GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle: 29523C Inscrit le 22 novembre 2011
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Audience publique du 20 mars 2012 Appel formé par l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg contre un jugement du tribunal administratif du 17 octobre 2011 (n° 27464 du rôle) rendu sur recours de la société à responsabilité limitée … s.à r.l.
en matière d’agrément d’organisme de maintenance
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Vu l’acte d’appel déposé au greffe de la Cour administrative le 22 novembre 2011 par Monsieur le délégué du gouvernement Marc MATHEKOWITSCH, agissant en nom et pour compte de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, sur base d’un mandat lui conféré le 21 novembre 2011 par le ministre du Développement durable et des Infrastructures, contre un jugement rendu le 17 octobre 2011 par le tribunal administratif par lequel ledit tribunal a déclaré recevable et fondé le recours introduit le 11 novembre 2010 par la société à responsabilité limitée … s.à r.l., établie et ayant son siège social à L-
…, inscrite au R.C.S. de Luxembourg sous le numéro B …, représentée par son gérant actuellement en fonctions, tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du directeur de la direction de l’Aviation civile du 15 mars 2010 emportant notamment suspension avec effet immédiat de l’agrément d’organisme de maintenance … de la partie requérante sur base de l’article 145.B.45 de la Partie 145 du règlement CE n° 2042/2003 du 20 novembre 2003 relatif au maintien de la navigabilité des aéronefs des organismes et des personnels participant à ces tâches ;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 16 décembre 2011 par Maître Nicolas BANNASCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, pour compte de la société à responsabilité limitée … s. à r.l., préqualifiée ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe de la Cour administrative le 11 janvier 2012 par le délégué du gouvernement ;
Vu le mémoire en duplique déposé au greffe de la Cour administrative le 10 février 2012 par Maître Nicolas BANNASCH pour compte de la société à responsabilité limitée … s. à r.l. , préqualifiée ;
Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;
Le rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRÜCK et Maître Murielle ZINS, en remplacement de Maître Nicolas BANNASCH, en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 16 février 2012.
La société à responsabilité limitée … s.à r.l., ci-après « la société … », société offrant des services aéronautiques divers et disposant pour ce faire d’un agrément en tant qu’organisme de maintenance de son parc aéronautique, fit l’objet en date des 16 et 17 février 2010 d’un audit de la part de la direction de l’Aviation civile, ci-après « la DAC ».
Suite à cet audit, la société … se vit adresser une décision datée du 15 mars 2010 du directeur de la DAC, emportant suspension avec effet immédiat de son agrément d’organisme de maintenance … sur base des prescriptions de l’article 145.B.45 de la Partie 145 du règlement CE N° 2042/2003 de la Commission du 20 novembre 2003 relatif au maintien de la navigabilité des aéronefs et des produits, pièces et équipements aéronautiques, et relatif à l’agrément des organismes et des personnels participant à ces tâches, ci-après « le règlement CE 2042/2003 », ladite décision étant motivée comme suit :
« Suite à la visite d’audit des 16 et 17 février 2010 je vous fais parvenir en annexe le rapport d’audit du 8 mars 2010 contenant un certain nombre de non-
conformités aux exigences de la Partie 145 du Règlement CE N° 2042/2003 de la Commission du 20 novembre 2003 relatif au maintien de la navigabilité des aéronefs et des produits, pièces et équipements aéronautiques, et relatif à l’agrément des organismes et des personnels participant à ces tâches.
Au vu de la gravité des constatations faites et notamment au vu des constatations de niveau 1 du rapport d’audit susmentionné, je me dois de vous informer que la Direction de l’Aviation Civile, conformément à l’article 145.B.45 de la Partie 145 du Règlement CE N° 2042/2003 précité, se voit contrainte à suspendre avec effet immédiat votre agrément d’organisme de maintenance…. Cette suspension perdurera jusqu’à ce que la DAC ait pu constater, après inspection, que des actions correctives satisfaisantes ont été effectivement mises en œuvre et ceci dans un délai de 3 mois au plus. En cas de non respect de ce délai je me vois contraint d’engager la procédure afin de faire retirer votre agrément….
