GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle: 31684C Inscrit le 16 novembre 2012
----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
-----------
Audience publique du 14 mars 2013 Appel formé par l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg contre un jugement du tribunal administratif du 8 octobre 2012 (n° 27464a du rôle) rendu sur recours de la société à responsabilité limitée … s.à r.l., …, en matière d’agrément d’organisme de maintenance
------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Vu l’acte d’appel déposé au greffe de la Cour administrative le 16 novembre 2012 par Monsieur le délégué du gouvernement Marc MATHEKOWITSCH, agissant en nom et pour compte de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, sur base d’un mandat lui conféré le 9 novembre 2012 par le ministre du Développement durable et des Infrastructures, contre un jugement rendu le 8 octobre 2012 par le tribunal administratif par lequel ledit tribunal a déclaré recevable et fondé le recours introduit le 11 novembre 2010 par la société à responsabilité limitée … s.à r.l., établie et ayant son siège social à L-
…, inscrite au R.C.S. de Luxembourg sous le numéro B …, représentée par son gérant actuellement en fonctions, tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du directeur de la direction de l’Aviation civile du 15 mars 2010 emportant notamment suspension avec effet immédiat de l’agrément d’organisme de maintenance LU…. de la partie requérante sur base de l’article 145.B.45 de la Partie 145 du règlement CE n° 2042/2003 du 20 novembre 2003 relatif au maintien de la navigabilité des aéronefs des organismes et des personnels participant à ces tâches ;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 11 décembre 2012 par Maître Nicolas BANNASCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, pour compte de la société à responsabilité limitée … s. à r.l., préqualifiée ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe de la Cour administrative le 8 janvier 2013 par le délégué du gouvernement ;
Vu le mémoire en duplique déposé au greffe de la Cour administrative le 8 février 2013 par Maître Nicolas BANNASCH pour compte de la société à responsabilité limitée … s. à r.l. , préqualifiée ;
Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;
Le rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Linda MANIEWSKI et Maître Nicolas BANNASCH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 21 février 2013 ;
La société à responsabilité limitée … s.à r.l., ci-après « la société … », société offrant des services aéronautiques divers et disposant pour ce faire d’un agrément en tant qu’organisme de maintenance, fit l’objet en date des 16 et 17 février 2010 d’un audit de la part de la direction de l’Aviation civile, ci-après « la DAC ».
Suite à cet audit, la société … se vit adresser une décision datée du 15 mars 2010 du directeur de la DAC, emportant suspension avec effet immédiat de son agrément d’organisme de maintenance LU…. sur base des prescriptions de l’article 145.B.45 de la Partie 145 du règlement (CE) N° 2042/2003 de la Commission du 20 novembre 2003 relatif au maintien de la navigabilité des aéronefs et des produits, pièces et équipements aéronautiques, et relatif à l’agrément des organismes et des personnels participant à ces tâches, ci-après « le règlement CE 2042/2003 », ladite décision étant motivée comme suit :
« Suite à la visite d’audit des 16 et 17 février 2010 je vous fais parvenir en annexe le rapport d’audit du 8 mars 2010 contenant un certain nombre de non-
conformités aux exigences de la Partie 145 du Règlement CE N° 2042/2003 de la Commission du 20 novembre 2003 relatif au maintien de la navigabilité des aéronefs et des produits, pièces et équipements aéronautiques, et relatif à l’agrément des organismes et des personnels participant à ces tâches.
Au vu de la gravité des constatations faites et notamment au vu des constatations de niveau 1 du rapport d’audit susmentionné, je me dois de vous informer que la Direction de l’Aviation Civile, conformément à l’article 145.B.45 de la Partie 145 du Règlement CE N° 2042/2003 précité, se voit contrainte à suspendre avec effet immédiat votre agrément d’organisme de maintenance LU….. Cette suspension perdurera jusqu’à ce que la DAC ait pu constater, après inspection, que des actions correctives satisfaisantes ont été effectivement mises en œuvre et ceci dans un délai de 3 mois au plus. En cas de non respect de ce délai je me vois contraint d’engager la procédure afin de faire retirer votre agrément LU…..
Finalement je tiens à attirer votre attention sur le fait que conformément à la procédure administrative non contentieuse, vous disposez d’un délai de 8 jours à partir de la réception de la présente lettre pour présenter vos observations éventuelles (…) ».
Le même jour, le directeur de la DAC adressa à la société … un deuxième courrier libellé comme suit :
« Je me permets de revenir au rapport d’audit du 8 mars 2010 et à mon courrier du 15 mars 2010 ayant ordonné la suspension de votre agrément selon la partie 145 du Règlement CE N° 2042/2003 de la Commission du 20 novembre 2003 relatif au maintien de la navigabilité des aéronefs et des produits, pièces et équipements aéronautiques, et relatif à l’agrément des organismes et des personnels participant à ces tâches.
En effet votre agrément a dû être suspendu suite aux non-conformités graves, constatées lors de l’audit en date des 16 et 17 février 2010 et relevant que vous ne remplissez plus à l’heure actuelle les exigences de la partie 145. Ces carences ont laissé apparaître que votre organisme ne dispose pas des moyens nécessaires pour réaliser les travaux voire tâches qui vous incombent à ce titre. Les non-conformités de niveau 1 m’amènent à remettre en cause les certificats de remise en service qui ont été émis par votre organisme alors qu’une partie de votre personnel ayant émis ces certificats n’étaient pas habilités à le faire alors que soit ils ne disposaient pas des habilitations nécessaires soit qu’ils ne disposaient pas de la formation continue requise conformément à l'article 145.A.35 de la Partie 145 du Règlement précité.
Partant, je vous enjoins à faire réévaluer les avions immatriculés sur le registre luxembourgeois par un autre organisme de maintenance part 145 et ce jusqu’au 15 avril 2010 au plus tard. A défaut les certificats de navigabilité de ces aéronefs seront retirés.
Pour ce qui est des aéronefs immatriculés sur les registres non luxembourgeois, je tiens à vous informer que les autorités concernées seront averties de votre situation et des mesures que la DAC a prises à votre encontre concernant votre agrément et les certificats de remise en service émis par le personnel de votre organisme.
