GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 30546C du rôle Inscrit le 7 mai 2012
------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Audience publique du 6 décembre 2012 Appel formé par Monsieur … …, …, contre un jugement du tribunal administratif du 28 mars 2012 (n° 28817 du rôle) en matière de détachement Vu l’acte d'appel, inscrit sous le numéro 30546C du rôle et déposé au greffe de la Cour administrative le 7 mai 2012 par Maître Christian STEINMETZ, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … …, commissaire de la police grand-ducale, demeurant à …, dirigé contre le jugement rendu par le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg le 28 mars 2012 (no 28817 du rôle), ayant déclaré non fondé son recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation d'un ordre de détachement du 1er février 2011, et, pour autant que de besoin, d’un préavis de détachement du 20 janvier 2011 du directeur général de la police grand-ducale, ainsi que d’une décision confirmative du ministre de l’Intérieur et à la Grande Région du 5 avril 2011 prise sur recours gracieux ;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 6 juin 2012 par le délégué du gouvernement ;
Vu les pièces versées au dossier et notamment le jugement entrepris ;
Le rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Christian STEINMETZ et Monsieur le délégué du gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 16 octobre 2012 ;
Vu l’avis de rupture du délibéré du 26 octobre 2012 ;
Vu le mémoire supplémentaire déposé au greffe de la Cour administrative le 16 novembre 2012 par Maître Christian STEINMETZ au nom de l’appelant ;
Le rapporteur entendu en son rapport supplémentaire, ainsi que Maître Christian STEINMETZ et Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 22 novembre 2012.
Le 20 janvier 2011, le directeur général de la police grand-ducale, ci-après « le directeur général », prit un préavis de détachement à l’égard de Monsieur … …, commissaire, membre du cadre permanent de l’Unité de Garde et de Réserve mobile, ci-après « l’UGRM », au commissariat de proximité de … avec effet au 1er février 2011 jusqu’à ordre contraire. Ce préavis était motivé « pour des raisons d’intérêt du service et en particulier : afin de pourvoir au manque d’OPJ au sein de cette unité » et « afin de rétablir le bon fonctionnement général à l’Unité de Garde et de Réserve Mobile et en attendant le résultat de l’instruction disciplinaire entamée par le Directeur Organisation, Méthode et Emploi ». Le préavis précisa encore que l’intéressé disposait d’un délai de 8 jours à compter de la réception du préavis pour présenter ses observations et qu’il avait un délai de 8 jours pour être entendu en personne.
Ce préavis de détachement fut transmis au commandant de l’UGRM pour information et notification à Monsieur … qui en accusa réception le 25 janvier 2011.
Dans un rapport du 27 janvier 2011, Monsieur … s’opposa à ce détachement et demanda à être entendu en personne pour clarifier les accusations élevées à son encontre dans un rapport du 14 janvier 2011 du commandant de l’UGRM.
Le 31 janvier 2011, une entrevue eut lieu entre Monsieur … et le directeur des ressources humaines de la police grand-ducale.
Le 1er février 2011, le directeur général ordonna le détachement de Monsieur … au commissariat de proximité de … avec effet au 1er février 2011, en reprenant les mêmes motifs que ceux indiqués dans le préavis de détachement, ordre qui lui fut notifié en mains propres le 24 février 2011.
Par un b.r.m. du 9 février 2011, notifiée à Monsieur … en mains propres le 17 février 2011, ce dernier fut informé de l’ouverture d’une instruction disciplinaire à son encontre « dans le cadre de divers comportements non appropriés au cours de l’année 2010. Il s’agit notamment du non respect du statut du fonctionnaire, des prescriptions et instructions de service, de propos faux et mensongers, de comportements qui ne sont ni collégiaux, ni loyaux ainsi que des faits où vous n'avez pas donné un bon exemple à vos subordonnés, ainsi que le fait d'avoir nui à la bonne renommée de la Police Grand-
ducale ».
Monsieur … introduisit, par courriers de son mandataire du 4 mars 2011, à la fois auprès du ministre de l’Intérieur et à la Grande Région, ci-après « le ministre », et du directeur général un recours gracieux contre l’ordre de détachement du 1er février 2011.
