La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

12/05/2016 | LUXEMBOURG | N°36471C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 12 mai 2016, 36471C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 36471C Inscrit le 22 juin 2015

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Audience publique du 12 mai 2016 Appel formé par la société anonyme en liquidation … S.A., …, contre un jugement du tribunal administratif du 13 mai 2015 (n° 33688 du rôle) dans un litige l’opposant à une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’impôt sur le revenu des collectivités

-----------------------

---------------------------------------------------------------------------------------...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 36471C Inscrit le 22 juin 2015

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Audience publique du 12 mai 2016 Appel formé par la société anonyme en liquidation … S.A., …, contre un jugement du tribunal administratif du 13 mai 2015 (n° 33688 du rôle) dans un litige l’opposant à une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’impôt sur le revenu des collectivités

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 36471C du rôle, déposé au greffe de la Cour administrative le 22 juin 2015 par Maître Lionel NOGUERA, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société anonyme en liquidation …, établie et ayant son siège social à L-…, …, inscrite au registre du commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, numéro fiscal …, représentée aux fins de sa liquidation par Monsieur … …, liquidateur actuellement en fonction, dirigé contre un jugement rendu par le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg le 13 mai 2015 (n° 33688 du rôle), par lequel ledit tribunal l’a déboutée de son recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 30 août 2013 (n° C 18816 du rôle) déclarant la réclamation introduite contre le bulletin de fixation d’avances pour l’année 2013, émis le 12 juin 2013, non fondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 12 août 2015 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;

Le rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Gaëlle FELLY, en remplacement de Maître Lionel NOGUEIRA, et Madame le délégué du gouvernement Caroline PEFFER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 24 novembre 2015.

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Lors de l’assemblée générale extraordinaire du 30 novembre 2009, la société …, ayant son siège principal à …, actionnaire unique de la société anonyme … S.A., ci-après désignée par la « société … », décida de dissoudre cette dernière et de la mettre en liquidation à compter du même jour. L’actionnaire unique préqualifié nomma par ailleurs Monsieur … …, réviseur d’entreprises, comme liquidateur de la société.

Le 12 juin 2013, le bureau d’imposition Sociétés 6 de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par le « bureau d'imposition », émit à l’encontre de la société … un bulletin portant fixation des avances trimestrielles de l’impôt sur le revenu des collectivités s’élevant pour l’année 2013 à … euros par trimestre et pour l’année 2014 à … euros par trimestre.

Par écrit daté au 23 juillet 2013, déposé au bureau d’imposition le 24 juillet 2013, Monsieur … introduisit, en sa qualité de liquidateur de la société …, une réclamation devant le directeur de l’Administration des Contributions directes, ci-après désigné par le « directeur », contre le bulletin de fixation des avances trimestrielles précité.

Par décision du 30 août 2013, répertoriée sous le numéro … du rôle, le directeur rejeta cette réclamation comme étant non fondée aux motifs énoncés comme suit :

« […] Nach Einsicht der am 24. Juli 2013 eingegangenen Rechtsmittelschrift, mit welcher Herr … …, Abwickler, im Namen der Aktiengesellschaft … S.A., L-…, die Festsetzung der Vorauszahlungen zur Körperschaftsteuer des Jahres 2013, ergangen am 12. Juni 2013, anficht ;

Nach Einsicht der Steuerakte ;

Nach Einsicht der §§ 228 und 301 der Abgabenordnung (AO) ;

In Erwägung, dass das Rechtsmittel form- und fristgerecht eingelegt wurde ;

In Erwägung, dass sich die Rechtsmittelführerin beschwert fühlt, weil das zuständige Steueramt Vorauszahlungen festgesetzt hat für das Steuerjahr 2013, obwohl sich die Reklamantin in der Abwicklung befände ;

In Erwägung, dass gemäß § 243 AO die Rechtsmittelbehörden die Sache von Amts wegen zu ermitteln haben und nicht an die Anträge des Rechtsmittelführers gebunden sind ;

In Erwägung, dass eine Anfechtung der Festsetzung der Vorauszahlungen zur Einkommensteuer zulässig ist (cf Staatsrat vom 16. Juli 1947, N.° 4278) ;

