La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

13/12/2011 | LUXEMBOURG | N°28901C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 13 décembre 2011, 28901C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 28901C Inscrit le 29 juillet 2011

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Audience publique du 13 décembre 2011 Appel formé par l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg contre un jugement du tribunal administratif du 6 juillet 2011 (n° 27204 du rôle) ayant statué sur le recours dirigé par les époux … … et … …, …, contre un bulletin de l’impôt sur le revenu en matière d’impôt sur le revenu

------------------------

-----------------------------------------------------------------------------------------

Vu ...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 28901C Inscrit le 29 juillet 2011

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Audience publique du 13 décembre 2011 Appel formé par l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg contre un jugement du tribunal administratif du 6 juillet 2011 (n° 27204 du rôle) ayant statué sur le recours dirigé par les époux … … et … …, …, contre un bulletin de l’impôt sur le revenu en matière d’impôt sur le revenu

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Vu la requête d’appel inscrite sous le numéro 28901C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 29 juillet 2011 par Madame le délégué du gouvernement Monique ADAMS, en vertu d’un mandat à ces fins lui conféré par le ministre des Finances le 22 juillet 2011, dirigée contre un jugement du tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg du 6 juillet 2011 (n° 27204 du rôle), ayant déclaré fondé le recours en réformation des époux … …, …, et … …, …, demeurant ensemble à …, pour réformer le bulletin de l’impôt sur le revenu de l’année 2004 émis à leur égard en disant que la plus-value dégagée au cours de l’année d’imposition 2004 des opérations immobilières relatives à … ne constituent pas un bénéfice commercial au sens de l’article 14 de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu (LIR) ;

Vu le mémoire en réponse, déposé au greffe de la Cour administrative le 6 septembre 2011 par Maître Patrick GOERGEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom des époux … … et … … ;

Vu le mémoire en réplique, déposé au greffe de la Cour administrative le 15 septembre 2011 par Madame le délégué du gouvernement Monique ADAMS ;

Vu le mémoire en duplique, déposé au greffe de la Cour administrative le 4 octobre 2011 par Maître Patrick GOERGEN au nom des époux …-… ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;

Le rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Monique ADAMS et Maître Patrick GOERGEN en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 10 novembre 2011.

En date du 31 janvier 2007, les époux … …, et … … déposèrent leur déclaration pour l’impôt sur le revenu des personnes physiques de l’année 2004.

Par courrier du 28 août 2009, le préposé du bureau d’imposition Luxembourg 8 du service d’imposition de l’Administration des Contributions directes, ci-après « le bureau d’imposition » informa les époux …-…, en application du § 205 (3) de la loi générale des impôts, communément appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO », que l’imposition relative à l’année 2004 différerait sur divers points de leur déclaration déposée, et ce plus particulièrement concernant le bénéfice de cessation, le revenu de capitaux mobiliers et le revenu net de location, de sorte que le revenu net imposable s’élèverait à 2.060.768,15 euros et l’impôt total dû à 403.213 euros, les intéressés étant invités à communiquer leurs observations éventuelles par écrit pour le 18 septembre 2009 au plus tard.

Les époux …-… prirent position par courrier daté du 25 septembre 2009.

En date du 30 septembre 2009, le bureau d’imposition émit le bulletin d’impôt sur le revenu de l’année 2004 dans le chef des époux …-….

Le 16 décembre 2009, les époux …-… firent introduire une réclamation contre ledit bulletin d’impôt auprès du directeur de l’Administration des Contributions directes, ci-après « le directeur ».

A défaut de prise de position du directeur, les époux …-… firent introduire, par requête déposée le 12 août 2010 au greffe du tribunal administratif, un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation du bulletin d’imposition précité du 30 septembre 2009.

Par jugement du 6 juillet 2011, le tribunal administratif déclara le recours en réformation fondé et, par réformation du bulletin d’imposition litigieux, dit que la plus-value dégagée au cours de l’année d’imposition 2004 des opérations immobilières relatives à la … ne constituait pas un bénéfice commercial au sens de l’article 14 de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu, ci-après « LIR », et renvoya l’affaire devant le directeur en vue de sa transmission au bureau d’imposition compétent. Le même jugement condamna l’Etat à payer aux demandeurs une indemnité de procédure de l’ordre de 1.500 euros ainsi qu’aux frais.

