GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 26479C du rôle Inscrit le 12 janvier 2010
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Audience publique du 22 avril 2010 Appel formé par l'Etat du Grand-Duché de Luxembourg contre un jugement du tribunal administratif du 2 décembre 2009 (n° 24322a du rôle) rendu dans un litige ayant opposé Monsieur XXX XXX, XXX (F), à l'Etat en matière d'impôt sur le revenu des personnes physiques Vu la requête d’appel, inscrite sous le numéro 26479C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 12 janvier 2010 par Madame la déléguée du gouvernement Monique ADAMS, agissant au nom et pour compte de l'Etat du Grand-
Duché de Luxembourg, en vertu d'un mandat lui conféré à cet effet par le ministre des Finances le 4 janvier 2010, dirigée contre le jugement rendu par le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg le 2 décembre 2009 (n° 24322a du rôle) dans un litige ayant opposé Monsieur XXX XXX, demeurant à F-XXX, à l'Etat du Grand-Duché de Luxembourg;
Vu l'exploit de l'huissier de justice suppléant Gilles HOFFMANN, en remplacement de l'huissier de justice Carlos CALVO, les deux demeurant à Luxembourg, du 19 janvier 2010, portant signification du prédit acte d'appel à Monsieur XXX XXX, préqualifié;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 12 février 2010 par Maître Jean SCHAFFNER, avocat à la Cour, assisté de Maître Paul BERNA, avocat, les deux demeurant à Luxembourg, inscrits au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur XXX, préqualifié;
Vu les pièces versées au dossier et notamment le jugement entrepris;
Le rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame la déléguée du gouvernement Monique ADAMS et Maître Paul BERNA, pour l'intimé en leurs plaidoiries à l’audience publique du 23 mars 2010.
Le 12 novembre 2003, le tribunal de grande instance de Thionville condamna Monsieur XXX XXX, dans le cadre de son divorce, à payer une prestation compensatoire de 122.000,- € à son épouse. Les époux convinrent que le paiement de la prestation compensatoire ne s’effectuerait qu’au jour de la vente de l’immeuble leur servant de résidence principale. Par acte notarié du 27 septembre 2004, l’immeuble fut vendu et les époux signèrent une convention de répartition du prix de vente en vertu de laquelle la prestation compensatoire fut payée par voie de déduction de la part du prix de vente revenant à Monsieur XXX.
Lors de sa déclaration pour l’impôt sur le revenu de l’année 2004, Monsieur XXX sollicita un abattement pour charges extraordinaires en raison de la prestation compensatoire. Par courrier du 3 juin 2005, le bureau d’imposition compétent fit part de son refus de considérer la prestation compensatoire comme charge extraordinaire au motif que la liquidation d’une communauté privée ne peut pas donner lieu à une dépense extraordinaire.
Suite à une contestation de Monsieur XXX, le bureau d’imposition, par bulletin d’impôt sur le revenu émis le 22 juin 2005, maintint son refus de prendre en compte la prestation compensatoire en tant que charge extraordinaire pour l’année d’imposition 2004.
Par courrier du 4 août 2005, Monsieur XXX introduisit une réclamation contre le bulletin d’impôt sur le revenu des personnes physiques de l’année 2004 auprès du directeur de l’administration des Contributions directes.
Par décision du 29 janvier 2008, celui-ci retint que les sommes payées à titre de prestation compensatoire n’étaient pas à considérer comme dépense spéciale au sens de l’article 109bis de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu (L.I.R.), étant donné qu’il leur manque le caractère de périodicité.
Il ne considéra pas davantage les sommes payées comme tombant sous l’application de l’article 127 L.I.R en vertu duquel le contribuable obtient sur demande un abattement de revenu imposable du fait de charges extraordinaires qui sont inévitables et qui réduisent d'une façon considérable sa faculté contributive. Pour arriver à cette conclusion, il expliqua que, d’une part, s’il est vrai que certaines dépenses, tels les aliments payés dans certains cas prévus par le code civil et les frais de divorce sont susceptibles de représenter des charges extraordinaires, le montant litigieux avait été payé à titre de prestation compensatoire, constituant ainsi une somme d'argent destinée à réparer un préjudice et non une charge extraordinaire. Il ajouta que, d’autre part, la dépense afférente n’était pas à considérer comme inévitable puisqu’il se dégageait du jugement de divorce du 12 novembre 2003 que Monsieur XXX et son ex-épouse avaient accepté de bon gré qu'aucune pension alimentaire au titre du devoir de secours ne serait prévue et, par conséquence, avaient opté pour le paiement d'une prestation compensatoire à fixer par le juge aux affaires familiales, de sorte que, si le fait de subvenir au devoir du secours était inévitable, il n'en restait pas moins que la forme choisie ne l'était manifestement et que, partant, l'élément déclencheur du paiement d'une somme unique ne saurait être qualifié d'inévitable.