Finalement je tiens à attirer votre attention sur le fait que conformément à la procédure administrative non contentieuse, vous disposez d’un délai de 8 jours à partir de la réception de la présente lettre pour présenter vos observations éventuelles (…) ».
Le même jour, le directeur de la DAC adressa à la société … un deuxième courrier libellé comme suit :
« Je me permets de revenir au rapport d’audit du 8 mars 2010 et à mon courrier du 15 mars 2010 ayant ordonné la suspension de votre agrément selon la partie 145 du Règlement CE N° 2042/2003 de la Commission du 20 novembre 2003 relatif au maintien de la navigabilité des aéronefs et des produits, pièces et équipements aéronautiques, et relatif à l’agrément des organismes et des personnels participant à ces tâches.
En effet votre agrément a dû être suspendu suite aux non-conformités graves, constatées lors de l’audit en date des 16 et 17 février 2010 et relevant que vous ne remplissez plus à l’heure actuelle les exigences de la partie 145. Ces carences ont laissé apparaître que votre organisme ne dispose pas des moyens nécessaires pour réaliser les travaux voire tâches qui vous incombent à ce titre. Les non-conformités de niveau 1 m’amènent à remettre en cause les certificats de remise en service qui ont été émis par votre organisme alors qu’une partie de votre personnel ayant émis ces certificats n’étaient pas habilités à le faire alors que soit ils ne disposaient pas des habilitations nécessaires soit qu’ils ne disposaient pas de la formation continue requise conformément à l'article 145.A.35 de la Partie 145 du Règlement précité.
Partant, je vous enjoins à faire réévaluer les avions immatriculés sur le registre luxembourgeois par un autre organisme de maintenance … et ce jusqu’au 15 avril 2010 au plus tard. A défaut les certificats de navigabilité de ces aéronefs seront retirés.
Pour ce qui est des aéronefs immatriculés sur les registres non luxembourgeois, je tiens à vous informer que les autorités concernées seront averties de votre situation et des mesures que la DAC a prises à votre encontre concernant votre agrément et les certificats de remise en service émis par le personnel de votre organisme.
Par ailleurs, du fait que vous ne disposez pas d’une autorisation pour effectuer des travaux de maintenance en dehors de votre atelier de maintenance dans des « outstations », sauf pour des interventions ad hoc, sur des avions stationnés ou se trouvant à l’étranger, des doutes sérieux existent pour la DAC quant au fait de savoir comment sont garantis les travaux de maintenance des avions à l'étranger. A ce sujet je vous accorde également un délai jusqu’au 15 avril 2010 au plus tard pour vous mettre en conformité.
La présente est susceptible d’un recours en annulation à intenter dans les trois mois de sa réception devant le tribunal administratif de Luxembourg moyennant le ministère d'avocat à la Cour (…) ».
A la suite de ces courriers, la société … fit dresser en date des 31 mai et 8 juin 2010 des rapports d’audit par la société de droit suisse … GmbH et le groupe de droit français …, et, sur base de ces expertises, introduisit en date du 14 juin 2010 deux recours gracieux contre les deux décisions précitées du 15 mars 2010.
Par courriers du 18 juin 2010, le directeur de la DAC accusa, d’une part, réception du recours gracieux dirigé contre sa décision de suspension de l’agrément d’organisme de maintenance, en y affirmant notamment que ses services « vont procéder à l’analyse de ce dossier sur base de votre argumentaire et des pièces soumises », et, d’autre part, en ce qui concerne la seconde décision, portant notamment remise en cause des certificats de remise en service des aéronefs de la société …, affirma que compte tenu de la radiation des divers aéronefs luxembourgeois de ladite société du registre luxembourgeois, la DAC considérerait le dossier comme clos.
Par courrier du 12 août 2010, le directeur de la DAC annonça l’intention de la DAC de procéder à un audit complet de certification de la société …, lequel eut lieu, après un courrier de relance de l’avocat de la société … du 20 septembre 2010, en date des 12, 13 et 14 octobre 2010.
A défaut de suite réservée par la DAC à cet audit, la société … introduisit, par requête déposée le 11 novembre 2010, un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du directeur de la DAC du 15 mars 2010 portant notamment suspension avec effet immédiat de son agrément d’organisme de maintenance.
