GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 29541 C Inscrit le 28 novembre 2011
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Audience publique du 15 mars 2012 Appel formé par Madame … …, …, contre un jugement du tribunal administratif du 19 octobre 2011 (n°27547 du rôle) en matière d’impôt sur le revenu et d’impôt commercial communal
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Vu la requête d’appel, inscrite sous le numéro 29541C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 28 novembre 2011 par Maître Jean-Pierre WINANDY, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’ordre des avocats à Luxembourg, en nom et pour compte de Madame … …, agissant en tant que gérante de la société civile immobilière … S.C.I., établie et ayant son siège social à …, dirigée contre un jugement rendu par le tribunal administratif en date du 19 octobre 2011 suite à un recours de l’actuelle appelante tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 10 novembre 2010 portant rejet de sa réclamation introduite contre les bulletins d’établissement des revenus d’entreprises collectives et de copropriété 2005 à 2008, les bulletins de l’impôt commercial communal 2005 à 2008, émis le 16 juin 2010, et les bulletins d’établissement de la valeur unitaire au 1er janvier 2004 et au 1er janvier 2005, émis le 4 juin 2008 par le bureau d’imposition Sociétés 3 ;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 21 décembre 2011 par le délégué du gouvernement ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe de la Cour administrative le 19 janvier 2012 en nom et pour compte de l’appelante ;
Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;
Le conseiller rapporteur entendu en son rapport et Maître Georges SIMON, en remplacement de Maître Jean-Pierre WINANDY, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Monique ADAMS en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 6 mars 2012.
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Suite au dépôt des déclarations pour l’établissement en commun des revenus d’entreprises collectives et de copropriétés pour les années 2005 à 2008, le bureau d’imposition Sociétés 3 de l’administration des Contributions directes émit le 4 juin 2008 à l’égard de la société … SCI les bulletins d’établissement de la valeur unitaire au 1er janvier 2004 et au 1er janvier 2005. En date du 16 juin 2010, ledit bureau d’imposition émit à l’égard de la société … SCI les bulletins d’établissement des revenus d’entreprises collectives et de copropriétés pour les années 2005 à 2008 et les bulletins de l’impôt commercial communal pour les mêmes années.
Contre ces bulletins, la société … SCI, agissant par le biais de sa gérante Madame … …, fit introduire le 13 août 2010, par courrier de son conseil du 11 août 2010, une réclamation auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après dénommé le « directeur ».
Par une décision du 10 novembre 2010, n° C 16133 du rôle, le directeur rejeta cette réclamation comme non fondée au terme de la motivation suivante :
« (…) Quant au fond Considérant que les bénéfices en cause ont été établis séparément et en commun conformément au § 215, alinéa 2, de la loi générale des impôts (AO) par le bureau d'imposition des sociétés compétent, établissement portant notamment qualification des revenus (§ 216 (1) 1. AO) ;
Considérant que, d'une manière générale, une société civile est considérée, en vertu du § 11 bis de la loi d'adaptation fiscale (StAnpG), comme n'ayant pas de personnalité juridique distincte de celle des associés ;
Considérant que la société civile immobilière … a été constituée en date du 25 octobre 1999 ; qu'aux termes de ses statuts, elle « a pour objet la mise en valeur et la gestion de tous immeubles qu'elle pourrait acquérir » (article 1 er) et que « le ou les gérants peuvent acheter et vendre tous les immeubles, contracter tous prêts et consentir toutes hypothèques. Ils administrent les biens de la société et ils la représentent vis-à-vis des tiers et toutes administrations, ils consentent, acceptent et résilient tous baux et locations, pour le terme et le prix, charges et conditions qu'ils jugent convenables (article 11) ; que « les articles 1832 et 1872 du Code Civil trouveront leur application partout où il n'y est pas dérogée par les présents statuts (article 18) » ;