In Erwägung dass laut Artikel 135, Absatz 1 des Einkommensteuergesetzes (L.I.R.) der Steuerpflichtige vierteljährliche Vorauszahlungen auf die durch Veranlagung festzusetzende Steuer zu entrichten hat ; dass jede Vorauszahlung grundsätzlich ein Viertel der Steuer, die sich nach Anrechnung der Steuerabzugsbeiträge bei der letzten Veranlagung ergeben hat, beträgt (135, Absatz 2 L.I.R.) ;

dass laut Artikel 135 Absatz 3 L.I.R., der Betrag der Vorauszahlungen auf begründeten Antrag des Steuerpflichtigen hin geändert werden muss und von Amts wegen geändert werden kann, wenn die Verwaltung über Angaben verfügt, die eine Ermäßigung oder eine Erhöhung rechtfertigen ;

In Erwägung, dass das Steueramt die strittigen Vorauszahlungen auf Grund von Artikel 174 Absatz 6 L.I.R. festgesetzt hat ;

dass dieser Artikel in seiner ab dem Steuerjahr 2013 gültigen Fassung vorsieht, dass alle im Grossherzogtum Luxemburg ansässigen Organismen mit kollektivem Charakter einer Mindeststeuer unterliegen ;

dass Artikel 174 Absatz 6 L.I.R. in der neuen Fassung, abweichend von den Absätzen 1, 3 und 4, zwei Arten von Mindeststeuer vorsieht ;

dass einerseits gemäß Artikel 174 Absatz 6 Nummer 1 L.I.R., die Körperschaftsteuer für Organismen mit kollektivem Charakter bei denen die Summe der Finanzanlagen, der Wertpapiere, der Guthaben bei Kreditinstituten, der Postscheckguthaben, der Schecks und des Kassenbestands 90% der Bilanzsumme übersteigt, auf mindestens 3.000 Euro festgesetzt wird ;

dass andererseits gemäß Artikel 174 Absatz 6 Nummer 2 L.I.R., die Körperschaftsteuer für alle anderen im Grossherzogtum Luxemburg ansässigen Organismen mit kollektivem Charakter von der Bilanzsumme abhängig ist und mindestens 500, 1.500, 5.000, 10.000, 15.000 oder 20.000 Euro beträgt ;

In Erwägung, dass im vorliegenden Fall auf Grund der von der Reklamantin vorlegten Zwischenbilanz die Körperschaftsteuer sogar eventuell gemäß Artikel 174 Absatz 6 Nummer 1 L.I.R. festgesetzt werden könnte, i.e. 3.000 Euro ;

dass die Körperschaftsteuer für das Jahr 2013 aber erst definitiv im Jahr 2014 veranlagt wird, außer im Fall, wo die sich in der Abwicklung befindende Reklamantin die Abwicklung noch im Steuerjahr 2013 abschließen würde ;

In Erwägung, dass die Mindeststeuer noch um den Beschäftigungsfonds von 7% zu erhöhen ist;

dass der niedrigste Betrag der Mindeststeuer also insgesamt 535 Euro beträgt ;

In Erwägung, dass hieraus hervorgeht, dass die vom zuständigen Steueramt festgesetzten Vorauszahlungen für das Jahr 2013 von jeweils … für das 3. und 4. Trimester, insgesamt … Euro, zu bestätigen sind ;

AUS DIESEN GRÜNDEN ENTSCHEIDET:

die Anfechtung ist zulässig, sie ist als unbegründet zurückzuweisen. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 3 décembre 2013, la société … fit introduire un recours tendant principalement à la réformation, sinon subsidiairement à l’annulation de la décision précitée du directeur du 30 août 2013.

Dans son jugement du 13 mai 2015, le tribunal administratif reçut le recours principal en réformation en la forme, au fond, le déclara non fondé et partant en débouta la société …, dit qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation et condamna la partie demanderesse aux frais.

Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 22 juin 2015, la société … a fait régulièrement relever appel de ce jugement du 13 mai 2015.

