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10/05/2016 | LUXEMBOURG | N°37313C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 10 mai 2016, 37313C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 37313C Inscrit le 18 décembre 2015

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Audience publique du 10 mai 2016 Appel formé par M. … …, … (F) contre un jugement du tribunal administratif du 10 novembre 2015 (n° 34139 du rôle) dans un litige l’opposant à une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’appel en garantie

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Vu l’acte d’appel, inscrit sous le num...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 37313C Inscrit le 18 décembre 2015

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Audience publique du 10 mai 2016 Appel formé par M. … …, … (F) contre un jugement du tribunal administratif du 10 novembre 2015 (n° 34139 du rôle) dans un litige l’opposant à une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’appel en garantie

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Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 37313C du rôle, déposé au greffe de la Cour administrative le 18 décembre 2015 par Maître Aziza GOMRI, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … …, demeurant à F-… … (France), …, dirigé contre un jugement rendu par le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg le 10 novembre 2015 (n° 34139 du rôle), l’ayant débouté de son recours tendant à l’annulation, sinon à la réformation d’une décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 4 décembre 2013 portant rejet de sa réclamation du 11 juin 2010 introduite contre le bulletin d’appel en garantie émis par l’administration des Contributions directes, bureau d’imposition Sociétés Luxembourg 2, le 27 janvier 2010 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 8 janvier 2016 ;

Vu le mémoire en réplique, intitulé « mémoire en réponse », déposé au greffe de la Cour administrative le 8 février 2016 par Maître Aziza GOMRI pour compte de Monsieur … … ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;

Le rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Aziza GOMRI et Madame le délégué du gouvernement Linda MANIEWSKI en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 21 avril 2016.

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Le 27 janvier 2010, le bureau d’imposition Sociétés Luxembourg 2 de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par le « bureau d’imposition », émit à l’égard de Monsieur … … un bulletin d’appel en garantie (« Haftungsbescheid ») sur base du § 118 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO », en sa qualité d’administrateur-délégué de la société anonyme … s.a., ci-

après désignée par la « société … », ledit bulletin déclarant Monsieur … co-débiteur solidaire d’un montant total de … € en principal et intérêts au titre d’impôts des années 2002 à 2004 et 2009 incombant à la société …. Ledit bulletin est libellé comme suit :

« […] Il est dû à l'Etat du Grand-Duché de Luxembourg par la société anonyme … (…), immatriculée sous le dossier fiscal …, à titre des impôts spécifiés ci-après (I.R.C. =

impôt sur le revenu des collectivités ; R.R.C. = retenue d'impôt sur les revenus de capitaux ;

I.C.C. = impôt commercial communal ; I.F. = impôt sur la fortune) et des intérêts de retard y afférents (comptabilisés jusqu'à ce jour) :

Année 2001 I.R.C.

… euros principal Année 2001 I.R.C.

… euros intérêts Année 2001 R.R.C.

… euros principal Année 2001 R.R.C.

… euros intérêts Année 2001 I.C.C.

… euros principal Année 2001 I.C.C.

… euros intérêts Sous-total à reporter … euros Sous-total reporté … euros Année 2002 I.R.C.

… euros principal Année 2002 I.R.C.

… euros intérêts Année 2002 R.R.C.

… euros principal Année 2002 R.R.C.

… euros intérêts Année 2002 I.C.C.

… euros principal Année 2002 I.C.C.

… euros intérêts Année 2003 I.R.C.

… euros principal Année 2003 I.R.C.

… euros intérêts Année 2003 R.R.C.

… euros principal Année 2003 R.R.C.

… euros intérêts Année 2003 I.C.C.

… euros principal Année 2003 I.C.C.

… euros intérêts Année 2004 I.R.C.

… euros principal Année 2004 I.R.C.

… euros intérêts Année 2004 R.R.C.

… euros principal Année 2004 R.R.C.

… euros intérêts Année 2004 I.C.C.

… euros principal Année 2004 I.C.C.

… euros intérêts Année 2009 I.F.

… euros principal Total … euros Il résulte de la publication aux pages … du Mémorial C de l'année 2001 que vous avez été élu administrateur-délégué de la société anonyme … (…) à l'assemblée générale extraordinaire immédiatement subséquente à la constitution, le 2 février 2001, de cette collectivité. Vous avez été confirmé en tant que tel lors de l'assemblée générale ordinaire en date du 5 mars 2008 (publication à la page … du Mémorial C de l'année 2008). Durant toute l'existence de ladite entité juridique de droit luxembourgeois, et jusqu'à ce jour, vous avez donc été investi de la fonction d'administrateur-délégué au sein de son conseil d'administration (certes conjointement, à partir de l'assemblée générale ordinaire du 8 septembre 2003, avec le sieur … … qui à cette occasion avait été désigné comme deuxième administrateur-délégué ; cf. page … du Mémorial C de l'année 2003).

En cette qualité d'administrateur-délégué (voire de premier administrateur-délégué), et pour avoir disposé du pouvoir d'engager la société anonyme … (…) aux moments des échéances respectives des impôts pré-énumérés, vous avez été en mesure et dans l'obligation d'entreprendre le nécessaire aux fins de régler les montants réclamés à l'organisme à caractère collectif en question.

Aperçu de divers éléments essentiels du dossier fiscal de la société anonyme … (…) et motivation inhérente à l'émission du présent bulletin d'appel en garantie (« Haftungsbescheid ») L'assiette de la s.a. … (…) pour les exercices 2001, 2002, 2003 et 2004 portait notamment, en sus des résultats courants déclarés, sur des distributions cachées de bénéfice (au sens de l'article 164, alinéa (3) de la loi concernant l'impôt sur le revenu / L.I.R.) à hauteur de … euros (=… Flux) pour l'année 2001, de … euros pour l'année 2002, de … euros pour l'année 2003 et de … euros pour l'année 2004.