Le directeur de l’administration des Contributions rejeta par conséquent la réclamation de Monsieur XXX.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 25 avril 2008, Monsieur XXX introduisit un recours contentieux tendant à la réformation, sinon à l’annulation de cette décision.
Par jugement du 30 mars 2009, le tribunal se déclara compétent pour connaître du recours en réformation et le déclara recevable.
Au fond, après avoir constaté que les parties étaient en désaccord sur l’interprétation d’une disposition de droit étranger, à savoir les articles 270 et suivants du code civil français relatifs à l’institution de la prestation compensatoire, il soumit une demande d’information au ministre de la Justice, en application de la Convention européenne dans le domaine de l’information sur le droit étranger signée à Londres en date du 7 juin 1968, tel que complétée par son protocole additionnel signé à Strasbourg en date du 15 mars 1978, aux fins de voir demander aux autorités françaises des renseignements quant à l’application des articles 270 et suivants du code civil français.
Cette demande tendait plus particulièrement à voir informer le tribunal, si le régime de la prestation compensatoire constitue une option laissée à la disposition des époux, en ce sens qu’ils peuvent librement opter entre une pension alimentaire régulière ou une prestation compensatoire, et si, au cas où une prestation compensatoire a été retenue, les époux peuvent librement choisir entre le paiement de cette prestation compensatoire sous forme de versement unique d’un capital ou sous forme de versements périodiques, ou si un tel choix appartient au seul juge des affaires familiales.
Cette demande fut rencontrée par une prise de position des autorités françaises compétentes du 21 juillet 2009 apportant les précisions suivantes:
« Dans le cadre d'une procédure de divorce, en application de l'article 268 du code civil, les époux peuvent régler par convention tout ou partie des conséquences du divorce. Ainsi, ils peuvent, notamment, librement convenir d'une prestation compensatoire sous forme d'un capital, payée en une seule fois ou en versements périodiques, ou d'une pension alimentaire. Cependant cet accord, sur le principe, le montant et les modalités de paiement de la prestation compensatoire, doit nécessairement être soumis à l'homologation du juge qui pourrait le refuser en estimant qu'il est contraire à l'intérêt de l'un des époux.
En revanche, si les époux ne parviennent pas à un accord sur la prestation compensatoire quant à son montant ou quant à sa forme, il appartient au juge de la fixer. Il est alors tenu par ces règles impératives. La prestation compensatoire prend par principe la forme d'un capital qui doit être payé immédiatement. Toutefois si le débiteur n'est pas en mesure de verser le capital en une fois, le juge peut décider d'un versement échelonné annuel ou mensuel dans la limite de 8 années. Enfin, à titre exceptionnel, le juge peut, par décision spécialement motivée, lorsque l'âge ou l'état de santé du créancier ne lui permet pas de subvenir à ses besoins, fixer la prestation compensatoire sous forme de rente viagère. » Concernant la question de l’applicabilité de l’article 127 L.I.R., le tribunal se référa à un arrêt de la Cour de cassation française ayant qualifié la prestation compensatoire comme prestation à caractère hybride, mi-alimentaire, mi-
indemnitaire, étant entendu que ce caractère partiellement alimentaire est encore accentué du fait que cette prestation a pour objet de régler en une seule fois tout ou partie des conséquences du divorce et qu’elle doit être soumise à l’homologation du juge qui peut le cas échéant la refuser s’il estime qu’elle est contraire à l’intérêt de l’un des époux. Il en tira que la conclusion du directeur que la somme litigieuse ne peut pas avoir de caractère alimentaire et serait destinée à réparer un préjudice, n’était pas fondée.
Il ajouta que dans la mesure où la possibilité de régler les conséquences d’un divorce moyennant une prestation compensatoire sous forme d’un capital payé en une seule fois ne connaît pas d’équivalent en droit luxembourgeois, la charge litigieuse n’incombe pas de la même manière à tous les contribuables se trouvant dans une situation analogue quant à la situation familiale et quant à l’importance des revenus et de la fortune, étant donné que nombreux contribuables luxembourgeois divorcés sont appelés à résoudre les conséquences de leur divorce d’après une réglementation autre que celle existant en France.
