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07/07/2015 | LUXEMBOURG | N°36156C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 07 juillet 2015, 36156C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 36156C du rôle Inscrit le 15 avril 2015

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Audience publique du 7 juillet 2015 Appel formé par Monsieur … …, …, contre un jugement du tribunal administratif du 16 mars 2015 (n° 34394 du rôle) ayant statué sur son recours contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art.19, L.5.5.2006) Vu la requête d’appel inscrite sous le numéro 36156C du rôle et déposée au greffe de la Cour ad

ministrative le 15 avril 2015 par Maître Arnaud RANZENBERGER, avocat à la Cour, insc...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 36156C du rôle Inscrit le 15 avril 2015

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Audience publique du 7 juillet 2015 Appel formé par Monsieur … …, …, contre un jugement du tribunal administratif du 16 mars 2015 (n° 34394 du rôle) ayant statué sur son recours contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art.19, L.5.5.2006) Vu la requête d’appel inscrite sous le numéro 36156C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 15 avril 2015 par Maître Arnaud RANZENBERGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … …, déclarant être né le … à … (Somalie) et être de nationalité somalienne, demeurant à L-…, dirigée contre un jugement du tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg du 16 mars 2015 (n° 34394 du rôle) ayant déclaré non fondé son recours tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 27 mars 2014 portant refus de sa demande de protection internationale et à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision ministérielle ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 28 avril 2015 par Madame le délégué du gouvernement Jacqueline JACQUES ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;

Vu le rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Arnaud RANZENBERGER et Monsieur le délégué du gouvernement Luc REDING en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 18 juin 2015.

En date du 6 décembre 2012, Monsieur … … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après « la loi du 5 mai 2006 ».

Par décision du 27 mars 2014, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après « le ministre », déclara cette demande de protection internationale non fondée et enjoignit à Monsieur … l’ordre de quitter le territoire dans un délai de 30 jours.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 18 avril 2014, Monsieur … fit introduire un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle précitée du 27 mars 2014 portant refus de sa demande de protection internationale et à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision ministérielle.

Par jugement du 16 mars 2015, le tribunal déclara ce recours non fondé en ses deux volets.

Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 15 avril 2015, Monsieur … a fait régulièrement entreprendre le jugement précité du 16 mars 2015 dont il sollicite la réformation dans le sens de lui voir accorder le statut de réfugié, sinon le bénéfice de la protection subsidiaire et de voir annuler en conséquence l’ordre de quitter le territoire prononcé à son encontre.

A l’appui de sa requête d’appel, l’appelant reprend son énoncé des faits tel que déjà présenté en première instance.

Il convient de préciser dès l’ingrès qu’à la suite du ministre, les premiers juges ont retenu dans le chef du récit de Monsieur … un certain nombre d’incohérences par rapport auxquelles l’intéressé n’avait pas non plus estimé devoir prendre position devant les premiers juges, ce qui, à leurs yeux, était de nature à renforcer encore davantage les nombreux doutes émis par le ministre par rapport à son récit.

Au niveau de la requête d’appel, l’appelant prend d’abord position par rapport aux questions de crédibilité de son récit. Après avoir critiqué la mise en place d’un deuxième test de langue par l’autorité ministérielle, il souligne que les deux tests de langue réalisés affichent des résultats sensiblement différents et que l’autorité administrative, ainsi qu’à sa suite, le tribunal n’auraient pris en compte que les seuls résultats négatifs de ces deux tests, occultant ainsi le résultat positif de ceux-ci. Suivant l’appelant, il y aurait dès lors lieu d’effectuer une troisième analyse afin de trancher définitivement et objectivement la question des résultats divergents du test linguistique. L’appelant relève encore que lors du test de l’audition, l’agent lui aurait exposé que le but du test consisterait à déceler les accents typiques et les tics de langage et non point de le questionner une nouvelle fois sur son pays d’origine. L’appelant déclare constater que les réponses par lui données auraient directement conditionné le fond de sa demande de protection internationale, de sorte qu’une telle façon de procéder ne serait pas objective et honnête. L’appelant affirme avoir appris le français par lui-même et il serait dès lors logique qu’il maîtrise cette langue. Pour le surplus, il serait impossible d’obtenir d’un Somalien de prouver sa nationalité par le biais de papiers « émis par des autorités somaliennes ».

Face à la conclusion du tribunal retenant le caractère non crédible de son récit, l'appelant estime avoir exposé, tant au niveau de son audition qu’à celui de sa requête introductive de première instance, les raisons pour lesquelles il a quitté son pays d’origine en juin 2012, à savoir le fait constant pour lui que le groupe islamiste Al-Shabaab aurait voulu le recruter afin de lutter avec ce groupe contre le gouvernement en place.