Après observation de la procédure prévue par le paragraphe 205, alinéa (3) de la loi générale des impôts (AO) par le biais de courriers adressés à la s.a. … (…) le 17 juin 2009, les susvisés ajustements du revenu imposable I.R.C. et de la base d'assiette I.C.C. au titre de chacun des exercices 2001-2004 se trouvaient entérinés à travers la notification régulière, le 15 juillet 2009, de bulletins I.R.C. / I.C.C. rectificatifs conformément au paragraphe 222, alinéa (1), numéro 1 de la loi générale des impôts (AO), bulletins entretemps coulés en force de chose jugée à défaut d'avoir été valablement entrepris au contentieux endéans le délai légal prévu à cet effet, et ce compte tenu des constats et conclusions d'un rapport du Service de Police Judiciaire du Grand-Duché de Luxembourg (Section Entraide Judiciaire Internationale), réf. …, du 7 janvier 2009, lequel a été transmis le 19 mars 2009 à l'Administration des Contributions directes par les soins du Parquet du Tribunal d'Arrondissement de Luxembourg et en application du paragraphe 189 de la même loi générale des impôts (AO).

Abstraction faite d'une quote-part privée de 50 % prise en considération en rapport avec des notes de frais de voyages, de déplacements et de restaurants comptabilisées en 2004, les distributions cachées de bénéfices en cause, par ailleurs soumises à la retenue d'impôt sur les revenus de capitaux (R.R.C.) au vœu de l'article 146, alinéa (1), numéro 1 et de l'article 148 de la loi concernant l'impôt sur le revenu (L.I.R.), étaient en relation avec une répétition, durant les années 2001-2004, de facturations off-shore sans la moindre réalité économique par le biais de … (Gibraltar), étant entendu que vous-même aviez figuré comme bénéficiaire économique aussi bien de cette dernière entité (dont vous étiez également le directeur) que de la s.a. … (…), cet état de fait se dégageant à suffisance de droit des termes du procès-verbal (« lu, approuvé et signé ») de votre audition du 2 mai 2008 (par deux agents du Service de Police Judiciaire).

Le rapport pré-évoqué du 7 janvier 2009 fait finalement état des conclusions suivantes :

« Il ressort clairement d'après les déclarations faites par … …, ainsi que des documents en notre possession, que les prestations de services pour compte du « fournisseur … » sont des prestations fictives, donc sans réalité économique, comptabilisées afin de diminuer le résultat imposable de la société luxembourgeoise … SA.

La société … est une société de droit anglais qui a été créée dans le seul but de défiscaliser le chiffre d'affaires de la société … SA et n'avait pas d'autre utilité ou activité.

Les faits décrits ci-dessus sont susceptibles d'être qualifié(s) d'infractions :

 de faux et usage de faux en matière de bilans, escroquerie fiscale (art. 396, al. 5 Loi générale des impôts) sinon fraude fiscale intentionnelle (art. 396 (1) Loi générale des impôts),  d'abus de biens sociaux selon l'article 171-1 de la loi modifiée du 10 août 1915 concernant les sociétés commerciales.

Ces faits devraient être dénoncés sur base de l'article 189 de l'AO à l'Administration des Contributions directes ainsi que l'Administration de l'Enregistrement et des Domaines pour que celles-ci puissent redresser la société … ou se porter partie civile. » Conformément aux termes du paragraphe 109, alinéa (1) de la loi générale des impôts (AO), un représentant légal d'une société, lorsque les droits du trésor ont été lésés, ne peut être tenu personnellement responsable que dans l'hypothèse vérifiée d'un agissement fautif (« schuldhafte Verletzung der … in den §§ 103 bis 108 auferlegten Pflichten ») dans son chef.

Eu égard à ce qui précède, force est de noter qu'il est établi, et même non contesté au vu de l'absence d'un quelconque recours contentieux valablement introduit à la suite de la notification, le 15 juillet 2009, des bulletins I.R.C., I.C.C. et R.R.C. susmentionnés, * que depuis la constitution de la s.a. … (…), vous avez assumé le rôle de représentant légal de cette collectivité ;

* que les déclarations fiscales déposées par la s.a. … (…) pour les exercices 2001-2004 ont dû être sujettes à des redressements substantiels en vertu du paragraphe 222, alinéa (1), numéro 1 de la loi générale des impôts (AO) ;

* qu'en tout état de cause, les ajouts ainsi opérés aux revenus imposables déclarés 2001-2004 de la s.a. … (…) se sont situés de loin au-delà des montants significatifs visés par le paragraphe 396, alinéa (5) de la loi générale des impôts (AO) ;

* qu'en votre qualité d'administrateur-délégué et de bénéficiaire économique de la s.a. … (…), vous avez activement contribué, par la voie des agissements esquissés ci-haut et avec la complicité de la Fiduciaire…, à réduire indûment et de façon considérable les bénéfices imposables véritablement réalisés par cet organisme géré par vos soins ;

* que partant, corroborée par une appréciation effective et explicite des circonstances particulières de l'espèce, la réalité en l'occurrence du caractère fautif de votre comportement personnel en tant que représentant légal de la s.a. … (…) ne saurait être utilement mise en doute (cf. par analogie le jugement du Tribunal Administratif du 12 novembre 2008, nos 24087 et 24088 du rôle, confirmé par l'arrêt de la Cour Administrative du 29 juillet 2009, no 25165C du rôle).

C'est ainsi que conformément aux dispositions combinées des paragraphes 103 et 109 de la loi générale des impôts (AO), vous avez été et vous restez personnellement tenu à l'accomplissement de toutes les obligations fiscales incombant à la société anonyme … (…), dont notamment le paiement des impôts dus par la société sur toile de fond d'un état déclaratif de ses revenus imposables non préalablement faussé par des facturations fictives et aucunement conformes aux faits réels.

Considérant qu'en vertu des paragraphes 103 et 109 de la loi générale des impôts (AO), vous étiez tenu de remplir les obligations fiscales incombant à la société anonyme … (…) ;

Considérant que l'inexécution de ces obligations est à qualifier de fautive ;

Considérant que l'inexécution fautive de vos obligations, caractérisée par le refus à ce jour de verser les impôts réclamés à la société anonyme … (…) suite aux redressements fiscaux devenus inévitables en raison de vos agissements pré-qualifiés, a empêché le receveur de l'Administration des contributions directes de percevoir les impôts pré-évoqués d'un montant total de … euros ;

Considérant que dans la mesure où, par la susdite inexécution fautive de vos obligations, vous avez empêché la perception des prédits impôts légalement dus d'un montant de … euros, vous êtes constitué débiteur solidaire de ce montant conformément au paragraphe 109 de la loi générale des impôts (AO) ;

Considérant que le paragraphe 118 de la loi générale des impôts (AO) m'autorise à engager votre responsabilité ;

Considérant le fait qu'en votre qualité d'administrateur-délégué (conjointement à celle de bénéficiaire économique), il vous incombait et vous étiez en mesure de veiller à l'exécution du paiement des susmentionnées dettes fiscales de la société anonyme … (…) ;

j'engage votre seule responsabilité, de sorte que l'appel en garantie s'élève au montant de … euros. […] ».