Le 18 novembre 2010, la DAC notifia à la société … les conclusions de l’audit des 12, 13 et 14 octobre 2010 et, par courrier du 8 décembre 2010, le directeur de la DAC informa la société … qu’« en attendant l’analyse juridique de mes services quant à ce recours et les conséquences éventuelles de toute action supplémentaire de la DAC, je ne puis prendre en considération aucune autre pièce dans ce document [les conclusions de l’audit] jusqu’à clarification de l’action pendante devant le tribunal administratif ».
Par jugement du 17 octobre 2011, le tribunal déclara le recours principal en réformation irrecevable, reçut le recours subsidiaire en annulation en la forme, au fond, le déclara justifié, annula la décision du directeur de la DAC du 15 mars 2010 emportant notamment suspension avec effet immédiat de l’agrément l’organisme de maintenance … de la société …, ordonna l’effet suspensif du recours pendant le délai et l’instance d’appel, tout en condamnant l’Etat à une indemnité de procédure de 2.000.- €.
Pour ce faire, le tribunal nota qu’il lui appartenait d’abord de vérifier la légalité extrinsèque de l’acte lui déféré, avant de se livrer, par le biais de l’examen de la légalité des motifs, au contrôle de la légalité intrinsèque.
Sur ce, il releva que d’après l’article 9, alinéa 1er, du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, ci-après « le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 », hormis le cas de « péril en la demeure », l’autorité administrative était tenue d’observer les formalités préalables protectrices de l’administré y prévues dans l’hypothèse où elle se propose de révoquer ou de modifier d’office pour l’avenir une décision au sujet de laquelle le texte sous analyse précise qu’elle a créé ou reconnu des droits à une partie, les exigences mêmes de participation et de transparence à la base des règles de la procédure administrative non contentieuse impliquant que dans pareille hypothèse l’administré soit entendu, ne fût-ce que pour éviter des procédures inutiles basées le cas échéant sur des malentendus en fait ou en droit.
Les premiers juges relevèrent dans ce contexte que la suspension d’un agrément pour une certaine activité, telle celle d’organisme de maintenance …, constituait indéniablement une modification d’office pour l’avenir d’une décision ayant créé ou reconnu des droits, de sorte que les dispositions protectrices de l’administré contenues à l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 trouvaient à s’appliquer.
Le tribunal, d’une part, constata que la partie étatique, - hormis l’affirmation péremptoire que les dispositions dudit article 9 et de la procédure contradictoire auraient été respectées - n’avait pas établi, ni même allégué, qu’il y aurait eu « péril en la demeure » au sens dudit article 9, en ce que la décision ne souffre aucun retard sans compromettre son but même, et, d’autre part, ne décela pas l’existence de pareil péril, au vu du fait que la situation incriminée par la DAC était connue à celle-ci depuis le 17 février 2010, date de l’audit de conformité, et que la décision litigieuse n’avait été prise que le 15 mars 2010.
Partant, le tribunal retint que le courrier du directeur de la DAC du 15 mars 2010 constituait la première communication adressée directement, individuellement et par la voie recommandée à la société … lui faisant part des griefs lui reprochés et des conséquences en tirées et que le directeur n’avait pas, par ce courrier litigieux, informé l’intéressé de son intention de prendre le cas échéant une décision de suspension de l’agrément, mais qu’il l’avait informée de sa décision d’ores et déjà prise. D’après les premiers juges, le libellé sans ambiguïté du courrier du 15 mars 2010 ne laissait aucun doute quant au fait que la suspension de l’agrément constitue aux yeux du directeur une chose décidée, le directeur ayant fermement informé la société … de la portée de sa décision, de sorte qu’en confrontant l’administré à une décision acquise, il avait vidé de tout sens le préalable administratif obligatoire que représente l’obligation inscrite à l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, ce d’autant plus que le directeur de la DAC avait entendu souligner le caractère décisionnel de ce courrier en y précisant que cette mesure avec effet immédiat perdurerait « jusqu’à ce que la DAC ait pu constater, après inspection, que des actions correctives satisfaisantes ont été effectivement mises en œuvre et ceci dans un délai de 3 mois au plus ».
