GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 26706 C Inscrit le 15 mars 2010
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Audience publique du 15 juin 2010 Appel interjeté par la société anonyme …, … contre un jugement rendu par le tribunal administratif le 1er février 2010 (n° 24579 du rôle) dans une affaire l’ayant opposée à deux bulletins de cotisation émis par la Chambre de commerce du Grand-
Duché de Luxembourg en matière de cotisations professionnelles
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Vu la requête d’appel, inscrite sous le numéro 26706C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 15 mars 2010 par Maître Jean-Pierre WINANDY, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société anonyme …, établie et ayant son siège social à …, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonction, dirigée contre un jugement rendu par le tribunal administratif le 1er février 2010, dans la mesure où ledit tribunal a déclaré irrecevable le recours en réformation, sinon en annulation, introduit par la société … contre le bulletin de cotisation émis à son encontre par la Chambre de commerce du Grand-Duché de Luxembourg le 7 juillet 2006 au titre de l’année 2006 ;
Vu l’exploit de signification de l’huissier de justice Guy ENGEL, demeurant à Luxembourg, du 15 mars 2010, portant signification de cette requête à la Chambre de commerce du Grand-Duché de Luxembourg, établie à L-1615 Luxembourg, 7, rue Alcide de Gasperi ;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 15 avril 2010 par Maître Patrick KINSCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, en nom et pour compte de la Chambre de commerce du Grand-Duché de Luxembourg, préqualifiée ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe de la Cour administrative le 23 avril 2010 au nom de la société … ;
Vu le mémoire en duplique déposé au greffe de la Cour administrative le 14 mai 2010 en nom et pour compte de la Chambre de commerce du Grand-Duché de Luxembourg ;
Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;
Le rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Jean-Pierre WINANDY et Maître Patrick KINSCH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 1er juin 2010.
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Le 7 juillet 2006, la Chambre de commerce du Grand-Duché de Luxembourg, ci-après dénommée la « Chambre de commerce », émit à l’égard de la société anonyme …, ci-après dénommée la « société … », un bulletin de cotisation portant fixation de la cotisation pour l’année 2006 d’un montant de 114.156,68€.
Le 13 mars 2008, la Chambre de commerce émit à l’égard de la société … un bulletin de cotisation portant rappel de cotisations pour l’année 2007 d’un montant de 33.258,02€. Ce bulletin fut confirmé le 6 juin 2008.
Le 7 juillet 2008, la société … saisit le tribunal administratif d’un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de ces deux bulletins de cotisation émis par la Chambre de commerce respectivement en dates des 7 juillet 2006 et 13 mars 2008, tel que confirmé le 6 juin 2008.
Par jugement du 1er février 2010, le tribunal administratif se déclara incompétent pour connaître du recours en réformation ; déclara le recours en annulation irrecevable en ce qu’était visé le bulletin de cotisation du 7 juillet 2006 pour non-respect du délai légal pour agir et, pour le surplus, le déclara recevable et fondé, partant annula, le bulletin de cotisation du 13 mars 2008 ainsi que la décision confirmative du 6 juin 2008.
Le 15 mars 2010, la société … a régulièrement interjeté appel contre ledit jugement du 1er février 2010 dans la mesure de la décision d’irrecevabilité en ce qui concerne le recours en annulation dirigé contre le bulletin de cotisation du 7 juillet 2006.
Elle expose qu’en écrivant devant les premiers juges que son recours avait été introduit en dehors du délai légal de trois mois, « ce passage de la requête introductive d’instance faisait référence à la date marquée sur le bulletin de cotisation et non pas à la date de notification » et que cette dernière serait inconnue et qu’il ne lui revenait pas de l’établir. Or, faute de notification, « au moins en droit français », le délai de recours n’aurait pas commencé à courir.
Sur ce, l’appelante conclut encore au bien-fondé de son recours et demande l’annulation du bulletin litigieux pour violation des dispositions sur la protection du secret fiscal et en raison de l’illégalité du règlement de cotisation de la Chambre de commerce.
En termes de réplique, la société … soutient qu’il serait faux de conclure du seul fait du paiement à une réception du bulletin, alors que ce paiement pourrait s’expliquer autrement, notamment par un coup de téléphone qu’elle aurait pu donner à la Chambre de commerce ou encore par le fait que par une « audit letter », son réviseur aurait pu demander à la Chambre de commerce le montant des cotisations impayées.
Elle admet « que nous sommes ici dans le domaine de la pure spéculation », mais que les deux hypothèses ne seraient néanmoins pas « si absurdes ».