Par un courrier de son mandataire du 11 juin 2010, Monsieur … fit introduire une réclamation auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par le « directeur », contre le bulletin d’appel en garantie précité du 27 janvier 2010.

Par décision du 4 décembre 2013 (n° C 15983 du rôle), le directeur reçut la réclamation en la forme mais la rejeta comme non fondée sur base des motifs suivants :

« […] Vu la réclamation introduite le 11 juin 2010 par Me Aziza GOMRI, au nom du sieur … …, F-… …, contre le bulletin émis en vertu du § 118 de la loi générale des impôts (AO) par le bureau d'imposition Sociétés Luxembourg 2 en date du 27 janvier 2010 ;

Vu le dossier fiscal ;

Vu le § 119 alinéa 1er AO, ensemble les §§ 228 et 301 AO ;

Quant à la recevabilité Considérant que le délai de recours contre la décision litigieuse est de trois mois et court à partir de la notification, qui en l'espèce a été accomplie le 12 mars 2010, comme cela résulte de l'acte de signification effectué par Me Michel GARCIA, huissier de justice, F-

78005 Versailles, à la requête du Gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg, conformément à la directive 2008/55/CE et au règlement no 1179/2008 du 28 novembre 2008 ;

Considérant que la réclamation a été introduite par qui de droit (§238AO) dans les forme (§249AO) et délai (§245AO) de la loi ; qu'elle est partant recevable ;

Quant au fond Considérant que le bureau d'imposition, après avoir constaté que le réclamant était tenu en sa qualité d'administrateur-délégué de la société anonyme …, actuellement en faillite, de payer sur les fonds administrés les impôts dont la société était redevable et qu'il avait négligé de remplir les obligations qui lui incombait à cet égard aux termes du § 103 AO, l'a déclaré responsable du non-paiement de l'impôt sur le revenu des collectivités, de l'impôt commercial communal, de la retenue sur les revenus de capitaux ainsi que de l'impôt sur la fortune dus par la société pour les années 2001, 2002, 2003, 2004 et 2009 au montant total en principal et intérêts de … euros; qu'à cet égard l'omission de verser les sommes échues serait à considérer comme faute grave au sens du § 109 AO ;

Considérant que le réclamant conteste tout comportement fautif dans son chef, notamment qu'il y ait eu distribution cachée de bénéfice ;

Considérant que le représentant est responsable du paiement des dettes d'impôt de la personne morale qu'il représente dans les conditions prévues aux §§ 103 et 109 AO ;

qu'aux termes du § 103 AO il est tenu de remplir les obligations fiscales incombant à la société, notamment de remettre les déclarations fiscales dans les délais légaux et de payer sur les fonds qu'il gère les impôts dont la société est redevable ( CE 20.10.1981 no 6902 ) ;

que dans la mesure où l'administrateur-délégué par l'inexécution fautive de ces obligations a empêché la perception de l'impôt légalement dû, il est, en principe constitué co-débiteur solidaire des arriérés d'impôt de la société, conformément au § 109 AO ;

que la responsabilité de l'administrateur-délégué est à qualifier de fautive du moment que les impôts échus, même avant son entrée en fonction, ne sont pas payés sur les fonds disponibles de la société à l'administration ;

Considérant que sa responsabilité, pour les actes par lui accomplis pendant la période de ses fonctions, survit à l'extinction de son pouvoir de représentation (§110 AO) ;

Considérant que sous l'empire du § 118 AO la poursuite du tiers responsable, à la différence de l'imposition du contribuable, est toujours discrétionnaire et exige de ce fait, en vertu du § 2 de la loi d'adaptation fiscale (StAnpG), une appréciation effective et explicite des circonstances qui justifient la décision en raison et en équité (BFH 19 février 1965 StRK § 44 EStG R.13 ; jurisprudence constante pour RTS, notamment BFH 24 novembre 1961, BStBI. 1962.37; 3 février 1981, BStBI. 1981 II 493; cf. Becker-Riewald-Koch §2 StAnpG Anm. 5 Abs. 3);

que l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire implique une motivation quant au principe-même de la mise en œuvre de la responsabilité d'un ou de plusieurs représentants, quant à la désignation du représentant dont la responsabilité est engagée et quant au quantum de sa responsabilité ;

Considérant qu'un manquement à une obligation fiscale découlant du § 103 AO dans le chef du représentant d'une société n'est pas suffisant pour engager sa responsabilité en application du § 109 alinéa 1 AO et pour voir émettre à son encontre un bulletin d'appel en garantie, le législateur ayant posé à cet égard l'exigence supplémentaire d'une inexécution fautive - « schuldhafte Verletzung » - des obligations du représentant de la société envers le fisc (CA du 22.02.2000, no 11694C) ;

Considérant qu'en l'espèce l'auteur de la décision a révélé les circonstances particulières susceptibles de justifier sa décision de poursuivre le réclamant et de mettre à sa charge l'intégralité des arriérés de la société au titre de l'impôt sur le revenu des collectivités, de l'impôt commercial communal, de la retenue sur les revenus de capitaux et de l'impôt sur la fortune dus par la société pour les années 2001, 2002, 2003, 2004 et 20 09 ;

qu'il développe clairement les raisons qui l'ont conduit à engager la responsabilité de l'administrateur-délégué, pour les années d'imposition litigieuses ;

Considérant qu'il se dégage d'une publication au Registre de Commerce et des Sociétés de l'année 2001, pages …, que lors de l'assemblée générale extraordinaire du 2 février 2001, le réclamant a été nommé administrateur-délégué de la société …, sans qu'une démission n'ait été publiée par la suite ;

Qu'il résulte encore d'une publication au même Registre de l'année 2008, page …, que lors de l'assemblée générale ordinaire du 5 mars 2008, le réclamant a été confirmé dans sa fonction d'administrateur-délégué de ladite société ;

Considérant que l'auteur de la décision a également motivé sa décision en ce qui concerne le montant pour lequel la responsabilité du réclamant est engagée en vue des éléments qui précèdent ;

