, émanât-elle d’une démarche basée sur l’ordre public, justifiant a priori le fait de soulever d’office par les premiers juges la double exception d’illégalité prévisée.
Il est constant en cause que le juge administratif est amené à statuer en l’occurrence en tant que juge de l’annulation.
Or, même le juge de l’annulation est appelé, au-delà des critères de stricte légalité, à souscrire aux principes généraux supérieurs par essence, à la fois de réalisme, de cohérence et de sécurité juridique.
En application de ces principes il est tout d’abord patent que la solution dégagée par les premiers juges, sans toiser plus loin le litige, n’est point de nature à donner une réponse à la question soulevée par les demandeurs initiaux, à savoir celle de savoir ce qu’il y a lieu d’entendre par revenu imposable dans le contexte du règlement du 13 février 2009 pourtant appliqué par l’administration.
Plus loin, en termes de réalisme, les demandeurs ont bénéficié du chèque-service accueil à l’instar de milliers d’autres personnes et l’on ne saurait nier les faits ni surtout ignorer les conséquences strictes que comporterait l’inapplicabilité définitivement retenue dudit règlement grand-ducal du 13 février 1999.
De manière stricte, il y aurait en effet lieu de passer à rebours toute application faite dudit règlement grand-ducal dans le chef des demandeurs initiaux, ce qui aboutirait au remboursement par eux-mêmes de toute somme perçue en vertu dudit règlement grand-ducal.
Tel n’a certainement pas été l’objet de leur demande initiale. D’ailleurs les époux …-… estiment que le résultat retenu par les premiers juges à la suite de l’exception d’illégalité par eux soulevée accueillie mène à un résultat « absurde », ainsi dénoté expressément par les intéressés.
De même, si lesdits demandeurs initiaux avaient invoqué les exceptions d’illégalité soulevées d’office par le tribunal, la question du caractère opérant de leurs moyens se serait directement posée.
Par ailleurs, le juge saisi d’un recours de l’administré contre une décision individuelle de l’administration est amené, dans la mesure du possible, à résoudre la question litigieuse effective et, plus loin, toujours dans la mesure du possible, à aplanir les difficultés voire à résorber les points litigieux de sorte à apaiser la situation entre parties.
Une action en justice intentée par un administré contre une décision de l’administration, non seulement pose des questions de légalité, mais encore et surtout, au-delà des droits que l’administré entend défendre, dénote une tension tirant, en général et du moins en partie, son existence du point litigieux entre parties.
Le service public de la justice comporte, dans la mesure du possible, non seulement que le juge dise le droit mais encore, d’un point de vue de paix sociale, qu’il résolve autant que possible le point litigieux entre parties.
C’est ainsi sous le point de vue du caractère opérant du moyen soulevé d’office par le tribunal que la Cour, eu égard précisément aux principes généraux, à la fois de réalisme, de cohérence et de sécurité juridique, est amenée à conclure au caractère précisément non opérant de la double exception d’illégalité soulevée d’office par le tribunal.
Ce caractère non opérant se résout d’évidence dans l’absurdité expressément dénotée à bon escient par les demandeurs originaires dans le chef de la solution trouvée, au-delà de l’insécurité juridique manifeste dans laquelle cette solution aboutit immanquablement dans l’hypothèse où le règlement grand-ducal du 13 février 2009 serait définitivement déclaré inapplicable pour défaut de base légale voire en raison de l’urgence non vérifiée à la base de sa prise.
C’est partant au-delà de la double exception d’illégalité soulevée d’office par le tribunal et rejetée ci-avant en tant que moyens inopérants, que la Cour, sur base du principe général du réalisme ensemble ceux de cohérence et de sécurité juridique, est amenée à analyser quelle est la signification à donner, à la date pertinente de la prise de la décision communale critiquée, aux termes de « revenu imposable » au sens de l’article 9 du règlement grand-ducal du 13 février 2009.