Le 5 avril 2011, le ministre lui répondit ce qui suit :
« Je reviens à votre courrier du 3 [en réalité 4] mars 2011 par lequel vous contestez la régularité et le bien fondé de la décision de détachement prise par le Directeur général de la Police en date du 1er février 2011.
Vous affirmez que le préavis de détachement du 20 janvier 2011 ne respecterait pas les prescriptions de l'article 9 de la PANC, et que par conséquent le commissaire … n'aurait pas été valablement informé de la mesure qu'il était projeté de prendre à son encontre.
Cet argument ne saurait valoir, alors qu'il ressort des pièces du dossier que suite à la notification en date du 25 janvier 2011 du préavis de détachement auquel était joint le rapport à la base de la mesure, votre mandant a contesté par écrit la décision projetée et a été entendu en ses explications par le Directeur des Ressources humaines. La finalité des formalités procédurales prévues à l'article 9 de la PANC qui consiste à permettre à l'administré de prendre utilement position par rapport à la décision projetée ayant ainsi été atteinte, il importe peu de savoir si les étapes procédurales préalables pour y arriver ont été respectées.
Vous soutenez ensuite que le détachement du commissaire … constituerait en réalité une sanction disciplinaire.
S'il est vrai que le détachement a été prononcé parallèlement à une instruction disciplinaire diligentée à l'encontre de votre mandant, et « en attendant le résultat de l'instruction disciplinaire », je ne dispose d'aucun élément me permettant de conclure que l'éloignement temporaire du commissaire … de son unité d'affectation présenterait un caractère répressif. En dehors du fait que ladite mesure n'affecte pas les droits statutaires et salariaux du commissaire …, il ressort clairement du rapport adressé par le commandant de l'UGRM au Directeur général de la Police en date du 14 janvier 2011, que le détachement était motivé par le souci d'« éviter toute nouvelle altercation verbale et écrite entre les protagonistes » et de « réinstaurer un climat de confiance interpersonnel », des considérations partant liées au seul intérêt du service.
Je n'entends, au vu de ce qui précède, pas remettre en cause la décision du Directeur général de la Police du 1er février 2011.
La présente décision est susceptible d’un recours en annulation à introduire devant le Tribunal administratif par ministère d’un avocat à la Cour dans le délai de trois mois à partir de la notification de la présente (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 4 juillet 2011, Monsieur … introduisit un recours en réformation, sinon en annulation contre la décision précitée du directeur général du 1er février 2011 portant ordre de détachement et, pour autant que de besoin, contre le préavis de détachement du directeur général du 20 janvier 2011, ainsi que contre la décision confirmative du ministre du 5 avril 2011.
Par jugement du 28 mars 2012, le tribunal administratif se déclara incompétent pour connaître du recours principal en réformation, reçut le recours subsidiaire en annulation en la forme, au fond, le déclara non justifié, tout en condamnant Monsieur … aux frais de l’instance.
Le tribunal rejeta en premier lieu le moyen de Monsieur … tiré du reproche d’une indication « illégale » des voies d’un éventuel recours hiérarchique contenue dans l’ordre de détachement, d’une part, par l’indication d’un délai de 8 jours non prévu par une quelconque disposition légale, et, d’autre part, par un renseignement erroné quant à l’autorité auprès de laquelle ce recours aurait dû être introduit, le directeur général n’étant pas son chef hiérarchique immédiatement supérieur. Pour ce faire, le tribunal retint que, même à supposer que des renseignements erronés avaient été donnés au demandeur quant aux voies de recours, cette circonstance n’affectait pas la légalité des décisions déférées, mais avait tout au plus pu empêcher le délai de recours de courir, ce d’autant plus que Monsieur … avait pu s’adresser aux différentes autorités compétentes dans les délais légaux et n’avait de sorte subi aucun préjudice du fait d’une indication erronée des voies de recours.