Par requête d’appel déposée au greffe de la Cour administrative le 29 juillet 2011, l’Etat a fait régulièrement entreprendre le jugement précité du 6 juillet 2011, dont il sollicite la réformation dans le sens de voir déclarer le recours originaire des époux …-… non fondé en constatant que les revenus dégagés par les opérations immobilières relatives à la … constituent un bénéfice au sens de l’article 14 LIR et en confirmant le bulletin d’impôt litigieux. L’Etat demande encore à être relevé de sa condamnation au paiement d’une indemnité de procédure de 1.500 euros pour les frais de première instance et sollicite la condamnation des parties intimées aux frais de dépens des deux instances.

A l’appui de sa requête d’appel, l’Etat estime que c’est à tort que les premiers juges ont retenu une absence d’activité commerciale dans le chef de Monsieur … pour conclure ainsi à l’absence de bénéfice commercial et partant de plus-value afférente dégagée, sans examiner davantage les autres conditions prévues par ledit article 14 LIR, les conditions afférentes devant être cumulativement remplies. L’Etat reproche surtout aux premiers juges de s’être limités à analyser les opérations immobilières de Monsieur … liées à la seule …, tout en ignorant que ces opérations ne sont pas à considérer comme isolées, mais, au contraire, comme faisant partie de toutes les opérations immobilières réalisées par les époux …-… dans leur globalité, et ce depuis 1999. Ainsi, aux yeux de l’Etat, il résulterait clairement des éléments du dossier fiscal et notamment des antécédents de l’affaire ayant trait aux années précédant 2004, que les activités immobilières des époux …-… sont nettement de nature commerciale et qu’il existe une forte interaction, voire une confusion entre les propres activités commerciales de Monsieur … et celles qu’il exerce à travers son entreprise « … s.àr.l. ».

A partir des dispositions du point 1 de l’article 14 LIR, l’Etat entend délimiter l’activité commerciale par rapport à la gestion d’un patrimoine privé (« Vermögensverwaltung »). Ainsi, pour être considérée comme bénéfice commercial, l’activité devrait dépasser la limite de la gestion normale d’un patrimoine privé. Seulement, cette dernière notion ne ferait pas l’objet d’une définition légale, mais serait cependant délimitée par le biais de deux exemples énoncés au paragraphe 7 (4) de l’ordonnance du 16 décembre 1941 relative à l’exécution des paragraphes 17 à 19 de la loi d’adaptation fiscale, dite « Steueranpassungsgesetz », en abrégé « StAnpG », sans que le concept de la gestion d’un patrimoine privé ne se limite cependant à ces deux exemples qui décrivent le fait de jouissance de biens de capital ou de biens immobiliers. D’une manière générale, il y aurait administration d’un patrimoine privé aussi longtemps que les activités d’achat et de vente s’analysent en de simples accessoires d’une jouissance des fruits d’un patrimoine immobilier privé dont la substance est conservée. Au contraire, de telles activités dépasseraient le cadre de la gestion d’un patrimoine privé lorsque le contribuable rechercherait une exploitation de la substance de son patrimoine par transfert (« Umschichtung ») d’éléments substantiels de sa fortune.

L’Etat insiste encore sur la nécessité d’une appréciation globale de l’activité du contribuable à la lumière de l’ensemble des circonstances du cas d’espèce ainsi que sur le caractère de permanence séparant l’activité commerciale d’actes similaires isolés qui ont lieu dans le cadre de l’administration du patrimoine privé du contribuable.

Au titre de l’application de ces principes au cas d’espèce, l’Etat estime que les activités immobilières des époux …-… dépassent clairement le cadre de la gestion normale d’un patrimoine privé en ce que tout d’abord elles ne se limitent pas aux seules opérations immobilières relatives à la ….

A partir des éléments du dossier fiscal, l’Etat expose que la … fait partie d’un grand projet immobilier plus large, développé par les intéressés dès l’année 1999. Il s’agirait d’un projet intitulé « … » s’étendant sur une superficie de 103 ares 90 centiares, réparti en six lots, numérotés de « A » à « F » et se présentant, suivant le plan d’aménagement particulier opéré, grossièrement comme suit : « 1.

Lot A : 10a 45ca : vente à la société … s.àr.l. ;

2.

Lot B : 20a 70ca : projet de construction de 2 résidences : … et … ;

3.

Lot C:11a 57ca : non constructible: cession à la commune en 2002 ;

4.

Lot D : 30a 62ca : vente à … ;

5.

Lot E : 3a 90ca: chemin ; cession à la commune en 2002 ;

6.

Lot F : 25a 26ca : non constructible, zone verte ».