Elle expose d’abord en fait que, constituée en date du 16 novembre 1972 sous la dénomination de …, elle aurait exercé l’activité bancaire et divers services financiers en ayant changé à plusieurs reprises de dénomination avant d’adopter sa dénomination actuelle le 1er août 2008. En l’année 2009, à la suite de changements stratégiques et d’une restructuration au niveau de l’actionnaire unique, ce dernier aurait décidé sa dissolution et sa liquidation à compter du 30 novembre 2009. L’appelante soutient que depuis sa mise en liquidation, elle serait dans l’incapacité de générer la moindre activité commerciale et par conséquent le moindre bénéfice. Par ailleurs, à l’instar de toute société opérationnelle ayant traité avec des tiers, les principaux obstacles à la clôture de la liquidation de l’appelante seraient les contestations et procédures judiciaires encore en cours. Ainsi, elle aurait été citée le 26 avril 2012 devant le tribunal des faillites de l’Etat de New York par le syndic à la liquidation de … et cette procédure, bien que fondée sur un argument léger de reproches à l’égard de toutes les banques auprès desquelles la faillie avait entretenu des comptes, serait toujours en cours et empêcherait ainsi la clôture de sa liquidation au vu du risque pour la responsabilité du liquidateur et la réputation de l’actionnaire, alors même que la liquidation aurait été menée avec toute la diligence nécessaire pour le surplus.

En droit, l’appelante fait valoir que compte tenu de sa mise en liquidation, elle ne disposerait plus de ressources propres et qu’elle dépendrait des paiements volontaires de ses actionnaires pour couvrir ses frais de fonctionnement, de manière que l’impôt minimum lui appliqué ne serait conforme ni à la loi, ni à la Constitution en ce qu’il établirait une imposition disproportionnée par rapport à sa capacité contributive qui violerait le principe de l’égalité devant l’impôt.

A cet égard, elle estime que dans la mesure où elle serait soumise à l’impôt sur le revenu avec l’ensemble de ses revenus au vœu de l’article 159 (2) de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu, ci-après désignée par « LIR », et que l’ensemble de ses revenus seraient qualifiés de bénéfice commercial conformément à l’article 162 (3) LIR, un rapprochement pourrait être fait avec la définition générale du bénéfice commercial de l’article 14, n° 1 LIR qui poserait quatre critères positifs et cumulatifs en considérant comme bénéfice commercial tout revenu provenant de (i) toute activité indépendante (ii) à but de lucre (iii) exercée de manière permanente (iv) et constituant une participation à la vie économique générale. L’appelante soutient que les trois derniers de ces quatre critères ne se trouveraient pas vérifiés dans le chef d’une société en liquidation et que l'imposition perdrait en substance et ne se justifierait plus guère que par la nécessité d'imposer les réserves latentes, ainsi qu’en témoignerait l’article 169 (1) LIR au vœu duquel une société en liquidation ne serait en principe plus imposée sur base de la différence de l'actif net investi à la fin et celui du début de l'exercice, mais sur base du bénéfice net réalisé pendant sa liquidation. Ainsi, à l’instar de la disposition correspondante de droit allemand dont il serait inspiré, l’article 169 LIR distinguerait formellement le bénéfice de liquidation d'un bénéfice commercial. En outre, le fait que la liquidation de la société se prolonge au-delà de trois ans et que la société soit imposée séparément pour chaque année d'imposition ne permet absolument pas de supposer une reprise de l'activité économique ou une suspension de la liquidation dans la mesure où, une fois la décision de dissolution prise, l'existence même de la société deviendrait une fiction qui ne serait pas perpétuée d'une manière générale et absolue mais uniquement pour les besoins de la liquidation. L’appelante en déduit qu’une société en liquidation, ayant mis fin à ses activités économiques, devrait être distinguée d’une société ayant une activité économique continue et normale.