Par ailleurs, du fait que vous ne disposez pas d’une autorisation pour effectuer des travaux de maintenance en dehors de votre atelier de maintenance dans des « outstations », sauf pour des interventions ad hoc, sur des avions stationnés ou se trouvant à l’étranger, des doutes sérieux existent pour la DAC quant au fait de savoir comment sont garantis les travaux de maintenance des avions à l'étranger. A ce sujet je vous accorde également un délai jusqu’au 15 avril 2010 au plus tard pour vous mettre en conformité.
La présente est susceptible d’un recours en annulation à intenter dans les trois mois de sa réception devant le tribunal administratif de Luxembourg moyennant le ministère d'avocat à la Cour (…) ».
A la suite de ces courriers, la société … fit dresser en date des 31 mai et 8 juin 2010 des rapports d’audit par la société de droit suisse … GmbH, ci-après « la société … », et par la société de droit français … Groupe, ci-après « la société … », et, sur base de ces rapports, introduisit en date du 14 juin 2010 deux recours gracieux contre les deux décisions précitées du 15 mars 2010.
Par courriers du 18 juin 2010, le directeur de la DAC accusa, d’une part, réception du recours gracieux dirigé contre sa décision de suspension de l’agrément d’organisme de maintenance, en y affirmant notamment que ses services « vont procéder à l’analyse de ce dossier sur base de votre argumentaire et des pièces soumises », et, d’autre part, en ce qui concerne la seconde décision, portant notamment remise en cause des certificats de remise en service des aéronefs de la société …, affirma que compte tenu de la radiation des divers aéronefs luxembourgeois de ladite société du registre luxembourgeois, la DAC considérait le dossier comme clos.
Par courrier du 12 août 2010, le directeur de la DAC annonça l’intention de la DAC de procéder à un audit complet de certification de la société …, lequel eut lieu, après un courrier de relance de l’avocat de la société … du 20 septembre 2010, en dates des 12, 13 et 14 octobre 2010.
A défaut de suite réservée par la DAC à cet audit, la société … introduisit, par requête déposée le 11 novembre 2010, un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du directeur de la DAC du 15 mars 2010 portant notamment suspension avec effet immédiat de son agrément d’organisme de maintenance.
Le 18 novembre 2010, la DAC notifia à la société … les conclusions de l’audit des 12, 13 et 14 octobre 2010 et, par courrier du 8 décembre 2010, le directeur de la DAC informa la société … qu’« en attendant l’analyse juridique de mes services quant à ce recours et les conséquences éventuelles de toute action supplémentaire de la DAC, [il ne pouvait] prendre en considération aucune autre pièce dans ce document [les conclusions de l’audit] jusqu’à clarification de l’action pendante devant le tribunal administratif ».
Par jugement du 17 octobre 2011, le tribunal déclara le recours principal en réformation irrecevable, reçut le recours subsidiaire en annulation en la forme, au fond, le déclara justifié, annula la décision du directeur de la DAC du 15 mars 2010 emportant notamment suspension avec effet immédiat de l’agrément l’organisme de maintenance LU…. de la société …, ordonna l’effet suspensif du recours pendant le délai et l’instance d’appel, tout en condamnant l’Etat à une indemnité de procédure de 2.000.- €.
Pour ce faire, les premiers juges relevèrent dans ce contexte que la suspension d’un agrément pour une certaine activité, telle celle d’organisme de maintenance LU…., constituait indéniablement une modification d’office pour l’avenir d’une décision ayant créé ou reconnu des droits, de sorte que les dispositions protectrices de l’administré contenues à l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, ci-après « le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 », trouvaient à s’appliquer.
Le tribunal, d’une part, constata que la partie étatique - hormis l’affirmation péremptoire que les dispositions dudit article 9 et de la procédure contradictoire auraient été respectées - n’avait pas établi, ni même allégué, qu’il y aurait eu « péril en la demeure » au sens dudit article 9, en ce que la décision ne souffrait aucun retard sans compromettre son but même, et, d’autre part, ne décela pas l’existence de pareil péril, au vu du fait que la situation incriminée par la DAC était connue de celle-ci depuis le 17 février 2010, date de l’audit de conformité, et que la décision litigieuse n’avait été prise que le 15 mars 2010.
Partant, le tribunal retint que le courrier du directeur de la DAC du 15 mars 2010 constituait la première communication adressée directement, individuellement et par la voie recommandée à la société … lui faisant part des griefs lui reprochés et des conséquences en tirées et que le directeur n’avait pas, par ce courrier litigieux, informé l’intéressée de son intention de prendre, le cas échéant, une décision de suspension de l’agrément, mais qu’il l’avait informée de sa décision d’ores et déjà prise. D’après les premiers juges, le libellé sans ambiguïté du courrier du 15 mars 2010 ne laissait aucun doute quant au fait que la suspension de l’agrément constituait aux yeux du directeur une chose décidée, le directeur ayant fermement informé la société … de la portée de sa décision, de sorte qu’en confrontant l’administré à une décision acquise, il avait vidé de tout sens le préalable administratif obligatoire que représente l’obligation inscrite à l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, ce d’autant plus que le directeur de la DAC avait entendu souligner le caractère décisionnel de ce courrier en y précisant que cette mesure avec effet immédiat perdurerait « jusqu’à ce que la DAC ait pu constater, après inspection, que des actions correctives satisfaisantes ont été effectivement mises en œuvre et ceci dans un délai de 3 mois au plus ».
Le tribunal souligna encore que la société … avait, par son recours gracieux du 14 juin 2010, attiré l’attention du directeur de la DAC sur la violation de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, tout en sollicitant le bénéfice d’une entrevue, demande à laquelle celui-ci n’avait pas fait droit, le directeur dans son courrier du 18 juin 2010 faisant dépendre l’entrevue sollicitée du résultat de l’analyse par ses services du recours gracieux, et ce en dépit de l’obligation lui imposée explicitement par l’article 9, alinéa 3, du règlement grand-ducal du 8 juin 1979.
Dès lors, au vu du constat que les règles de la procédure administrative non contentieuse consacrant légalement le principe du respect des droits de la défense et du contradictoire à l’égard de l’administré n’avaient pas été respectées, le tribunal procéda à l’annulation de la décision déférée du directeur de la DAC du 15 mars 2010, tout en ordonnant l’effet suspensif du recours introduit pendant le délai et l’instance d’appel.
Par une requête déposée le 22 novembre 2011 au greffe de la Cour administrative, l’Etat releva régulièrement appel du jugement du 17 octobre 2011.