Ce serait dans le contexte de la création de la société … s.àr.l. que les époux …-… auraient compté continuer leurs activités immobilières. Ainsi auraient-ils décidé le 15 février 2002 de vendre à cette société une partie du terrain (256.606/1000) devant recueillir plus tard la … et de transférer dans leur patrimoine privé le terrain restant (473.394/1000) devant accueillir plus tard la …. L’Etat entend souligner que ce que les parties intimées auraient qualifié et déclaré au bureau d’imposition comme étant une « cession d’entreprise » au titre de l’année d’imposition 2002 n’aurait jamais été accepté par ce dernier, tel que résultant notamment du courrier dudit bureau à Monsieur … du 4 avril 2007. Ce serait à partir de son constat que les parties intimées auraient continué à réaliser à titre personnel des opérations d’achat et de vente portant sur des appartements et de nombreux garages relativement à la …, après la cession d’entreprise ainsi dénommée du 15 février 2002, que le bureau d’imposition aurait considéré les activités immobilières « privées » des parties intimées comme continuation de leurs activités commerciales habituelles en nom personnel et les aurait imposées à titre de bénéfice commercial.

A ce sujet, l’Etat souligne que le bulletin de l’impôt sur le revenu de l’année 2002 n’aurait été rencontré par aucune réclamation de la part des époux …-…, de sorte à être coulé en force de chose décidée. Ce serait sur base de ces faits qu’il serait établi que le transfert de la partie du terrain ayant recueilli par la suite la … n’aurait jamais fait l’objet d’un transfert au patrimoine privé des époux …-…, mais aurait toujours fait partie intégrante de leur actif net investi (« Betriebsvermögen ») jusque et y compris l’année d’imposition litigieuse 2004.

De même, à défaut d’un prélèvement du terrain litigieux, l’actif net investi des parties intimées, à savoir la … y érigée, n’aurait jamais fait partie de leur patrimoine privé. Il n’existerait pas non plus de séparation matérielle entre les Résidences … et …, vu que celles-ci constitueraient une seule et unique copropriété gérée comme telle.

C’est sur base de ces considérations qu’il y aurait lieu de juger, contrairement à la conclusion du tribunal, que les opérations immobilières litigieuses relatives à la … et réalisées en 2004 constituent un bénéfice commercial au sens de l’article 14 LIR.

En plus, au vu de l’absence d’un patrimoine privé comprenant la …, les revenus dégagés par les opérations immobilières y relatives ne sauraient être qualifiés juridiquement comme plus-values. Ces opérations de vente d’appartements et de parkings ne seraient pas non plus à considérer comme opérations isolées réalisées dans le cadre de la gestion d’un patrimoine privé, lui-même inexistant de facto et de jure, mais se situeraient dans le cadre d’un négoce immobilier en nom personnel que les parties intimées n’auraient jamais cessé d’effectuer depuis 1999 et qu’elles auraient continué à exercer après la cession d’entreprise ainsi désignée en 2002.

Suivant la partie étatique, il résulte indubitablement des éléments du dossier fiscal et plus particulièrement des différents courriers leur adressés sur base du paragraphe 205 (3) AO pour les années d’imposition 2002 à 2004 que les intéressés ont été régulièrement mis au courant de la qualification donnée par le bureau d’imposition aux opérations litigieuses. Ainsi, il aurait été clairement indiqué dans un courrier du bureau d’imposition du 4 juillet 2007 relatif à l’année d’imposition 2002 que la cession d’entreprise déclarée pour 2002 n’a pas été admise par l’administration, étant donné que selon elle il y avait continuation des achats et ventes d’immeubles en nom personnel. De même, les revenus provenant de la location de la … auraient été imposés comme bénéfice commercial au titre des années 2002 et 2003.

Contrairement aux allégations faites en instance d’appel, les intimés auraient été tout à fait en mesure de réclamer contre les impositions des années 2002 et 2003, mais auraient « consciemment omis de le faire ».

Les parties intimées concluent à la confirmation en tous points du jugement dont appel et demandent le rejet de l’appel étatique. Elles sollicitent encore l’allocation d’une indemnité de procédure de l’ordre de 1.500 € pour la première instance ainsi que de 2.500 € pour l’instance d’appel, étant donné qu’il serait injuste selon elles de laisser à leur charge les frais non inclus dans les dépens, compte tenu de l’attitude de la partie étatique ayant conduit au litige.

