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26/05/2016 | LUXEMBOURG | N°36501Ca

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 26 mai 2016, 36501Ca


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 36501Ca du rôle Inscrit le 29 juin 2015

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Audience publique du 26 mai 2016 Appel formé par l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg contre un jugement du tribunal administratif du 20 mai 2015 (n° 34219 du rôle) ayant statué sur le recours des époux … … et … …, …, contre une décision du ministre de l’Agriculture, de la Viticulture et du Développement rural, ainsi que contre une décision du ministre de l’Agriculture, de la Viticulture et de

la Protection des consommateurs en matière d’aides agricoles Revu la requête d'appel ...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 36501Ca du rôle Inscrit le 29 juin 2015

_____________________________________________________________________

Audience publique du 26 mai 2016 Appel formé par l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg contre un jugement du tribunal administratif du 20 mai 2015 (n° 34219 du rôle) ayant statué sur le recours des époux … … et … …, …, contre une décision du ministre de l’Agriculture, de la Viticulture et du Développement rural, ainsi que contre une décision du ministre de l’Agriculture, de la Viticulture et de la Protection des consommateurs en matière d’aides agricoles Revu la requête d'appel inscrite sous le numéro 36501C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 29 juin 2015 par Madame le délégué du gouvernement Marie-Anne KETTER, munie à cet effet d’un mandat lui délivré le 26 juin 2015 par le ministre de l’Agriculture, de la Viticulture et de la Protection des consommateurs, dirigée contre un jugement du tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg du 20 mai 2015 (n° 34219 du rôle) ayant déclaré recevable et justifié le recours en annulation dirigé par les époux … … et … …, demeurant ensemble à L-… …, …, contre une décision du ministre de l’Agriculture, de la Viticulture et du Développement rural du 22 juillet 2013 portant obligation de rembourser des aides octroyées, confirmée sur recours gracieux du 24 septembre 2013 par une décision du ministre de l’Agriculture, de la Viticulture et de la Protection des consommateurs, entre-temps en charge du dossier, du 20 décembre 2013, de sorte à annuler ces deux décisions ministérielles et à renvoyer l’affaire en prosécution de cause devant le ministre actuellement compétent avec condamnation de l’Etat aux frais ;

Revu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 29 septembre 2015 au nom des époux … … et … …, préqualifiés, par Maître Charles STEICHEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch ;

Vu l’arrêt du 1er décembre 2015 ordonnant le sursis à statuer jusqu’à ce que les juridictions pénales se soient définitivement prononcées suite au renvoi de l’affaire pénale dirigée à l’encontre des intimés devant le tribunal d’arrondissement de Diekirch, siégeant en matière correctionnelle, à l’époque devenu définitif ;

Vu le jugement non appelé du tribunal d’arrondissement de Diekirch, siégeant en matière correctionnelle, du 3 mars 2016 (n° 142/2016) dans la cause entre le ministère public et les intimés ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement dont appel ;

Le rapporteur entendu en son rapport complémentaire, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Daniel RUPPERT et Maître Charles STEICHEN en leurs plaidoiries respectives à l'audience publique du 10 mai 2016.

Par courrier du 21 mars 2013, Maître Christian BILTGEN s’adressa en sa qualité de mandataire de Monsieur … … au ministre de l’Agriculture, de la Viticulture et du Développement rural, ci-après « le ministre de l’époque », afin de l’informer que son mandant était en aveu d’avoir déclaré, au nom de l’exploitation agricole de son épouse, certaines surfaces agricoles pour lesquelles il n’aurait disposé d’aucune autorisation des propriétaires respectifs et d’avoir ainsi touché des subventions de façon indue. Dans ce même courrier, le ministre fut informé de la volonté de Monsieur … de rembourser les sommes indûment perçues et de voir instituer une mesure d’expertise afin de déterminer le montant exact des subventions indûment touchées et ce au motif que l’exploitation agricole de son épouse disposerait tout de même d’environ … hectares de surfaces agricoles pour lesquelles elle serait en droit de solliciter certaines subventions.

Par courrier du 6 mai 2013, le ministre de l’époque informa le mandataire de Monsieur … de son intention de solliciter le recouvrement de l’intégralité des primes agricoles touchées par l’exploitation agricole …-… pour les années 2005 à 2012, de même que de son intention de considérer un certain nombre de droits au paiement correspondant à la surface totale des parcelles déclarées pour la première fois en 2005 comme ayant été alloués indûment et de les transférer à la réserve nationale.

Par décision du 22 juillet 2013, le ministre de l’époque procéda au recouvrement d’un montant total de … EUR au titre de primes agricoles indûment touchées par l’exploitation agricole …-…. Cette décision est libellée comme suit :

« Dans notre courrier du 6 mai 2013 (réf: 342/13), nous vous avions informé sur notre intention de recouvrer le montant total visé à l’annexe 3 et de considérer un nombre de droits au paiement correspondant à la surface totale des parcelles déclarées pour la première fois en 2005 (annexe 2 dudit courrier) comme alloués indûment et de les transférer à la réserve nationale.

Conformément au règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations de l’Etat et des communes, vous aviez la possibilité de prendre position par rapport à la décision envisagée et de nous soumettre vos observations éventuelles endéans un délai de deux semaines.

Comme nous n’avons pas reçu de prise de position de votre part, nous sommes obligés d’appliquer les mesures annoncées dans le courrier précité.

Ainsi vous êtes obligés de restituer le montant total de … euros, intérêts moratoires en sus, calculés selon le taux d’intérêt légal 2013 de 3,50% (en application de l’article 80 du règlement (CE) n°1122/2009 du 30 novembre 2009 fixant les modalités d’application du règlement (CE) n°73/2009 du Conseil en ce qui concerne la conditionnalité, la modulation et le système intégré de gestion et de contrôle dans le cadre des régimes de soutien direct en faveur des agriculteurs.

(…) Nous vous prions de virer la somme de … euros, majorée le cas échéant des intérêts moratoires, sur le compte des chèques postaux n° LU20 1111 0422 2227 0000 de la trésorerie de l’Etat – FEAGA, avec la mention « … ».

Veuillez noter que la présente décision est susceptible de faire l’objet d’un recours devant le tribunal administratif à introduire dans le délai de trois mois par ministère d’avocat à la cour. (…) ».

Par courrier recommandé du 24 septembre 2013, Maître Christian BILTGEN, agissant en sa qualité de mandataire de l’exploitation agricole …-… et de Madame … …, forma un recours gracieux contre la décision ministérielle précitée.