Considérant qu'en l'espèce, la réclamante a inscrit dans ses statuts que les gérants, investis des pouvoirs les plus étendus, peuvent acheter et vendre tous immeubles, activités susceptibles de ranger parmi les activités commerciales et dégageant, dès lors, la réalisation d'un bénéfice commercial au sens de l'article 14 de la loi concernant l'impôt sur le revenu (L.I.R.);
Considérant qu'en date du 3 février 2010, le bureau d'imposition avait informé la réclamante, conformément aux prescriptions du § 205 AO et préalablement à l'imposition des années en cause, de tous les redressements envisagés et notamment du fait qu'il entendait qualifier les revenus réalisés comme bénéfice commercial ;
Considérant que la réclamante affirme que les opérations de ventes d'immeubles litigieuses s'inscriraient dans le cadre de la gestion d'un patrimoine privé et que les plus-values en résultant ne sauraient être imposées en tant que bénéfice commercial ; que contrairement aux affirmations du bureau d'imposition, l'activité de la réclamante ne serait pas constituée par l'achat et la vente d'immeubles, mais par la gestion d'un patrimoine immobilier privé ; que « la décision qui se trouve à l'origine des opérations de vente réalisées a été incitée par la Loi du 30 juillet 2002 déterminant différentes mesures fiscales destinées à encourager la mise sur le marché et l'acquisition de terrains à bâtir et d'immeubles d'habitation. Etant donné que le taux d'imposition prévu par cette loi était très attrayant, et lorsqu'une opportunité de vente se présentait, nous l'avons saisie. La recherche d'une telle imposition favorable ne peut être reprochée au contribuable dans la mesure où elle est justement l'intention du législateur. » ;
Considérant que malgré cette affirmation de la réclamante, il n'en reste pas moins qu'aux termes de l'article 11 de ses statuts, le ou les gérants peuvent acheter et vendre tous immeubles, contracter tous prêts et consentir toutes hypothèques ;
Considérant que si la notion de gestion du patrimoine privé ne fait pas l'objet d'une définition légale, elle est cependant délimitée par le biais de deux exemples au paragraphe 7 (4) de l'ordonnance du 16 décembre 1941 relative à l'exécution des paragraphes 17 à 19 de la loi d'adaptation fiscale modifiée du 16 octobre 1934: «Vermögensverwaltung liegt in der Regel vor, wenn Vermögen genutzt wird, zum Beispiel wenn Kapitalvermögen verzinslich angelegt oder unbewegliches Vermögen vermietet oder verpachtet wird» ;
Considérant que le concept de gestion d'un patrimoine privé ne se limite pas aux exemples de jouissance sus-énoncés, mais que d'une manière générale, il y a administration du patrimoine privé aussi longtemps que les activités de construction et de vente s'analysent en de simples accessoires d'une jouissance des fruits d'un patrimoine immobilier privé dont la substance est conservée; qu'au contraire, de telles activités dépassent le cadre de la gestion du patrimoine privé lorsque le contribuable recherche une exploitation de la substance de son patrimoine par transfert (« Umschichtung ») d'éléments substantiels de sa fortune ;
Considérant qu'aux termes de l'article 14 n° 1er L.I.R., est réputée entreprise commerciale, industrielle, minière ou artisanale toute activité indépendante à but de lucre exercée de manière permanente et constituant une participation à la vie économique générale, lorsque ladite activité ne forme ni une exploitation agricole ou forestière ni l'exercice d'une profession libérale ;
Qu'il est constant en cause que les opérations immobilières d'achat et de vente ne constituent ni une exploitation agricole ou forestière ni l'exercice d'une profession libérale;
Considérant également que le législateur ne s'est pas prononcé en ce qu'il entend par une gestion normale du patrimoine privé ; que cette qualification reste donc à apprécier de cas en cas et selon les données particulières aux différents contribuables ;
Considérant que la vente immobilière est constitutive d'une entreprise commerciale du moment qu'il s'agit d'une activité persistante, effectuée dans un but de lucre et constituant une participation à la vie économique générale, lorsque ladite activité ne forme ni une exploitation agricole ou forestière ni l'exercice d'une profession libérale; que dès lors les ventes d'objets immobiliers constituent des opérations commerciales pour autant que ces ventes se sont déroulées d'après un schéma planifié et ne résultent pas d'une mise à profit en conséquence d'une opportunité se présentant fortuitement;
Considérant que la réclamante a procédé aux achats et ventes d'objets immobiliers suivants :
Immeuble Achat Vente Studio à ….