Par arrêt du 13 mars 2012, la Cour administrative reçut l’appel en la forme, au fond, le déclara justifié, dit que c’était à tort que le tribunal administratif avait annulé pour violation de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 la décision du directeur de la DAC du 15 mars 2010, réforma encore le jugement entrepris en ce qu’il n’y avait pas lieu d’ordonner l’effet suspensif du recours initial introduit le 11 novembre 2010 pendant le délai et l’instance d’appel, déchargea l’Etat de la condamnation à payer à la société … une indemnité de procédure d’un montant de 2.000.- € pour la première instance, débouta encore la société … de sa demande en condamnation de l’Etat au paiement d’une indemnité de procédure d’un montant de 2.000.- € pour l’instance d’appel et renvoya l’affaire en prosécution de cause devant les premiers juges.
La Cour nota en premier lieu que la suspension immédiate de l’agrément en tant qu’organisme de maintenance LU…. ne pouvait être prononcée qu’en présence de constatations de niveau 1, c’est-à-dire des constatations qui, aux termes de l’article 145.A.95 du règlement CE 2042/2003, correspondent « à un non-respect significatif des exigences de la partie 145 abaissant le niveau de sécurité et portant gravement atteinte à la sécurité du vol », hypothèse se recoupant avec la notion de « péril en la demeure » telle qu’inscrite à l’article 9 du règlement du 8 juin 1979 et permettant de déroger au devoir d’information préalable à charge de l’administration avec possibilité de prise de position conférée à l’administré.
La Cour constata ensuite que 9 constatations de niveau 1 avaient été mises en avant lors de l’audit qui s’était déroulé au sein des locaux de la société …, et qui avaient conduit à l’abaissement du niveau de sécurité et constaté une atteinte grave à la sécurité du vol et qui, indépendamment du bien- ou mal-fondé des manquements avancés, avaient a priori raisonnablement pu amener le directeur de la DAC à suspendre provisoirement avec effet immédiat l’agrément d’organisme de maintenance accordé à la société …, ceci pour des raisons de sécurité aérienne, de sorte que le directeur avait implicitement, mais nécessairement fait usage de la notion de « péril en la demeure ». Partant, la Cour arriva à la conclusion que le directeur de la DAC, au vu des constatations du rapport d’audit, avait raisonnablement pu estimer qu’il y avait « péril en la demeure » et qu’il n’avait partant pas pris une décision en violation de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979.
Suite au renvoi de l’affaire en première instance, le tribunal, par jugement du 8 mars 2012, annula de nouveau la décision du directeur de la DAC du 15 mars 2010, ordonna l’effet suspensif du recours pendant le délai et l’instance d’appel et condamna l’Etat à une indemnité de procédure de 2.000.- €.
Pour ce faire, le tribunal, en relation avec les prétendues irrégularités formelles ayant précédé la rédaction de la version finale du rapport d’audit du 8 mars 2010, tirées de violations du règlement CE 2042/2003 et de la prétendue absence de l’avis d’un inspecteur notifié préalablement auprès de l’organisme d’entretien en conformité avec la procédure interne DAC-AIR310, inscrite à la circulaire intitulée « procedure for initial, continued and variation approval of Part 145 organizations », nota que ladite procédure prévoyait deux cas de figure distincts, à savoir, d’une part, qu’une constatation de niveau 1 dûment constatée par un auditeur et notifiée à l’organisme d’entretien pouvait, sur recommandation afférente de l’auditeur, faire l’objet d’une suspension ou d’une limitation immédiate d’agrément et que dans ce cas de figure, l’avis de l’auditeur devait être nécessairement notifié à l’organisme d’entretien en même temps que la décision afférente prise par le directeur de la DAC, et, d’autre part, en cas de constatations de niveau 2 ou de constatations de niveau 1 de moindre importance non corrigées après leur notification à l’organisme d’entretien, qu’une lettre de rappel était adressée à l’organisme d’entretien lui accordant un délai de 8 jours afin de prendre les mesures correctives s’imposant et que dans ce cas de figure, ce n’était que si les mesures correctives n’avaient pas été prises, passé le délai imparti de 8 jours, que l’auditeur recommandait la suspension ou la limitation de l’agrément.
Le tribunal constata ensuite que le directeur de la DAC n’avait accordé à la société … un délai de 8 jours pour présenter ses observations que postérieurement à sa décision de suspension avec effet immédiat du 15 mars 2010 et que les constatations qualifiées de niveau 1 n’avaient été notifiées que conjointement avec la décision déférée du 15 mars 2010. Or, d’après les premiers juges, ces notifications concomitantes et l’absence de délai accordé en vue d’apporter les corrections nécessaires correspondaient à la procédure prévue pour les constatations de niveau 1 et pareille procédure devait reposer sur une recommandation précise de l’auditeur, la procédure DAC-AIR310 exigeant en effet que l’auditeur recommande dans ce cas de figure soit la suspension immédiate, soit la limitation immédiate de l’agrément.
Le tribunal nota ensuite que le rapport d’audit du 8 mars 2010 énumérait une liste de constatations de niveau 1 et 2 et contenait pour toute recommandation que des sanctions soient prises à l’encontre des activités de l’organisme d’entretien. Or, d’après le tribunal, pareille recommandation, de par son caractère vague et imprécis, ne répondait pas aux exigences de la procédure DAC-AIR310, en ce que l’auditeur, c’est-à-dire le spécialiste qui avait formulé personnellement les constats sur place, censé pourtant proposer personnellement la mesure appropriée compte tenu de l’importance des non-conformités constatées, en avait abandonné l’appréciation au directeur de la DAC.
Quant aux contestations par la société … relatives à la classification par la DAC des manquements relatés dans le rapport d’audit du 8 mars 2010, à savoir des constatations de niveau 2 à corriger endéans un délai de 2 mois et les 9 constatations de niveau 1, le tribunal jugea que le pouvoir d’appréciation du directeur de la DAC ne relevait pas d’un pouvoir discrétionnaire, mais s’inscrivait dans les dispositions précises de l’article 145.A.95 du règlement CE 2042/2003, article intitulé « Constatations », définissant une constatation de niveau 1 comme correspondant « à un non respect significatif des exigences de la Partie 145 abaissant le niveau de sécurité et portant gravement atteinte à la sécurité du vol », tandis qu’une constatation de niveau 2 y est définie comme correspondant « à un non respect des exigences de la Partie 145 qui pourrait abaisser le niveau de sécurité et éventuellement porter atteinte à la sécurité du vol », la distinction entre les deux niveaux résidant donc dans l’atteinte à la sécurité de vol, une constatation de niveau 1 impliquant un non-respect significatif des exigences normatives et une atteinte grave avérée, tandis qu’une constatation de niveau 2 concerne un risque potentiel pour la sécurité aérienne.