Le tribunal rejeta en deuxième lieu le moyen tiré d’une prétendue violation de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, ci-après « le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 ». Dans ce contexte, Monsieur … avait fait valoir que le préavis de détachement était vicié à plusieurs titres, à savoir, d’une part, qu’il n’aurait pas été communiqué par lettre recommandée, et, d’autre part, que ce préavis n’aurait pas comporté les éléments de fait et de droit nécessaires pour qu’il ait pu se défendre utilement. Partant, l’illégalité du préavis de détachement entacherait également l’ordre de détachement et la décision ministérielle confirmative. Les premiers juges rappelèrent dans ce contexte que les formalités procédurales inscrites à l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 ne constituaient pas une fin en soi, mais consacraient des garanties visant à ménager à l'administré concerné une possibilité de prendre utilement position par rapport à la décision projetée, de sorte que dans l'hypothèse où il était établi que cette finalité était atteinte, la question du respect de toutes les étapes procédurales préalables prévues afin de permettre d'atteindre cette finalité devenait sans objet. Le tribunal retint ensuite qu’il se dégageait de la lecture du préavis de détachement que le demandeur s’était vu communiquer tant les éléments de droit que les éléments de fait à la base du détachement par la mention des dispositions légales sur lesquelles la mesure repose et des raisons du détachement projeté, tout en insistant sur la considération que l’envoi du préavis de détachement constituait en fait l’application de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979. Finalement, le tribunal nota encore dans ce contexte que Monsieur … avait été entendu en ses explications par le directeur des ressources humaines le 31 janvier 2011, que l’ordre oral de détachement lui avait été donné le jour même, que par la suite cet ordre avait été confirmé par écrit et que l’intéressé avait pu faire valoir ses observations à travers la prise de position de son mandataire du 4 mars 2011, de sorte que la finalité des garanties procédurales de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 avait été respectée.
Quant à la manière de notification de ce préavis de détachement, le tribunal arriva à la conclusion que dans la mesure où le demandeur en avait lui-même accusé réception, il ne pouvait tirer argument de ce que la notification n’avait pas eu lieu selon les exigences de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, étant donné qu’il n’avait subi aucun préjudice d’un non-respect de cette formalité.
Concernant ensuite le moyen de Monsieur … en ce que l’ordre de détachement constituerait une sanction disciplinaire déguisée, le tribunal retint en premier lieu que celui-ci ne constituait à ses yeux qu’une mesure d’organisation interne relevant du champ de compétence du chef d’administration pour avoir été pris à titre de mesure conservatoire et provisoire, d’une part, afin de rétablir le bon fonctionnement général à l’UGRM en attendant le résultat de l’instruction disciplinaire menée à l’encontre du demandeur, et, d’autre part, dans l’intérêt de service du commissariat de proximité de … en manque d’officiers de police judiciaire, tel que cela se dégageait tant du préavis que de l’ordre de détachement, et non pas à titre définitif avec un changement qualitatif au niveau des fonctions à exercer à l’avenir, ce d’autant plus que les droits statutaires et salariaux de Monsieur … n’avaient pas été affectés par la mesure litigieuse.
Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 7 mai 2012, Monsieur … a régulièrement relevé appel du jugement du 28 mars 2012.
Suivant avis du 26 octobre 2012, la Cour a prononcé la rupture du délibéré pour permettre aux parties de prendre position quant à l’incidence éventuelle de l’article 33 de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat, ci-
après « le statut général », par rapport à la recevabilité du recours initial déposé devant le tribunal administratif le 4 juillet 2011.
L’appelant conclut sur ce point au caractère facultatif de la procédure précontentieuse de réclamation telle que prévue à l’article 33 du statut général et au caractère non obligatoire de la saisine en dernier lieu du gouvernement en conseil avant l’introduction d’un recours contentieux devant les juridictions administratives. En ordre subsidiaire, il estime qu’il ne rentrerait dans aucun des cas d’ouverture du droit de réclamation individuel et que son courrier du 4 mars 2011 serait à considérer comme recours gracieux classique, ce qui serait d’ailleurs confirmé par l’indication de la voie de recours à la fin de la décision ministérielle confirmative du 5 avril 2011.
La partie étatique rejoint en substance l’appelant dans sa conclusion que le prédit article 33 ne lui serait pas applicable, tout en renvoyant sur ce point à la procédure spécifique de réclamation telle que prévue à l’article 57 de la loi modifiée du 16 avril 1979 ayant pour objet la discipline dans la Force publique ne prévoyant pas in fine une décision du gouvernement en conseil, mais du ministre ayant la force publique dans ses attributions.
