GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 35719C du rôle Inscrit le 14 janvier 2015
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Audience publique du 2 avril 2015 Appel formé par Monsieur … , …, contre un jugement du tribunal administratif du 15 décembre 2014 (n° 34844 du rôle) ayant statué sur son recours contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 19 L.5.5.2006) Vu la requête d’appel inscrite sous le numéro 35719C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 14 janvier 2015 par Maître Arnaud RANZENBERGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … , né le … à … (Guinée), de nationalité guinéenne, demeurant à …, dirigée contre un jugement du tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg du 15 décembre 2014 (n° 34844 du rôle), ayant déclaré non fondé son recours en réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 9 mai 2014 portant refus de sa demande de protection internationale et en l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision ministérielle ;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 27 janvier 2015 par Madame le délégué de gouvernement Jacqueline GUILLOU-JACQUES ;
Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;
Le rapporteur entendu en son rapport ainsi que Maître Sandrine FRANCIS, en remplacement de Maître Arnaud RANZENBERGER, et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline GUILLOU-JACQUES en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 12 mars 2015.
En date du 3 février 2012, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après « la loi du 5 mai 2006 ».
Par décision du 9 mai 2014, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après « le ministre », déclara cette demande de protection internationale non fondée et enjoignit à Monsieur de quitter le territoire luxembourgeois dans un délai de 30 jours.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 8 juillet 2014, Monsieur fit introduire un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle précitée du 9 mai 2014 portant refus de la protection internationale dans son chef et à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision ministérielle.
Par jugement du 15 décembre 2014, le tribunal déclara ce recours non fondé sous son double volet.
Par requête d’appel déposée au greffe de la Cour administrative le 14 janvier 2015, Monsieur a fait régulièrement entreprendre le jugement précité du 15 décembre 2014 dont il sollicite la réformation dans le sens de lui voir accorder le statut de réfugié sinon le bénéfice de la protection subsidiaire.
En fait, l’appelant renvoie à l’exposé qu’il a fait à ce sujet au niveau de sa requête introductive de première instance.
Il y expliqua qu’il serait de nationalité guinéenne et qu’il appartiendrait à l’ethnie Peulh.
Etudiant en médecine, il aurait été, comme son père, adhérent et membre actif au niveau local du parti politique « Union des Forces Démocratiques de Guinée » dénommé « UFDG ».
L’appelant y fit valoir qu’en mai 2011, il aurait été persécuté et maltraité ensemble avec ses parents par des militaires en raison de leur appartenance à l’UFDG. Ces derniers lui auraient marché sur les mains et pieds, de sorte qu’il aurait non seulement les mains et pieds recouverts de cicatrices, mais également perdu depuis lors l’usage d’un doigt de sa main gauche. Le 5 juin 2011, les militaires auraient fait irruption au domicile qu’il aurait partagé avec ses parents, et auraient battu ces derniers tout en demandant au père s’il soutenait toujours … … et le parti UFDG. Après avoir scandé que les Peulhs n’auraient jamais le pouvoir, les militaires auraient assassiné ses deux parents. L’appelant explique qu’il aurait pu fuir la maison par une porte de secours et se cacher chez les voisins et qu’il aurait pu porter plainte auprès d’un poste de police. Il aurait également contacté une organisation non gouvernementale et donné une interview dans des journaux. N’ayant pas eu de nouvelles quant aux suites réservées à sa plainte et ayant à nouveau été menacé par les militaires de subir le même sort que ses parents, l’appelant déclare avoir quitté l’université, ainsi que sa cachette auprès de sa famille et de ses amis pour chercher refuge au Luxembourg.