Quant aux constatations de niveau 1, les premiers juges notèrent que l’article 145.B.50 prévoyait que si, au cours d’audits ou par d’autres moyens, une non-conformité aux exigences de la Partie 145 est prouvée, l’autorité compétente retire, limite ou suspend immédiatement, en totalité ou en partie, « en fonction de l’importance de la constatation de niveau 1 », l’agrément d’organisme de maintenance, et ce jusqu’à ce qu’une action corrective satisfaisante soit mise en œuvre par l’organisme.
Le tribunal constata ensuite qu’il résultait des deux expertises commanditées par la société … que le niveau de non-conformité 1, tel que retenu par la DAC, n’était pas justifié ni en droit, ni en fait, et que les conclusions de ces experts étaient de nature à combattre effectivement le contenu et la légalité de la décision déférée, de sorte à opérer, conformément au régime administratif de la preuve, un renversement de la charge de la preuve, l’autorité administrative étant à son tour appelée à établir la légalité de l’acte et étant tenue, à cet effet, d’une obligation de collaboration. Partant, il aurait appartenu à la partie étatique d’établir, ou du moins d’exposer de manière convaincante, que les manquements constatés constituent un non-respect significatif des exigences de la Partie 145, en précisant obligatoirement quelles prescriptions de la Partie 145 avaient été violées, et que ces non-conformités abaissaient le niveau de sécurité et portaient gravement atteinte à la sécurité aérienne, l’effectivité et la gravité de l’atteinte étant précisément les caractéristiques départageant un manquement de niveau 1 d’un manquement de niveau 2 concernant un risque potentiel. Les premiers juges estimèrent encore qu’il aurait ensuite appartenu au directeur de la DAC d’exposer pourquoi, parmi les différentes mesures envisageables, à savoir le retrait, la limitation ou la suspension immédiate, en totalité ou en partie, de l’agrément, il avait opté « en fonction de l’importance de la constatation de niveau 1 » - en l’absence de toute recommandation du spécialiste ayant effectué l’audit de la société … - pour une suspension immédiate et totale de l’agrément.
Sur ce, le tribunal nota que la partie étatique se contentait à cet égard d’affirmations non étayées d’éléments concrets et précis, en soulignant itérativement le lien direct entre les manquements constatés et la sécurité aérienne et en affirmant le caractère indéniable du risque en résultant pour la sécurité aérienne, sans justifier pour autant la classification opérée, laquelle doit reposer sur un danger avéré et grave et non seulement sur une potentialité, et arriva à la conclusion qu’il n’était pas à même, au vu des éléments lui soumis en cours de procédure contentieuse, de retracer la classification retenue par la DAC, et en particulier de retracer le choix opéré d’une classification des constatations litigieuses de niveau 1, plutôt, que d’une classification de niveau 2.
Partant, le tribunal arriva à la conclusion que la partie étatique était restée en défaut de préciser concrètement les raisons de fait et de droit de nature à justifier la décision du directeur de la DAC du 15 mars 2010 et annula cette décision en conséquence. Il prononça encore l’effet suspensif du recours pendant le délai et l’instance d’appel, au motif que le maintien de la décision de suspension litigieuse risquait de causer à la demanderesse un préjudice grave et définitif, consistant, outre en un préjudice matériel résultant de la cessation temporaire de ses activités sur le territoire, en une atteinte à sa réputation professionnelle susceptible de porter - partiellement ou totalement -
définitivement préjudice à sa survie économique.
Par une requête déposée le 16 novembre 2012 au greffe de la Cour administrative, l’Etat a régulièrement relevé appel du jugement du 8 octobre 2012.
En relation avec la légalité externe de la décision du 15 mars 2010, la partie étatique soutient qu’au moment du déroulement de l’audit en date des 16 et 17 février 2010, une liste des manquements constatés et des conséquences y attachées aurait été remise au « Responsable Qualité » de la société …, Monsieur …, et les non-conformités constatées n’auraient à aucun moment été contestées par celui-ci. Bien au contraire, ce dernier aurait signé la liste des manquements constatés sans faire de commentaires. Pour le surplus, l’inspecteur agréé de la DAC, lors de l’audit et lors du « debriefing », aurait spécifié expressément à Monsieur …, « Dirigeant Responsable » de la société …, que les non-conformités identifiées étaient de niveau 1 et partant suspensives de l’agrément et celui-ci aurait acquiescé sans faire de commentaires. Le représentant étatique signale encore que l’« EASA FORM 6 » serait le format d’audit imposé par l’Annexe II au règlement CE 2042/2003 et les non-conformités exposées dans ce document seraient un condensé des remarques émises au vu de la réglementation. Par la suite, le rapport d’audit aurait été adressé au directeur de la DAC et l’inspecteur ne serait pas en droit de faire apparaître catégoriquement une recommandation allant dans le sens d’une limitation, suspension ou révocation d’un agrément, sous peine de se voir reprocher d’avoir influencé la décision du directeur. Dans le présent cas d’espèce, le directeur aurait opté pour la mesure lésant le moins la société …, à savoir la suspension, décision par laquelle celui-ci n’aurait fait qu’appliquer la loi et qui ne serait partant nullement arbitraire. En effet, dans le cadre d’une décision de suspension, l’agrément pourrait être réattribué sous réserve que les actions correctives soient proprement exécutées, tandis que le retrait d’agrément serait définitif dans la mesure où l’organisme agréé devrait alors passer par le processus d’approbation initial. Ainsi, le rapport d’audit aurait clairement établi un délai de 2 mois pour la mise en place des actions correctives relativement aux manquements de niveau 2, les manquements de niveau 1 devant être corrigés instamment afin de lever la suspension. L’inspecteur, par sa recommandation qu’une mesure soit prise au niveau des manquements de niveau 1 constatés, aurait satisfait à ses droits et devoirs d’inspecteur. Par contre, dans le cadre des constatations de niveau inférieur qui laissent des choix quant aux mesures correctives à prendre, il appartiendrait aux inspecteurs d’émettre les recommandations précises afférentes.