Par décision du 20 décembre 2013, le ministre de l’Agriculture, de la Viticulture et de la Protection des consommateurs, entretemps en charge du dossier, ci-après « le ministre », confirma la décision initiale du 22 juillet 2013 en les termes suivants :

« (…) 1. En premier lieu, vous expliquez que l’exploitation est gérée par Madame … … de sorte que l’exploitation est à intituler de … et non pas de ….

Je vous prie de noter qu’en vertu du courrier du 2 janvier 2002 de la part du Centre commun de la Sécurité Sociale (cf. annexe), l’exploitation agricole au nom de … … a été reprise par son épouse sur base de la déclaration du changement du chef d’exploitation et que l’exploitation est enregistrée sous le nom de Madame …-… …. Par ailleurs, l’enregistrement de l’exploitation sous le nom de …-… … n’a pas fait l’objet jusqu’à présent d’une contestation de la part du chef d’exploitation.

2. Vous soulignez que Madame … avait confié la tâche des déclarations parcellaires à son mari qui lui a signé personnellement toutes les déclarations depuis les années 2005 à 2012 et vous précisez que Madame … ne savait pas que son mari a déclaré des parcelles sur lesquelles l’exploitation ne possédait aucun droit de jouissance ou de propriété et que de ce fait, il ne saurait lui être reproché d’avoir intentionnellement procédé à des surdéclarations.

Il importe de remarquer dans ce cadre que nous partons de l’hypothèse que la signature d’une déclaration provient du chef de l’exploitation en question.

Par ailleurs, votre affirmation que Monsieur … … a signé personnellement toutes les déclarations depuis les années 2005 à 2012 ne correspond pas à la réalité, car il faut constater que les déclarations de paiements à la surface des années 2005 à 2012 ont été signées par deux personnes différentes, la signature d’un certain nombre d’années semblant provenir de la main de Madame …, celle des autres années de la main de Monsieur … ….

Par conséquent :

-

Il n’est certainement pas possible de prétendre que Madame … n’avait pas connaissance sur les parcelles en question et qu’elle ne savait pas que son mari a déclaré des parcelles sur lesquelles l’exploitation ne possédait aucun droit de jouissance alors qu’elle a signé elle-même les déclarations de paiements à la surface de certaines années, d’autant plus qu’elle déclare avec sa signature avoir pris connaissance des conditions d’octroi des primes demandées et confirme l’exactitude des déclarations.

-

En ce qui concerne les déclarations qui portent la signature de Monsieur … …, vous confirmez en effet que Madame … avait confié la tâche des déclarations à son époux. Force est donc de constater que Monsieur … a reçu oralement un mandat ou une délégation de signature de la part de son épouse.

Ainsi, si Monsieur … a été autorisé à signer les déclarations pour son épouse et donc pour l’exploitation, il est clair que Madame … ou l’exploitation doit répondre des conséquences que ces déclarations sont susceptibles d’engendrer. Il n’est certainement pas possible de se soustraire à sa responsabilité par le seul fait d’une délégation de signature.

En effet une délégation de signature n’emporte pas délégation de pouvoirs ou de responsabilité, mais uniquement la possibilité de signer des actes ou documents.

3. Par ailleurs, vous vous rapportez à l’article 137 du règlement (CE) n°73/2009 du 19 janvier 2009 en prétendant que les droits au paiement attribués aux agriculteurs avant le 1er janvier 2009 sont réputés légaux et réguliers à partir du 1er janvier 2010.

L’article 137, paragraphes 1 et 2 du règlement (CE) n°73/2009 dispose ce qui suit :

« Article 137 Confirmation des droits au paiement 1. Les droits au paiement attribués aux agriculteurs avant le 1er janvier 2009 sont réputés légaux et réguliers à partir du 1er janvier 2010.

2. Le paragraphe 1 du présent article ne s’applique pas aux droits au paiement attribués aux agriculteurs sur la base de demandes présentant des erreurs matérielles, sauf si celles-ci ne pouvaient raisonnablement être décelées par l’agriculteur. » Par ailleurs, il y a lieu de se référer à l’article 81, paragraphe 1 du règlement (CE) n°1122/2009 de la Commission du 30 novembre 2009 qui prévoit ce qui suit :

« Article 81 Récupération des droits indûment alloués 1. Sans préjudice de l’article 137 du règlement (CE) no 73/2009, lorsque, après que des droits au paiement ont été alloués aux agriculteurs conformément au règlement (CE) no 795/2004 ou au règlement (CE) no 1120/2009, il est établi que certains droits au paiement ont été alloués indûment, l’agriculteur concerné cède les droits indûment alloués à la réserve nationale visée à l’article 41 du règlement (CE) no 73/2009. » Si l’article 137, paragraphe 1 prévoit en effet le principe selon lequel les droits au paiement attribués avant le 1er janvier 2009 sont réputés légaux et réguliers, il importe de se référer au paragraphe 2 dudit article pour appliquer quand-même une reconduction des droits au paiement à la réserve nationale dans le cas où des droits au paiement ont été attribués aux agriculteurs sur la base de demandes présentant des erreurs matérielles.

La reconduction des droits au paiement à la réserve nationale peut être exclue dans le cas où l’agriculteur était de bonne foi et ne pouvait raisonnablement déceler les erreurs matérielles.

Compte tenu des explications au point 2 ci-dessus, il n’est pas possible d’exclure dans le cas d’espèce la reconduction de droits au paiement à la réserve nationale.

En effet, il y a lieu de conclure à la présence d’erreurs matérielles et à l’allocation indue à l’exploitation …-… d’un certain nombre de droits au paiement.

4. Vous faites également référence à l’article 73, paragraphe 5 du règlement (CE) n°796/2004 pour limiter l’obligation de remboursement à 4 ans pour le bénéficiaire ayant agi de bonne foi.

Il est à noter que l’article 73, paragraphe 1 prévoit le principe selon lequel le bénéficiaire concerné par le paiement indu doit rembourser les montants en cause majorés des intérêts calculés selon les dispositions du paragraphe 3 (alinéa 1er : période considérée pour le calcul des intérêts ; alinéa 2 : taux d’intérêt applicable selon les Etats membres).

En vertu du paragraphe 5, un délai de 10 ans prescrit cette obligation de remboursement qui est réduit à 4 ans si le bénéficiaire a agi de bonne foi.

Or, depuis l’entrée en vigueur du règlement (CE) n°1122/2009 de la Commission du 30 novembre 2009 (qui abroge et remplace le règlement (CE) n°796/2004 avec effet au 1 er janvier 2010), une disposition similaire à celle de l’article 173, paragraphe 5 (prévoyant des délais de prescription de 10 et de 4 ans) n’existe plus.