Le tribunal souligna que la société … avait, par son recours gracieux du 14 juin 2010, attiré l’attention du directeur de la DAC sur la violation de l’article 9 du règlement grand-
ducal du 8 juin 1979, tout en sollicitant le bénéfice d’une entrevue, demande à laquelle celui-ci n’avait pas fait droit, le directeur dans son courrier du 18 juin 2010 faisant dépendre l’entrevue sollicitée du résultat de l’analyse par ses services du recours gracieux, et ce en dépit de l’obligation lui imposée explicitement par l’article 9, alinéa 3, du règlement grand-ducal du 8 juin 1979.
Dès lors, au vu du constat que les règles de la procédure administrative non contentieuse consacrant légalement le principe du respect des droits de la défense et du contradictoire à l’égard de l’administré n’avaient pas été respectées, le tribunal procéda à l’annulation de la décision déférée du directeur de la DAC du 15 mars 2010.
Les premiers juges estimèrent encore que la condition tenant au risque du préjudice grave et définitif, susceptible d’être causé à la société … à travers la décision administrative déférée, telle qu’énoncée par l’article 35 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, se trouvait remplie, étant donné que le maintien de la décision de suspension risquait de causer à ladite société un préjudice grave et définitif, consistant, outre en un préjudice matériel résultant de la cessation temporaire des activités de la demanderesse sur le territoire, en une atteinte à sa réputation professionnelle susceptible de porter – partiellement ou totalement – définitivement préjudice à sa survie économique et ils ordonnèrent en conséquence l’effet suspensif du recours introduit pendant le délai et l’instance d’appel.
Finalement, au vu des circonstances particulières du litige et notamment en raison de son issue, d’une part, et du fait que la société …, confrontée à un refus de collaboration de la DAC, avait été obligée de se pourvoir en justice sous l’assistance d’un avocat et avait été obligée de déposer de nombreux actes de procédure, d’autre part, le tribunal estima qu’il était inéquitable de laisser à charge de celle-ci l’intégralité des frais et honoraires non compris dans les dépens et, compte tenu des éléments d’appréciation en sa possession, des devoirs et du degré de complexité de l’affaire, ainsi que du montant réclamé, alloua à la société … une indemnité de procédure de 2.000.- € sur base de l’article 33 de la loi précitée du 21 juin 1999.
Par une requête déposée le 22 novembre 2011 au greffe de la Cour administrative, l’Etat a régulièrement relevé appel du jugement du 17 octobre 2011.
Le délégué du gouvernement soutient que ce serait à tort que les premiers juges ont conclu à une violation des règles de la procédure administrative non contentieuse, au motif que la DAC aurait impérativement dû respecter les dispositions figurant au règlement CE 2042/2003. Plus précisément, la décision litigieuse du 15 mars 2010 aurait été prise de manière concomitante avec l’envoi du rapport d’audit conformément aux dispositions communautaires applicables.
Le représentant étatique signale encore qu’antérieurement à la décision litigieuse se serait déroulée la procédure d’audit comprenant plusieurs étapes, à savoir un « prebrief », l’audit lui-même, la collecte des « findings » et le « debrief » annonçant déjà la gravité des non-conformités constatées. Or, des responsables de la société … auraient assisté à toutes les étapes de cette procédure et auraient partant eu dès la mi-février 2010 connaissance de la gravité de la situation se dégageant des manquements constatés et des conséquences y afférentes de nature à pouvoir entraîner une suspension de l’agrément, décision qui pouvait cependant uniquement être prise par le directeur de la DAC. Plus précisément, le gérant de la société … avait été convoqué par lettre recommandée du 26 février 2010 à une réunion auprès de la DAC au vu de la gravité des non-conformités constatées, auxquelles s’était encore venu ajouter un incident technique dans l’espace aérien des …, réunion qui s’est déroulée le 11 mars 2010. Par conséquent, il serait erroné de conclure que le courrier du 15 mars 2010 constituerait la première communication adressée à la société … lui faisant part des griefs lui reprochés. Dans ce contexte, il faudrait encore retenir qu’au vu des manquements constatés, il y aurait eu un risque grave d’atteinte à la sécurité du vol et partant « péril en la demeure », tel que prévu à l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979.