Suivant les intimés, pour qu’une activité puisse être qualifiée en droit fiscal comme étant une entreprise commerciale, quatre signes caractéristiques doivent être réunis. Il doit ainsi s’agir d’une activité indépendante, à but de lucre, exercée de manière permanente et constituant une participation à la vie économique générale.

Les intimés ne contestent pas l’existence d’une activité indépendante exercée pour leur compte et à leurs risques et périls.

Ils estiment que la condition du but de lucre entendue comme but spéculatif, sinon comme bénéfice commercial ne serait pas vérifiée dans leur chef. Selon eux, leur intention était celle de réorganiser de manière durable leur patrimoine propre en procédant à une nouvelle affectation de leur résidence principale et à un partage d’ascendant en faveur de leurs deux fils.

Ce serait ainsi que pour la … comprenant dix appartements, dont la valeur d’acquisition pourrait être évaluée à 1.428.860,95 €, seul un appartement a été vendu à une tierce personne, en ce sens qu’elle ne fait pas partie du cercle familial des intimés. Il s’agirait de la vente du lot 60 avec garage (lot 009) et cave (lot 022) de la … pour un prix de 440.000 € opérée le 2 décembre 2000. Cette vente n’aurait été consentie que sur demande spéciale d’un candidat locataire et après plusieurs mois de réflexion.

L’appartement constituant le lot 62, accompagné de 4 garages (lots 010, 011, 012 et 023), représentant un prix de revient de 292.576,86 € aurait été affecté le 11 mai 2004 par les intimés pour leur servir de résidence principale.

Trois appartements (lots 016, 053 et 059) avec caves (lot 013 et 015) et garages (lots 001, 002 et 007) ainsi que jardin (lot 042) auraient été transférés par acte de partage d’ascendants du 16 juin 2009 aux deux fils des intimés, … et …, étant entendu que ceux-ci avaient déjà été locataires de deux de ces appartements auparavant. Cette opération s’analyserait en une libéralité et se trouverait aux antipodes d’une opération commerciale tel que l’auraient retenu à juste titre les premiers juges.

Resteraient 5 appartements qui auraient été mis en location dans le chef de tierces personnes à titre d’habitation. Aucun acte d’achat ni de vente d’immeubles à titre privé n’aurait eu lieu durant les années 2005 à 2009.

Les intimés affirment que la … aurait été affectée au patrimoine privé le 15 mars 2002 en l’état de terrain nu sans construction pour un prix de reprise de 351.689,14 €. Lesdits appartements n’auraient été construits sur ce terrain qu’en 2002 (à raison de 544.539,34 €) et 2003 (à raison de 324.378,49 €), la construction s’étant trouvée achevée en octobre 2003.

Afin d’offrir aux futurs habitants des possibilités de parking, les intimés auraient acheté le 8 février 2002 quatre emplacements de parking extérieurs (lots 021, 022, 023 et 024) auprès de l’immeuble résidentiel sis à …, pour un prix de 5531,80 € par unité. Lesdits emplacements, dont un seul aura pu être donné en location, auraient été revendus le 14 mai 2004 au prix de 100.000 €, vu le manque d’intérêt de la part des habitants quant à une location. Il n’y aurait eu aucune intention de revente dès l’origine. Si une telle intention avait existé, les intimés auraient certainement revendu, en tant que commerçants raisonnés, avant l’expiration du délai de deux ans, donnant droit à un remboursement de droits d’enregistrement plus élevé qu’après ce terme. Dans la mesure où ces emplacements auraient été achetés en bloc le 8 février 2002 pour être revendus le 14 mai 2004, cette opération, vue dans son ensemble, serait une opération blanche du point de vue de son impact sur l’activité des parties intimées et se justifierait amplement par le fait que pendant plus de deux ans ces emplacements de parking n’ont pas pu être loués.

Par ailleurs, il serait vrai que les intimés auraient encore acquis le 11 février 2003 13 garages, un parking et une unité de jardin en l’état futur d’achèvement au prix de 108.253,98 € et auraient achevé les constructions en question au prix de 100.000 €.

De tout cela les intimés concluent avoir agi dans un but de réorganisation de manière durable de leur patrimoine propre en procédant à une nouvelle affectation de leur résidence principale et à un partage d’ascendants en faveur de leurs deux fils. La chronologie des opérations démontrerait à suffisance qu’ils n’auraient visé par l’acquisition le 15 mars 2002 pour le compte de leur patrimoine privé, ni une revente ni la réalisation d’un bénéfice commercial. Si leur intention avait été de réaliser un profit et de vendre au mieux de leurs intérêts les éléments immobiliers en question, ils auraient vendu plus qu’un appartement durant la période de 2002 à 2009 et n’auraient pas continué à donner les autres en location, au-delà de ceux retenus en tant que résidence principale et transférés par partage d’ascendants à leurs deux fils.