25/11/99 Appartement… 24/02/00 27/10/03 Appartement,… (resté sans locataire) 20/03/01 21/10/05 Garage, … (sans recettes de location) 20/03/01 26/03/07 Appartement,… 22/06/01 23/07/03 Appartement, … (resté sans locataire) 02/02/02 03/10/02 Appartement, … 10/09/04 Qu'en l'espèce, on ne peut guère affirmer que les opérations de ventes effectuées à moyen terme ne soient que le fruit d'une mise à profit occasionnelle ;
Considérant encore que le critère essentiel d'une activité commerciale doit consister dans la réalisation, éventuellement à long terme, de bénéfices, c'est à dire d'un excédent des recettes sur les dépenses, d'un gain ou d'autres avantages économiques; que le but principal de toute entreprise commerciale est de retirer un profit ;
Considérant qu'en l'espèce le caractère de l'indépendance se trouve vérifié alors que la réclamante a déployé l'activité d'achat et de vente d'immeubles afin d'en tirer un profit, qu'elle l'a également exercée dans un but de lucre et à ses propres risques et périls; que l'on ne peut guère affirmer que la réclamante ait acquis les différents immeubles pour en garder la substance dans son patrimoine et d'en tirer une jouissance sous forme de revenu de location mais qu'elle les a considérés comme biens négociables dans le cadre d'une entreprise commerciale ;
Considérant qu'il en résulte à suffisance que les activités de la réclamante répondent aux critères d'une entreprise commerciale ;
Considérant que pour le surplus, les impositions sont conformes à la loi et aux faits de la cause et ne sont d'ailleurs pas contestées ; (…). » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 3 décembre 2010, Madame …, agissant en sa qualité de gérante de la société … SCI, introduisit un recours tendant à l’annulation sinon à la réformation de la décision directoriale précitée du 10 novembre 2010.
Par jugement du 19 octobre 2011, le tribunal administratif reçut le recours en réformation en la forme, le déclara non fondé et dit qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur le recours en annulation, le tout avec condamnation de la demanderesse aux frais.
Les premiers juges vinrent à la conclusion que toutes les conditions prévues par l’article 14, alinéa 1er, de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu (LIR) pour qualifier d’entreprise commerciale les opérations de la société … SCI au titre des années 2005 à 2008 se trouvaient réunies et que le directeur avait à bon droit rejeté sa réclamation.
Le 28 novembre 2011, Madame …, déclarant toujours agir en sa qualité de gérante de la société … SCI, a régulièrement interjeté appel contre le jugement du 19 octobre 2011.
Elle soulève en premier lieu la violation des règles relatives à la charge de la preuve, telles qu’énoncées par l’article 59 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, au motif que l’administration omettrait de rapporter la preuve de la commercialité des activités de la société … SCI. Elle soutient que le directeur se serait limité à affirmer la commercialité de ces activités sans apporter un quelconque élément de preuve. Il est encore soutenu que le directeur se baserait sur une présomption de commercialité qui n'existerait pas en l’espèce.
Elle soutient encore qu’au cours de l’instance contentieuse, le délégué du gouvernement n’aurait pas non plus apporté une justification supplémentaire sur le caractère commercial de l'activité.
En ordre subsidiaire, l’appelante soulève la « contrariété du jugement par rapport à la jurisprudence précédente de la même juridiction ». Dans cet ordre d’idées, elle fait état de ce que pour les impositions des années 2003 à 2004 de la société … SCI, le tribunal administratif dans un jugement du 26 janvier 2011 (n° 26741 du rôle) aurait conclu à ce que les activités déployées par ladite société ne seraient pas de nature commerciale.
Or, dès lors que la situation patrimoniale de la société … SCI resterait inchangée, il serait incompréhensible pourquoi la même juridiction aurait totalement inversé son raisonnement. Elle estime qu’un « tel revirement de raisonnement au sein du même tribunal a quelques mois d'intervalle, prive le justiciable de toute sécurité juridique et est contraire au principe même de l'état de droit ».
Sur ce, l’appelante conclut à la violation de l'autorité de la chose jugée s’attachant au jugement du 26 janvier 2011 (n° 26741 du rôle) et demande la réformation sinon l’annulation du jugement a quo.