Dans ce contexte, l’appelant déclare avoir été violenté plusieurs fois par des membres du groupe Al-Shabaab qui l’auraient frappé notamment à l’aide de la crosse d’une arme et l’auraient également dépouillé de ses biens, dont plus particulièrement ses animaux. Le même groupe l’aurait forcé à s’occuper de membres d’Al-Shabaab blessés, de laver leur linge et de vaquer à des besognes de ce genre. Il déclare ne pas avoir été explicitement recruté par le groupe Al-Shabaab, vu qu’il n’aurait pas encore atteint l’âge de 18 ans à l’époque, mais qu’il aurait été conscient qu’une fois la majorité atteinte, il serait activement approché par les membres dudit groupe. C’est dans cette perspective et compte tenu des pressions déjà subies ainsi que de la situation générale ambiante qu’il aurait décidé de prendre la fuite. L’appelant souligne que les doutes émis par la partie publique, puis par les premiers juges, ne concerneraient pas le fond du récit, mais porteraient d’abord sur sa nationalité, étant donné qu’il n’aurait pas su répondre à certaines questions pour lesquelles ses souvenirs remonteraient toutefois à sa petite enfance, alors que pourtant il aurait avancé nombre de réponses précises par rapport aux questions lui posées lors de son audition. Si les raisons expliquées au niveau de sa requête introductive de première instance n’avaient pas été fournies comme telles lors de son audition, l’appelant en donne comme explication que l’agent de l’audition ne l’aurait pas confronté à sa demande écrite à l’époque. Dès lors, il ne saurait être retenu une quelconque contradiction à ce propos. Dans ce contexte, l’appelant estime que, le cas échéant, une audition complémentaire devrait être ordonnée. Il affirme toutefois avoir fourni tous les éléments en sa possession concernant son histoire ainsi que son itinéraire pour arriver au Luxembourg.

L’appelant se base encore sur un certificat médical du docteur …, versé en cause, suivant lequel son état psychologique est altéré et qu’il souffre de graves troubles d’ordre psychologique. Ce seraient ces troubles qui l’auraient amené à faire des déclarations qu’il aurait signées au niveau du rapport d’audition, mais qui ne seraient pas conformes à la réalité.

Eu égard à la dureté des événements vécus, l’appelant déclare ne pouvoir se souvenir de l’entièreté ni du moindre détail de son récit avec exactitude. Dès lors, la crédibilité de son récit ne serait pas à remettre en cause dans le cas d’espèce.

Le délégué du gouvernement déclare globalement se rallier pleinement aux développements et conclusions au tribunal dans son jugement dont appel y compris concernant le constat de non-crédibilité du récit de l’appelant tel que retenu par les premiers juges.

En ordre subsidiaire, l’Etat réfute les déclarations de l’appelant au niveau de la requête d’appel suivant lesquelles son état psychologique devrait entraîner la conclusion qu’il avait déjà des troubles lors de ses déclarations au niveau du rapport d’audition qu’il aurait signées, alors que celles-ci ne correspondraient pas à la réalité. Suivant l’Etat, les déclarations de l’appelant font l’objet d’un rapport volumineux de 24 pages correspondant à 3 séances d’audition, toutes passées en présence de son mandataire, sauf la relecture de l’entretien à la page 22/24. Dès lors, l’appelant ne saurait invoquer valablement qu’il aurait signé à l’aveuglette un rapport d’audition non conforme à la réalité.

La Cour est tout d’abord amenée à constater que le certificat médical versé au dossier datant du 1er avril 2014 retient dans le chef de l’appelant une « sog. erlebnisreaktive Störung » s’articulant en une « posttraumatische Belastungsreaktion » dont les origines peuvent, le cas échéant, être recherchées dans des événements traumatisants vécus soit dans son pays d’origine soit au cours de la fuite de l’intéressé. A partir de ce certificat médical, la Cour estime que l’appelant ne saurait être admis à voir remettre en cause de manière globale le contenu du rapport d’audition par lui signé et basé sur le récit par lui fourni au cours de trois entretiens, chaque fois en présence de son mandataire.

Dès lors, la remise en cause globale du contenu du récit d’audition de l’appelant en raison de son état psychologique mis en avant ne saurait être valablement retenue par la Cour.

A défaut de précision spécifique de la part de l’appelant à travers une mise en relation concrète et circonstanciée de certains passages de son récit avec son état psychologique mis en avant, la Cour est encore amenée à considérer le contenu du récit d’audition tel que lui soumis à travers le rapport d’audition signé par l’intéressé.

Au niveau de la crédibilité du récit de l’appelant, deux tests linguistiques ont également été effectués et se trouvent versés au dossier.

Un premier test datant du 25 octobre 2013 vient à la conclusion suivante « Ergebnis :

Der Sprecher kommt mit überwiegender Wahrscheinlichkeit aus Somalia. Er spricht Französisch mit phonologischen und lexikalischen Merkmalen, die typisch für dieses Land sind und benutzt Fremdwörter, die nur in der Sprache Somalisch bekannt sind ».