L’appelante considère ensuite que la différence de situation ainsi dégagée selon elle commanderait une différence de traitement en faveur de la société en liquidation dont il serait clair qu’elle ne réaliserait aucun bénéfice final de liquidation. Elle expose que l’égalité dans l'impôt ne signifierait pas que toute catégorie de contribuables devrait être traitée de manière identique, une différenciation objective des contribuables pouvant commander une différence de traitement, sous réserve qu'elle soit rationnellement justifiée, adéquate et proportionnée à son but. Elle se fonde sur des références à la jurisprudence de la Cour de cassation belge et à la doctrine luxembourgeoise pour en déduire que l’égalité dans la loi aurait deux facettes en ce que, d’un côté, il faudrait traiter de la même manière ceux qui se trouvent dans des situations essentiellement semblables et que, d’un autre côté, il faudrait corollairement traiter différemment les personnes se trouvant dans des situations essentiellement différentes. Par application de ce principe, chaque catégorie de contribuables, telle que celle des sociétés en liquidation, devrait être différenciée en fonction de sa capacité contributive qui n’existerait que pour les revenus excédant tant le minimum vital que les autres dépenses incompressibles. Or, une société en liquidation n'ayant plus d'actifs ni de revenus ne disposerait que du minimum vital fourni par des apports de ses actionnaires qui, ce faisant, épargneraient le coût de la liquidation elle-même à la collectivité. D’après l’appelante, le principe selon lequel toute charge fiscale doit être proportionnée aux facultés contributives du contribuable assujetti à l'impôt, bien qu’il ne soit pas explicitement repris par notre Constitution, serait reconnu par l'ensemble de la doctrine fiscale luxembourgeoise comme inhérent au principe même de l'impôt dans un Etat constitutionnel moderne et aurait néanmoins valeur constitutionnelle, parce qu'il correspondrait à la lecture actuelle de la mission sociale de l'Etat, qui, elle, figurerait bien dans la Constitution. En outre, ce principe s'appliquerait à tous les contribuables, personnes physiques comme personnes morales, et il serait pareillement reconnu dans les pays voisins comme découlant de la règle constitutionnelle de l’égalité devant la loi.

L’appelante fait valoir que l’introduction d’un impôt minimum à charge de toutes les sociétés de capitaux ne respecterait pas le principe de la capacité contributive et a fortiori celui de l’égalité de traitement, du moins dans l'application absolue qui en serait faite au cas présent, et que, si le législateur peut introduire des charges fiscales dans le seul but d'accroître le rendement de l'impôt et de couvrir les dépenses publiques, encore faudrait-il que de telles mesures respectent les principes de la Constitution et des normes de droit international auxquelles le Luxembourg a souscrit, la nécessité de prélever l'impôt afin de couvrir les dépenses budgétaires ne suffisant pas, à elle seule, pour justifier une disposition fiscale. Après avoir relevé que l’introduction initiale d’un impôt sur le revenu minimum à charge des sociétés exerçant des activités de financement avait pu être justifiée par la nécessité de couvrir les frais administratifs de l’administration en rapport avec le dossier fiscal des contribuables concernés, l’appelante se réfère à un avis du Conseil d’Etat du 4 décembre 2012 et à la situation légale en Autriche visée dans cet avis pour conclure que, compte tenu de l’existence de l’impôt sur la fortune, l’établissement d’un impôt minimum ne pourrait être justifié sur base de la théorie dite « des revenus fondés » qui justifierait une imposition plus lourde des revenus du capital que de ceux du travail ou de prestations sur pied de l’idée que le capital a de toute façon un rendement minimal théorique, au motif que ce même rendement serait déjà capturé par l'impôt sur la fortune qui relèverait de la même logique.

En outre, l’appelante souligne que le Conseil d’Etat avait renoncé dans le cadre du même avis à son opposition formelle au projet de loi visant à modifier le régime de l'impôt minimum sous la condition expresse que l’impôt minimum soit traité comme une avance sur la cote de l'impôt sur le revenu des collectivités des années à venir, mais qu’il s’était référé au seul cas de rigueur des sociétés ayant une activité cyclique pour lesquelles l’impôt minimum ne serait que temporaire et susceptible d'être imputé sur une cote d'impôt ultérieure. Or, dans le chef des sociétés en liquidation, qui ne chercheraient plus du tout à faire de profits et qui sont vouées à disparaître, l'impôt minimum deviendrait in fine un impôt définitif, dès lors que la liquidation est conduite de manière diligente et sans but fiscal particulier et qu’elles ne pourraient ainsi plus créditer l'impôt minimum sur la cote d'impôt.

L’appelante renvoie également à la modification apportée à l’article 174 LIR par la loi budgétaire pour l’année 2015 au motif avoué que sous l’égide de la loi applicable jusque lors, des petites et moyennes entreprises qui venaient d'être constituées ou qui étaient en liquidation tombaient régulièrement sous l’impôt minimum de 3.000 euros, de manière que le législateur aurait pris soin d’affiner le critère de l'assujettissement au tarif de 3.000 euros en excluant les collectivités, dont la somme des actifs financiers est inférieure ou égale à 350.000 euros.