Considérant en effet qu'il ressort du dossier fiscal que, pour les années fiscales 2001, 2002, 2003 et 2004, l'assiette de la société anonyme … portait, entre autre, en sus des résultats courants déclarés, sur des distributions cachées de bénéfice, à hauteur de … euros pour 2001, de … euros pour 2002, de … euros pour 2003 et de … euros pour 2004 ;

Que lesdites distributions cachées de bénéfice, soumises à la retenue d'impôt sur les revenus de capitaux, sont en relation avec de multiples facturations off-shore sans aucune réalité économique, effectuées pendant les années 2001 à 2004 par l'intermédiaire de la société … (Gibraltar), dont le réclamant est, comme pour la société en cause, le bénéficiaire économique et le représentant légal, comme cela résulte d'ailleurs du procès-verbal établi par les agents de la Police Judiciaire en date du 2 mai 2008 ;

Considérant que par ces agissements le réclamant a donc sciemment omis de verser l'impôt sur le revenu des collectivités, l'impôt commercial communal, la retenue sur les revenus de capitaux et l'impôt sur la fortune dus par la société pour les années 2001, 2002, 2003, 2004 et 2009 au montant total en principal et intérêts de … euros et que partant il a empêché la perception de l'impôt légalement dû ;

Considérant qu'il s'ensuit que la responsabilité du réclamant en tant qu'administrateur-délégué de la société anonyme … est incontestablement établie et la mise à charge de l'intégralité des arriérés de la société au titre des impôts ci-avant énumérés est justifiée ;

Considérant par ailleurs, que de même qu'en matière de responsabilité du fait personnel (art.1382 du code civil), l'auteur du dommage ne peut pas s'exonérer en invoquant une prétendue faute d'un tiers, lequel n'entrera en ligne de compte qu'au stade du recours entre les coresponsables, le gérant responsable sur le fondement du § 109 AO ne peut s'opposer à une poursuite au motif qu'elle n'a pas été engagée contre l'autre ;

PAR CES MOTIFS reçoit la réclamation en la forme ;

la rejette comme non fondée. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 3 mars 2014, Monsieur … fit introduire un recours tendant principalement à l’annulation, sinon subsidiairement à la réformation de la décision précitée du directeur du 4 décembre 2013.

Dans son jugement du 10 novembre 2015, le tribunal administratif se déclara incompétent pour connaître du recours principal en annulation, reçut le recours subsidiaire en réformation en la forme, au fond, le déclara non fondé et partant en débouta le demandeur qui fut également condamné aux frais.

Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 18 décembre 2015, Monsieur … a fait régulièrement relever appel de ce jugement du 10 novembre 2015.

A l’appui de son appel, il fait valoir en premier lieu que le Procureur d’Etat aurait communiqué le 19 mars 2009 au directeur le rapport du Service de Police Judiciaire du Grand-Duché de Luxembourg (Section Entraide Judiciaire Internationale), réf. …, du 7 janvier 2009, ci-après désigné par le « rapport du SPJ », mais que cette pièce serait couverte par le secret de l’instruction qui empêcherait le Procureur d’Etat de révéler à qui que ce soit le moindre renseignement recueilli au cours de l’instruction et dont la violation serait sanctionnée par la nullité de l’acte posé en cas de violation des droits de la défense, hypothèse qui se trouverait vérifiée en l’espèce dans la mesure où il n’aurait pas eu connaissance du rapport du SPJ et de ses annexes avant le dépôt du mémoire supplémentaire en première instance par le délégué du gouvernement. En outre, la communication du rapport du SPJ aurait été effectuée en violation de la présomption d’innocence au motif que les informations y contenues n’auraient pas été confirmées par un jugement coulé en force de chose jugée et qu’elles ne pourraient pas servir de base à une rectification des impositions de la société … et à l’émission d’un bulletin d’appel en garantie. Dans ces conditions, le bulletin en cause du 27 janvier 2010 verrait sa légalité affectée par le seul fait de reposer sur des informations obtenues moyennant une violation du secret de l’instruction.

L’appelant ajoute que les principes du caractère contradictoire de la procédure et du devoir de loyauté incombant à l’administration n’auraient pas non plus été respectés en l’espèce. Ainsi, le directeur aurait puisé certains éléments de fait dans le rapport du SPJ, lequel n’aurait pourtant jamais été communiqué à la société … ou à l’appelant même, de manière que la société … n’aurait pas pu valablement introduire un recours contre les bulletins rectificatifs émis à son égard à défaut d’avoir disposé des éléments nécessaires afin d’assurer convenablement la défense de ses droits. Il s’y ajouterait que ni la société … ni l’appelant n’auraient encore disposé des pièces comptables de la première, lesquelles auraient été saisies dans le cadre d’une perquisition diligentée auprès de la fiduciaire de la première. L’appelant n’aurait pas non plus eu accès à son dossier pénal et aurait obtenu connaissance du rapport du SPJ seulement suite à son dépôt avec le mémoire supplémentaire du délégué du gouvernement en première instance devant le tribunal administratif.

L’appelant considère que le rapport du SPJ aurait dû lui être communiqué en temps utile afin de lui permettre de retracer les montants des revenus fixés dans les bulletins rectificatifs sur base dudit rapport et que le défaut de cette communication l’aurait empêché d’examiner la justification des rectifications opérées et partant la fixation du dommage dans le cadre de l’émission du bulletin d’appel en garantie en cause. Il nie l’applicabilité en l’espèce de la solution dégagée par un arrêt de la Cour administrative du 29 juillet 2009 (n° 25536C du rôle) en arguant que, contrairement à la situation factuelle à la base dudit arrêt, aucun courrier préalable de nature à permettre une prise de position n’aurait été adressé à la société …, voire à lui-même. Il considère que de la sorte, il n’aurait pas été en mesure de fournir des éclaircissements complémentaires, d’autant plus qu’il faudrait constater que les rectifications opérées au titre des années 2001 et 2002 ne seraient justifiées par aucune pièce et que le redressement pour l’année 2004 correspondrait à un montant erroné. De même, il se verrait imposer une obligation de solidarité fiscale et de règlement d’un impôt qui ne serait pas dû en réalité au vu des erreurs prévisées et il serait dépourvu de tout moyen de défense puisque l’administration lui opposerait que les bulletins rectificatifs seraient coulés en force de chose décidée. Il réfute l’argument étatique suivant lequel son audition par le service de police judiciaire justifierait de faire l’impasse sur son droit à l’information préalable en soutenant que l’administré devrait pouvoir être informé afin de lui permettre d’apporter des éclaircissements.