En ordre plus subsidiaire, l’appelante entend épingler une contrariété dans la motivation du jugement entrepris et, plus particulièrement, dans le passage suivant :
« Le but ainsi recherché semble avoir été moins la recherche d'une conservation et d'une jouissance à long terme desdites propriétés immobilières par la mise en location, mais essentiellement une valorisation rapide du patrimoine moyennant ces mutations ce qui constitue une caractéristique d'un esprit de lucre et d'une entreprise commerciale. Dans ce contexte, les affirmations de la partie demanderesse selon lesquelles elle n'aurait pas trouvé de locataire pour les immeubles cédés et qu'elle aurait voulu tirer avantage des dispositions favorables de la loi du 30 juillet 2002 ne font que confirmer cette analyse ».
Selon l’appelante ce raisonnement n'aurait pas de sens et il serait contradictoire, dès lors que l’on ne saurait « affirmer que l'intention initiale d'une partie est la valorisation rapide d'un patrimoine moyennant ces mutations ce qui implique une intention initiale de vendre le bien, puis affirmer que cette intention initiale ressort du fait que la personne en cause a affirmé avoir vendu les immeubles car elle ne trouvait pas de locataires ».
En ordre encore plus subsidiaire, l’appelante conteste la commercialité des activités de la société … SCI, soutenant que ni le critère légal de la permanence, ni celui de l’esprit de lucre ne seraient remplis en l’espèce.
Concernant le critère de la permanence, elle relève que l'immeuble et le garage, sis à …, cédés pendant les années litigieuses auraient été acquis ensemble, de sorte qu’il ne conviendrait pas de partir de deux acquisitions suivies de deux cessions, mais d'une acquisition qui a fait l'objet d'un morcellement et a ensuite été vendue en deux lots, la seule raison de cette façon de procéder ayant résidé dans le fait que l'acquéreur de l'appartement ne souhaitait pas acquérir de garage. Ainsi, il ne s'agirait dès lors pas de deux mais d'une seule transaction pour les années en litige.
Concernant le critère du but de lucre, l’appelante conteste avoir eu l’intention dès le départ de céder rapidement les immeubles achetés. Elle relève ne pas avoir pu prévoir au moment de l'achat des immeubles que la loi du 30 juillet 2002 allait être adoptée et qu’elle n’aurait partant pas eu connaissance d'un futur traitement favorable des plus-values de cession. Elle donne à considérer que le but de la société … SCI aurait été de mettre les immeubles en location et non pas de les acheter pour les revendre et que seulement la situation fiscale temporairement favorable l’aurait amenée à vendre les immeubles acquis qui n'auraient pas pu être loués. Elle ajoute que l’on ne saurait lui reprocher de ne pas souhaiter conserver un bien qui ne produit pas de fruits.
En dernier ordre de subsidiarité, l’appelante entend prendre appui sur la théorie jurisprudentielle allemande de la « Drei-Objekt-Grenze », selon laquelle pas plus de trois objets ne peuvent être revendus sur un laps de temps de cinq ans, sinon la limite de la gestion du patrimoine privée serait excédée. En appliquant cette théorie au cas d’espèce et en faisant démarrer la période de cinq ans au moment du premier achat réalisé par la société … SCI, soit le 25 novembre 1999, la période quinquennale s’arrêterait donc le 24 novembre 2004. Or, sur cette période, la société … SCI n’aurait vendu que trois immeubles, à savoir le 27 octobre 2003, le 23 juillet 2003 et le 3 octobre 2002. En faisant débuter une seconde période quinquennale le 25 novembre 2004 qui s’achèverait le 24 novembre 2009, la société … SCI aurait cédé durant cette période deux immeubles, à savoir le 21 octobre 2005 et le 26 mars 2007.
Admettant que la jurisprudence allemande ne serait pas nécessairement reprise au Luxembourg, elle relève que la solution retenue aurait le mérite de tenir compte de la dimension temporelle, dont la jurisprudence luxembourgeoise ne tiendrait pas compte.
Il convient en premier lieu d’examiner le moyen ayant trait à la violation par les premiers juges de l’autorité de la chose jugée acquise par le jugement du tribunal administratif du 26 janvier 2011 (n° 26741 du rôle), ce moyen étant préalable.
Le principe de l'autorité de la chose jugée interdit aux juges de revenir sur la décision antérieurement prise par eux. Ce principe interdit de soumettre le même litige aux juges, en dehors de l'exercice d'une voie de recours.
La « chose jugée » correspond aux trois éléments qui cadrent le litige, à savoir les parties, la cause et l’objet et l’« autorité de la chose jugée » est elle-même fonction de ces éléments.