Au vu des conclusions convergentes des parties sur ce point, et eu égard aux dispositions spécifiques de l’article 57 de la loi précitée du 16 avril 1979 en la matière, le recours initial de Monsieur …, déposé devant le tribunal administratif le 4 juillet 2011, est à déclarer recevable.
Concernant le préavis de détachement du 20 janvier 2011, l’appelant réitère son argumentation tirée d’une prétendue violation du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, pris en son article 9. Il estime plus particulièrement que ce préavis ne contenait ni les éléments de droit ni les éléments de fait qui pouvaient légalement amener le directeur général à agir. Ainsi, il n’aurait notamment pas pu apprécier à ce moment les prétendus problèmes de fonctionnement au sein de l’UGRM indiqués dans le préavis de détachement et invoqués à son encontre et il n’aurait pas non plus été en mesure de prendre utilement position par rapport à ces problèmes de fonctionnement de l’UGRM lors de sa réunion avec le directeur des ressources humaines, même s’il avait reçu communication d’un rapport en relation avec cette problématique lors de cette réunion.
Monsieur … relève finalement que le courrier de son mandataire du 4 mars 2011 ne saurait valoir comme prise de position dans ce contexte, étant donné qu’il a été rédigé postérieurement à la décision de détachement du directeur général du 1er février 2011.
Il convient de rappeler que les formalités procédurales inscrites à l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, ayant trait aux droits de la défense, ne constituent pas une fin en soi, mais consacrent des garanties visant à ménager à l'administré concerné une possibilité de prendre utilement position par rapport à la décision projetée, de sorte que dans l'hypothèse où il est établi que cette finalité est atteinte, la question du respect de toutes les étapes procédurales préalables prévues afin de permettre d'atteindre cette finalité devient sans objet. – L'administré n'a aucun intérêt à se prévaloir de ces formalités s'il se dégage du dossier qu'il a effectivement pu faire valoir de manière détaillée et circonstanciée son point de vue par rapport à la décision projetée.
La Cour partage l’analyse des premiers juges que le préavis de détachement du 20 janvier 2011 contient tous les éléments de droit et de fait nécessaires pour avoir permis à Monsieur … de prendre utilement position par rapport à la décision de détachement projetée et que ledit préavis est à considérer comme application de la garantie procédurale inscrite à l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979. En effet, le préavis de détachement du 20 janvier 2011, outre de se référer à un rapport n° …du 14 janvier 2011 du commandant de l’UGRM, énonce les bases légales devant fonder la décision projetée, de même que les motifs ayant trait aux raisons d’intérêt du service invoquées. A cela s’ajoute que Monsieur …, sur sa demande, a été entendu en personne par le directeur des ressources humaines avant la prise de l’ordre de détachement le 1er février 2011 et qu’il a partant pu s’exprimer en connaissance de cause par rapport à la décision envisagée.
Dans ce contexte, il est indifférent que le mandataire de Monsieur … n’ait rédigé sa prise de position écrite que postérieurement à la prise de la décision du directeur général du 1er février 2011, étant donné que l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 n’exige pas que l’audition personnelle préalable de l’administré doive être suivie en toutes hypothèses d’une prise de position écrite préalable à la prise de la décision envisagée.
Il s’ensuit que la finalité des garanties procédurales de l’article 9 du règlement grand-
ducal du 8 juin 1979 a été respectée en l’espèce et le moyen afférent de l’appelant est à rejeter.
Monsieur … soutient ensuite en substance que le tribunal aurait estimé à tort que la décision prise à son encontre serait une mesure d’organisation interne relevant du champ de compétence du chef d’administration. Il relève plus particulièrement que le fait qu’il ne soit toujours pas réintégré au sein de l’UGRM démontrerait que son détachement n’était jamais censé constituer une mesure provisoire, mais constituait une mesure définitive dès le départ. Dans ce contexte, il fait encore remarquer que le commissariat de proximité de … vers lequel il a été détaché n’aurait pas été en manque d’effectifs à l’époque, étant donné qu’il disposait à ce moment d’« au moins un officier de police judiciaire ».