L’élément de répétition caractéristique d’une entreprise commerciale ferait encore défaut. A part la vente unique de 2004, aucune vente n’aurait été opérée jusqu’en 2010, soit pendant 6 ans. On ne serait pas en présence d’un nombre relativement élevé d’objets immobiliers, mais d’un nombre restreint. Il n’y aurait pas non plus participation à la vie économique générale dans le sens que les intimés aient agi d’une façon perceptible du public intéressé à l’échange général des biens et prestations et qu’ils aient été prêts à entrer en relation d’affaires avec un nombre indéterminé de personnes. Les intimés affirment n’avoir nullement participé à la vie économique générale en leur qualité de personnes physiques. Leur activité se serait limitée à une simple gestion de la fortune privée, non autrement perceptible du public. Il serait encore normal que les intimés, deux mois après la constitution, le 11 janvier 2002, de la société à responsabilité limitée … s.àr.l. auraient, avec effet au 15 mars 2002, décidé de fixer la date de cessation de leur entreprise individuelle. Ainsi auraient-ils fixé ensemble avec le bureau d’imposition les bases de l’affectation de la … à leur patrimoine privé. Par ailleurs, la quote-part cédée au patrimoine de l’entreprise commerciale n’aurait fait l’objet d’aucune contestation de la part de l’administration jusqu’à ce jour. La vente d’un seul appartement à des tiers n’aurait été précédée d’aucune publicité. Ce serait par une relation familiale que l’acquéreur aurait été au courant de l’état de l’appartement en question, état d’ailleurs terminé, et les intimés n’auraient accepté de céder leur propriété que sous la pression du candidat locataire. Dès lors, en dehors du critère de l’indépendance, aucun des autres critères distinctifs de l’activité commerciale ne serait vérifié dans le chef des intimés.

Les intimés contestent toute interaction de leur part avec les activités de la société à responsabilité limitée créée par eux en 2002. Celle-ci aurait précisément été mise en place pour dresser une barrière entre les opérations du patrimoine privé, axées sur une gestion simplement conservatrice, et celles du patrimoine de la société gérée sur base d’une activité commerciale. Si les intimés n’avaient vendu aucun objet du patrimoine privé entre 2004 et 2010, ladite société aurait procédé dans la même période à un nombre élevé de ventes d’appartements en l’état futur d’achèvement. Au lieu de constater une interaction, il y aurait lieu de faire la part des choses, tel que le tribunal l’aurait opéré à bon escient.

Les intimés soulignent encore que l’argument de la partie appelante suivant lequel la … aurait toujours fait partie de l’actif net investi (« Betriebsvermögen ») jusqu’à l’année d’imposition 2004 serait contredit par le constat que l’administration a accepté jusque lors de qualifier les loyers de la même … perçus de 2003 à 2006 comme étant des revenus de location, partant comme faisant partie de la « sphère privée » des contribuables en question.

Si le bureau avait été conséquent, il aurait dû qualifier ces loyers comme produits d’exploitation du patrimoine commercial.

Par ailleurs, les intimés n’auraient pas été au courant de la qualification que le bureau allait réserver aux constructions érigées et ils ne pouvaient pas prévoir, au vu de la pratique antérieure, que l’administration allait procéder à l’intégration des constructions de la … en 2004 dans le bénéfice commercial. S’ils avaient prévu cette qualification, les intimés affirment avoir certainement recouru contre les bulletins émis pour les exercices 2002 et 2003.

S’il était vrai que les résidences … et … font partie d’une même copropriété, cette décision ne serait pas due au promoteur mais à l’administration du cadastre et à la commune de …, dans le cadre de l’autorisation de construire, et serait basée sur le fait de l’existence d’un sous-sol commun. Ce ne serait cependant pas l’existence de ce sous-sol commun qui devrait impliquer que la … soit également intégrée dans le patrimoine commercial des contribuables.

Les intimés soulignent encore une erreur de droit opérée par le bureau d’imposition en incluant dans l’imposition de l’année 2004 la vente du seul appartement cédé à des consorts tiers déjà intégrée par l’administration dans l’imposition relative à l’année 2003. On serait en présence d’une double imposition d’un unique et même bien.