Le tribunal constata encore que même si, dans le cas d’espèce, Monsieur XXX avait opté, au départ et d’un commun accord avec son épouse, pour le paiement d’une prestation compensatoire sous forme de capital, il n’en demeurait pas moins que tant le principe que le montant de cette prestation compensatoire avaient reçu l’aval d’une juridiction française en ce sens que cet accord, sur le principe, le montant et les modalités de paiement de la prestation compensatoire, doit nécessairement être soumis à l’homologation du juge qui pourrait le refuser en estimant qu’il est contraire à l’intérêt de l’un des époux, et que par le fait de cette homologation, la charge litigieuse revêt dès lors le caractère inévitable, étant donné que le contribuable, condamné à payer cette prestation compensatoire sous forme de capital, ne dispose plus de la faculté de s’y soustraire.
Le tribunal en conclut que les conditions d’application de l’article 127 L.I.R.
étaient remplies et, par réformation de la décision directoriale déférée, dit que l’indemnité compensatoire pour un montant de 122.000 € est à prendre en considération au titre de charge extraordinaire pour l’année fiscale 2004. Il renvoya par voie de conséquence le dossier au directeur afin de voir procéder à une rectification du bulletin de l’impôt sur le revenu de Monsieur XXX de l’année 2004 sur cette base, sous réserve toutefois des dispositions de l’article 127, paragraphe 4 L.I.R., aux termes duquel « les charges extraordinaires réduisent la faculté contributive d’une façon considérable dans la mesure où elles dépassent les pourcentages de revenu (y) désignés ».
Par requête déposée le 12 janvier 2010, le délégué du gouvernement, en vertu d’un mandat lui conféré par le ministre des Finances, a régulièrement relevé appel, au nom de l'Etat, du jugement du 2 décembre 2009.
Il fait valoir que l’article 127 L.I.R. exige que trois conditions soient remplies, à savoir que la charge soit extraordinaire, qu’elle soit inévitable et qu’elle réduise la faculté contributive du contribuable de façon considérable. Il estime que si la dernière condition se trouve le cas échéant remplie, les deux autres ne le sont pas.
En effet, la charge ne serait pas extraordinaire, étant donné qu’elle incomberait de la même manière à tous les contribuables se trouvant dans une situation analogue quant à sa situation familiale et quant à l’importance des revenus de la fortune, peu importe d’ailleurs sa nationalité, et qui optent, dans le cadre d’un divorce pour faute se déroulant en France, pour le versement d’une indemnité compensatoire unique.
Par ailleurs, la charge ne serait pas non plus inévitable, car la situation engendrée n’aurait pas été provoquée par une contrainte ou nécessité extérieure, donc indépendante de la volonté du contribuable de façon qu’il n’a pu s’y soustraire, dès lors que Monsieur XXX n’aurait non seulement acquiescé au versement d’une prestation compensatoire sous forme de capital, mais également décidé du moment de son versement. Ayant eu le libre choix entre le paiement d’une prestation compensatoire et le versement d’une pension alimentaire, il ne saurait invoquer à son profit les obligations qu’il s’impose à lui-même et qui résultent donc de son libre choix.
L'article 127 L.I.R. a la teneur suivante:
« (1) Sur demande le contribuable obtient un abattement de revenu imposable du fait de charges extraordinaires qui sont inévitables et qui réduisent d’une façon considérable sa faculté contributive.
(2) Le contribuable est censé avoir des charges extraordinaires lorsqu’il a des obligations qui n’incombent normalement pas à la majorité des contribuables se trouvant dans une condition analogue quant à la situation familiale et quant à l’importance des revenus et de la fortune. Ne sont toutefois pas à prendre en considération les charges et dépenses déductibles à titre de dépenses d’exploitation, de frais d’obtention ou de dépenses spéciales.
(3) Une charge extraordinaire est inévitable au sens du présent article, lorsque le contribuable ne peut s’y soustraire pour des raisons matérielles, juridiques ou morales.
(4) (…) » De concert avec le tribunal, la Cour est d'avis que la prestation compensatoire au paiement de laquelle Monsieur XXX a été obligé constitue une charge extraordinaire.
Quant au caractère extraordinaire de cette charge, il y a lieu de rappeler que, tout comme en droit luxembourgeois, en droit français, chaque époux doit, en cas de divorce, subvenir en principe lui-même à ses besoins et ce n'est que s'il est dans le besoin que son ex-conjoint peut être tenu à lui verser une aide. En droit luxembourgeois, cette contribution prend invariablement la forme d'une pension alimentaire, tandis qu'en droit français, elle peut également être effectuée moyennant une prestation compensatoire, c'est-à-dire un capital, payé en une seule fois ou en versements échelonnés.