De cette manière la question de la répétition de l’indu s’insère dans le cadre plus général du règlement (CE, EURATOM) n°2988/95 du Conseil du 18 décembre 1995 relatif à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes. Si l’article 3, paragraphe 1, alinéa 1 prévoit comme délai de prescription de principe également un délai de 4 ans à partir de la réalisation de l’irrégularité, il y a lieu de tenir compte de l’article 3, paragraphe 1, alinéa 2 qui retient que pour les irrégularités continues ou répétées, le délai de prescription court à partir du jour où l’irrégularité prend fin.

Il ne saurait donc être question d’une limitation du recouvrement à 4 ans.

5. Vous relevez par ailleurs que la décision ministérielle adressée à votre étude mentionne que « vous êtes obligés de restituer le montant total ».

Il est évident que votre étude n’est pas concernée par la demande remboursement.

Compte tenu des explications précitées, nous devons conclure à la confirmation de la décision du 22 juillet 2013 et à l’obligation de remboursement du montant total y précisé. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 20 mars 2014, Madame … …, épouse …, agissant en son nom personnel ainsi qu’au nom et pour compte de l’exploitation agricole …-…, et Monsieur … …, agissant en sa qualité de partie tierce-intéressée, firent introduire un recours tendant à l’annulation des deux décisions ministérielles précitées des 22 juillet et 20 décembre 2013.

Par jugement du 20 mai 2015, le tribunal déclara ce recours recevable et fondé pour, par voie de conséquence, annuler les deux décisions ministérielles en question et renvoyer le dossier devant le ministre actuellement compétent en prosécution de cause.

Par requête d’appel déposée au greffe de la Cour administrative le 29 juin 2015, l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg fit entreprendre le jugement précité du 20 mai 2015, dont il sollicite la réformation sinon l’annulation en ce qu’il a déclaré justifié le recours des époux …-…, dont il demande également la condamnation aux dépens des deux instances.

Par arrêt du 1er décembre 2015, la Cour déclara l’appel recevable pour, au fond, avant tout autre progrès en cause, surseoir à statuer jusqu’à ce que les juridictions pénales se soient définitivement prononcées suite au renvoi de l’affaire pénale dirigée à l’encontre des intimés devant le tribunal d’arrondissement de Diekirch, siégeant en matière correctionnelle, actuellement devenu définitif, tout en réservant tous droits et moyens des parties ainsi que les dépens et en fixant l’affaire au rôle général.

Par jugement non appelé du 3 mars 2016, le tribunal d’arrondissement de Diekirch, siégeant en matière correctionnelle, retint que Monsieur … était convaincu « comme auteur ayant commis lui-même les infractions, entre mai 2005 et la fin de l’année 2012, au siège de l’exploitation et au domicile des époux …-…, à …, …, ainsi que dans les locaux du Service d’Economie Rurale à Luxembourg-

Ville, 1) en infraction aux articles 196 et 197 du Code pénal, avoir commis un faux en écritures privées par altération de déclarations et de faits que ces écrits avaient pour objet de constater, et avoir fait usage de ces faux, en l’espèce, avoir commis des faux intellectuels, à savoir des écritures matériellement vraies, mais contenant des constatations inexactes, en ayant introduit dans des demandes de subventions à la surface, se basant sur le formulaire-type dénommé « Flächenantrag-

Erntejahr….-Liste der bewirtschafteten Parzellen » pour les années de 2005 à 2012, des mentions inexactes par le fait d’indiquer que l’exploitation agricole … … exploite des surfaces (spécifiées dans le relevé repris dans la citation) qui en vérité ne l’ont pas été, et avoir ensuite présenté ces demandes fausses auprès du Service de l’Economie Rurale en vue de l’obtention des subventions à la surface.

2) en infraction à l’article 496-1 du Code pénal, avoir sciemment fait une déclaration fausse en vue d’obtenir une subvention qui est en tout à charge de l’Etat et d’une institution internationale, en l’espèce avoir introduit auprès du Service de l’Economie Rurale chaque année, depuis 2005 à 2012, des déclarations en demande de subventions à la surface fausses pour l’exploitation agricole … …, en y reprenant des surfaces agricoles de … hectares ( spécifiées dans le relevé repris dans la citation), dont cette exploitation n’avait pas la jouissance alors qu’elle n’en était ni propriétaire ni fermier et ne les exploitait pas en fait.

3) en infraction à l’article 496-2 du Code pénal, avoir, suite à une déclaration fausse reçu une subvention à laquelle il n’a pas droit, en l’espèce avoir reçu des subventions d’un montant total de … euros, subventions auxquelles son exploitation agricole n’avait pas droit.

4) en infraction à l’article 506-1 du Code pénal, avoir détenu et utilisé des biens visés à l’article 3-1, alinéa premier, sous 1) du code pénal, formant le produit direct d’une infraction aux articles 496-1 et 496-2 du code pénal, sachant au moment de les recevoir qu’ils provenaient d’une infraction des infractions visées au point 1) de l’article 506-1 du Code pénal.

en l’espèce d’avoir détenu la somme de … euros sur le compte bancaire (no. … auprès de la …), provenant de l’escroquerie à subvention retenue sub2) et sub3), sachant au moment de la recevoir qu’elle provenait de cette infraction et d’avoir utilisé cet argent pour des dépenses personnelles et celles de l’exploitation agricole familiale ».

Le tribunal condamna en conséquence Monsieur … à une peine d’emprisonnement de 24 mois, dont 18 mois avec sursis, ainsi qu’à une amende de … €, tout en prononçant la confiscation du montant de … €, produit et objet des infractions retenues, et en constatant que ce montant a été remboursé par virement du 7 avril 2014 à la Trésorerie de l’Etat par le prévenu.

Le tribunal correctionnel acquitta Madame … du chef des infractions non retenues à sa charge et la renvoya des fins de la poursuite pénale sans frais ni dépens.

Le Parquet avait reproché à Madame …, comme : « auteur en ce qui concerne l’infraction de blanchiment libellée ci-dessous au point 3 et - coauteur sinon complice des infractions libellées ci-dessous aux points 1 et 2, en ce qu’elle a fourni une aide nécessaire, sinon à tout le moins utile, et plus particulièrement en ce qu’elle:

 A agi comme personne interposée pour la reprise, en qualité de chef d’exploitation de l’exploitation de son mari, … …. L’activité professionnelle de chef d’exploitation n’était en effet plus compatible avec le statut de fonctionnaire de ce dernier. Il continuait cependant en fait à en assurer la direction.

 A chargé son mari … …, qui s’était officiellement retiré en tant que chef d’exploitation, d’établir et d’introduire les demandes en subvention à la surface pour l’exploitation dont administrativement elle est la dirigeante depuis 2002.