Par rapport au reproche des premiers juges suivant lequel il n’aurait pas établi à suffisance de droit des craintes de persécution du fait de sa propre appartenance au parti UFDG, étant donné qu’en première instance sa crainte aurait été essentiellement analysée en tant que sentiment général d’insécurité, insuffisant pour lui voir attribuer le statut de réfugié, l’appelant, au niveau de la requête d’appel, estime d’abord avoir étayé, détails à l’appui, l’ensemble de ses craintes de persécution dans son pays d’origine dès son audition par un agent du ministère. Il précise en instance d’appel avoir été étudiant en médecine et avoir adhéré, au même titre que son père, au parti UFDG. Il y aurait été actif en s’occupant des affaires politiques de son quartier. Ainsi, en mai 2011, il aurait été persécuté et battu par des militaires précisément en raison de son appartenance à l’UFDG. A cette occasion, les militaires se seraient employés à marcher sur lui, allongé sur le sol et lui auraient littéralement écrasé les mains et les pieds. Du coup, il aurait perdu l’usage d’un doigt de sa main gauche et ses pieds auraient été couverts de cicatrices. Ses parents, toujours en raison de leur appartenance également au parti UFDG, auraient subi des menaces physiques jusqu’à ce qu’en date du 5 juin 2011 des militaires se seraient introduits à leur domicile, seraient entrés dans la chambre des parents afin de les amener dans le salon et auraient commencé à les battre avec violence. Ces militaires auraient souhaité savoir si le père de l’appelant soutenait toujours le chef de l’opposition … … ainsi que le parti UFDG. Les militaires auraient scandé que les Peulhs n’auraient jamais le pouvoir et qu’ils allaient tous mourir tandis que l’appelant, toujours caché dans sa chambre, aurait profité pour s’enfuir par la porte de secours et se réfugier chez les voisins afin de donner l’alerte. Peu de temps après, des coups de feu auraient retenti et les militaires auraient quitté le domicile de la famille . L’appelant et un voisin se seraient empressés de retourner dans la maison pour constater que les parents de l’appelant étaient tous deux morts, assassinés par les militaires. L’appelant souligne que les personnes d’ethnie Peulh seraient fortement persécutées en Guinée, notamment par les forces de l’ordre et que c’est précisément en raison des actes de violence subis qu’il aurait eu des craintes fondées de persécution et qu’il aurait de sérieuses raisons, encore actuellement, de voir sa vie menacée tant en raison de son appartenance au parti politique UFDG que de son appartenance ethnique Peulh, étant constant que les forces de l’ordre seraient essentiellement malinké et opposées précisément aux Peulh.
Au niveau de la protection subsidiaire, l’appelant reprend les mêmes faits que ceux invoqués au titre de la demande de statut de réfugié pour souligner qu’il ne peut valablement retourner en Guinée en raison des persécutions subies et au risque d’en subir à nouveau en cas de retour. Il estime risquer l’exécution sinon pour le moins des traitements inhumains et dégradants en cas de retour dans son pays d’origine. Il existerait dès lors une impossibilité matérielle sinon morale de voir procéder à son retour de manière contrainte et forcée dans son pays d’origine, de sorte que pour le moins le bénéfice de la protection subsidiaire devrait lui être accordé.
L’Etat sollicite la confirmation pure et simple du jugement dont appel sur base des développements et conclusions y contenus.
Les premiers juges ont correctement cadré la demande du statut de réfugié de l’appelant sur base des dispositions des articles 2, sub a) et sub d), 28, 29 et 31, paragraphe 1er, de la loi du 5 mai 2006, ensemble la présomption contenue à l’article 26, paragraphe 4, de la même loi, de même que celle du bénéfice de la protection subsidiaire sur base de l’article 37 de la même loi.
Au niveau de la crédibilité du récit de l’appelant, le tribunal s’exprima comme suit :
« En l’espèce, et indépendamment des doutes du ministre quant à la désignation du poste effectivement occupé par le père du demandeur au sein de l’UFDG, force est au tribunal de relever que la décision déférée n’a pas soulevé des incohérences de nature à ébranler le récit en sa globalité, sauf en ce qui concerne l’affirmation du demandeur selon laquelle il aurait à nouveau été menacé par des militaires à la suite de sa plainte et de son interview dans la presse, alors que le demandeur est formel, dans le cadre de son entretien et sur question spéciale de l’agent en charge de l’audition, pour affirmer qu’il n’a plus revu les militaires après la mort de ses parents. », en renvoyant spécifiquement en bas de page au rapport d’audition du 8 février 2013 pris en sa page 7/10.