Le deuxième test linguistique datant du 9 novembre 2013 aboutit à la conclusion, autrement détaillée, suivante « Der Proband spricht der phonologischen, morphologischen, syntaktischen und lexikalischen Analyse nach eine Mischung aus nördlichen und Daarooddialekten mit einigen Merkmalen von Benaadirdialekten, wobei die Nord- und Daaroodzüge deutlich überwiegen.

Die Einwohner von … sprechen eine Mischung aus verschiedenen Benaadirdialekten, gemischt mit Elementen des Daarooddialektes Habargidir. Die Somalivarietät des Probanden entspricht nicht dem in … gesprochenen Patois, in dem für eine Vielzahl nördlicher Lexeme, Redewendungen und Strukturen kein Platz ist. Die wenigen für das Benaadir typischen Lexeme und Formen in der Sprache des Probanden können nicht darüber hinwegtäuschen, dass es sich dabei nicht um die Sprachvarietät eines Bewohners von Südsomalia handelt. Im Zusammenhang mit seinen unzureichenden soziokulturellen Aussagen erscheint eine Herkunft des Probanden aus … daher sehr zweifelhaft.

Die Tatsache, dass dem Probanden beim Lesen des französischen Textes Aussprachefehler unterlaufen sind, ist kein Beweis dafür, dass der Proband nicht aus Djibuti gekommen sein kann. Für eine Person ohne formale Schulbildung dürfte es eher normal sein, zwar die französische Umgangssprache zu beherrschen, aber nicht die geschriebenen Varianten der Wörter zu kennen.

Es bleibt anzumerken, dass mittels einer Sprachanalyse nur eine sprachlich-

geografische Zuordnung vorgenommen, nicht aber die Staatsangehörigkeit bestimmt werden kann ».

Le premier test linguistique en date vient à la conclusion que suivant une probabilité surpondérée, l’appelant viendrait de Somalie, sans cependant autrement articuler ou différencier cette conclusion, tandis que le deuxième test en date présente précisément des conclusions différenciées et articulées qui mènent à la conclusion que d’une manière surpondérée, il est à admettre que l’intéressé ne provient pas de Somalie mais plutôt de l’Etat voisin de Djibouti.

Dans la mesure où le test linguistique ne constitue qu’un des éléments d’une recherche complexe en vue d’apprécier la crédibilité du récit de l’intéressé, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu de donner suite à la demande de celui-ci de voir instituer un troisième test linguistique mais d’analyser en l’état les deux tests et d’en tirer comme résultante un doute surpondéré concernant l’origine somalienne affirmée par l’appelant.

Ce doute se combine sur base de l’ensemble des éléments soumis à la Cour avec les doutes certains émis successivement par le ministre et le tribunal, finalement non énervés par l’intéressé, face au caractère évolutif de ses affirmations quant à sa région d’origine et son ignorance du moins étalée dans un premier stade lors de ses auditions successives concernant des points précis relatifs à son village d’origine par lui indiqué, …, puis son ignorance complète dans un premier stade sur le groupe islamiste Al Shabaab dont il affirme cependant avoir été la victime et, plus loin, les contingences du régime transitoire en Somalie par rapport auquel il entend situer par ailleurs l’enrôlement dont il aurait été la victime de la part du groupe Al Shabaab.

Compte tenu de tous les éléments fournis en instance d’appel y compris les explications partiellement concordantes, mais finalement non convaincantes y fournies par l’appelant, la Cour est amenée à suivre l’analyse à la fois du ministre et des premiers juges et de retenir un constat de non-crédibilité dans le chef du récit de l’appelant concernant plus précisément ses origines somaliennes et l’enrôlement par le groupe Al Shabaab par lui affirmés.

Dans les conditions données, il y a lieu de confirmer le jugement dont appel en ce qu’il a successivement déclaré non fondés le recours en réformation introduit par l’appelant contre la décision ministérielle de refus de protection internationale prise sous son double volet de statut de réfugié et de bénéfice de la protection subsidiaire, de même que son recours en annulation de l’ordre de quitter le territoire prononcé contre lui.

Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l'égard de toutes les parties en cause ;

déclare l’appel recevable ;

au fond, le dit non justifié ;

partant en déboute l’appelant ;

confirme le jugement dont appel ;

condamne l’appelant aux dépens de l'instance d'appel.

Ainsi délibéré et jugé par :

Francis DELAPORTE, vice-président, Lynn SPIELMANN, conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, et lu par le vice-président en l'audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en-tête, en présence du greffier de la Cour Anne-

Marie WILTZIUS.

s.WILTZIUS s. DELAPORTE Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 22 novembre 2016 Le greffier de la Cour administrative 6


Synthèse
Numéro d'arrêt : 36156C
Date de la décision : 07/07/2015

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2015-07-07;36156c ?

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