 S’est chargée de la gestion des aspects financiers de l’exploitation (outre des comptes joints et des comptes personnels de son époux), et a reçu -en tant que titulaire, mandataire et bénéficiaire effectif (ensemble avec son mari … …) du compte de l’exploitation- les subventions indues, subventions dont le total n’avait, du fait de l’escroquerie à subvention, pas diminué malgré la diminution de l’envergure (et des surfaces) en fait exploitées par l’exploitation dont elle est administrativement la dirigeante.

Entre mai 2005 et la fin de l’année 2012, dans l’arrondissement judiciaire de Diekirch et dans l’arrondissement judiciaire de Luxembourg, notamment au siège de l’exploitation et au domicile des époux …-… sis à … (…) et dans les locaux du Service de l’Economie Rurale (SER) à Luxembourg, sans préjudice quant à l’indication de circonstances de temps et de lieux plus précises, 2. Faux et usage de faux En infraction à l’article 196 du Code pénal, d’avoir commis un faux en écritures authentiques et publiques, et d’avoir commis un faux en écritures de commerce, de banque ou en écritures privées, en ce compris les actes sous seing privé électronique, soit par fausses signatures, soit par contrefaçon ou altération d'écritures ou de signatures, soit par fabrication de conventions, dispositions, obligations ou décharges, ou par leur insertion après coup dans les actes, soit par addition ou altération de clauses, de déclarations ou de faits que ces actes avaient pour objet de recevoir et de constater.

En infraction à l’article 197 du Code pénal d’avoir fait usage de ces faux.

Plus précisément, d’avoir commis des faux intellectuels à savoir des écritures matériellement vraies, mais dont l’expression est fausse et plus précisément contenant des constatations inexactes. D’avoir ainsi commis un faux en écritures par altération de clauses, de déclarations ou de faits que ces actes avaient pour objet de recevoir et de constater.

D’avoir fait usage de ces faux en écritures.

En l’espèce, d’avoir introduit dans les demandes de subventions (primes) à la surface se basant sur le formulaire de type « Fläschenantrag-Erntejahr YYYY- Liste der bewirtschafteten Parzellen » chaque année pour les années de 2005 à 2012, des mentions inexactes (ne correspondant pas à la réalité) en indiquant que l’exploitation … … exploite des surfaces qui en fait ne l’ont pas été par celle-ci, d’avoir ensuite introduit auprès du Service de l’Economie Rurale (SER) ces demandes (formulaires remplis) falsifiées pour l’exploitation agricole inscrite au nom de son épouse … … (394190) en vue de l’octroi de subventions à la surface.

Les demandes de subventions à la surface remplies sont de nature à produire des effets juridiques, en ce qu’elles peuvent, par l'usage en vue duquel elles ont été rédigées, porter préjudice aux tiers et en particulier en ce qu’elles servent de base aux décisions en ce qui concerne l’éligibilité, le calcul et l’octroi des subventions, En l’espèce, elles ont pu et ont porté préjudice aux tiers, puisqu’elles ont servi de base à une escroquerie à subventions permettant à l’exploitation … … d’obtenir des subventions auxquelles elle n’avait pas droit.

Les mentions inexactes, par année, correspondent aux surfaces non exploitées par l’exploitation … … et portent sur les numéros cadastraux où (à partir de 2006) les numéros FLICK, les surfaces, les localités et l’utilisation des surfaces relatives aux surfaces cadastrales indiquées dans le tableau ci-dessous. Ces mentions sont indiquées plus précisément dans le document annexé au présent réquisitoire pour en faire partie intégrante.

Sont visées les mentions dans le document annexé qui sont surlignées en jaune.

Ainsi, les indications relatives aux surfaces suivantes ont été mentionnées faussement dans les demandes introduites dans le cadre des subventions à la surface : [plus amplement reprises dans un tableau figurant au jugement précité du 3 mars 2016].

En l’espèce, d’avoir fait usage de ces faux en écritures en les transmettant à l’autorité compétente à savoir le Service de l’Economie Rurale (SER) en vue de l’octroi de subventions.

3. Escroquerie à subventions 3.1. En infraction à l’article 496-1 du Code pénal d’avoir sciemment fait une déclaration fausse ou incomplète en vue d’obtenir ou de conserver une subvention, indemnité ou autre allocation qui est, en tout ou en partie, à charge de l’Etat, d’une autre personne morale de droit public ou d’une institution internationale.

En l’espèce, d’avoir introduit auprès du Service de l’Economie Rurale (SER) chaque année depuis 2005 jusque 2012 inclus, des déclarations de demande de paiement à la surface falsifiées dans le cadre de demandes de subventions en faveur de l’exploitation agricole … … en y reprenant des surfaces agricoles d’un total de … hectares dont l’exploitation … … n’avait pas la jouissance, notamment parce qu’elles n’appartenaient pas à l’exploitation, qu’elles n’étaient pas exploitées par cette dernière en vertu d’un contrat de louage à ferme ou contrat similaire, et qu’elles n’étaient en fait pas exploitées par cette exploitation agricole.

Ces surfaces agricoles appartenaient à l’Etat, à des sociétés et surtout à d’autres personnes privées (voir le document annexé au présent réquisitoire pour en faire partie intégrante) et l’exploitation agricole inscrite au nom de … … n’avait pas l’accord de ceux-ci pour les exploiter et ne les a, en fait, pas exploitées.

D’avoir fait ces fausses déclarations dans le but d’obtenir des subventions à charge de l’Union Européenne dans le cadre de la politique agricole commune (régime de soutien en faveur des agriculteurs) sinon de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg.

Plus précisément, d’avoir introduit indûment des demandes de paiement à la surface pour les surfaces non exploitées par l’exploitation … … suivantes : [plus amplement détaillées dans un tableau figurant audit jugement du 3 mars 2016].

Les détails des données renseignées faussement dans les demandes de paiement à la surface figurent dans le document annexé au présent pour en faire partie intégrante et sont surlignés en jaune.

3.2. En infraction à l’article 496-2 alinéa 1er du Code pénal, d’avoir, suite à une déclaration telle que visée à l’article précédent (article 496-1 du Code pénal), reçu une subvention, indemnité ou autre allocation à laquelle il n’a pas droit ou à laquelle il n’a droit que partiellement.

En l’espèce, d’avoir reçu des subventions suite aux fausses déclarations visées sub 3.1. d’un montant total principalement de … EUR, subsidiairement de … EUR, subventions auxquelles l’exploitation … … n’avait pas droit.

3.3 Subsidiairement par rapport au point 3.2., en infraction à l’article 496-3 du Code pénal d’avoir accepté ou conservé une subvention, indemnité ou autre allocation, ou partie d’une subvention, indemnité ou autre allocation, sachant qu’il n’y a pas droit.