La société … rétorque que la procédure d’agrément des organismes « PART 145 » prévue à la procédure de navigabilité interne DAC-AIR310 imposerait, pour l’hypothèse de constatations de niveau 2, sinon de constatations mineures de niveau 1, de ne procéder à une suspension respectivement un retrait d’agrément qu’après un délai de 8 jours échus.
Pour les constatations graves de niveau 1, ladite procédure prévoirait également de ne procéder respectivement à une suspension ou un retrait que sur un avis de l’inspecteur notifié préalablement à l’organisme d’entretien. Ladite obligation de notification préalable se déduirait nécessairement de l’esprit et de la finalité des textes de la partie 145 du règlement CE 2042/2003. Ainsi, d’après l’article 145.B.30 dudit règlement, la prolongation d’un agrément serait à contrôler conformément au processus d’agrément initial qui, selon l’article 145.B.20, prévoirait la notification des constatations faites dans un délai de 2 semaines, délai qui devrait également être respecté lors des opérations de contrôle au moment de la prolongation d’un agrément pour l’hypothèse où il n’y aurait pas urgence. Cependant, en présence de constatations de niveau 1, des mesures immédiates devraient être prises et ceci nécessairement dans un délai inférieur à 2 semaines, ce qui serait formellement prévu par la procédure interne DAC-AIR310, et plus particulièrement en son article 2.6 intitulé « findings ».
Or, en l’espèce, aucune information, ni recommandation précise de l’inspecteur en présence de constatations graves de niveau 1, respectivement aucun délai n’aurait été accordé à l’organisme d’entretien avant la prise de la décision litigieuse, de sorte que la DAC n’aurait pas respecté sa propre procédure de navigabilité DAC-AIR310. Plus précisément, la société … soutient qu’elle n’aurait été informée par la direction de la DAC de la prétendue effectivité de constatations de non-conformités de niveau 1 que suivant le courrier décisionnel du 15 mars 2010 et le pré-rapport du 18 février 2010 adressé à Monsieur …, n’étant de surcroît pas le représentant légal de la société, ne permettrait pas de conclure à l’effectivité des constatations. Pour le surplus, la société … conteste encore formellement que Monsieur … se serait vu indiquer lors du « debriefing » que les constatations relevées seraient constitutives de manquements de niveau 1 susceptibles d’entraîner le retrait sinon la suspension de l’agrément « PART 145 ».
Quant au rapport d’audit du 8 mars 2010, lui notifié après la prise de la décision litigieuse, celui-ci se cantonnerait à énumérer une liste de prétendues constatations de niveau 1 et 2 sans fournir la moindre recommandation prévue par la procédure de navigabilité DAC-AIR310, ledit rapport indiquant uniquement que « suite à notre audit identifiant plusieurs non-conformités majeures, nous recommandons que des sanctions soient prises à l’encontre de l’organisme d’entretien ». Partant, la décision litigieuse aurait été prise en totale violation de la procédure de navigabilité DAC-AIR310 et la décision du directeur du 15 mars 2010 devrait être annulée en conséquence.
Concernant la légalité externe de la décision litigieuse, les parties sont en accord pour dire que le cadre légal applicable est tracé par l’article 145.B.45 de l’annexe II (Partie 145) au règlement CE 2042/2003, article intitulé « Retrait, suspension et limitation d’agrément », aux termes duquel :
« L’autorité compétente doit :
a) suspendre un agrément sur des motifs valables dans les cas d’un risque potentiel en matière de sécurité, ou b) suspendre, retirer ou limiter un agrément conformément au 145.B.50 ».
Ledit article 145.B.50, intitulé « Constatations », est de la teneur suivante :
« a) Si au cours d’audits ou par d’autres moyens, une non-conformité aux exigences de la Partie 145 est prouvée, l’autorité compétente entreprend les actions suivantes :
1) pour les constatations de niveau 1, l’autorité compétente retire, limite ou suspend immédiatement, en totalité ou en partie, en fonction de l’importance de la constatation de niveau 1, l’agrément d’organisme de maintenance, et ce, jusqu’à ce qu’une action corrective satisfaisante soit mise en œuvre par l’organisme ;
2) pour les constatations de niveau 2, l’autorité compétente accorde un délai de mise en œuvre d’un plan d’actions correctives adapté à la nature de la constatation. Ce délai ne peut excéder trois mois. Dans certaines circonstances, à l’issue de cette première période, et en fonction de la nature de la constatation, l’autorité compétente peut proroger le délai de trois mois supplémentaires si un plan d’actions correctives satisfaisant est présenté.
c) L’autorité compétente prend les mesures nécessaires pour suspendre l’agrément en totalité ou en partie, en cas de non respect du délai octroyé par l’autorité ».
D’après l’article 145.A.95 de l’annexe II (Partie 145) au règlement CE 2042/2003, article également intitulé « Constatations », une constatation de niveau 1 correspond à un non-
respect significatif des exigences de la Partie 145 abaissant le niveau de sécurité et portant gravement atteinte à la sécurité du vol, tandis qu’une constatation de niveau 2 correspond à un non-respect des exigences de la Partie 145 qui pourrait abaisser le niveau de sécurité et éventuellement porter atteinte à la sécurité du vol.
Dans le cadre de cette réglementation, la DAC a établi la circulaire interne DAC-AIR310 destinée « to describe DAC Luxembourg (DACL) procedure for the management of EASA PART 145 approvals. In particular, this document defines the DACL procedure regarding: - the initial grant and issue of a PART 145 approval; - the continued oversight and the management of changes to these approvals; the management of the findings; - the revocation, suspension and limitation policy ».
Aux termes du point 2.5 de la circulaire DAC-AIR310, intitulé « Revocation, suspension and limitation of approval » :
« If DACL has established findings which constitute a potential safety threat, the auditing surveyor will recommend immediate suspension or limitation of the approval to the civil aviation directorate. In case of unanswered level 2 findings or minor level 1 findings, a formal reminder letter will be sent to the organisation, asking for finding clearance within 8 working days as per applicable Luxembourg rules. Beyond that period, if the findings are not closed, the auditing surveyor will recommend suspension or limitation of the approval to the civil aviation directorate ».
D’après le point 2.6 de ladite circulaire, intitulé « Findings » :
« (…) For level 1 findings, immediate action is recommended by the auditing surveyor, either through an accepted autolimitation of the organization under the control of their quality system, or through the activation of the revocation, suspension and limitation procedure of paragraphe 2.5.