La partie étatique insiste plus particulièrement sur le nombre important et non négligeable des non-conformités de niveau 1 constatées lors de l’audit et qui par la suite ont dû être validées en interne dans un rapport d’audit par les personnes responsables de la DAC.
Toute cette procédure se serait déroulée en conformité avec le contenu du règlement CE 2042/2003, et plus précisément les articles 145.A.95, 145.B.45 et 145.B.50. Ainsi, l’article 145.B.50 disposerait expressément que l’autorité compétente doit suspendre « immédiatement » l’agrément d’organisme de maintenance, de sorte que la DAC aurait dû notifier de suite la décision de suspension de l’agrément partie 145, ensemble avec l’envoi du rapport d’audit en date du 15 mars 2010.
Il s’ensuit que le directeur de la DAC aurait agi en conformité des dispositions communautaires applicables et n’aurait pas violé les règles de la procédure administrative non contentieuse, et plus précisément l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979.
La société … fait rétorquer que s’il est bien vrai qu’elle a été auditée en date des 16 et 17 février 2010, elle n’aurait été informée qu’en date du 15 mars 2010 par un courrier du directeur de la DAC de la prétendue effectivité de constatations de non-conformité de niveau 1 à la partie 145 du règlement 2042/2003 entraînant la suspension avec effet immédiat de son agrément. La partie intimée relève encore que ni le pré-rapport du 18 février 2010, ni un courrier recommandé du 26 février 2010 à l’adresse de son gérant ne permettaient de conclure à des manquements de niveau 1, seuls susceptibles d’entraîner respectivement le retrait ou la suspension immédiate de l’agrément.
Quant à l’incident aérien survenu le 20 février 2010 aux …, celui-ci serait postérieur aux audits discutés et sans relation avec la décision de suspension litigieuse.
La société … conteste encore formellement toute notification des griefs lui reprochés et des conséquences en découlant lors du « debriefing », ce qui n’aurait été fait que par le courrier du directeur de la DAC le 15 mars 2010.
La partie intimée précise ensuite que suite à l’octroi d’un délai de 3 mois pour procéder à des actions coercitives, elle se serait de suite adressée à des auditeurs étrangers, à savoir le groupe français … et la société suisse … G.m.b.H. qui auraient dressé deux rapports en date respectivement des 31 mai et 8 juin 2010, rapports ayant conclu à l’absence de manquements significatifs de niveau 1 susceptibles de justifier une décision de suspension de l’agrément, tout en préconisant un certain nombre de mesures coercitives face aux reproches formulés. Par la suite, elle aurait scrupuleusement suivi les recommandations desdits auditeurs, tout en introduisant en date du 14 juin 2010 un recours gracieux à l’encontre de la décision du 15 mars 2010. Or, ce n’est qu’en date du 12 août 2010 que la direction de la DAC aurait pris position quant à ce recours gracieux en indiquant vouloir évaluer la mise en conformité proposée, tout en proposant un audit de contrôle après la mi-septembre 2010, sans toutefois lever la suspension de l’agrément.
Par la suite, cet audit se serait déroulé en date des 12, 13 et 14 octobre 2010, malgré le refus de la DAC de laisser participer deux conseillers techniques de la société …, avec comme résultat un rapport laconique daté au 18 novembre 2010 ne contenant aucune recommandation par rapport au sort à réserver à l’agrément de la société …. Finalement, la partie intimée signale que suite à l’introduction de son recours contentieux en date du 7 décembre 2010, le directeur de la DAC, par courrier du 8 décembre 2010, lui aurait indiqué être dans l’impossibilité de lever la suspension de l’agrément « jusqu’à clarification de l’action pendante devant le tribunal administratif », tout en indiquant néanmoins que « la démarche pour arriver à un rétablissement de votre agrément semblait être acceptée ».