De même, les trois appartements avec caves et garages ayant fait l’objet du partage d’ascendants du 16 juin 2009 auraient été intégrés par erreur dans le calcul de la valeur de réalisation pour la détermination du bénéfice de cessation imposé par le bureau dans le chef des intimés.

Les intimés concèdent que les revenus de location de l’année 2003 ont été englobés dans le calcul du bénéfice commercial retenu pour cet exercice. Cependant, à partir de 2004 et jusqu’en 2006, l’administration aurait accepté les loyers de la même résidence comme revenu de location relevant dès lors de leur sphère privée. Les intimés déclarent cependant maintenir leurs conclusions suivant lesquelles ils n’ont pas été utilement mis en mesure de réclamer contre les impositions des années 2002 et 2003. Ainsi, ni eux-mêmes, ni la fiduciaire en charge du dossier n’auraient été informés, ni par écrit ni par téléphone, de la date à laquelle l’administration voulait accepter la cessation de l’activité de leur entreprise individuelle, ni d’ailleurs de la forme suivant laquelle cela devait se faire. Les intimés estiment que dans les courriers du bureau d’imposition concernant le paragraphe 205 (3) AO respectivement pour les années d’imposition 2002 (4 juillet 2007) et 2003 (29 août 2008), versés en annexe au mémoire en réplique par le délégué du gouvernement, la Cour ne serait pas à même de trouver une quelconque information sur la date et la forme suivant laquelle l’administration aurait voulu procéder à l’acceptation et à l’imposition de la cession du commerce déclarée.

Par ailleurs, l’administration n’aurait nullement informé les contribuables qu’elle avait l’intention d’englober dans le bénéfice de cessation les appartements et garages construits après la cessation du 15 mars 2002 et n’ayant dès lors pas existé à cette date. Le point de l’absence d’information concernant les deux années d’imposition 2002 et 2003 serait d’une importance capitale en l’absence de procédure de réclamation introduite contre les bulletins d’imposition des deux années en question. Les parties intimées affirment avoir « bien réclamé par lettre recommandée du 27 juillet 2007 à la procédure du paragraphe « 205 (3) AO préalablement à l’imposition de l’année 2002, ceci par des motivations développées sur sept pages ». L’inspectrice en charge du dossier aurait répondu, suivant une communication téléphonique, qu’elle ne pouvait pas suivre les arguments des intimés et qu’elle allait procéder à l’imposition. Les intimés déclarent dès lors ne pas pouvoir accepter le reproche qu’ils auraient « consciemment omis de le faire », c'est-à-dire de réclamer. Par contre, une réclamation aurait été « assommée et étouffée par un comportement indigne d’une administration envers ses contribuables ».

Au fond, il convient tout d’abord de cerner les préalables et de cadrer les questions litigieuses.

Il est vrai que, lorsque les époux …-… ont déposé leur déclaration pour l’impôt sur le revenu des personnes physiques de l’année 2004, en date du 31 janvier 2007, ils n’étaient pas encore en possession des bulletins d’imposition pour les exercices 2002 et 2003, ceux-ci n’ayant été émis que plus tard. Il se dégage des pièces versées au dossier de la Cour que c’est à partir de la communication leur faite le 4 juillet 2007, sur base du paragraphe 205 (3) AO pour les impositions de l’année 2002, que les intimés ont été renseignés que « la cession d’entreprise commerciale n’est pas admise, étant donné que vous continuez à faire des achats et des ventes d’immeubles en nom personnel » et que le bureau se proposait en conséquence de procéder à des impositions différentes par rapport aux déclarations faites et dans la mesure y renseignée.

S’il est vrai que par courrier recommandé du 27 juillet 2007, les intimés ont pris position par rapport à cette information préalable du 4 juillet 2007, il n’en reste pas moins qu’aucune réclamation de leur part n’est documentée au dossier comme ayant été introduite à l’encontre du bulletin d’impôt sur le revenu pour l’année 2002.

De même, suivant communication du 29 août 2008, les époux …-… ont été informés qu’également pour l’année d’imposition 2003, la cession de l’entreprise commerciale avec effet à l’année 2002 n’avait pas été admise et qu’en conséquence un bénéfice commercial avait également été dégagé dans le contexte de l’impôt sur le revenu de l’année 2003 suivant le détail fourni audit courrier du 29 août 2008. Ici encore, aucune réclamation n’est documentée au dossier comme ayant été introduite à l’encontre du bulletin d’impôt sur le revenu pour l’année 2003.