Level 2 findings established during yearly audits are due in general 2 months after the date of the audit, unless otherwise decided by the auditor. (…) The auditor is responsible for the management of the findings. He informs the organization of opening and closing of the findings ».
Dans ce contexte, c’est tout d’abord à bon droit que les premiers juges ont retenu que s’il est vrai que les directives internes qu’une autorité administrative peut adopter pour se donner des lignes de conduite en fixant par exemple des procédures ou critères suivant lesquels certaines affaires qui lui sont soumises ou qui relèvent de son domaine de compétence sont à traiter notamment par les fonctionnaires qui se trouvent sous ses ordres, doivent obligatoirement se situer dans le cadre des dispositions légales et réglementaires applicables et qu’elles ne peuvent en aucun cas comprendre des règles allant au-delà de ce qui est expressément prévu par la loi ou ses règlements grand-ducaux d’application, cette autorité et les autorités subordonnées sont toutefois tenues de respecter les consignes des directives internes répondant à ces exigences et l’administré peut requérir le respect de celles de ces directives internes dont il a pu avoir connaissance à travers une certaine publicité leur conférée.
Pour le surplus, il se dégage de l’économie des textes ci-avant cités que la procédure administrative que la DAC doit suivre, en cas de la réalisation d’un audit et de découvertes de non-conformités à la Partie 145, dépend du niveau de non-conformité constaté.
Pour des constatations de niveau 1, l’auditeur doit recommander une action immédiate consistant, soit dans une autolimitation acceptée par l’organisme de maintenance, soit dans la recommandation par l’auditeur à l’adresse de la DAC de retirer, de suspendre ou de limiter immédiatement l’agrément en tant qu’organisme de maintenance.
Pour des constatations de niveau 2 ou de niveau 1 de moindre importance, après un délai de 2 mois à partir de l’audit, une lettre de rappel doit être adressée par l’auditeur à l’adresse de l’organisme de maintenance lui accordant un délai de 8 jours pour prendre les mesures correctives qui s’imposent, sous peine de recommander à la DAC la suspension ou la limitation de l’agrément.
En l’espèce, il se dégage du document intitulé « PART-145 APPROVAL RECOMMENDATION REPORT EASA FORM 6 », daté au 8 mars 2010, et reprenant les « findings » de l’audit qui s’est déroulé les 16 et 17 février 2010, que l’auditeur a listé 9 manquements de niveau 1, de même que 17 manquements de niveau 2 pour lesquels il a accordé un délai jusqu’au 4 mai 2010 afin de prendre des mesures correctives. A la dernière page de cet audit, l’auditeur recommande encore, en relation avec les manquements de niveau 1, que « suite à notre audit identifiant plusieurs non-conformités majeures, nous recommandons que des sanctions soient prises à l’encontre des activités de l’organisme d’entretien ».
Il se dégage encore des pièces versées au dossier que la liste des non-conformités avait été remise en date du 18 février 2010 au « Responsable Qualité » de la société …, Monsieur …, sans que cependant cette liste ne fût accompagnée d’une notation quant à la gravité des manquements constatés (niveau 1 ou 2) et aux conséquences y attachées.
D’un autre côte, c’est à tort que la société … arrive à la conclusion, d’ailleurs erronément reprise par le tribunal, qu’il se dégagerait du cadre légal applicable qu’un avis préalable devrait être notifié à l’organisme d’entretien reprenant les manquements constatés de niveau 1 et que la décision de retrait, de suspension ou de limitation de l’agrément ne pourrait être prise qu’à la suite de la notification de cet avis, aucune obligation de notification préalable ne se dégageant des textes applicables en cause.
En effet, la procédure telle que décrite aux articles 145.B.45 et 145.B.50 de l’annexe II (Partie 145) au règlement CE 2042/2003, et les précisions apportées plus particulièrement aux articles 2.5 et 2.6 de la circulaire DAC-AIR 310, ne prévoient nullement pareil formalisme, le cadre légal applicable se limitant à exiger de la part de l’auditeur responsable d’émettre, pour l’hypothèse de graves constatations de niveau 1, une recommandation allant dans le sens d’une suspension ou limitation immédiate de l’agrément sans cependant prévoir ni des formalités spécifiques à respecter au niveau de la transmission de cette recommandation à l’autorité compétente, à savoir la DAC, ni la notification d’un avis préalable à l’adresse de l’organisme d’entretien dans un délai précis.
Or, en l’espèce, il y a lieu de constater que l’auditeur responsable a inséré dans son rapport d’audit du 8 mars 2010 une recommandation, à savoir « que des sanctions soient prises à l’encontre des activités de l’organisme d’entretien », rapport transmis à la société … en annexe à la décision litigieuse critiquée du 15 mars 2010.
S’il paraît critiquable à première vue que les graves manquements de niveau 1 constatés en dates des 16 et 17 février 2010 n’avaient été dénoncés vis-à-vis de la DAC qu’en date du 8 mars 2010 et communiqués à l’organisme d’entretien que de manière concomitante avec la décision de la DAC du 15 mars 2010, la Cour arrive néanmoins à la conclusion que la procédure telle que se dégageant du cadre légal applicable a été respectée dans le cas d’espèce.
En effet, pour les constatations de manquements de niveau 2, l’auditeur dans le rapport d’audit du 8 mars 2010 a accordé à l’organisme d’entretien un délai de mise en conformité de 2 mois jusqu’au 4 mai 2010, tel que précisément prévu à l’article 2.6 de la circulaire DAC-AIR 310, le délai de 8 jours mis en avant par le tribunal n’étant susceptible d’entrer en ligne de compte qu’une fois ce délai de 2 mois révolu.
Quant aux constatations de graves manquements de niveau 1, l’auditeur, en conformité avec les articles 2.5 et 2.6 de la circulaire DAC-AIR310, a émis dans le rapport d’audit sa recommandation de prendre des sanctions à l’encontre de l’organisme d’entretien, sans cependant préciser ni la nature de la sanction, ni le délai dans lequel pareille sanction devait être prise. S’il est exact que cette recommandation présente un caractère vague et imprécis et que le terme de « sanction » ne se recoupe a priori pas avec les mesures préventives de retrait, de suspension ou de limitation d’agrément, tel que relevé par le tribunal, la Cour estime que pareille imprécision au niveau de la terminologie choisie par l’auditeur ne saurait conduire à l’annulation de la décision du 15 mars 2010 du directeur de la DAC pour violation de la procédure de navigabilité, et plus précisément des dispositions inscrites à l’annexe II (Partie 145) au règlement CE 2042/2003 et à la circulaire DAC-AIR 310.