En droit, la société … demande la confirmation du jugement entrepris en ce qu’il retient une violation de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, la direction de la DAC ne lui ayant pas permis de présenter ses observations dans un délai de 8 jours préalablement à la prise de décision du 15 mars 2010, mais uniquement dans un délai de 8 jours postérieurement à ladite décision. Dans ce contexte, la partie intimée conteste encore l’effectivité d’un péril imminent permettant à l’administration de déroger aux dispositions protectrices de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, celle-ci n’ayant pour le surplus pas fait état de pareil danger dans la décision querellée. L’absence de pareil danger imminent serait encore prouvée par le fait que l’audit initial s’est déroulé en date du 17 février 2010 et que la décision litigieuse n’aurait été prise que le 15 mars 2010 et ceci encore en violation de l’article AMC 145.B.20 (6) du règlement CE 2042/2003 prescrivant « all findings should be confirmed in writing to the applicant organisation within two weeks of the audit visit ». Elle signale encore que la DAC resterait en défaut de dresser et de produire des procédures documentées relativement à la délivrance, la modification, la suspension sinon le retrait des agréments « Part 145 » et ceci en violation de l’article 145.B.10 du règlement CE 2042/2003. Finalement, elle relève encore qu’aux termes de la procédure « DAC-AIR 310 », pour l’hypothèse de graves constatations de niveau 1, il ne pourrait être procédé à une suspension respectivement à un retrait de l’agrément que sur avis de l’inspecteur notifié préalablement à l’organisme d’entretien, avis qui n’existerait cependant pas en l’espèce.
La société … demande encore la confirmation du jugement entrepris dans la mesure où l’Etat a été condamné à lui payer une indemnité de procédure de 2.000.- € et elle sollicite en outre la condamnation de la partie étatique au paiement d’une indemnité de procédure pour l’instance d’appel de 2.000.- €.
Finalement, pour l’hypothèse d’une réformation du jugement entrepris, la société … s’oppose formellement à toute évocation de l’affaire qui la priverait du double degré de juridiction.
Il convient tout d’abord de confirmer le tribunal dans son constat qu’il appartient aux juridictions administratives de vérifier en premier lieu la légalité extrinsèque de l’acte lui déféré avant de se livrer, par le biais de l’examen de la légalité des motifs, au contrôle de la légalité intrinsèque dudit acte, de sorte qu’il convient de se pencher d’abord sur la prétendue violation alléguée de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 consacrant dans les limites y visées l’obligation à charge de l’administration du respect du principe du contradictoire et des droits de la défense.
Dans ce contexte, la Cour, à l’instar du tribunal, retient encore que la suspension d’un agrément pour une certaine activité, en l’espèce celle d’organisme de maintenance, constitue indéniablement une modification d’office pour l’avenir d’une décision ayant créé ou reconnu des droits tombant dans le champ d’application dudit article 9.
La Cour constate ensuite que la décision litigieuse du 15 mars 2010 a été prise par application de l’article 145.B.45 du règlement CE 2042/2003, intitulé « Retrait, suspension et limitation d’agrément », aux termes duquel :
« L’autorité compétente doit :
a) suspendre un agrément sur des motifs valables dans les cas d’un risque potentiel en matière de sécurité, ou b) suspendre, retirer ou limiter un agrément conformément au 145.B.50 ».
Ledit article 145.B.50, intitulé « Constatations », est de la teneur suivante :
« a) Si au cours d’audits ou par d’autres moyens, une non-conformité aux exigences de la Partie 145 est prouvée, l’autorité compétente entreprend les actions suivantes :
1) pour les constatations de niveau 1, l’autorité compétente retire, limite ou suspend immédiatement, en totalité ou en partie, en fonction de l’importance de la constatation de niveau 1, l’agrément d’organisme de maintenance, et ce, jusqu’à ce qu’une action corrective satisfaisante soit mise en œuvre par l’organisme ;
2) pour les constatations de niveau 2, l’autorité compétente accorde un délai de mise en œuvre d’un plan d’actions correctives adapté à la nature de la constatation. Ce délai ne peut excéder trois mois. Dans certaines circonstances, à l’issue de cette première période, et en fonction de la nature de la constatation, l’autorité compétente peur proroger le délai de trois mois supplémentaires si un plan d’actions correctives satisfaisant est présenté.
b) L’autorité compétente prend les mesures nécessaires pour suspendre l’agrément en totalité ou en partie, en cas de non respect du délai octroyé par l’autorité ».