Sur base de cette argumentation, l’appelante conclut qu’une société mise en liquidation, ne disposant plus d’aucuns revenus ni actifs en dehors de ceux qu'apporte sans contrepartie son actionnaire et disposant de pertes reportables très largement supérieures au rendement théorique du capital, n’aurait plus aucune capacité contributive et que dans ce cas de figure l'application de l'impôt minimum contreviendrait à l’égalité des contribuables dans l'impôt consacrée par les articles 10bis et 101 de la Constitution en traitant identiquement des sociétés ayant cessé toute activité économique et celles qui en poursuivent une. Ce serait partant à tort que le tribunal a estimé que l’hypothèse de base invoquée en l’espèce ne rentrerait pas dans le champ d'application des dispositions constitutionnelles visées, qu’il en a déduit que la question de constitutionnalité serait dénuée de tout fondement et qu’il aurait refusé de saisir la Cour Constitutionnelle.

L’article 10bis, paragraphe (1), de la Constitution dispose que « Les Luxembourgeois sont égaux devant la loi », tandis que l’article 101 de la Constitution dispose qu’ « Il ne peut être établi de privilège en matière d’impôts. Nulle exemption ou modération ne peut être établie que par une loi ».

La règle constitutionnelle de l’égalité devant la loi est interprétée par la jurisprudence actuelle de la Cour constitutionnelle en ce sens que sa mise en œuvre suppose que les catégories de personnes entre lesquelles une discrimination est alléguée se trouvent dans une situation comparable au regard de la mesure invoquée et que le législateur peut, sans violer le principe constitutionnel de l’égalité, soumettre certaines catégories de personnes à des régimes légaux différents, à la condition que la disparité existant entre elles soit objective, qu’elle soit rationnellement justifiée, adéquate et proportionnée au but (cf. Cour const. 10 juillet 2015, n° 120/15 du rôle).

S’il est vrai que la Cour constitutionnelle était jusque lors appelée à examiner essentiellement la constitutionnalité de règles légales différentes appliquées à des situations alléguées comme étant comparables et qu’en l’espèce, l’appelante invoque l’hypothèse inverse de situations différentes soumises par la loi à des règles identiques, la Cour ne partage pas l’analyse des premiers juges suivant laquelle cette hypothèse de base ne rentrerait pas dans le champ d’application des dispositions constitutionnelles susvisées et considère que l’absence de jurisprudence de la Cour constitutionnelle relative à cette hypothèse ne permet pas de conclure qu’elle n’est pas susceptible de rentrer dans le champ d’application de la règle constitutionnelle de l’égalité devant la loi dans la même mesure que celle de situations comparables soumises à des régimes légaux différents. Il n’y a partant pas lieu de rejeter l’argument d’inconstitutionnalité soulevé par l’appelante sur base du motif retenu par les premiers juges.

En matière d’impôts, la règle constitutionnelle de l’égalité devant la loi d’impôt se trouve concrétisée par le principe de la capacité contributive au vœu duquel les personnes présentant la même capacité de contribuer aux charges publiques doivent subir le même niveau d’imposition. Le législateur jouit dans ce cadre de la latitude pour choisir les indicateurs de la capacité contributive et pour fixer les régimes de détermination et d’imposition des indicateurs qu’il érige en matière imposable. L’indicateur de la capacité contributive qui est concrètement en cause en l’espèce est celui du revenu, en l’occurrence celui réalisé par une collectivité soumise à l’impôt sur le revenu des collectivités.

L’argumentation de l’appelante revient en substance à nier l’existence d’une capacité contributive découlant d’un revenu dégagé dans le chef d’une société opaque du fait de sa mise en liquidation qui emporte la réalisation de l’actif social, le paiement des créanciers sociaux, le remboursement des apports aux associés et le partage du boni de liquidation parmi ces derniers.

Or, l’article 169 LIR dispose que « (1) Les organismes à caractère collectif dont la dissolution est survenue sont imposables sur le bénéfice net réalisé pendant leur liquidation.

(2) Toutefois, si des opérations de liquidation dépassent un délai de trois ans, il y aura imposition à la fin de chaque exercice. […] ».