Il se dégage de cette argumentation de l’appelant qu’elle vise de prime abord les bulletins rectificatifs émis à l’égard de la société … le 15 juillet 2009 en ce qu’ils seraient fondés sur des éléments obtenus à travers le rapport du SPJ en violation du secret d’instruction et de la présomption d’innocence et en ce qu’ils auraient été émis en violation des droits de la défense dans la mesure où ni la société … ni l’appelant n’auraient eu la possibilité de les contester utilement faute d’avoir disposé du rapport du SPJ et de la comptabilité de la société …. La même argumentation conteste encore le bulletin d’appel en garantie déféré en ce que les vices dont seraient affectés les bulletins rectificatifs prévisés devraient rejaillir également sur le bulletin d’appel en garantie.

La portée du recours introduit par une personne appelée en garantie d’impôts redus par un autre débiteur principal et partant l’étendue des moyens qu’il peut soulever contre le bulletin d’appel émis à son égard se trouvent régies par le § 119 AO qui dispose comme suit :

« (1) Wer neben dem Steuerpflichtigen oder an dessen Stelle persönlich auf Zahlung einer Steuer in Anspruch genommen wird (§ 97 Absatz 2), kann gegen seine Heranziehung die Rechtsmittel geltend machen, die dem Steuerpflichtigen zustehen. Die Frist zur Einlegung des Rechtsmittels beginnt mit Ablauf des Tags, an dem Ihm der Beschluss über seine Heranziehung zugestellt oder, wenn keine Zustellung vorgeschrieben ist, bekannt gemacht worden ist.

(2) Ist die Steuerschuld dem Steuerpflichtigen gegenüber unanfechtbar festgestellt, so hat dies gegen sich gelten zu lassen, wer als Rechtsnachfolger des Steuerpflichtigen haftet oder wer in der Lage gewesen wäre, den gegen den Steuerpflichtigen erlassenen Bescheid als dessen Vertreter, Bevollmächtigter oder kraft eigenen Rechts anzufechten ».

Cette disposition pose le principe que le tiers appelé en garantie peut introduire les mêmes voies de recours et faire valoir les mêmes moyens contre le bulletin d’appel en garantie que ceux dont dispose le débiteur principal de l’impôt, tout en exceptant l’hypothèse où le bulletin émis à l’égard du débiteur principal a autorité de chose décidée et où le tiers appelé en garantie aurait eu la possibilité de réclamer contre ce bulletin en tant que représentant légal du débiteur principal, cas dans lequel ce bulletin est définitif également à l’égard de la personne appelée en garantie.

Cette faculté de faire valoir les mêmes moyens contre le bulletin d’appel en garantie que ceux à disposition du débiteur principal de l’impôt implique que la personne appelée en garantie est en droit de soulever tant des moyens dirigés contre la décision de l’appeler en garantie, en ce que les conditions afférentes ne se trouveraient pas réunies dans son chef, que des moyens tendant à contester la soumission du débiteur principal à l’impôt ou la cote d’impôt fixée à son égard. Le § 119 AO est sous cet aspect une application de l’assimilation de la personne appelée en garantie au débiteur même de l’impôt posée par le § 97 (2) AO (Tipke-Kruse, RAO, édit. 1961, ad § 119, nos 2-3 ; HÜBSCHMANN-HEPP-SPITALER, Kommentar zur RAO, ad § 119, Anm. 2a).

Il n’est dérogé à cette étendue des voies de recours à disposition de la personne appelée en garantie que dans les hypothèses prévues par le § 119 (2) AO, dont notamment celle où la personne appelée en garantie était représentant du débiteur principal en temps utile, de manière à avoir été en mesure d’introduire en cette qualité une voie de recours contre le bulletin d’impôt émis à l’égard du débiteur principal, mais que l’absence de recours a emporté l’autorité de chose décidée dans le chef dudit bulletin.

En l’espèce, il n’est pas contesté en cause que les bulletins rectificatifs de l’impôt sur le revenu des collectivités et de l’impôt commercial communal, ainsi que les bulletins de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux pour les années 2001 à 2004 ont tous été émis le 15 juillet 2009 à l’égard de la société …, qu’ils ont été dûment notifiés à cette dernière et qu’ils n’ont fait l’objet d’aucune voie de recours de la part de la société ….

D’un autre côté, il n’est pas non plus contesté en cause que l’appelant a revêtu dès la constitution de la société … le 2 février 2001 le mandat social d’administrateur-délégué dont il restait investi jusqu’à l’assemblée générale extraordinaire du 28 décembre 2009, donc jusqu’à une date allant au-delà de l’expiration du délai de recours de trois mois ouvert à l’encontre des bulletins susvisés du 15 juillet 2009. Alors même que l’appelant ne disposait pas d’un pouvoir de signature individuel, mais que le second administrateur-délégué s’était vu attribuer un droit de co-signature obligatoire pour tous les actes de gestion courante depuis une assemblée générale du 22 novembre 2001, son mandat d’administrateur-délégué lui conférait quand même la qualité requise qui lui aurait permis de prendre l’initiative de l’introduction d’une voie de recours contre ces bulletins du 15 juillet 2009 et il ne fait point état d’une initiative de sa part qui se serait heurtée à un blocage de la part du second administrateur-délégué.

Il y a partant lieu de conclure que l’appelant revêtait durant l’intégralité du délai du recours ouvert contre les bulletins rectificatifs du 15 juillet 2009 la qualité de représentant du débiteur principal au sens du § 119 (2) AO, de manière à avoir été en mesure d’introduire en cette qualité une voie de recours contre les bulletins d’impôt émis à l’égard du débiteur principal, mais que l’absence de recours effectivement introduit a emporté l’autorité de chose décidée dans le chef desdits bulletins et partant leur caractère définitif valant également à l’égard de la personne de l’appelant.

Par voie de conséquence, l’appelant tombe dans le champ de l’exception portée par l’alinéa (2) du § 119 AO au principe posé par son alinéa (1) suivant lequel le tiers appelé en garantie peut introduire les mêmes voies de recours et faire valoir les mêmes moyens contre le bulletin d’appel en garantie que ceux dont dispose le débiteur principal de l’impôt. Au vu de l’autorité de chose décidée ainsi acquise par les bulletins susvisés du 15 juillet 2009, l’appelant se voit privé, en tant que garant, après avoir omis d’en user en tant que représentant du débiteur principal, du droit de soulever des moyens contre le principe et la hauteur de l’imposition et il peut faire valoir seulement des moyens relatifs aux conditions de la mise en œuvre de sa garantie.