La Cour est dès lors amenée à retenir à la base du présent litige que les bulletins de l’impôt sur le revenu pour les années 2002 et 2003 sont à considérer comme étant coulés en force de chose décidée. Dans ces circonstances, force est à la Cour de constater qu’avant l’année d’imposition 2004 aucune cession de l’entreprise commerciale ainsi désignée concernant les éléments litigieux de la … ne se trouve vérifiée, pas plus qu’un prélèvement avec transfert dans le patrimoine privé des intimés concernant les mêmes effets immobiliers.

Ce n’est qu’à partir de l’année d’imposition 2004 que le bureau d’imposition a considéré les loyers réalisés, dans le nouveau contexte d’un investissement privé, comme revenu net de locations des appartements ainsi transférés au patrimoine privé.

C’est le bulletin d’imposition litigieux émis le 30 septembre 2009 pour l’année 2004 qui opère la cession de l’entreprise commerciale ainsi désignée avec passage dans le patrimoine privé des intimés des effets immobiliers relatifs à la … par eux visés.

Le bureau a de la sorte rejoint la position principale des époux …-… en ce qu’il a entériné la cession de l’entreprise commerciale concernant les effets immobiliers relatifs à la …, sauf à ne pas l’admettre pour la date initialement indiquée par les contribuables, à savoir le 15 mars 2002, mais avec effet à l’année 2004. Il est vrai que ce faisant, il y a non seulement eu prélèvement et transfert dans le patrimoine privé des intimés d’effets immobiliers, comprenant outre le terrain, également la construction de la … érigée essentiellement après le 15 mars 2002, mais, à la même occasion, mise à découvert de la plus-value latente y afférente.

Dans la mesure où le bureau admit ainsi le passage dans le patrimoine privé des intimés des effets immobiliers en question, la problématique pertinente en l’espèce n’est pas celle de la qualification des opérations – activité commerciale ou non au sens de l’article 14 LIR – mais celle des conséquences en matière d’impôt sur le revenu du passage ainsi effectué en 2004 à partir d’une activité commerciale antérieure vers le patrimoine privé des intimés, étant constant que d’après les bulletins d’imposition entretemps définitifs pour les années 2002 et 2003, ce passage n’y avait pas été opéré.

Il est en effet patent que c’est le bulletin d’imposition relatif à l’impôt sur le revenu pour l’année 2002 qui, en refusant le passage dans le patrimoine privé des effets immobiliers relatifs à la …, maintenait ceux-ci nécessairement au niveau de l’activité commerciale des intimés jusque lors exercée de manière non contestable. La Cour entrevoit l’intérêt financier qu’auraient pu avoir les époux …-… à voir opérer le passage dans le patrimoine privé des effets immobiliers relatifs à la … avec effet au 15 mars 2002, étant donné qu’à l’époque les terrains en question étaient quasiment non construits, la résidence n’ayant été érigée qu’à partir de l’année 2002 pour se trouver achevée fin 2003. Cependant, les bulletins d’impôt sur le revenu pour les années 2002 et 2003 sont entretemps devenus définitifs, précisément pour ne pas avoir été utilement mis en cause par une réclamation valable de la part des contribuables intéressés qui, de la sorte, n’ont pas pu soumettre à la juridiction saisie une situation à la fois complète et laissant ouverte d’un point de vue juridique la qualification de l’activité – commerciale ou non – des intimés concernant l’ensemble des trois exercices 2002 à 2004 concernés. Sous cet aspect, il est indifférent de savoir si c’est de manière consciente ou non que les intimés n’ont pas introduit de réclamation utile contre les bulletins de l’impôt sur le revenu pour les années 2002 et 2003. Toujours est-il qu’en l’absence documentée de pareilles réclamations, il ne reste à la Cour que de constater que le transfert dans le patrimoine privé des intimés des effets immobiliers relatifs à la …, pourtant souhaité par eux, est à cristalliser au niveau de l’année 2004, tel qu’opéré par le bureau d’imposition litigieux afférent émis le 30 septembre 2009.