En l’espèce, s’il y a certes identité de parties et de cause au niveau des jugements du tribunal administratif des 26 janvier 2011 et 19 octobre 2011, force est cependant de constater que tel n’est pas le cas en ce qui concerne leur objet, étant donné que dans l’affaire ayant abouti au jugement du 26 janvier 2011, Madame … poursuivait essentiellement la réformation de bulletins d’établissement des revenus d’entreprises collectives et de copropriétés pour les années 2003 et 2004, ainsi que des bulletins de l’impôt commercial communal pour lesdites années, alors que dans l’affaire ayant abouti au jugement du 19 octobre 2011 elle vise, en substance et à travers une décision directoriale, la réformation de bulletins d’établissement des revenus d’entreprises collectives et de copropriétés pour les années 2005 à 2008, ainsi que des bulletins de l’impôt commercial communal pour lesdites années.
En effet, l’imposition portant sur une année ne saurait en aucun cas être considérée comme ayant le même objet que celle qui porte sur une autre année.
Cette différence d’objet fait donc obstacle au reproche basé sur une prétendue violation de l’autorité de la chose jugée et le moyen afférent est à écarter.
Il convient ensuite d’examiner le reproche de l’appelante que l’administration n’aurait pas rapporté la preuve de ce que l’activité de la société … SCI est une activité commerciale et qu’elle aurait partant contrevenu aux règles relatives à la charge de la preuve.
L’article 59 de la loi précitée du 21 juin 1999 dispose que « la preuve des faits déclenchant l’obligation fiscale appartient à l’administration, la preuve des faits libérant de l’obligation fiscale ou réduisant la cote d’impôt appartient au contribuable. La charge de la régularité de la procédure fiscale appartient à l’administration. La preuve peut être rapportée par tous les moyens, hormis le serment ».
Le reproche d’un non-respect des règles de preuve en la matière laisse d’être fondé, étant donné qu’il repose sur la confusion de la preuve des faits et de leur qualification.
En effet, l’article 59 ne fait que remettre entre les mains de l’administration le seul fardeau de la preuve des faits sur lesquels elle entend asseoir l’obligation fiscale, c’est-à-dire qu’il n’a trait qu’à la seule preuve de la matérialité des faits invoqués par l’administration, mais il n’entend pas toucher au pouvoir d’appréciation et de qualification des faits établis par l’administration.
Or, en l’espèce, force est de constater que l’ensemble des opérations immobilières, notamment d’achat et de vente d’immeubles, sur lesquels le bureau d’imposition d’abord, le directeur et les premiers juges par la suite, ont pris appui ne sont pas litigieux en ce qui concerne leur matérialité et il ne saurait de la sorte être question d’un manquement aux règles de la charge de la preuve proprement dites.
C’est aussi à tort que l’appelante entend voir annuler ou réformer le jugement entrepris et la décision directoriale en raison d’une prétendue contrariété de motivation figurant au jugement.
En effet, force est en premier lieu de constater qu’en tout état de cause, le raisonnement critiqué ne constitue qu’un élément de motivation parmi un ensemble de motifs, ci-avant retracés, de même qu’il ne s’agit pas d’un élément à lui seul déterminant, de sorte que même à admettre une incohérence au niveau du raisonnement, il ne conviendrait pas ipso facto à retenir l’incohérence de la motivation prise dans sa globalité, d’une part, mais encore et surtout, la Cour ne partage pas la lecture et l’analyse que l’appelante fait du paragraphe incriminé, lequel doit plutôt être lu comme entendant dégager du fait affirmé par la demanderesse initiale d’un abandon du projet de valorisation moyennant remise en location des immeubles concernés et la volonté tout aussi affirmée par elle de rechercher dans les dispositions favorables de la loi précitée du 30 juillet 2002 un avantage, un indice allant en sens contraire de la recherche d’une conservation et d’une jouissance à long terme desdites propriétés immobilières par la mise en location et, sous ce regard, il ne saurait être question d’une incohérence de motivation, d’autre part.