Il s’ensuit que l’argumentation de l’appelant tendant à voir reconnaître dans le chef des bulletins du 15 juillet 2009 des vices de légalité tirés de violations du secret d’instruction, de la présomption d’innocence et des droits de la défense doit être écartée sur base du § 119 (2) AO et que la validité de ces bulletins doit être admise au vu de l’autorité de chose décidée dont ils étaient revêtus à la date d’émission du bulletin d’appel en garantie en cause lequel y trouve partant un fondement valable en ce qui concerne les impôts en souffrance fixés par lesdits bulletins.

Cette conclusion ne se trouve point énervée par le moyen de l’appelant suivant lequel la société … n’aurait pas pu valablement introduire un recours contre les bulletins rectificatifs émis à son égard à défaut d’avoir disposé des éléments nécessaires afin d’assurer convenablement la défense de ses droits. En effet, loin de constituer un obstacle à l’exercice d’une voie de recours, cette circonstance s’analyse potentiellement en un moyen permettant de contester la régularité de la procédure suivie et le bien-fondé des redressements opérés et partant susceptible d’être soulevé à l’appui d’un recours contre les bulletins du 15 juillet 2009. Or, à défaut d’un recours effectivement introduit contre lesdits bulletins en temps utile par la société …, l’appelant, en tant que son représentant rentrant dans le champ d’application du § 119 (2) AO, ne saurait plus élever ces critiques contre les bulletins du 15 juillet 2009 dans le cadre d’un recours par lui dirigé contre un bulletin d’appel en garantie requérant le paiement de cotes d’impôts fixées par lesdits bulletins.

Il découle de ces développements que le premier moyen de l’appelant laisse d’être justifié.

En deuxième lieu, l’appelant reproche au tribunal d’avoir estimé que le directeur avait justifié les circonstances particulières et les raisons l’ayant conduit à mettre en œuvre sa responsabilité.

Ainsi, d’après l’appelant, le bulletin d’appel en garantie du 27 janvier 2010 ne motiverait pas le choix de mettre en œuvre sa responsabilité et ne caractériserait pas de manière détaillée l’inexécution fautive lui reprochée, tout comme le montant du dommage y retenu serait erroné au vu des pièces versées par le délégué du gouvernement en instance contentieuse.

L’appelant estime ainsi que le directeur ne pourrait le déclarer solidaire de la dette fiscale de la société … en raison de sa seule qualité de bénéficiaire économique et d’administrateur-délégué sans identifier et analyser les documents sur lesquels il fonde sa décision et sans caractériser de manière concrète sa responsabilité personnelle pendant l’exercice effectif de son mandat social. Par ailleurs, le directeur n’aurait pas pu le déclarer solidaire de la dette fiscale de la société … en raison de son audition par le service de police judiciaire, cette dernière ne pouvant dispenser l’administration de se conformer à son obligation d’instruire à charge et à décharge et de procéder à ses propres investigations avant de reprendre purement et simplement les éléments d’un rapport de police. Or, si le directeur s’était conformé à son obligation, il aurait pu constater que les annexes du rapport du SPJ n’auraient nullement justifié les bulletins rectificatifs, lesquels n’auraient qu’une valeur probatoire et non pas une force obligatoire, de manière qu’il aurait dû s’en écarter au vu de l’absence de pièce justifiant les redressements opérés.

L’appelant ajoute que l’Etat ne saurait lui reprocher d’avoir été vague dans ses contestations au motif que le rapport du SPJ n’a été soumis au débat contradictoire qu’après le dépôt du mémoire en réponse en première instance par le délégué du gouvernement.

Par rapport aux conditions de la mise en œuvre de la responsabilité personnelle du représentant telles qu’instaurées par le § 109 AO, l’appelant soutient que seule l’insuffisance d’impôt par rapport à l’impôt légalement dû serait considérée comme une faute susceptible d’engager la responsabilité d’un représentant.

En ce qui concerne les années 2001 et 2002, l’appelant conteste l’existence d’une faute de sa part en faisant valoir qu’il aurait rempli toutes les obligations fiscales pour ces exercices ayant incombé à la société … et qu’aucune pièce versée au dossier ne démontrerait que les impôts réglés au titre desdits exercices ne correspondraient pas à la réalité. Le rapport du SPJ ne comporterait en effet dans ses annexes aucune facture de la société … pour les années 2001 et 2002 qui aurait pu donner lieu à des distributions cachées de bénéfices pour ces années, de manière qu’il ne pourrait pas être considéré comme ayant empêché la perception de l’impôt légalement dû en l’absence de distributions cachées et qu’il n’aurait commis aucune faute.

Par rapport à l’exercice 2004, l’appelant conteste le montant du dommage à hauteur de … euros tel que retenu par le bureau d'imposition en soulignant que le montant total des factures de la société … pour l’année 2004 s’élèverait à … euros, de manière que le dommage invoqué par l’Etat devrait être calculé sur base de ce dernier montant et non pas sur pied de celui repris par l’Etat. Dans la mesure où aucune responsabilité ne pourrait lui être imputée au vu de la réalité économique incontestable de ces factures, l’appelant conclut que sa responsabilité personnelle pour l’année 2004 ne saurait être admise.

Le § 103 AO dispose que « die gesetzlichen Vertreter juristischer Personen und solcher Personen, die geschäftsunfähig oder in der Geschäftsfähigkeit beschränkt sind, haben alle Pflichten zu erfüllen, die denen Personen, die sie vertreten, obliegen;

insbesondere haben sie dafür zu sorgen, dass die Steuern aus den Mitteln die sie verwalten, entrichtet werden. Für Zwangsgeldstrafen und Sicherungsgelder die gegen sie erkannt, und für Kosten von Zwangsmitteln die gegen sie festgesetzt werden, haften neben ihnen die von ihnen vertretenen Personen ».

Au vœu de cette disposition légale, l’administrateur-délégué d’une société anonyme, en tant qu’il est, au-delà de son mandat d’administrateur, chargé de la gestion journalière, est tenu de remplir les obligations fiscales incombant à cette dernière et notamment celle de payer sur les fonds qu’il gère les impôts dont la société est redevable.