L’argument des intimés tiré d’une violation du principe non bis in idem en raison d’une double imposition du seul appartement vendu à des tiers est non pertinent. Il est vrai qu’au niveau du bénéfice commercial imposé comme tel dans le contexte de l’impôt sur le revenu de l’année 2003, la vente dudit appartement à … a été émargée suivant le prix de vente de 440.000 € sous déduction du prix de revient dégagé, tel que relaté plus particulièrement dans le courrier d’information du bureau d’imposition du 29 août 2008, précité, émis sur base du paragraphe 205 (3) AO. Cependant, eu égard au fait que la résidence en question comprend de façon non contestée 10 appartements, la circonstance que le bureau d’imposition, pour l’année 2004, opère un transfert dans le patrimoine privé de « 9 app. … » ainsi qu’il résulte de son courrier d’information du 29 août 2009 préalable à l’imposition, lui aussi émis en vertu du paragraphe 205 (3) AO, fait ressortir clairement que le bureau n’a pas inclus dans ledit transfert le seul appartement précisément vendu à un des tiers et sorti du patrimoine des intimés déjà durant l’exercice 2003. L’argument tiré d’une double imposition manque dès lors en fait. A cet escient il convient encore de souligner que la valeur estimée de réalisation pour les 9 appartements en question, à savoir 3.000.000 €, n’apparaît pas comme étant surfaite, eu égard à la circonstance constante que le seul appartement jusque lors vendu l’a été en 2003 pour un prix principal de 440.000 €. Les intimés ne mettent pas en cause de façon précise la valeur estimée de réalisation en question, tout comme ils ne fournissent pas les éléments nécessaires pour comparer utilement le prix de vente réalisé pour le seul appartement cédé jusque lors et les valeurs estimées pour les 9 autres transférés dans leur patrimoine privé.

La décision des intimés de transférer en 2009, suivant partage d’ascendants, trois des neuf appartements en question à leurs deux fils doit rester sans incidence sur le transfert dans le patrimoine privé opéré pour les 9 appartements, cristallisé en 2004. D’un côté, se trouvant dans le patrimoine privé des intimés désormais, les trois appartements en question peuvent être librement cédés par ceux-ci à leurs deux fils suivant le mécanisme juridique par eux jugé être le plus opportun, sans que toutefois cette opération effectuée 5 années plus tard ne puisse, en quelque sorte rétroactivement, voir requalifier le transfert dans le patrimoine ainsi effectué, pour le surplus souhaité par les intéressés et indispensable de toute façon pour que le partage d’ascendants ait pu se réaliser de la sorte.

D’une manière générale le transfert dans le patrimoine privé des 9 appartements de la … restés la propriété des intimés ne se trouve affecté ni par le partage d’ascendants de 5 années plus tard, tout comme l’Etat ne remet pas en question ce transfert du fait d’éventuelles ventes effectuées à partir de l’année 2010.

L’argument invoqué par les intimés suivant lequel à partir de 2004 jusqu’en 2006 l’administration aurait accepté les loyers de la … comme revenu de location, relevant dès lors de leur sphère privée, laisse également d’être fondé. Ce n’est que de façon conséquente, après avoir opéré le transfert des 9 appartements leur appartenant encore dans le patrimoine privé des époux …-… que le bureau d’imposition, à partir de l’année d’imposition 2004, a considéré les loyers réalisés, dans le nouveau contexte d’un investissement privé, comme revenu net de location des appartements ainsi transférés au patrimoine privé. Ici encore l’argument laisse d’être fondé.

Il résulte de l’ensemble des développements qui précèdent que l’appel étatique est fondé et que par réformation du jugement entrepris il y a lieu de déclarer non fondé le recours initial des époux …-… tendant à la réformation, sinon à l’annulation du bulletin d’impôt sur le revenu de l’année 2004, précité, émis le 30 septembre 2009.

Eu égard à l’issue du litige, tant la demande en allocation d’une indemnité de procédure pour la première instance que celle relative à l’instance d’appel, présentées par les intimés sont à rejeter.

Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause ;

déclare l’appel recevable ;

au fond, le dit justifié ;

réformant, déclare le recours initial des époux …-… en réformation du bulletin de l’impôt sur le revenu pour l’année 2004, émis le 30 septembre 2009, non fondé ;

partant en déboute ;

déclare les demandes en allocation d’une indemnité de procédure des époux …-… pour la première instance et pour l’instance d’appel non fondées ;

condamne les mêmes époux intimés aux dépens des deux instances.

Ainsi délibéré et jugé par:

Georges RAVARANI, président, Francis DELAPORTE, vice-président, Serge SCHROEDER, conseiller, et lu par le président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence de la greffière de la Cour Anne-Marie WILTZIUS.

S.WILTZIUS S.RAVARANI Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 22 novembre 2016 Le greffier de la Cour administrative 11


Synthèse
Numéro d'arrêt : 28901C
Date de la décision : 13/12/2011

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2011-12-13;28901c ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award