Concernant ensuite la classification des constatations de niveau 1 telle que se dégageant du rapport d’audit du 8 mars 2010, à la base de la décision de suspension avec effet immédiat du 15 mars 2010, 9 constatations de niveau 1 ont été mises en avant lors de l’audit, à savoir :
- les « out-stations » ne seraient pas identifiées dans le « maintenance organization exposition » ;
- plusieurs membres du personnel de certification ne posséderaient pas la qualification de type approprié en rapport avec l’habilitation éditée par … ;
- … validerait des « on job trainings » sur des types d’appareils donnés par un instructeur n’ayant pas ces types d’appareils sur sa licence ;
- … ne pourrait pas démontrer les 6 mois d’expérience de pratiques réelles au cours des deux dernières années consécutives, à défaut d’enregistrement disponible ;
- … n’aurait pas de programme de formation continue ;
- toutes les pièces en stock au magasin n’auraient pas un certificat libératoire ;
- plusieurs certificats pour remise en service auraient été signés par du personnel ne pouvant être habilité comme personnel de certification ;
- des cartes d’habilitation seraient données à du personnel de certification n’ayant pas les compétences requises ;
- des remarques ouvertes en mars 2009 seraient toujours ouvertes à ce jour, malgré une revue de direction et la signature du document d’audit par le dirigeant responsable.
D’après le représentant étatique, les manquements constatés seraient bien réels et pertinents et justifieraient la classification en constatations de niveau 1 et la décision prise par le directeur de la DAC sur base de ces constatations au vu des obligations légales lui imposées par législation communautaire. Ce faisant, au vu du rapport d’audit de l’inspecteur, le directeur de la DAC aurait dû réagir immédiatement afin de préserver la sécurité aérienne, tout en optant pour la mesure la moins pénalisante pour la société …, à savoir la suspension temporaire.
Le délégué du gouvernement estime encore que les premiers juges se seraient à tort basés sur les deux expertises commanditées par la société … auprès des sociétés … et … pour combattre le contenu et la légalité de la décision du directeur de la DAC du 15 mars 2010. Ce faisant, les premiers juges auraient procédé par un renversement de la charge de la preuve, ce d’autant plus que le rapport … confirmerait en partie la position de la DAC et de ses experts et que le rapport …, établi plus de 4 mois après le déroulement de l’audit, ne serait pas objectif dans ses conclusions.
La société …, de son côté, relève que la direction de la DAC n’aurait pris sa décision qu’un mois après le déroulement de l’audit tout en lui octroyant un délai de 3 mois pour effectuer les corrections nécessaires. Partant, la DAC aurait nécessairement reconnu qu’aucun manquement de niveau 1 ne saurait lui être reproché, car sinon l’agrément aurait dû être suspendu dès le dernier jour de l’audit. Pour le surplus, la nature de la décision prise, à savoir une suspension au lieu d’un retrait avec effet immédiat, démontrerait qu’aucun manquement de niveau 1 n’aurait pu lui être reproché au jour de la décision querellée.
Quant à la réalité des manquements constatés, la société … estime que le degré de compétence des auditeurs des sociétés … et … ne saurait être discuté et que ceux-ci auraient pleinement et objectivement appréhendé les reproches formulés par la DAC.
Ainsi, il se dégagerait de ces deux rapports que la décision de suspension immédiate ne serait pas justifiée, ni en fait, ni en droit.
Pour le surplus, la société … soutient que la partie étatique ne saurait s’emparer d’incidents mineurs survenus postérieurement à la prise de la décision actuellement critiquée.
A titre subsidiaire, la partie intimée réitère sa demande de première instance à voir nommer un expert avec la mission de se prononcer sur les points soulevés mis en exergue par la DAC lors de l’audit des 16 et 17 février 2010, principalement après examen sur les lieux, sinon sur base des rapports d’audit dressés en cause et de déterminer si, eu égard aux prescriptions des articles 145.B.45. 145.B.50 du règlement CE 2042/2003, la décision prise par le directeur de la DAC en date du 15 mars 2010 se justifie en fait et en droit et doit être maintenue à l’heure actuelle.
La Cour tient en premier lieu à relever, au vu du cadre réglementaire applicable, que le directeur de la DAC dispose du pouvoir de suspendre l’agrément d’un organisme de maintenance en cas de constatations de non-conformités de niveau 1 et n’est pas obligé de procéder à un retrait pur et simple de cet agrément. En effet, en présence des 9 manquements jugés de niveau 1 et listés au rapport d’audit, le directeur n’a fait qu’appliquer l’article 145.B.50 a) 1) de l’annexe II au règlement CE 2042/2003 lui donnant la possibilité soit de limiter, soit de retirer, soit de suspendre immédiatement, en totalité ou en partie, l’agrément d’organisme de maintenance et ce jusqu’à ce qu’une action corrective satisfaisante ait été entreprise. S’il est certes exact que la recommandation de l’inspecteur dans le rapport d’audit aurait pu être plus précise, ce constat ne porte pas à conséquence, étant donné que le directeur a opté pour la mesure préventive la moins lourde, à savoir la suspension temporaire, de sorte que la société … n’a pas subi de préjudice disproportionné dans ce contexte.
Ensuite, c’est à bon droit que le tribunal a retenu que si les conditions d’opportunité d’une décision échappent au contrôle du juge de l’annulation, celui-ci garde toutefois un droit et un devoir de contrôle portant sur l’existence des motifs à la base de la décision querellée et qu’il appartient partant au juge administratif de vérifier si les motifs invoqués ou résultant du dossier sont de nature à justifier la décision attaquée.
C’est encore à bon escient que les premiers juges ont estimé qu’en l’espèce le pouvoir d’appréciation du directeur de la DAC ne relève pas d’un pouvoir discrétionnaire, mais qu’il s’inscrit dans le cadre des dispositions précises de l’article 145.A.95 du règlement CE 2042/2003, définissant les constatations respectivement de niveau 1 et de niveau 2, la distinction entre les deux niveaux résidant dans l’atteinte à la sécurité aérienne, une constatation de niveau 1 impliquant un non-respect significatif des exigences normatives et une atteinte grave avérée, tandis qu’une constatation de niveau 2 concerne un risque potentiel pour la sécurité aérienne.