Il se dégage des éléments du dossier que l’appelant avait revêtu, dès la constitution de la société … le 2 février 2001, le mandat social d’administrateur-délégué dont il restait investi jusqu’à l’assemblée générale extraordinaire du 28 décembre 2009 et qu’il disposait d’un droit de co-signature obligatoire pour tous les actes de gestion courante. En outre, les manquements aux obligations fiscales tels qu’ils ont été retenus dans le bulletin du 27 janvier 2010 ont été constatés comme ayant été commis par l’appelant au cours des années 2001 à 2004 et partant dans la période d’exercice de son mandat social.

Il s’ensuit que l’appelant doit être considéré comme représentant de la société … au sens du § 103 AO pour la période du chef de laquelle sa responsabilité est mise en œuvre par le bulletin en cause du 27 janvier 2010 et qu’il était donc légalement tenu, sur pied de la même disposition du § 103 AO, d’assurer que la société … satisfasse à ses obligations fiscales au cours de ladite période.

La Cour rejoint encore les premiers juges en ce qu’ils ont déduit du § 109 AO, qui dispose dans son alinéa (1) que « die Vertreter und die übrigen in den Paragraphen 103 – 108 bezeichneten Personen haften insoweit persönlich neben dem Steuerpflichtigen, als durch schuldhafte Verletzung der ihnen in den Paragraphen 103 – 108 auferlegten Pflichten Steueransprüche verkürzt oder Erstattung oder Vergütung zu Unrecht gewährt worden sind », que le simple constat d’un manquement à une obligation fiscale découlant du § 103 AO dans le chef d’un gérant de société n’est pas suffisant pour engager sa responsabilité personnelle en application du § 109 (1) AO et pour voir émettre à son encontre un bulletin d’appel en garantie, mais que le législateur a posé à cet égard l’exigence supplémentaire d’une inexécution fautive - « schuldhafte Verletzung » - des obligations du représentant de la société envers l’administration fiscale.

Il est pareillement vrai qu’au vœu du § 7 (3) de la loi d’adaptation fiscale modifiée du 16 octobre 1934, dite « Steueranpassungsgesetz », en abrégé « StAnpG », disposant que « jeder Gesamtschuldner schuldet die ganze Leistung. Dem Finanzamt steht es frei an welchen Gesamtschuldner es sich halten will. Es kann die geschuldete Leistung von jedem Gesamtschuldner ganz oder zu einem Teil fordern », le pouvoir du bureau d’imposition d’engager une poursuite contre un tiers responsable, et, plus particulièrement, contre le représentant d’une société, ne relève pas d’une compétence liée, mais constitue un pouvoir discrétionnaire dans son chef et ce à un double titre, d’abord en ce qui concerne l’appréciation du degré fautif du comportement de la personne visée, et ensuite en ce qui concerne le choix du ou des codébiteurs contre lesquels l’émission d’un bulletin d’appel en garantie est décidée, chaque fois compte tenu des circonstances particulières de l’espèce.

Il résulte encore du § 2 StAnpG disposant que « Entscheidungen, die die Behörden nach ihrem Ermessen zu treffen haben (Ermessensentscheidungen) müssen sich in den Grenzen halten, die das Gesetz dem Ermessen zieht. (2) Innerhalb dieser Grenzen sind Ermessensentscheidungen nach Billigkeit und Zweckmäßigkeit zu treffen », que l’administration investie d’un pouvoir d’appréciation doit procéder selon des considérations d’équité et d’opportunité et partant se livrer à une appréciation effective et explicite des circonstances particulières susceptibles en opportunité et en équité de fonder sa décision.

En l’espèce, les manquements aux obligations fiscales et plus particulièrement les diminutions indues des cotes d’impôts fixées (« … Steueransprüche verkürzt … ») qui sont reprochés à la société … consistent en le défaut répété d’avoir déclaré des bénéfices annuels conformes aux dispositions légales et notamment à l’article 164 LIR qui pose le principe que le bénéfice imposable est celui avant toute distribution aux associés ou actionnaires et que les distributions cachées doivent être comprises dans le revenu imposable. Ces manquements à l’obligation de déclarer et de voir soumettre à l’impôt le bénéfice avant distribution et l’existence de distributions cachées non intégrées aux bénéfices déclarés découlant de facturations fictives de services par la société … et de l’imputation de frais privés à la société … ont été constatés en tant que bases d’imposition dans les bulletins rectificatifs du 15 juillet 2009 et mis à la base des redressements des bénéfices des années 2001 et 2002, ainsi que 2004 et des cotes respectives d’impôts y fixées. Dans la mesure où ces éléments constituent ainsi la motivation nécessairement à la base des fixations d’impôts contenues dans ces bulletins et où ces derniers ont acquis autorité de chose décidée et ne peuvent partant plus être contestés que ce soit par la société … ou l’appelant lui-même, conformément aux développements supra, l’existence des manquements ainsi circonscrits aux obligations fiscales de la société …, représentée notamment par l’appelant en tant qu’administrateur-

délégué au cours des exercices en cause, ne saurait plus être valablement remise en cause par l’appelant, de manière que son argumentation afférente est à écarter comme non pertinente.

Il reste partant à vérifier si le bureau d'imposition a légalement pu imputer à l’appelant une inexécution fautive - « schuldhafte Verletzung » - des obligations lui incombant en tant que représentant de la société … envers l’administration fiscale.

A cet égard, la Cour rejoint le tribunal dans sa position de principe que le comportement intentionnel et délibéré d’un administrateur visant à occulter la réalité économique aux yeux de l’administration des Contributions directes doit être considéré comme fautif au sens du §109 AO, la dissimulation de faits pertinents ou la déclaration de faits inexacts constituant en effet une « schuldhafte Verletzung » des obligations incombant à un représentant d’une société.

La décision directoriale déférée, tout comme le bulletin en cause du 27 janvier 2010, se basent sur le rapport du SPJ du 7 janvier 2009, adressé au Parquet auprès du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, ainsi que sur les documents y annexés dont des extraits du grand livre des comptabilités de la société … des exercices en cause et un rapport d’une audition de l’appelant en date du 2 mai 2008. Or, ces deux rapports ont été rédigés par des officiers de police judiciaire et bénéficient partant d’une valeur probante légalement confirmée par l’article 154 du Code d’instruction criminelle.