Quant au fond proprement dit, à savoir à la question de savoir si c’est à juste titre que le bureau d’imposition Sociétés 3 a requalifié le revenu net déclaré par la société … SCI en bénéfice commercial, qualification confirmée par le directeur, de même que par les premiers juges par la suite, la Cour rejoint et se fait sienne la délimitation du cadre légal tel que l’ont dégagé les premiers juges de l’article 14, alinéa 1er, LIR, en ce qu’il y est disposé qu’est à considérer comme bénéfice commercial, le revenu net provenant d’une entreprise commerciale, industrielle, minière ou artisanale, l’entreprise commerciale étant définie comme « toute activité indépendante à but de lucre exercée de manière permanente et constituant une participation à la vie économique générale, lorsque ladite activité ne forme ni une exploitation agricole ou forestière ni l’exercice d’une profession libérale ».
En effet, il se dégage de cette disposition légale que la qualification d’une activité en entreprise commerciale passe par le nécessaire truchement de la vérification et de la réunion simultanée des quatre critères légaux y énoncés, à savoir celui de la permanence, celui de la participation à la vie économique, celui de l’indépendance et enfin, celui du but lucratif.
Concernant plus particulièrement la distinction de l’activité commerciale par rapport à la simple administration du patrimoine privé, dans le contexte spécifique de transactions immobilières, il y a lieu de relever que si la notion de gestion du patrimoine privé (« Vermögensverwaltung ») ne fait pas l'objet d'une définition légale, elle est cependant délimitée par le biais de deux exemples énoncés au paragraphe 7 (4) de l'ordonnance du 16 décembre 1941 relative à l'exécution des paragraphes 17 à 19 de la loi d'adaptation fiscale modifiée du 16 octobre 1934 qui prévoit que : « Vermögensverwaltung liegt in der Regel vor, wenn Vermögen genutzt wird, zum Beispiel wenn Kapitalvermögen verzinslich angelegt oder unbewegliches Vermögen vermietet oder verpachtet wird ». Le concept de gestion d'un patrimoine privé ne se limite cependant pas aux exemples de jouissance sus-
énoncés. D'une manière générale, il y a administration du patrimoine privé aussi longtemps que les activités d'achat et de vente s'analysent en de simples accessoires d'une jouissance des fruits d'un patrimoine immobilier privé dont la substance est conservée. Au contraire, de telles activités dépassent le cadre de la gestion d'un patrimoine privé lorsque le contribuable recherche une exploitation de la substance de son patrimoine par transfert (« Umschichtung ») d'éléments substantiels de sa fortune (trib. adm. 10 septembre 2008 (n° 23434 du rôle), Pas. adm. 2011, V° Impôts, n° 84 et autre référence y citée).
L’acquisition ou la location d’objets immobiliers par un particulier peut certes être considérée objectivement comme une opération de gestion de patrimoine privé dont le but aurait été de simplifier la gestion de son patrimoine privé et d’augmenter ainsi ses revenus nets de location, de même que la revente d'immeubles est compatible avec la gestion d'un patrimoine immobilier privé, aussi longtemps que ce patrimoine sert au contribuable principalement à dégager des revenus de location. Si l’administration d’un patrimoine immobilier privé n’exclut pas qu’il puisse y avoir des mutations, c’est-à-dire des acquisitions et des ventes d’immeubles, il faut que ces mutations soient comprises comme début ou fin d’une activité orientée essentiellement vers une jouissance des fruits, par notamment la location, et qu’elles ne s’analysent pas comme un négoce déguisé d’immeubles (trib. adm. 4 janvier 2010 (n°s 25664 et 25666 du rôle), Pas. adm. 2011, V° Impôts, n° 87).
Etant donné que les critères de la participation à la vie économique et de l’indépendance ne sont pas remis en discussion par l’appelante, de sorte que la Cour n’est pas appelée à se prononcer y relativement, il lui incombe d’examiner et de se prononcer pour ce qui concerne les deux critères restant litigieux, à savoir la permanence, d’une part, et, à supposer ce critère vérifié, le but de lucre, d’autre part.
Concernant le critère de la permanence de l’activité en question, la délimitation entre l’activité commerciale et la gestion normale du patrimoine privé implique une appréciation de l’activité développée par le contribuable à la lumière de l’ensemble des circonstances de la cause.
Il résulte des travaux préparatoires concernant l’article 14 LIR que « le caractère de permanence n’implique pas nécessairement que l’activité se répète.