Aux termes de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 « sauf s’il y a péril en la demeure, l’autorité qui se propose de révoquer ou de modifier d’office pour l’avenir une décision ayant créé ou reconnu des droits à une partie, ou qui se propose de prendre une décision en dehors d’une initiative de la partie concernée, doit informer de son intention la partie concernée en lui communiquant les éléments de fait et de droit qui l’amènent à agir.
Cette communication se fait par lettre recommandée. Un délai d’au moins huit jours doit être accordé à la partie concernée pour présenter ses observations.
Lorsque la partie concernée le demande endéans le délai imparti, elle doit être entendue en personne ».
Il échet de rappeler que les règles de la procédure administrative non contentieuse ont vocation à s’appliquer dans tout le domaine administratif et suppléent ou remplacent celles contraires des textes en vigueur, à l’exception des procédures particulières organisées d’après les règles assurant au moins une égale protection des administrés.
Or, concernant plus précisément la compatibilité des dispositions protectrices inscrites à l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 avec la teneur des prescriptions litigieuses tirées du règlement CE 2042/2003, c’est à juste titre que la société … soutient qu’aucune contradiction n’existe entre ledit article 9 et les dispositions précitées du règlement CE 2042/2003.
En effet, la suspension immédiate de l’agrément en tant qu’organisme de maintenance … ne peut être prononcée qu’en présence de constatations de niveau 1, c’est-à-dire des constatations, qui aux termes de l’article 145.A.95, correspondent « à un non-respect significatif des exigences de la partie 145 abaissant le niveau de sécurité et portant gravement atteinte à la sécurité du vol », hypothèse se recoupant avec la notion de « péril en la demeure » telle qu’inscrite à l’article 9 du règlement du 8 juin 1979 et permettant de déroger au devoir d’information préalable à charge de l’administration avec possibilité de prise de position conférée à l’administration.
Il se dégage du rapport d’audit litigieux daté au 8 mars 2010, à la base de la décision de suspension avec effet immédiat du 15 mars 2010, que 9 constatations de niveau 1 ont été mises en avant lors de l’audit qui s’est déroulé au sein des locaux de la société … en date des 16 et 17 février 2010, à savoir :
- les « out-stations » ne seraient pas identifiées dans le « maintenance organisation exposition » ;
- plusieurs membres du personnel de certification ne posséderaient pas la qualification de type approprié en rapport avec l’habilitation éditée par … ;
- … validerait des « on job trainings » sur des types d’appareils donnés par un instructeur n’ayant pas ces type d’appareil sur sa licence ;
- … ne pourrait pas démontrer les 6 mois d’expérience de pratiques réelles au cours des deux dernières années consécutives, à défaut d’enregistrement disponible ;
- … n’aurait pas de programme de formation continue ;
- toutes les pièces en stock au magasin n’auraient pas un certificat libératoire ;
- plusieurs certificats pour remise en service auraient été signés par du personnel ne pouvant être habilité comme personnel de certification ;
- des cartes d’habilitation seraient données à du personnel de certification n’ayant pas les compétences requises ;
- des remarques ouvertes en mars 2009 seraient toujours ouvertes à ce jour, malgré une revue de direction et la signature du document d’audit par le dirigeant responsable.
Au vu de ces constats, et en l’état actuel du dossier, la Cour ne saurait dès lors partager l’analyse du tribunal que l’Etat n’a pas allégué un cas de « péril en la demeure » au sens de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979. En effet, le rapport d’audit litigieux énumère pas moins de 9 constatations de niveau 1, c’est-à-dire des constatations qui abaissent le niveau de sécurité et qui portent gravement atteinte à la sécurité du vol et il arrive à la conclusion univoque que « suite à notre audit identifiant plusieurs non-
conformités majeures, nous recommandons que des sanctions soient prises à l’encontre des activités de l’organisme d’entretien ». Or, indépendamment du bien- ou malfondé des manquements avancés, les constatations se dégageant du rapport d’audit ont a priori raisonnablement pu amener le directeur de la DAC à suspendre provisoirement avec immédiat l’agrément d’organisme de maintenance accordé à la société …, ceci pour des raisons de sécurité aérienne, le directeur ayant implicitement mais nécessairement fait usage de la notion de « péril en la demeure » et ceci indépendamment de l’incident aérien survenu le … aux … qui est étranger au présent litige issu exclusivement des constatations du rapport d’audit et la décision de suspension subséquente.