Il se dégage de ces documents que l’appelant avait admis lors de son audition qu’il était l’un des bénéficiaires économiques de la société … et également le seul bénéficiaire économique de la société … et que les facturations de prestations par cette dernière à la société … étaient un montage proposé et mis en place par sa fiduciaire de l’époque afin de payer moins d’impôts qu’en France. Il découle encore des documents annexés au rapport du SPJ que certaines factures prétendument émises par la société … durant les années 2003 et 2004 ont été retrouvées lors d’une perquisition auprès de la fiduciaire de la société … et que la comptabilité de cette dernière fait état de comptabilisations d’un total de 62 factures de la société … pour un montant global de … € au cours des exercices 2001 à 2004. Le rapport du SPJ constate finalement l’absence de prestations effectives fournies par la société … à la société … en contre-partie des factures adressées à cette dernière. De même, le rapport du SPJ relève encore des montants de frais de voyages, de déplacements et de restaurants au titre des années en cause revêtant une importance disproportionnée.

Au vu de la force probante du rapport du SPJ et des annexes y attachées qui permettaient de retracer les éléments de fait y exposés, il y a lieu de conclure que ces documents sont de nature à étayer que l’appelant a consenti à la mise en place et a ensuite bénéficié de cette structure impliquant la société … ainsi que de comptabilisations de frais excessifs afin de voir transférer une partie du résultat imposable de la société … sans subir l’impôt sur le revenu des collectivités au niveau de la société … et la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux lors de la distribution.

Il s’ensuit qu’au vu du caractère suffisant devant ainsi être reconnu aux preuves découlant du rapport du SPJ, le bureau d'imposition et, à sa suite, le directeur ont valablement pu se baser sur le résultat de l’enquête ainsi menée pour en tirer leurs conclusions quant à l’existence d’une faute imputable à l’appelant sans devoir procéder à leurs propres investigations avant de reprendre les éléments du rapport du SPJ. De même, la circonstance que seules des factures de la société … émises durant les années 2003 et 2004 sont annexées à ce rapport doit rester sans incidence, étant donné que ce dernier relate, preuve documentaire comptable des extraits des grands livres à l’appui, les comptabilisations, par la société …, de 41 factures lui adressées par la société … durant les années 2001 et 2002, de manière que la réalité de telles facturations au titre de ces deux exercices ne saurait être utilement mise en question.

Alors même que l’appelant a affirmé, lors de son audition du 2 mai 2009, avoir consenti aux agissements incriminés ci-avant précisés suite au conseil afférent de sa fiduciaire de l’époque et avoir supposé la légalité du montage lui proposé, il n’en reste pas moins qu’une personne même sans connaissances particulières en fiscalité, mais raisonnablement et normalement diligente et avisée ayant accepté un mandat social, aurait dû douter de la légalité de la structure susvisée, qui dépassait manifestement les limites de la légalité de nature à annihiler ainsi la faculté d’invoquer la bonne foi, et refuser sa mise en place. Le consentement de l’appelant donné qualitate qua à la réalisation de ladite structure et le profit qu’il en a tiré constituent partant des éléments suffisants pour caractériser son comportement fautif au sens du § 109 AO.

Il s’ensuit que la condition de l’inexécution fautive de ses obligations en qualité de représentant de la société … dans le chef de l’appelant durant les années 2001 à 2004 se trouve vérifiée à suffisance de droit et de fait.

Par rapport aux contestations de l’appelant quant à la réalité et à l’importance du dommage mis en avant par l’Etat, il convient de rappeler que le dommage pour l’Etat consiste dans l'insuffisance de l'impôt effectivement perçu par rapport à celui légalement dû conformément aux bulletins d’impôt émis à l’égard du débiteur principal. Ce sont partant les bulletins ayant fixé des cotes d’impôt qui constituent, à côté des paiements accomplis ou non par le débiteur principal, le facteur à la base du montant d’impôts pouvant donner lieu à un appel en garantie à l’égard d’un représentant du débiteur principal. Les bases d’imposition telles que retenues dans les bulletins d’impôt en tant que fondement des cotes d’impôts ne sauraient partant plus être remises en cause par le garant que pour autant qu’il est encore en mesure, conformément au § 119 AO, de contester, au-delà des conditions de son appel en garantie, également la soumission du débiteur principal à l’impôt ou la cote d’impôt fixée à son égard.

Or, la Cour a retenu ci-avant que l’appelant tombe dans le champ de l’exception portée par l’alinéa (2) du § 119 AO au principe posé par son alinéa (1) que le tiers appelé en garantie peut introduire les mêmes voies de recours et faire valoir les mêmes moyens contre le bulletin d’appel en garantie que ceux dont dispose le débiteur principal de l’impôt et qu’il se voit partant privé, en tant que garant, du droit de soulever des moyens contre le principe et la hauteur de l’imposition. Les contestations de l’appelant relatives au montant du dommage concernent néanmoins la hauteur des facturations de la part de la société … par rapport aux montants des distributions cachées fixées dans les bulletins rectificatifs du 15 juillet 2009 et partant des bases d’imposition définitivement retenues dans ces bulletins, de manière à ne plus pouvoir être contestées par l’appelant dans le cadre de son recours sous examen dirigé contre le bulletin d’appel en garantie émis à son égard. Cette argumentation de l’appelant doit partant également être écartée comme n’étant pas pertinente.

Il découle de l’ensemble des développements qui précèdent que l’appel n’est justifié en aucun de ses moyens, de manière que l’appelant doit en être débouté et que le jugement entrepris est à confirmer dans toute sa teneur.

PAR CES MOTIFS la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause, reçoit l’appel du 18 décembre 2015 en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute l’appelant, partant, confirme le jugement entrepris du 10 novembre 2015, condamne l’appelant aux dépens de l’instance d’appel.

Ainsi délibéré et jugé par:

Francis DELAPORTE, président, Serge SCHROEDER, premier conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, et lu à l’audience publique du 10 mai 2016 au local ordinaire des audiences de la Cour par le président, en présence du greffier en chef de la Cour Anne-Marie WILTZIUS.

s.WILTZIUS S.DELAPORTE Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 22 novembre 2016 Le greffier en chef de la Cour administrative 15


Synthèse
Numéro d'arrêt : 37313C
Date de la décision : 10/05/2016

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2016-05-10;37313c ?

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