L’article 9 du règlement grand-ducal du 13 février 2009, dans sa version applicable à la date de la prise de la décision litigieuse, c’est-à-dire au 11 novembre 2013, dispose qu’ « est considéré comme revenu du ménage, le revenu imposable tel qu’il est attesté par le bulletin d’impôt le plus récent ou les trois fiches mensuelles de rémunération les plus récentes accompagnées d’un certificat attestant que le déclarant n’est pas soumis à l’obligation d’effectuer une déclaration d’impôt ou à défaut toute autre pièce documentant le revenu actuel ».
Les époux …-…, d’un côté, et les parties publiques, de l’autre, sont contraires quant à la signification exacte à donner aux termes « revenu imposable ». Il se pose dès lors une question d’interprétation du texte du règlement grand-ducal, en question.
En termes d’interprétation trois méthodes essentielles se présentent au juge, à savoir une méthode historique permettant d’analyser les termes à interpréter à partir de la gestation du texte, une interprétation littérale ou étymologique se présentant à partir de la lettre du texte et une interprétation téléologique prenant en compte le but, voire la finalité de la disposition sous analyse.
Il est de principe que si les trois méthodes d’interprétation n’amènent pas le juge à une interprétation concordante du texte, il faut mais il suffit que le juge interprète celui-ci d’après le sens qu’il convient de donner à la disposition litigieuse, compte tenu plus particulièrement de sa finalité.
A ce stade, il convient de relever que la démarche des demandeurs initiaux a consisté à proposer une interprétation proche de la lettre des termes « revenu imposable » en invoquant la qualité de fonctionnaire de l’Union européenne qui permettrait de lire dans ces deux mots le revenu imposable au sens des prescriptions plus particulièrement applicables audit fonctionnaire emportant la prise en compte d’un revenu imposable non pas suivant la législation nationale de droit commun du Grand-Duché du Luxembourg mais en vertu des dispositions particulières qui s’appliquent aux fonctionnaires de l’Union européenne. Ce dernier « revenu imposable » est d’évidence inférieur en l’occurrence au revenu imposable dégagé suivant le droit commun.
Il est patent que les deux manières de lire les mêmes deux mots mènent en termes de chiffres à des conclusions éminemment différentes. C’est le nœud du litige.
En vertu des principes dégagés ci-avant, il devient patent que les termes « revenu imposable » doivent être lus suivant le sens que leur auteur a entendu leur donner dans le contexte de la finalité de la mise en place du chèque-service accueil.
A partir de cette optique, il ne fait aucun doute que pour les auteurs du système, la contribution respective des bénéficiaires de la prestation, à analyser généralement, en cas de mineurs, dans le chef de leurs représentants légaux, doit suivre non seulement le chemin du réalisme qui, par ailleurs, s’exprime en matière fiscale suivant la « wirtschaftliche Betrachtungsweise », mais encore, se trouvant en matière sociale, d’après les facultés contributives effectives, partant réelles, desdits bénéficiaires des prestations en question. Ce constat est à la fois basique et de bon sens.
Des bénéficiaires disposant par ailleurs d’un revenu effectif élevé voient la contribution en termes de chèque-service accueil diminuée par rapport à ceux des bénéficiaires qui disposent d’un revenu effectif moins élevé.
Le revenu imposable à prendre en considération en termes de réalisme et d’effectivité ne peut être mesuré que suivant un et un seul paramètre, celui du droit commun correspondant à la législation nationale applicable en la matière.
C’est sur cette base fondamentale et au-delà de toute autre considération soulevée en cause à écarter comme non pertinente sinon superfétatoire, qu’il y a lieu, par réformation du jugement dont appel, de retenir que la décision litigieuse a pu s’appuyer, en dernière analyse sur de justes motifs en cadrant le revenu imposable à prendre en considération par rapport à la législation nationale de droit commun interférant en la matière.
Cette façon de donner un sens à la disposition de l’article 9 du règlement grand-ducal du 13 février 2009 se trouve pour le surplus en phase avec les exigences découlant du principe d’égalité devant la loi tel inscrit à l’article 10bis, paragraphe 1er, de la Constitution ensemble, le cas échéant, son article 111 concernant les non-Luxembourgeois. En effet, l’égalité prévue au niveau de la loi fondamentale s’analyse en l’égalité des chances, en droits et en obligations.