La Chambre de commerce estime que l’irrecevabilité du recours introduit le 7 juillet 2008 contre un bulletin de cotisation émis et notifié en juillet 2006 serait patente.
Elle constate qu’après avoir reconnu en première instance ne pas avoir agi dans le délai légal, l’appelante changerait la version des faits pour avancer dorénavant ne pas avoir reçu le bulletin litigieux.
Elle estime que ce dernier point de vue ne serait pas défendu de bonne foi, d’autant plus que la demanderesse initiale aurait payé la cotisation litigieuse dès le 18 juillet 2006, documentant donc bien la réception du bulletin du 7 juillet 2006.
La décision d’irrecevabilité prononcée en première instance repose essentiellement sur le constat des premiers juges que la société … a reconnu ne pas avoir agi dans le délai légal.
Force est à la Cour de rejoindre les premiers juges en ce constat qui s’impose effectivement à la lecture de la requête introductive de la première instance, où la société … s’exprime comme suit : « Bien que le présent recours soit introduit en dehors du délai légal de 3 mois, qui est le délai de droit commun, nous considérons que ce recours est toujours recevable. Les questions de recevabilité et d’appréciation sur le fond sont d’ailleurs liées ». Elle enchaîne par une longue citation, tirée d’un ouvrage de droit administratif français, ayant trait à des irrégularités entraînant l’inexistence ou la nullité plus ou moins accentuée de l’acte concerné, pour demander à la juridiction saisie de rechercher « dans le cas d’espèce dans quel cas de figure l’on se trouve ».
Il se dégage indubitablement des termes « bien que le présent recours soit introduit en dehors du délai légal de 3 mois » - émanant non pas d’un profane, mais d’un professionnel de la postulation en justice - que de la sorte, la société … reconnaît expressément ne pas avoir agi dans le délai contentieux et qu’elle admet, implicitement, mais nécessairement, avoir reçu notification du bulletin litigieux du 7 juillet 2006.
Ce constat n’est point à relativiser au regard des autres développements de la demanderesse initiale, dès lors qu’elle enchaîne par un argumentaire - essentiellement théorique - tablant sur les incidences de cas d’inexistence d’un acte administratif ou de nullités plus ou moins radicales de pareil acte par rapport à la recevabilité de son recours, mais qu’il n’est à aucun moment question d’un défaut de notification ayant pu empêcher que le délai commence à courir.
La position ainsi adoptée en première instance change cependant radicalement en instance d’appel, où l’argumentaire déployé par la société … repose sur la contestation de la notification du bulletin émis le 7 juillet 2006.
Or, c’est à juste titre que la Chambre de commerce s’insurge contre cette façon de procéder.
La Cour ne saurait en effet pas admettre une véritable volte-face d’une partie, d’une instance à l’autre, se heurtant à la règle de l’interdiction de se contredire au détriment d’autrui.
En effet, cette règle, simple application des principes de cohérence et de bonne foi, repose sur l’idée que la cohérence est un gage de loyauté et de bonne justice et qu’un comportement contradictoire au détriment d’autrui contrevient à la règle du procès équitable.
Or, c’est précisément le cas en l’espèce où la société … entend dorénavant remettre en question le cours d’un délai - dont l’épuisement profite à son contradicteur - et qu’elle a antérieurement admis comme ayant couru.
Il convient de faire front contre pareil venire contra factum proprium intolérable et de retenir que l’argumentaire et la prétention en justice actuellement soutenus par la société … se trouvent de la sorte viciés à leur base et sont à écarter purement et simplement.
S’il en résulte à suffisance que l’appel n’est pas fondé et que, dans les limites de l’appel, il y a lieu à confirmation du jugement entrepris, il convient néanmoins encore d’insister sur ce que le paiement par la société … de la cotisation faisant l’objet du bulletin litigieux crée une forte apparence de la réalité de la notification du bulletin afférent et la société … se méprend en estimant pouvoir la renverser utilement par de simples considérations hypothétiques, d’ailleurs guère réalistes.
Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties à l’instance;
reçoit l’appel en la forme;
au fond, le déclare non fondé et en déboute;
partant confirme le jugement entrepris, dans la mesure où il a été appelé;
condamne la société … aux dépens de l’instance d’appel.
Ainsi délibéré et jugé par :
Henri CAMPILL, premier conseiller, Serge SCHROEDER, conseiller, Lynn SPIELMANN, conseiller, et lu par le premier conseiller en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier de la Cour Anne-Marie WILTZIUS.
s. Wiltzius s. Campill Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 22 novembre 2016 Le greffier de la Cour administrative 5