En l’espèce, d’avoir conservé des subventions reçues suite aux fausses déclarations visées sub 3.1. d’un montant total principalement de … EUR, subsidiairement de … EUR, sachant que l’exploitation … … n’y a pas droit.

4. Blanchiment 4.1. … … et … …, en tant qu’auteurs, coauteurs ou complices, Entre le mois de mai 2005 et le 7 avril 2014 (date du remboursement de … EUR à l’Etat), dans l’arrondissement judiciaire de Diekirch et dans l’arrondissement de Luxembourg, et plus spécialement à … (…) et au siège social de la Banque et Caisse d’Epargne de l’Etat, 1, Place de Metz à Luxembourg, sans préjudice quant aux indications de temps et de lieu plus exactes.

En infraction à l’article 506-1 point 3) du Code pénal, d’avoir acquis, détenu ou utilisé des biens visés à l’article 3-1, alinéa premier, sous 1) du Code pénal, formant l’objet ou le produit, direct ou indirect, des infractions énumérées au point 1) de cet article- et plus spécialement d’une infraction aux articles 496-1 à 496-4 du Code pénal- ou constituant un avantage patrimonial quelconque tiré de l’une ou de plusieurs de ces infractions, sachant, au moment où ils les recevaient, qu’ils provenaient de l’une ou de plusieurs des infractions visées au point 1) ou de la participation à l’une ou plusieurs de ces infractions.

En l’espèce, d’avoir détenu sur le compte … ouvert auprès de la Banque … principalement la somme totale de … EUR, subsidiairement la somme totale de … EUR, provenant d’une escroquerie à subvention (articles 496-1 à 496-4 du Code pénal comme libellé ci-dessus au point 3)) sachant au moment où ils recevaient les virements y relatifs que cet argent provenait de l’une ou de plusieurs des infractions visées au point 1) de l’article 506-1 du Code pénal ou de la participation à l’une ou plusieurs de ces infractions.

En l’espèce, d’avoir utilisé cet argent dans des dépenses de la vie courante et dans l’exploitation … ….

4.1. … …, Aux dates reprises ci-dessous, dans l’arrondissement judiciaire de Diekirch, et plus spécialement à … (…), sans préjudice quant aux indications de temps et de lieu plus exactes.

En infraction à l’article 506-1 point 2) du Code pénal d’avoir sciemment apporté son concours à une opération de placement, de dissimulation, de déguisement, de transfert ou de conversion des biens visés à l’article 32-1, alinéa premier, sous 1) du Code pénal, formant l’objet ou le produit, direct ou indirect, des infractions énumérées au point 1) de cet article-

et plus spécialement d’une infraction aux articles 496-1 à 496-4 du Code pénal- ou constituant un avantage patrimonial quelconque tiré de l’une ou de plusieurs de ces infractions;

en l’espèce, d’avoir apporté son concours à une opération de dissimulation, de transfert et de conversion du produit de l’infraction d’escroquerie à subvention libellée sub 3. en prélevant du compte … ouvert auprès de la Banque … les sommes suivantes :

-

Prélèvement du 15 décembre 2005 de la somme de … EUR -

Prélèvement du 5 octobre 2007 de la somme de … EUR -

Prélèvement du 31 décembre 2008 de la somme de … EUR -

Prélèvement du 13 août 2010 de la somme de … EUR -

Prélèvement du 24 janvier 2012 de la somme de … EUR. ».

A l’audience des plaidoiries du 10 mai 2016, les mandataires des parties déclarèrent maintenir leurs conclusions respectives antérieures, même compte tenu du jugement au pénal entre-temps devenu définitif.

Il convient de rappeler qu’à l’appui de sa requête d’appel, l’Etat a fait valoir que le jugement dont appel lui fait grief en ce que les premiers juges ont décidé qu’aucune irrégularité intentionnelle ou négligence grave n’a pu être rapportée dans le chef de Madame …, seules des dispositions réglementaires ayant trait à la répétition de l’indu et à la réduction concomitante des primes de surface étant, le cas échéant, susceptibles de lui être appliquées pour les années 2005 à 2012.

Dès lors, les premiers juges auraient retenu que le remboursement intégral des aides agricoles résultant d’une irrégularité intentionnelle n’était pas justifié tout en prévoyant l’application des dispositions communautaires relatives aux surdéclarations « simples » consistant dans la démarche de calculer le montant de l’aide sur base de la superficie déterminée, réduite du double de la différence constatée, si celle-ci dépasse 3% ou 2 hectares, mais n’excède pas 20% de la superficie déterminée.

L’Etat retrace encore que du fait que, selon le tribunal, il n’était pas possible de dissocier parmi les montants réclamés en tant que sanction d’irrégularités intentionnelles ceux qui sont dus au titre de l’application des dispositions communautaires relatives aux surdéclarations « simples », la décision ministérielle litigieuse était à annuler intégralement et le dossier à renvoyer de la sorte en prosécution de cause devant l’autorité compétente.

Après avoir constaté que suivant les premiers juges la question centrale était celle de savoir si et dans quelle mesure Madame … peut se voir reprocher un manquement intentionnel, sinon une négligence grave en relation avec les déclarations parcellaires litigieuses, l’Etat relève que les premiers juges ont constaté en premier lieu que les époux …-

… sont mariés sous le régime légal de la communauté réduite aux acquêts, de sorte à se voir appliquer les articles 1421-1, 1432, alinéa 2, et 1984 du Code civil pour conclure ensuite que Monsieur … a pu valablement, sous le couvert d’un mandat tacite reçu par son épouse, signer et remplir au nom et pour le compte de celle-ci les déclarations parcellaires litigieuses.

Au niveau des implications respectives des intimés en découlant, l’Etat estime que le raisonnement des premiers juges serait erroné puisque, d’une part, ils admettent, sur base des règles du mandat civil de la représentation entre époux mariés sous le régime légal, le fait que Madame … a pu se faire représenter par son mari pour la signature des déclarations de paiements à la surface et, d’autre part, ils exigent quand même de la part de l’Etat la preuve sans équivoque d’une implication de Madame … dans les déclarations frauduleuses.

Dans ce contexte, l’Etat estime que si le principe du mandat tacite est admis, d’une part, les deux époux peuvent se représenter mutuellement, mais doivent, d’autre part, aussi répondre solidairement des dettes. Selon l’Etat, l’article 1421-1, alinéa 2, deuxième phrase du Code civil prévoit que l’époux qui a fait seul un acte d’administration de jouissance répond envers l’autre de sa gestion et que les deux sont tenus solidairement des dettes vis-à-vis des tiers.