Il ne s’agit ni d’une égalité de départ ni d’une égalité de résultat. En termes d’égalité des chances, l’interprétation donnée à l’article 9 du règlement grand-ducal du 13 février 2009 rejoint l’idée principale d’une contribution suivant les facultés respectives effectives et réelles, tel que ci-avant retenu.
La même interprétation rejoint encore les exigences du principe d’égalité des citoyens tel qu’inscrit à l’article 9 du Traité de l’Union européenne (TUE) et invoqué par les époux …-
…. Ceux-ci suggèrent encore une question préjudicielle à soumettre la Cour de justice de l’Union européenne portant la question de savoir si le « revenu imposable » des fonctionnaires européens, calculé selon le règlement n° 260/68 du Conseil du 29 février 1968 portant fixation des conditions et modalités de prélèvement de l’impôt en faveur des Communautés européennes (Journal Officiel n°L56 du 4 mars 1968) est bien celui devant être pris en considération pour les Etats membres, au même titre que le « revenu imposable » des autres résidents nationaux, calculé selon le droit national, pour le calcul de certaines allocations locales.
Poser cette question reviendrait à entériner la distinction contraire au principe du réalisme, à celui de la contribution aux facultés effectives des concernés et, en dernière instance à celui de l’égalité des chances telle que consacrée par la loi fondamentale en phase de laquelle il y a également lieu de lire l’égalité des citoyens devant la loi telle que consacrée par l’article 9 TUE. Il n’y a dès lors pas lieu de poser la question préjudicielle ainsi suggérée.
Enfin, les époux …-… demandent dans leur mémoire complémentaire, à voir enjoindre aux parties publiques de communiquer l’actuelle circulaire en remplacement de celle du 9 juillet 2013 émise par le ministère de la Famille et de l’Intégration aux administrations communales et aux syndicats de communes.
Etant considéré que cette circulaire, au-delà de la valeur juridique qu’il conviendrait de lui conférer, se situe dans le temps après la prise de la décision litigieuse du 11 novembre 2013, la demande afférente est également à rejeter pour ne pas être pertinente.
En application de l’ensemble des développements qui précèdent et, par réformation du jugement dont appel, il convient de déclarer non fondé le recours initial des consorts …-… et de les en débouter.
Dans les deux rôles, les époux …-… déclarent formuler appel incident en vue de voir condamner les parties appelantes respectives à leur payer, solidairement, sinon in solidum, sinon chacun pour sa part, une indemnité de procédure de 5.000.- € pour la première instance.
Ces appels incidents sont recevables. Ils sont cependant non fondés. En effet, eu égard à l’issue du litige, il y a lieu de débouter de leurs demandes respectives lesdits demandeurs en indemnité de procédure.
Dans chacun des deux rôles d’appel, les époux …-… demandent la condamnation de la partie appelante respective au paiement d’une indemnité de procédure de 2.500.- € pour l’instance d’appel.
Ici encore les deux demandes en allocation d’une indemnité de procédure sont à rejeter eu égard à l’issue du litige.
Il y a lieu de faire masse des dépens des deux instances et de les imposer aux époux …-
….
Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause ;
joint les deux appels ;
les dit recevables ;
au fond, les dit justifiés ;
réformant, déclare non fondé le recours initial en annulation des époux …-… dirigé contre la décision de la Ville de Luxembourg du 11 novembre 2013 et les en déboute ;
déclare recevable leurs appels incidents tendant à l’allocation d’une indemnité de procédure pour la première instance ;
les dit cependant non fondés et en déboute ;
écarte les demandes en allocation d’une indemnité de procédure pour l’instance d’appel des époux …-… ;
impose les dépens des deux instances aux époux …-….
Ainsi délibéré et jugé par :
Francis DELAPORTE, président, Henri CAMPILL, vice-président, Lynn SPIELMANN, conseiller, et lu par le président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier en chef de la Cour Anne-Marie WILTZIUS.
s. WILTZIUS s. DELAPORTE Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 22 novembre 2016 Le greffier en chef de la Cour administrative 11