L’appelant insiste encore sur le constat que sa fonction au sein du commissariat de proximité de … serait fondamentalement différente de celle occupée auparavant au sein de l’UGRM. Avant son détachement, il aurait, en tant que cadre permanent, formé et encadré de jeunes recrues, organisé et exécuté des transports exceptionnels, tels les transports de détenus et des convois d’armes, de même qu’il aurait fait partie de l’« Unité de support à la magistrature » ou du service « Ambassades Bruxelles, MAE », qu’il se serait occupé du service des passeports et vaccinations et qu’il aurait participé régulièrement à des formations des tireurs d’élite de l’Unité spéciale de la police grand-
ducale. A l’heure actuelle, il effectuerait cependant des travaux administratifs au guichet du commissariat, il recevrait des plaintes des citoyens et rédigerait des procès-verbaux ou effectuerait encore des patrouilles de route à deux, de sorte que ses fonctions se trouveraient fondamentalement changées. Or, d’après Monsieur …, pareil changement de fonction devrait être opéré par l’autorité investie du pouvoir de nomination, à savoir le ministre de tutelle et non pas par le directeur général, de sorte que l’ordre de détachement aurait été signé par une autorité incompétente.
Aux yeux de Monsieur …, l’ordre de détachement constituerait en réalité une sanction disciplinaire déguisée, au motif que le changement de fonction aurait eu des effets sur sa situation professionnelle. Pour le surplus, cette mesure aurait été prise à titre définitif, étant donné qu’il n’aurait toujours pas été réintégré à l’heure actuelle au sein de l’UGRM malgré le fait que la sanction disciplinaire officielle, à savoir une amende de 1/10ième de salaire, a déjà été prononcée depuis le 25 juillet 2011. Cette vision des choses se trouverait encore confortée par l’analyse des effectifs du commissariat de proximité de … qui n’auraient pas été augmentés. Ainsi, au 1er février 2011, ledit commissariat aurait compté, suite à son propre détachement, 5 agents à plein temps, dont 2 officiers de police judiciaire, alors que depuis le 12 mars 2012 il fonctionne avec 2 agents à plein temps et un agent à mi-temps, dont un officier de police judiciaire. Partant, le manque d’effectifs allégué dans la décision de détachement serait contredit par la réduction continuelle de cet effectif et n’aurait été qu’un simple prétexte du directeur général.
Le délégué du gouvernement rétorque que les premiers juges auraient retenu à bon droit que la décision de détachement prise à l’encontre de l’appelant ne constituait qu’une simple mesure d’organisation interne motivée par l’intérêt du service et qu’elle aurait été prise dans l’attente que les tensions créées par le comportement désinvolte de Monsieur … au sein de l’UGRM se calment et que la confiance de ses supérieurs soit rétablie. Pour le surplus, le détachement aurait visé à combler un manque flagrant d’officiers de police judiciaire au sein du commissariat de proximité de …. Même si les missions quotidiennes d’un commissariat de proximité différaient de celles de l’UGRM, ladite décision n’aurait nullement affecté les droits statutaires, salariaux ou autres de l’appelant, les attributions de base de la police étant les mêmes pour tous les fonctionnaires de la police grand-
ducale.
C’est à bon droit que le tribunal a rappelé que dans le cadre du recours en annulation l'analyse du juge ne saurait se rapporter qu'à la situation de fait et de droit telle qu'elle s'est présentée au moment de la prise de la décision déférée, le juge de l'annulation ne pouvant faire porter son analyse ni à la date où le juge statue, ni à une date postérieure au jour où la décision déférée a été prise.
Il s’ensuit que la légalité de la décision de détachement critiquée doit s’apprécier en considération de la pertinence des éléments de fait avancés à l’époque de la prise des décisions de détachement de Monsieur … de l’UGRM vers le commissariat de proximité de… et non pas en fonction de l’évolution de la situation par après.
Ceci étant rappelé, il y lieu de noter qu’il se dégage de l’ordre de détachement du 1er février 2011 que le directeur général a mis en avant un double intérêt de service, en déclarant agir, d’une part, « afin de pourvoir au manque d’OPJ au sein de cette unité [commissariat de proximité d’…]» et, d’autre part, « afin de rétablir le bon fonctionnement général à l’Unité de Garde et de Réserve Mobile et en attendant le résultat de l’instruction disciplinaire entamée par le Directeur Organisation, Méthode et Emploi ».