Ainsi, chacun des époux agirait au nom de la communauté et une décision ministérielle ayant trait au sort d’un bien de la communauté, rendue à l’égard d’un des époux, aurait autorité de chose décidée à l’égard de l’autre. L’Etat précise qu’en l’occurrence il s’agirait de biens de la communauté y entrés du chef des deux époux en vertu de l’article 1421-1, alinéa 1er, du Code civil.

L’Etat souligne encore que les premiers juges admettraient le principe selon lequel les deux époux peuvent se représenter mutuellement, sans cependant expliquer pourquoi cett e solidarité n’aurait pas vocation à s’appliquer à toutes dettes de la communauté, même celles provenant de manœuvres frauduleuses.

Il s’agirait également de se référer à l’article 1427 du Code civil prévoyant que si l’un des époux a outrepassé ses pouvoirs sur les biens communs, l’autre peut en demander l’annulation, en précisant que l’action en nullité est ouverte au conjoint pendant deux années à partir du jour où il a eu connaissance de l’acte, sans ne pouvoir jamais être intentée plus de deux ans après la dissolution de la communauté.

Ainsi, il ne saurait être question pour l’Etat de prouver sans équivoque que la mandante a été impliquée dans les agissements frauduleux, mais il résulterait clairement des développements de la partie étatique que Madame … verrait sa responsabilité engagée en raison des fautes de gestion ayant causé un dommage au patrimoine commun. Dans ce contexte, l’Etat verse une copie de la plainte pénale déposée le 14 février 2013 par le directeur du Service d’économie rurale en vertu de l’article 23, paragraphe 2, du Code d’instruction criminelle et dirigée contre « l’exploitation agricole …-… … ».

Pour le surplus, l’Etat déclare se référer aux moyens invoqués en première instance et à l’ensemble des observations soumises en son nom devant le tribunal administratif.

Les intimés concluent principalement à la confirmation pure et simple du jugement dont appel en ce qu’il annule la décision ministérielle critiquée du 22 juillet 2013 telle que confirmée par celle du 20 décembre 2013, à moins qu’il ne soit indiqué de surseoir à statuer dans le cadre de la présente affaire jusqu’à ce qu’une décision définitive ne soit intervenue sur le plan pénal, compte tenu de la plainte pénale déposée au nom de la partie étatique.

Pour le surplus, les intimés déclarent maintenir leurs moyens déjà invoqués en première instance auxquels ils renvoient.

Les intimés insistent pour souligner que la question centrale du présent litige consisterait à déterminer si Madame … était impliquée dans les agissements frauduleux de son mari et non pas de savoir si sa responsabilité doit être engagée en raison des fautes de gestion imputées à celui-ci. Ainsi, ni la responsabilité solidaire des époux, ni la question du mandat tacite dont disposait Monsieur … pour faire les déclarations au nom et pour le compte de son épouse, chef d’exploitation, n’auraient une quelconque incidence sur la solution à donner au présent litige.

Par ailleurs, l’Etat réclamerait le remboursement total de toutes les primes reçues par l’exploitation … pour la période de 2005 à 2012, alors qu’il serait constant qu’un remboursement intégral des primes perçues n’est prévu par la législation communautaire qu’en cas d’irrégularités intentionnelles ou de négligences graves lesquelles précisément ne seraient pas vérifiées en cause.

C’est à partir de ces considérations que les premiers juges auraient annulé à bon escient les décisions ministérielles critiquées.

Il est constant en cause que les deux décisions ministérielles critiquées à la base du présent litige portent sur la demande en remboursement intégral des aides agricoles au titre du paiement unique, de la prime à l’entretien du paysage et de l’espace naturel, ainsi qu’au titre de l’indemnité compensatoire pour les années 2005 à 2012 dans le chef de l’exploitation agricole …-….

A défaut de contestation afférente, il convient de se référer au dispositif de la réglementation de l’Union Européenne, telle que dégagée par le tribunal à partir des décisions ministérielles litigieuses, à savoir :

-

pour ce qui est du paiement unique : les dispositions applicables en vertu des règlements (CE) n°1782/2003 du Conseil du 29 septembre 2003 établissant les règles communes pour les régimes de soutien direct dans le cadre de la politique agricole commune et établissant certains régimes en faveur des agriculteurs, ci-après « le règlement (CE) n°1782/2003 », tel que remplacé à partir de 2009 par le règlement (CE) n°73/2009 du Conseil du 19 janvier 2009 établissant des règles communes pour les régimes de soutien direct dans le cadre de la politique agricole commune et établissant certains régimes de soutien en faveur des agriculteurs, ci-après « le règlement (CE) n°73/2009 », ainsi que les dispositions applicables en vertu du règlement (CE) n°796/2004 de la Commission du 21 avril 2004 portant modalités d’application de la conditionnalité, de la modulation et du système intégré de gestion et de contrôle prévus par le règlement n°1782/2003 du Conseil du 29 septembre 2009 établissant des règles communes pour les régimes de soutien direct dans le cadre de la politique agricole commune et établissant certains régimes de soutien en faveur des agriculteurs, ci-après « le règlement (CE) n°796/2004 », ayant été remplacé à partir de 2010 par le règlement (CE) n°1122/2009 de la Commission du 30 novembre 2009 fixant les modalités d’application du règlement (CE) n° 73/2009 du Conseil en ce qui concerne la conditionnalité, la modulation et le système intégré de gestion et de contrôle dans le cadre des régimes de soutien direct en faveur des régimes de soutien prévus par ce règlement ainsi que les modalités d’application du règlement (CE) n°1234/2007 du Conseil en ce qui concerne la conditionnalité dans le cadre du régime d’aide prévu pour le secteur vitivinicole, ci-après « le règlement (CE) n°1122/2009 » ;

-

pour la prime à l’entretien du paysage et de l’espace naturel et l’indemnité compensatoire : les dispositions applicables en vertu du règlement (CE) n° 1698/2005 du Conseil du 20 septembre 2005 concernant le soutien au développement rural par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader), ci-après « le règlement (CE) n°1698/2005 », ainsi que le règlement (CE) n° 1975/2006 de la Commission du 7 décembre 2006 portant modalités d’application du règlement (CE) n° 1698/2005 du Conseil en ce qui concerne l’application de procédures de contrôle et de conditionnalité pour les mesures de soutien au développement rural, ci-après « le règlement (CE) n°1975/2006 », ayant été remplacé à partir de 2011 par le règlement (UE) n°65/2011 de la Commission du 27 janvier 2011 portant modalités d’application du règlement (CE) n°1698/2005 du Conseil en ce qui concerne l’application de procédures de contrôle et de conditionnalité pour les mesures de soutien au développement rural, ci-après « le règlement (UE) n°65/2011 ».