Pour qu’il y ait permanence, il suffit que l’activité ait lieu avec l’intention de la répéter si l’occasion s’en présente et de constituer de la sorte une source de revenu sur la base d’opérations répétées », le même commentaire de l’article 14 précisant encore que « le caractère de permanence sépare l’activité commerciale … d’actes similaires isolés qui ont lieu dans le cadre de l’administration du patrimoine privé du contribuable » (Projet de loi concernant l’impôt sur le revenu, doc. parl. n° 5714, commentaire des articles, p. 18).
Dans ce contexte, si la Cour partage entièrement la vision des choses de l’appelante en ce qu’elle soutient que la dimension temporelle doit être prise en compte, cependant l’on ne saurait pas, au regard des circonstances spécifiques de la cause, artificiellement limiter le cadre temporel à 5 années, tel que généralement retenu dans le cadre de la théorie jurisprudentielle allemande de la « Drei-Objekt-
Grenze », mais il convient d’élargir ce cadre temporel pour bien situer et pour apprécier correctement la nature des activités déployées par la société … SCI.
Ceci étant, il se dégage des éléments d’appréciation soumis en cause que la société … SCI :
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a acheté un studio situé à … en date du 25 novembre 1999 ;
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a acheté un appartement en voie de construction le 24 février 2000 à … pour le revendre le 27 octobre 2003 ;
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a acheté, le 20 mars 2001, un appartement ainsi qu’un garage en voie de construction à …, pour revendre l’appartement le 21 octobre 2005 et le garage le 26 mars 2007 ;
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a acquis, le 22 juin 2001, un appartement à …, pour le revendre le 23 juillet 2003 ;
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a acquis le 2 février 2002 un appartement à …, pour le céder le 3 octobre 2002 ;
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a acheté, le 10 septembre 2004, un appartement situé à ….
Or, il se dégage de cet état des choses que sur les 6 immeubles acquis – c’est-à-dire à suivre l’appelante en ce qu’elle entend voir considérer la transaction immobilière relative à l’appartement avec garage au … comme une seule opération – entre 1999 et 2004, elle s’est rapidement séparée de 4 immeubles, vendus entre 2002 et 2007, pour ne conserver que le studio acquis en 1999 et l’appartement acquis en 2004.
Ainsi, comme le pointe à juste titre le délégué du gouvernement, deux tiers du patrimoine immobilier global ont été liquidés dans un laps de temps essentiellement rapproché.
Or, à la lumière de cet état des choses, la Cour, à l’instar tant de l’administration que des premiers juges, estime que ces opérations immobilières ont impliqué des mutations importantes au niveau du patrimoine immobilier globalement considéré de la société … SCI, qui n’a gardé que deux immeubles sur un total de sept, et il transperce du nombre et de la rapidité surtout des remises en vente, que la société … SCI a moins été mue par la volonté de rechercher une conservation et une jouissance à long terme des propriétés immobilières par elle acquises notamment par leur mise en location, mais plutôt par la volonté de valoriser rapidement son patrimoine moyennant des remises en vente lucratives.
Il s’ensuit que les critiques libellées par l’appelante à l’encontre de la vérification de ce que les activités déployées par la société … SCI présentent le caractère de permanence requis pour la faire qualifier d’activité commerciale laissent d’être fondées.
En ce qui concerne le deuxième critère légal encore contesté par l’appelante, il est incontestable que la revente rapide de 4 des 6 immeubles de la société … SCI a été réalisée afin de réaliser un profit maximisé, notamment du fait du traitement avantageux des plus-values de cession par l’effet de la loi précitée du 30 juillet 2002, de sorte que le but de lucre est patent en cause.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que l’appel laisse d’être fondé et qu’il y a lieu de confirmer le jugement entrepris.
Par ces motifs, la Cour, statuant à l’égard de toutes les parties en cause ;
reçoit l’appel en la forme ;
le dit non fondé et en déboute ;
partant confirme le jugement entrepris ;
condamne l’appelante aux frais de l’instance d’appel.
Ainsi délibéré et jugé par :
Henri CAMPILL, premier conseiller, Serge SCHROEDER, conseiller, Lynn SPIELMANN, conseiller, et lu par le premier conseiller en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier de la Cour Erny MAY s. MAY s. CAMPILL Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 22 novembre 2016 Le greffier en chef de la Cour administrative 13