En relation avec les 9 manquements de niveau 1 listés au rapport d’audit et se trouvant à la base de la décision de suspension immédiate du directeur, la société … avait commandité deux expertises unilatérales, l’une auprès de la société … et l’autre auprès de la société ….
La société …, dans son rapport d’expertise daté au 8 juin 2010, suite à un audit dans les locaux de la société … en date du 3 juin 2010, arrive entre autres aux conclusions suivantes :
« (…) il apparaît que l’attribution des niveaux d’écarts affectés par l’Aviation Civile Luxembourgeoise au regard des règlements applicables précités et des usages et règles de l’art dans l’industrie aéronautique ne nous semble pas refléter le niveau réel de conformité de l’organisme d’entretien … au regard du règlement CE n° 2042/2003 Partie 145 (…).
Nos sondages, audits des procédures et constatations faites sur place, ne permettent pas de dire qu’il y a à ce jour une mise en cause directe et inconditionnelle de la sécurité des vols (…).
Une suspension immédiate ne nous semble pas dans le cas d’espèce justifiée ni en fait, ni en droit (…). ».
La société …, dans son rapport du 31 mai 2010, suite à un audit sur les lieux qui s’est déroulé en date des 19 et 20 mai 2010, retient de manière plus nuancée ce qui suit :
« At the date of the audit, the audit team found no significant non-compliance with Part-145 requirements which could reduce safety standards and endanger flight safety seriously (…).
The audit team raised seven findings against applicable resolutions and the MOE and made three observations.
Details of all findings and observations can be found in the corrective action plan (…).
CAE made an effort to correct the findings raised during the audit performed last February, however some issues have not been corrected up to an acceptable level.
Details can be found on the last page of the corrective action plan ».
Si la société … arrive à la conclusion univoque qu’une suspension avec effet immédiat de l’agrément d’organisme de maintenance LU…. ne se justifiait ni en fait ni en droit, les conclusions de la société … sont plus nuancées en décrivant un certain nombre de manquements et en prévoyant un plan d’action correctif.
La Cour retient partant, contrairement à l’opinion du tribunal, que la société …, en l’état actuel du dossier, n’a pas réussi à rapporter la preuve que la décision du directeur du 15 mars 2010, prise sur base du rapport d’audit du 8 mars 2010, ne se justifiait ni en fait ni en droit et que cette décision devait partant encourir l’annulation, étant rappelé que les règles de preuve en matière administrative font en premier lieu peser le fardeau de la preuve sur le demandeur lequel doit effectivement combattre et démentir le contenu et la légalité de l’acte administratif.
Cependant, au vu des constats partiellement contradictoires contenus dans les trois rapports soumis en cause, et comme la Cour ne dispose pas, en l’état actuel de la procédure, des éléments d’appréciation nécessaires pour vérifier si, à la date de la décision litigieuse du directeur de la DAC, soit le 15 mars 2010, les manquements constatés dans le rapport d’audit du 8 mars 2010 étaient de nature à justifier la suspension avec effet immédiat de l’agrément d’organisme de maintenance LU…., il y a lieu de procéder, avant tout autre progrès en cause, tous autres moyens des parties restant réservés, à une mesure d’instruction en ayant recours à l’avis de deux techniciens, sous forme d’une consultation, avec la mission plus amplement spécifiée au dispositif du présent arrêt.
Comme le juge administratif est appelé à siéger en la présente matière en tant que juge de l’annulation, la mesure d’instruction ne saurait cependant se prononcer sur le maintien de la décision de suspension immédiate du 15 mars 2010 du directeur au-delà de cette date, tel que sollicité par la société … au dispositif de son mémoire en réponse du 11 décembre 2012, étant rappelé que dans le cadre d’un recours en annulation l’analyse du tribunal ne saurait se rapporter qu’à la situation de fait et de droit telle qu’elle s’est présentée au moment de la prise de la décision déférée, le juge de l’annulation ne pouvant faire porter son analyse ni à la date où il statue, ni à une date postérieure au jour où cette décision a été prise (cf. Cour adm. 29 novembre 2011, n° 28756C du rôle, Pas adm. 2012, V° Recours en annulation, n° 14 et autres références y citées).
Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit l’appel du 16 novembre 2012 en la forme ;
au fond, avant tout autre progrès en cause, ordonne une mesure d’expertise avec la nomination de deux consultants avec la mission de « déterminer dans un rapport écrit, détaillé et motivé si à la date de la décision litigieuse du directeur de la DAC, soit le 15 mars 2010, au vu de la réglementation applicable, les manquements constatés dans le rapport d’audit du 8 mars 2010 étaient de niveau 1 de nature à justifier la suspension avec effet immédiat de l’agrément d’organisme de maintenance LU….» ;
convoque les parties au litige pour le jeudi 21 mars 2013 à 09.00 heures en la Chambre du conseil afin de proposer chacun le nom d’un consultant à nommer ;
dit que la date pour l’assermentation des consultants sera fixée par ordonnance présidentielle après nomination des consultants et acceptation de la mission leur confiée ;
dit que les consultants nommés auront communication de l’ensemble du dossier administratif composé des pièces transmises à la Cour administrative par les parties en cause et qu’ils pourront s’entourer, si nécessaire, de tierces personnes dans le cadre de l’accomplissement de leur mission ;
ordonne à l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg et à la société à responsabilité limitée … s.à r.l. de consigner chacun à titre de provision en faveur des consultants la somme de 1.500.- €, soit 3.000.- € au total, à la Caisse des consignations et d’en justifier au greffe de la Cour ;
dit qu’en cas de dépassement éventuel de la provision de 3.000.- € ainsi fixée, en cours d’exécution de la mission ordonnée, il appartiendra aux consultants de s’adresser au président de la Cour administrative en vue de la fixation d’une provision supplémentaire à consigner par chacune des parties, au vu des justificatifs des dépens et honoraires encourus ou à encourir dans le cadre de l’accomplissement de leur mission ;
réserve tous autres moyens des parties ;
réserve les dépens.
Ainsi délibéré et jugé par :
Georges RAVARANI, président, Lynn SPIELMANN, conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, et lu par le président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier en chef de la Cour Erny MAY.
s. MAY s. RAVARANI 18