Si le législateur luxembourgeois a tenu compte de cette charge du paiement d’aliments au conjoint divorcé en qualifiant le moyen qui est seul prévu en droit interne, à savoir le versement d’une pension alimentaire, de dépenses spéciales dans le cadre de la catégorie des arrérages de rentes et de charges permanentes servies pour des motifs variables, qualification qui exclut pour les pensions alimentaires celle de charges extraordinaires conformément à l’article 127 (2) L.I.R., il n’a pas prévu la déduction totale ou partielle comme dépenses spéciales d’un capital, payé aux mêmes fins, au conjoint divorcé.
Dans ces conditions, par rapport à l’ensemble des contribuables résidents ayant divorcé, peuvent être considérés comme se trouvant en situation majoritaire ceux qui soit ne sont tenus à aucun paiement d’aliments au vu de la suffisance des ressources propres du conjoint divorcé, soit sont tenus à des paiements d’aliments sous forme d’une pension prévue en droit luxembourgeois et dans nombre de systèmes juridiques étrangers et qui peuvent déduire cette charge d’aliments en tant que dépenses spéciales dans les limites de l’article 109 L.I.R. Par contre les contribuables divorcés qui se trouvent obligés de s’acquitter de leur charge d’aliments sous forme d’un capital, sans pouvoir prétendre à la prise en compte de la réduction de leur capacité contributive en découlant en tant que catégorie de dépenses privées déductibles, doivent être considérés comme tenus d’une charge incombant en son principe à un nombre restreint de contribuables. Il s’y ajoute que la situation de revenus et de patrimoine de Monsieur XXX durant l’année 2004, telle que se dégageant des éléments en cause, ne permet pas de conclure qu’il aurait disposé de ressources telles que le caractère extraordinaire de la prestation compensatoire devrait être dénié à son égard. Il s’ensuit que le caractère extraordinaire de cette charge se trouve établi en l’espèce.
La Cour rejoint encore le tribunal en ce qu'il a considéré que le versement de la prestation compensatoire par Monsieur XXX a présenté pour celui-ci un caractère inévitable. Il se dégage en effet du jugement de divorce rendu par le tribunal de grande instance de Thionville que l'épouse de Monsieur XXX avait demandé la condamnation de celui-ci à une prestation compensatoire et que le tribunal y avait fait droit après avoir analysé la situation économique de chacune des parties. Il se dégage en particulier du jugement que si, à la date de comparaison, Monsieur XXX avait un revenu confortable, son épouse, ayant à s'occuper de l'éducation de trois enfants communs, ne disposait que d'allocations familiales de 800 €. S'il est vrai que Monsieur XXX a acquiescé au principe et au montant de 122.000 € de la prestation compensatoire, il peut cependant être admis, eu égard à la situation économique respective des parties, qu'en cas de refus de verser une prestation compensatoire, il aurait été condamné, selon toute probabilité, au paiement d’une prestation compensatoire d’un montant comparable à payer en une fois ou par des versements échelonnés. En l'espèce, la prestation compensatoire avait donc un caractère alimentaire. – Par ailleurs, pour apprécier le caractère inévitable de la dépense, il est indifférent que les parties aient, après que le principe de son paiement ait été fixé par jugement, convenu ultérieurement des modalités concrètes d'exécution, y compris la date, du paiement.
Il s'en dégage qu'en l'espèce, le versement de la prestation compensatoire est à considérer comme dépense inévitable.
Il découle des considérations qui précèdent que les critiques formulées par l'Etat à l'égard de l'examen, par le tribunal, des conditions d'application de l'article 127 L.I.R., ne sont pas fondées, de sorte que le jugement entrepris est à confirmer.
Monsieur XXX sollicite l'allocation, en instance d'appel, d'une indemnité de procédure de 3.000,- €.
Les conditions de l'article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, auquel renvoie l'article 54 de la même loi, n'étant pas remplies, il y a lieu de débouter Monsieur XXX de la demande afférente.
Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l'égard de toutes les parties, reçoit l'appel en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, partant confirme le jugement du 2 décembre 2009, déboute Monsieur XXX de sa demande en allocation d'une indemnité de procédure, condamne l'Etat aux dépens de l'instance d'appel.
Ainsi délibéré et jugé par :
Georges RAVARANI, président, Henri CAMPILL, premier conseiller, Serge SCHROEDER, conseiller, et lu par le président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en-tête, en présence du greffier en chef de la Cour Erny MAY.
s. MAY s. RAVARANI Reproduction certifiée conforme à l’original.
Luxembourg, le 22 novembre 2016 Le greffier en chef de la Cour administrative 7