Cette disposition fait ainsi rentrer le boni de liquidation dans le revenu imposable d’une société opaque et considère partant que ledit boni constitue un élément de revenu traduisant l’existence d’une capacité contributive.

Il s’ensuit que l’appelante ne peut pas valablement arguer que suite à sa mise en liquidation, elle ne disposerait plus d’aucune capacité contributive et de revenus susceptibles d’une imposition dans la mesure où elle n’aurait plus d'actifs ni de revenus et où elle ne disposerait que du minimum vital fourni par des apports de ses actionnaires. En effet, un éventuel boni de liquidation constitue une matière imposable potentielle qui suffit pour maintenir dans le chef de la société en liquidation une capacité contributive indépendamment de la question de savoir si dans une situation individuelle concrète une société dispose encore d’actifs à réaliser et d’opérations en cours dégageant encore un revenu et si un boni de liquidation sera dès lors effectivement obtenu ou non. Si la situation de l’appelante se distingue ainsi certes de celle d’une société active en cours d’exploitation en ce qu’elle ne présente pas une capacité contributive découlant d’un bénéfice provenant de son activité courante qui serait soumis à l’impôt, elle maintient néanmoins dans son chef la capacité contributive fondée sur l’imposabilité d’un boni de liquidation qu’elle pourrait théoriquement réaliser indépendamment de sa situation de revenus et de fortune individuelle.

Par voie de conséquence, une société en liquidation présente encore une capacité contributive découlant d’une matière imposable dans le cadre de l’imposition de ses revenus tout comme une société en cours d’exploitation, de manière qu’une société en liquidation ne peut pas valablement faire valoir qu’elle se trouverait dans une situation différente par rapport à une société en cours d’exploitation en ce qui concerne l’impôt sur le revenu des collectivités minimum et que l’application à son égard du régime identique de cet impôt minimum constituerait ainsi une violation de la règle constitutionnelle de l’égalité devant la loi.

Cette conclusion reste en tout cas valable tant que la liquidation est encore en cours et l’argumentation de l’appelante ne pourrait s’avérer pertinente que dans l’hypothèse où suite à la clôture de la liquidation et à l’imposition ultime du boni de liquidation final, il s’avérerait que l’impôt sur le revenu des collectivités effectivement dû du chef de la période de liquidation serait inférieur au montant des cotes de l’impôt minimum réglées durant les années antérieures au cours de la liquidation dans la mesure où l’article 174 (6), alinéa 3, LIR admet que les montants de l’impôt minimum payés au titre d’exercices antérieurs sont à traiter comme avances sur la cote de l’impôt sur le revenu des collectivités des années ultérieures mais exclut leur remboursement au contribuable.

La Cour est partant amenée à conclure que le moyen d’inconstitutionnalité de l’article 174 (6) LIR laisse en toute occurrence d’être justifié en ce que l’appelante n’étaye pas suffisamment la différence de situations à la base de son moyen, de manière que, conformément à l’article 6 de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour Constitutionnelle qui dispose qu’ « une juridiction est dispensée de saisir la Cour Constitutionnelle lorsqu'elle estime que: (…) b) la question de constitutionnalité est dénuée de tout fondement ; (…) », il n’y a pas lieu de soumettre une question préjudicielle afférente à la Cour constitutionnelle.

L’appelante n’ayant pas développé en instance d’appel d’autres moyens au-delà de celui de l’inconstitutionnalité de l’article 174 (6) LIR, l’appel est à rejeter comme étant non fondé et le jugement entrepris est à confirmer quoique partiellement pour d’autres motifs.

PAR CES MOTIFS la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause, reçoit l’appel du 22 juin 2015 en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute l’appelante, partant, confirme le jugement entrepris du 13 mai 2015, condamne l’appelante aux dépens de l’instance d’appel.

Ainsi délibéré et jugé par:

Serge SCHROEDER, premier conseiller, Lynn SPIELMANN, conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, et lu à l’audience publique du 12 mai 2016 au local ordinaire des audiences de la Cour par le premier conseiller, en présence du greffier en chef de la Cour Anne-Marie WILTZIUS.

s.WILTZIUS S.SCHROEDER Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 22 novembre 2016 Le greffier en chef de la Cour administrative 8


Synthèse
Numéro d'arrêt : 36471C
Date de la décision : 12/05/2016

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2016-05-12;36471c ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award