Dans le cadre du recours en réformation dans lequel il est amené à statuer sur l’ensemble des faits lui dévolus, le juge d’appel est appelé à reconsidérer d’abord, dans le contexte d’une demande de protection internationale, tous les éléments de fait au regard de la crédibilité du récit de l’auteur de la demande.
Il est constant en cause que le ministre a exprimé de sérieux doutes quant à la crédibilité du récit de l’appelant concernant plus précisément la désignation du poste effectivement occupé par le père de l’appelant au sein de l’UFDG. Dans ce contexte, le ministre s’est précisément heurté au fait que si le père avait été président de l’entité locale du parti d’opposition UFDG au niveau de sa commune de résidence et s’il avait été assassiné, tel que l’affirme l’appelant, il aurait dû figurer sur la liste des personnes ayant revêtu des responsabilités au sein dudit parti et décédées entre 2009 et 2013 dans le contexte des tensions politiques de l’époque en Guinée. Or, tel n’est visiblement pas le cas et l’appelant n’a fourni aucun élément complémentaire en instance d’appel pour dissiper les doutes pourtant formels émis à ce sujet par le ministre dès sa décision de refus actuellement sous analyse.
La Cour constate que dans sa démarche, le tribunal passe d’abord outre les doutes du ministre, pourtant concrets et non énervés devant lui, pas plus qu’en instance d’appel. Le tribunal se borne à constater que la décision ministérielle n’aurait pas soulevé des incohérences de nature à ébranler le récit en sa globalité, tout en citant à titre d’exception la contradiction dans les affirmations de l’appelant concernant sa plainte déposée et son interview donnée suite à l’assassinat affirmé de ses parents, pour, d’un autre côté, nier tout contact avec les autorités suite à cet événement tragique par lui allégué.
Il reste qu’en instance d’appel cette contradiction est béante et que le tribunal n’en a tiré aucune conséquence. D’un autre côté, au niveau de sa requête d’appel, l’appelant prend soin de contourner la question et n’énonce plus de précisions afférentes au niveau de sa relatation de son récit concernant les épisodes ayant eu lieu postérieurement à l’assassinat allégué de ses parents.
Par ailleurs, l’appelant a déclaré dès le début de son audition avoir voyagé sous de faux papiers lui conférés par son passeur et restitués à celui-ci, de sorte à n’avoir plus exhibé aucun élément tangible documentant tant soit peu son identité affirmée y compris sa date de naissance au 1er janvier 1993 correspondant précisément au jour de l’an.
Sur base de l’ensemble des éléments du dossier lui soumis, la Cour, à partir de la double série de contradictions non autrement énervée ci-avant relevées, à savoir le poste de responsabilité politique effectivement occupé par le père et l’absence de mention de celui-ci parmi les victimes au sein des responsables de l’UFDG, d’un côté, ensemble celles concernant les contacts effectivement noués par l’appelant suite à l’assassinat affirmé de ses parents, de l’autre, il y a lieu de conclure que sur des points pourtant névralgiques du récit, les contradictions relevées et non éclaircies plus en avant, - l’appelant étant pourtant soumis dans le contexte d’une demande de protection internationale à un devoir de collaboration loyal, -
confluent dans le constat d’un défaut de crédibilité affectant la globalité du récit de l’intéressé en l’occurrence.
Partant, quoique pour d’autres motifs, il y a lieu de confirmer le jugement dont appel en ce qu’il a déclaré non fondée la demande en réformation de l’appelant concernant le refus ministériel de la protection internationale, considérée sous son double volet de statut de réfugié et de protection subsidiaire, de même que le débouté de son recours en annulation concernant l’ordre de quitter le territoire prononcé à son encontre.
Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l'égard de toutes les parties en cause ;
déclare l’appel recevable ;
au fond, le dit non justifié ;
partant, en déboute l’appelant ;
confirme le jugement dont appel dans son dispositif ;
condamne l’appelant aux dépens de l'instance d'appel.
Ainsi délibéré et jugé par :
Francis DELAPORTE, vice-président, Lynn SPIELMANN, conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, et lu par le vice-président en l'audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier en chef de la Cour Erny MAY.
s. MAY s. DELAPORTE Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 22 novembre 2016 Le greffier de la Cour administrative 5