Dans ce contexte, il est indifférent que le directeur de la DAC, en accordant à la société … un délai de 8 jours pour présenter ses observations seulement postérieurement à sa prise de décision du 15 mars 2010, ne semble pas avoir assimilé le mécanisme protecteur institué par l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, ceci n’affectant pas le constat d’urgence se dégageant du rapport d’audit litigieux.
S’il est encore exact que l’audit litigieux s’est déroulé en dates des 16 et 17 février 2010 et que la décision sous examen n’a été prise que le 15 mars 2010, il convient cependant de relever que les résultats de l’audit comportant les manquements constatés n’ont formellement été transcrits et évalués dans le rapport d’audit que le 8 mars 2010 et que le directeur de la DAC a partant pris la décision de suspension litigieuse 7 jours après la finalisation du rapport d’audit, de sorte que le reproche d’une prise de décision tardive par rapport aux manquements constatés, excluant un cas d’urgence, manque en fait.
La Cour arrive dès lors à la conclusion que le directeur de la DAC, au vu des constatations du rapport d’audit a raisonnablement pu estimer en l’espèce qu’il y avait en l’occurrence « péril en la demeure » et qu’il n’a partant pas pris une décision en violation avec l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979.
Partant, il y a lieu à réformation du jugement entrepris dans cette mesure, avant même et indépendamment de l’analyse du bien-fondé des manquements allégués.
Les autres moyens dirigés contre la décision déférée du directeur de la DAC, concernant la réalité et la pertinence des manquements relatés dans le rapport d’audit du 8 mars 2010, n’ayant pas été examinés par le tribunal administratif, l’affaire est à renvoyer devant ledit tribunal, eu égard aux exigences du double degré de juridiction, ensemble celles découlant du respect des droits de la défense, pour y voir statuer sur ces moyens, la société … ayant conclu explicitement à ce renvoi. Il en est de même de l’analyse des irrégularités formelles mises en avant par la société … ayant précédé la rédaction de la version finale du rapport d’audit litigieux et tirées des prétendues violations de l’article AMC 145.B20 (6) du règlement CE 2042/2003 et de la prétendue absence de l’avis d’un inspecteur notifié préalablement à l’organisme d’entretien en conformité avec la procédure « DAC-AIR 310 ».
Au vu de ce qui précède, il convient encore de réformer le jugement entrepris en ce qu’il n’y avait dès lors pas lieu d’ordonner l’effet suspensif du recours initial pendant le délai et l’instance d’appel.
Au vu de l’issue du litige, il échet également de décharger la partie étatique du paiement d’une indemnité de procédure d’un montant de 2.000.- € pour la première instance et de débouter l’intimée de sa demande en condamnation au même montant pour l’instance d’appel.
Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l'égard de toutes les parties ;
reçoit l’appel en la forme ;
au fond, le déclare justifié ;
partant, par réformation du premier jugement, dit que c’est à tort que le tribunal administratif a annulé pour violation de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes la décision du directeur de la Direction de l’Aviation Civile du 15 mars 2010 portant notamment suspension avec effet immédiat de l’agrément d’organisme de maintenance … de la société à responsabilité limitée … s. à r.l. ;
réforme encore le jugement entrepris en ce qu’il n’y avait pas lieu d’ordonner l’effet suspensif du recours initial introduit le 11 novembre 2010 pendant le délai et l’instance d’appel ;
décharge l’Etat de la condamnation à payer à la société … s. à r.l. une indemnité de procédure d’un montant de 2.000.- € pour la première instance ;
déboute encore la société … s. à r.l. de sa demande en condamnation de l’Etat au paiement d’une indemnité de procédure d’un montant de 2.000.- € pour l’instance d’appel ;
renvoie l’affaire en prosécution de cause devant les premiers juges ;
réserve les dépens des deux instances.
Ainsi délibéré et jugé par :
Francis DELAPORTE, vice-président, Henri CAMPILL, premier conseiller, Lynn SPIELMANN, conseiller, et lu à l’audience publique du 20 mars 2012 au local ordinaire des audiences de la Cour par le vice-président, en présence de la greffière de la Cour Anne-Marie WILTZIUS.
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