Le ministre, dans sa décision du 5 avril 2011, prise sur recours gracieux, s’est exprimé comme suit : « S'il est vrai que le détachement a été prononcé parallèlement à une instruction disciplinaire diligentée à l'encontre de votre mandant, et « en attendant le résultat de l'instruction disciplinaire », je ne dispose d'aucun élément me permettant de conclure que l'éloignement temporaire du commissaire … de son unité d'affectation présenterait un caractère répressif. En dehors du fait que ladite mesure n'affecte pas les droits statutaires et salariaux du commissaire …, il ressort clairement du rapport adressé par le commandant de l'UGRM au Directeur général de la Police en date du 14 janvier 2011, que le détachement était motivé par le souci d'« éviter toute nouvelle altercation verbale et écrite entre les protagonistes » et de « réinstaurer un climat de confiance interpersonnel », des considérations partant liées au seul intérêt du service ».
Il se dégage dès lors du libellé de ces deux décisions que sur l’arrière-fond de l’instruction disciplinaire diligentée à l’encontre de l’actuel appelant pour des faits s’étant déroulés au sein de l’UGRM, la mesure de détachement prise l’a été afin de rétablir le bon fonctionnement au sein de cette unité et afin de pourvoir à un manque d’effectifs au sein d’une autre unité, étant relevé qu’il se dégage tant de la décision du directeur général que de celle du ministre que le détachement n’a été opéré qu’à titre temporaire.
Or, tout comme pour un changement d’affectation ou de fonctions opéré d’office, un détachement provisoire peut être décidé, s’il s’inscrit soit dans l'intérêt du service dans lequel la nouvelle affectation doit être faite, soit dans celui du service où le fonctionnaire était affecté avant son détachement, la différence essentielle résidant dans le fait qu’un détachement n’est par nature que temporaire alors qu’un changement d’affectation ou de fonctions est censé être pris à titre définitif. Cependant, dans les deux hypothèses, la validité du déplacement projeté du fonctionnaire est conditionnée par la preuve à rapporter par l'administration que l'intérêt de l'un des deux services en question le justifie.
Pour le surplus, tout comme pour le changement d'affectation ou de fonctions, un détachement provisoire ne doit avoir aucune influence sur le rang, le traitement et la carrière du fonctionnaire concerné et il ne doit en aucun cas comporter pour lui un préjudice disproportionné par rapport à l'intérêt du service, sous peine de constituer une sanction disciplinaire déguisée.
En l’espèce, il se dégage du dossier soumis à la Cour qu’au moment de la prise des décisions critiquées, tant le premier motif tenant à l’intérêt de service, à savoir le souci d’instaurer de nouveau un bon climat de fonctionnement au sein de l’UGRM, que le deuxième motif tenant à l’intérêt de service, à savoir le manque d’officiers de police judiciaire au niveau du commissariat de …, se trouvaient remplis.
D’une part, il est indéniable, tel que cela ressort des nombreux procès-verbaux versés en cause, que le climat de travail au sein de l’UGRM, unité qualifiée par l’appelant lui-
même de « Pulverfass-UGRM », était extrêmement tendu suite au comportement désinvolte de Monsieur …, notamment en raison de l’envoi par celui-ci d’un rapport du 18 novembre 2010 à l’adresse de l’Inspection générale de la police grand-ducale et au Syndicat national de la police grand-ducale au sujet d’un différend l’opposant à ses supérieurs, à l’insu de ceux-ci, comportement pour lequel l’actuel appelant a d’ailleurs été condamné le 25 juillet 2011 à la peine disciplinaire de l’amende de 1/10ième d’une mensualité brute du traitement de base.
D’autre part, avant le détachement de l’appelant vers le commissariat de proximité de …, pas moins de 4 appels à candidatures lancés par le directeur général étaient restés infructueux, de sorte que ledit commissariat ne comptait que 4 agents, dont un officier de police judiciaire, sur un effectif total autorisé de 5 à 6 fonctionnaires comprenant outre un commissaire en chef, 3 à 4 inspecteurs et un brigadier. Dans ce contexte, le fait qu’au niveau de cet effectif la situation se soit apparemment encore aggravée par la suite est indifférent, étant rappelé que la juridiction saisie ne peut apprécier, dans le cadre d’un recours en annulation, que la situation de droit et de fait telle qu’elle s’est présentée aux jours respectifs des décisions critiquées.