A partir de ce dispositif réglementaire, les premiers juges ont valablement retenu que plus particulièrement en raison des dispositions combinées des articles 19 du règlement (CE) n° 73/2009 et 12 du règlement (CE) n° 1122/2009, au niveau de l’exploitation agricole il convient de retenir en tant que sujet de droit, à défaut de personne morale valablement constituée, l’agriculteur personne physique au nom duquel l’activité agricole pertinente était exercée durant la période litigieuse. A ce niveau, il est encore constant en cause, tel que le ministre l’a souligné dans sa décision du 20 décembre 2013 déférée, qu’il résulte d’un courrier du Centre commun de la sécurité sociale du 2 janvier 2002 que l’exploitation agricole …-…, ayant précédemment figuré au nom de Monsieur … …, a été reprise par son épouse, Madame … …, sur base d’une déclaration du changement de chef d’exploitation et que depuis lors ladite exploitation se trouve enregistrée sous le nom de Madame … …, sans que par ailleurs une contestation afférente n’ait été élevée de la part notamment du chef d’exploitation.

C’est donc essentiellement par rapport audit chef d’exploitation qu’il convient d’analyser les critères applicables en vue de déterminer l’ampleur des remboursements redus en raison des sur-déclarations vérifiées en cause. A cet escient, les parties ne sont pas contraires par rapport à la summa divisio retenue par le tribunal en ce qu’il convient de distinguer, d’une part, les remboursements dus en raison de sur-déclarations effectuées intentionnellement ou en raison d’une négligence grave et, d’autre part, les simples sur-déclarations ne répondant pas aux critères « intentionnel » ou « gravement négligent » à vérifier au niveau de l’agriculteur chef d’exploitation.

En appel, la question essentielle posée à la Cour est celle déjà soumise aux premiers juges de savoir, en l’absence de conclusion des parties allant dans le sens de différenciation en raison des différentes primes et subventions visées voire des réglementations successives respectives applicables dans le temps, si dans le chef de Madame … prise en tant que agriculteur-chef d’exploitation, les restitutions à opérer en raison des sur-déclarations vérifiées sont appelées à porter sur l’intégralité des primes et subventions touchées pour compte de son exploitation au titre des années 2005 à 2012, auquel cas il doit être vérifié en cause que ces sur-déclarations soient intervenues de manière intentionnelle de sa part, voire en raison d’une négligence grave lui imputable, ou sinon que les restitutions à opérer doivent répondre à un régime dit « simple », applicable du moment que ni le caractère intentionnel des sur-déclarations ne serait vérifié dans le chef de Madame …, ni sa négligence grave y relativement.

Dans une optique de mise en cohérence, la Cour est amenée à reprendre à cet endroit ce qui a été définitivement jugé au niveau pénal, dans la mesure où le caractère intentionnel requis par le dispositif de la réglementation de l’Union Européenne rejoint en substance celui de l’existence d’un élément moral suffisant, tel qu’entrevu à partir du droit pénal, de même que, suivant l’analyse du tribunal correctionnel, la vérification d’une négligence grave passe par celle de la nécessaire connaissance afférente pouvant être imputée de manière vérifiée à l’agriculteur-chef d’exploitation.

A ce double niveau, le jugement du tribunal correctionnel de Diekirch du 3 mars 2016 tire des conclusions nettes qu’il convient de reprendre à cet endroit dans leur intégralité :

« … … conteste toute implication directe ou indirecte dans les faits reprochés à son époux, affirmant ne pas avoir eu connaissance des manœuvres frauduleuses de ce dernier et ne jamais avoir signé une demande de subventions. … … … confirme les déclarations de son épouse affirmant que celle-ci n’était pas au courant de ses agissements.

Il appartient au Ministère public, pour obtenir la condamnation de la prévenue, de rapporter la preuve que celle-ci avait participé, soit comme coauteur soit comme complice, aux faits lui reprochés. A ce titre il faut d’abord rapporter qu’elle avait connaissance des agissements de son époux et que ces agissements étaient de nature délictuelle. Le simple fait qu’elle savait que son époux présentait des demandes de subventions au SER n’implique pas qu’elle devait savoir également qu’il indiquait faussement dans ces demandes des surfaces non exploitées par leur exploitation agricole. Il ne ressort d’aucun élément du dossier qu’elle n’a pas remis à son époux les courriers en provenance du ministère de l’agriculture ou du SER et sa seule qualité de représentante de l’exploitation commune ne permet pas de retenir avec la certitude requise qu’elle devait être au courant du fait des faux commis par … …. S’il est vrai qu’elle s’occupait de la gestion administrative de l’exploitation commune et gérait de ce fait le compte bancaire de ladite exploitation, il n’en découle pas forcément qu’elle devait se rendre compte que les sommes versées à titre de subventions étaient d’un montant exorbitant respectivement anormalement élevé, alors que pendant la période en cause la somme globale annuelle des subventions ne variait que peu, et que les montants relatifs aux subventions indues, répartis sur les années 2005 à 2012 ne sont pas des montants aussi considérables que … … devait se douter de la régularité de ces paiements. Le tribunal estime dès lors qu’il n’est pas établi hors de tout doute raisonnable que … … avait connaissance des faits commis par son époux, de sorte qu’il y a lieu de l’acquitter des préventions lui reprochées pour défaut d’élément moral dans son chef ».

En termes de cohérence entre l’analyse définitive du juge pénal et celle devant être opérée face aux mêmes faits par le juge administratif, la conclusion est à tirer en ce sens qu’aucune sur-déclaration intentionnelle ne saurait être valablement retenue dans le chef de Madame …, agriculteur-chef d’exploitation, à partir du moment qu’il a été définitivement jugé par la juridiction pénale que la preuve n’était pas rapportée que Madame … avait connaissance des agissements de son époux et que ces agissements étaient de nature délictuelle, de même que bien qu’ayant été pendant toute cette période chargée de la gestion administrative de l’exploitation commune en biens, l’intéressée ne devait pas nécessairement se douter de la régularité des paiements intervenus relativement aux subventions versées chaque année à l’entreprise agricole à la tête de laquelle elle se trouvait à l’époque. Une fois ces constats repris, toujours en termes de cohérence, par le juge administratif, aucune négligence grave ne saurait non plus être retenue valablement à l’encontre de Madame ….