Partant, la Cour, à l’instar du tribunal, arrive à la conclusion que la décision de déplacement prise dans le chef de Monsieur … ne constitue qu’une mesure d’organisation interne relevant du champ de compétence du chef d’administration pour reposer sur des considérations d’intérêt de service avérées et pour n’avoir été prise que dans l’optique d’un détachement provisoire, décision dont les effets ne sauraient cependant perdurer indéfiniment.
Comme relevé ci-avant, une décision de détachement peut cependant cacher en réalité une sanction disciplinaire et le juge administratif doit s’interroger concrètement sur les effets de la décision sur la situation professionnelle de l’intéressé et non se tenir uniquement à la lettre de la décision prise. Dans ce contexte, c’est à juste titre que les premiers juges ont relevé que pareille décision de détachement constitue une sanction disciplinaire à partir du moment où sa nature est essentiellement répressive, notamment afin de punir le manquement du fonctionnaire à l’une de ses obligations professionnelles.
Pour le surplus, un détachement provisoire ne doit avoir aucune influence sur le rang, le traitement et la carrière du fonctionnaire concerné et ne doit en aucun cas comporter pour lui un préjudice disproportionné par rapport à l'intérêt du service.
Ainsi, une mesure prise par un supérieur hiérarchique qui s’inscrit dans le cadre de la gestion et de l’organisation du service dont il a la charge et qui n’affecte pas les droits statuaires du fonctionnaire n’est en principe pas critiquable, à moins qu’elle ne soit à entrevoir dans un contexte de sanction disciplinaire déguisée ou qu’elle cause grief en raison de circonstances particulières l’ayant entourée en ce qu’elle se traduit plus particulièrement par une modification importante et défavorable des modalités d’exercice de la fonction.
Or, sur ce point, il y a lieu de noter en premier lieu que les manquements reprochés à Monsieur … au sein de l’UGRM ont fait l’objet d’une procédure disciplinaire à part qui a été clôturée par le prononcé en date du 25 juillet 2011 de la peine disciplinaire de l’amende de 1/10ième d’une mensualité brute du traitement de base. Or, dans ce contexte, l’actuel appelant n’apporte aucun élément tangible de nature à démontrer que son déplacement provisoire vers le commissariat de … constituerait une deuxième peine disciplinaire cachée, la double motivation à la base de ce déplacement ayant au contraire été parfaitement cohérente au moment de la prise de décision.
Pour le surplus, l’actuel appelant n’allègue même pas que ladite mesure aurait affecté ses droits statutaires et salariaux et lui aurait partant causé un grief à ce niveau. Finalement, s’il est indéniable que les missions quotidiennes de Monsieur … au niveau du commissariat de proximité d’… différent sensiblement de celles occupées auparavant au sein de l’UGRM, tel que le reconnait d’ailleurs le représentant de l’Etat dans son mémoire en réponse, ce constat à lui-seul n’est pas suffisant pour caractériser des circonstances particulières allant dans le sens de la preuve d’une modification importante et défavorable des modalités d’exercice des fonctions de policier de Monsieur ….
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que l’appelant n’a pas non plus rapporté la preuve que la mesure de détachement prise à son encontre soit à qualifier de sanction disciplinaire déguisée, de sorte que l’appel dirigé contre le jugement du 28 mars 2012 est à rejeter pour ne pas être fondé et le jugement dont appel est à confirmer.
Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties ;
déclare l’appel recevable ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
partant, confirme le jugement du 28 mars 2012 ;
condamne Monsieur … … aux dépens de l’instance d’appel.
Ainsi délibéré et jugé par :
Francis DELAPORTE, vice-président, Serge SCHROEDER, premier conseiller, Lynn SPIELMANN, conseiller, et lu par le vice-président en l'audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en-tête, en présence du greffier en chef de la Cour Erny MAY.
s. MAY s. DELAPORTE 11