Si les premiers juges, en l’absence de tout jugement du tribunal correctionnel, ont pu émettre des hypothèses a prioristes, notamment en termes de pouvoirs d’administration, de gestion et de disposition dans le contexte du régime matrimonial légal des époux …-…, en l’absence de contrat de mariage conclu entre eux, c’est-à-dire sur base du régime de la communauté réduite aux acquêts, de même qu’en termes de mandat exprès ou tacite entre époux mariés sous ce régime et que l’Etat, en tant que partie appelante, s’est encore appuyé sur les mêmes bases issues du droit civil, l’analyse de la Cour se trouve, quant à elle, actuellement conditionnée par ce qui a été définitivement tranché au pénal au niveau de la connaissance et de l’intention de Madame … en relation avec les infractions définitivement retenues par le tribunal correctionnel à l’encontre de son mari, compte tenu de l’acquittement par elle obtenu des infractions libellées à son encontre.

L’Etat lui-même, dans son acte d’appel, après avoir réexposé ses moyens tirés des dispositions du droit civil ayant essentiellement trait au fonctionnement du régime matrimonial légal et aux règles du mandat, a souligné pour conforter son point de vue que « dans ce contexte », il fallait se reporter à la plainte pénale déposée le 14 février 2013 par le directeur du Service d’économie rurale en vertu de l’article 23, paragraphe 2, du Code d’instruction criminelle, qui elle-même est à l’origine de l’affaire pénale ayant abouti au jugement correctionnel définitif du 3 mars 2016.

La Cour peut aisément admettre qu’in abstracto, il soit difficilement retraçable pour un tiers que pour des époux mariés sous le régime légal, l’épouse étant devenue chef de l’exploitation agricole commune en biens suite à l’accession de son mari à un poste de fonctionnaire de l’Etat au niveau du Service de l’économie rurale, l’épouse ainsi chargée de la gestion administrative de l’exploitation ait pu avoir une confiance aveugle telle dans le traitement des données par son mari, expert en matière de subventions agricoles, du fait de sa fonction étatique, qu’elle ait pu ignorer à ce stade les agissements de celui-ci avant que ceux-

ci ne fussent révélés au début de l’année 2013. Seulement, la cohérence étant à ce prix, une fois que le juge pénal, spécialisé en termes de dégagement de l’élément moral nécessaire à la base des infractions plus spécifiquement libellées dès l’ingrès du procès pénal à l’encontre des deux époux …-…, infractions requérant en règle générale pareil élément intentionnel à titre d’élément constitutif, aura définitivement retenu non seulement l’absence de pareil élément moral, voire intentionnel, mais encore l’absence de connaissance par l’épouse des agissements de son mari dans le contexte spécifique donné, il n’appartient pas au juge administratif, amené à statuer sur base de la même situation de fait, à dégager des conclusions en substance divergentes.

La Cour voudrait souligner à cet escient que bien que se trouvant amenée à statuer dans le cadre d’un recours en annulation et à se placer en conséquence au niveau des faits et éléments de droit tels qu’ils ont existé au moment de la prise respective des décisions ministérielles litigieuses, il n’en reste pas moins que les enseignements à retirer du jugement définitif du tribunal correctionnel de Diekirch, intervenu postérieurement à ces décisions, doivent pouvoir utilement influer dans l’analyse du juge administratif, dans la mesure où il s’agit d’éléments de preuve voire de clarification par rapport aux données de fait et de droit qui, globalement, sont appelés à se cristalliser dans le temps aux dates respectives de la prise des décisions ministérielles critiquées.

Si, dès lors, dans le chef de Madame …, agriculteur-chef d’exploitation, il convient de suivre le régime des restitutions de primes indûment perçues dans le cadre de sur-déclarations « simples », en ce sens qu’elles ne relèvent de manière vérifiée ni d’une démarche intentionnelle, ni d’une négligence grave, la conséquence d’ordre pécuniaire à en tirer ne correspond cependant pas, suivant le régime réglementaire de l’Union Européenne, applicable respectivement ratione materiae, suivant la subvention visée, et ratione temporis, suivant la disposition réglementaire précisément applicable dans le temps, à la restitution simplement des montants de subventions touchés indûment en raison de sur-déclarations, d’un total de … € arrêté par le tribunal correctionnel en tant que produit et objet des infractions définitivement retenues à charge de Monsieur …. En effet, suivant le montant des sur-déclarations voire le pourcentage par rapport aux déclarations globales, notamment le double du montant sur-déclaré peut être, le cas échéant, redû à titre de restitution. Par ailleurs, il convient de tenir compte du paiement intervenu, postérieurement aux décisions litigieuses, de la part de Monsieur …, tel que constaté définitivement par le tribunal correctionnel. Plus particulièrement le calcul des intérêts de retard s’en trouve impacté.

Dans les conditions données, la Cour est amenée, en quelque sorte a fortiori par rapport à la situation de l’époque ayant valu devant le tribunal, à constater qu’elle n’est pas suffisamment outillée à partir de l’ensemble des données lui soumises par les parties afin de dégager les délimitations qui s’imposent sous l’optique, différente de celle à l’époque de la prise des décisions litigieuses, qu’il convient finalement de suivre, une fois l’aiguillage définitivement retenu suivant lequel les sur-déclarations ne sont pas à considérer comme ayant été intentionnelles ni comme ayant résulté d’une négligence grave vérifiée dans le chef de l’agriculteur-chef d’exploitation.

A la suite du tribunal, il convient dès lors d’annuler les décisions ministérielles critiquées et de renvoyer le dossier en prosécution de cause devant le ministre compétent.

Si dans le contexte donné, l’appel étatique est à déclarer non fondé et le jugement dont appel est à confirmer, quoique partiellement pour d’autres motifs eu égard au jugement correctionnel définitif entre-temps intervenu, il n’en reste pas moins que les intimés sont à condamner aux dépens des deux instances, en application des dispositions combinées des articles 32 et 54 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, dans la mesure où, du fait des infractions commises, non pas par l’agriculteur chef d’exploitation, mais par son époux, des restitutions de subventions indues sont néanmoins redues en application des qualifications ci-avant retenues, même si l’intégralité des primes et subventions visées et perçues du chef des exercices 2005 à 2012 n’est pas à restituer, tel qu’il vient d’être arrêté ci-avant.

Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l'égard de toutes les parties en cause ;

déclare l’appel étatique recevable ;

au fond, le dit non justifié ;

partant en déboute ;

confirme le jugement dont appel ;

condamne cependant les intimés aux dépens des deux instances.

Ainsi délibéré et jugé par :

Francis DELAPORTE, président, Serge SCHROEDER, premier conseiller, Lynn SPIELMANN, conseiller, et lu par le président en l'audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier en chef de la Cour Anne-Marie WILTZIUS.

s. WILTZIUS s. DELAPORTE Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 26 mai 2016 Le Greffier de la Cour administrative 18


Synthèse
Numéro d'arrêt : 36501Ca
Date de la décision : 26/05/2016

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2016-05-26;36501ca ?

Source

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