La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

13/10/2009 | LUXEMBOURG | N°25869C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 13 octobre 2009, 25869C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 25869C Inscrit le 6 juillet 2009

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Audience publique du 13 octobre 2009 Appel formé par Madame …, … contre un jugement du tribunal administratif du 3 juin 2009 (n° 25053 du rôle) ayant statué sur son recours dirigé contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 19 L.5.5.2006)

---------------------------------

--------------------------------------------------------------------------------

...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 25869C Inscrit le 6 juillet 2009

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Audience publique du 13 octobre 2009 Appel formé par Madame …, … contre un jugement du tribunal administratif du 3 juin 2009 (n° 25053 du rôle) ayant statué sur son recours dirigé contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 19 L.5.5.2006)

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Vu la requête d’appel inscrite sous le numéro 25869C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 6 juillet 2009 par Maître Olivier LANG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née … » à … (Centrafrique), de nationalité centrafricaine, demeurant à …, dirigée contre un jugement du tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg du 3 juin 2009 (n° 25053 du rôle), ayant déclaré non fondé son recours dirigé contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 17 octobre 2008 tant en ce qu’il tendait à sa réformation concernant le refus de protection internationale qu’en ce qu’il tendait à son annulation de l’ordre ministériel de quitter le territoire y contenu ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 14 juillet 2009 par Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;

Le rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Christine FREYMUTH, en remplacement de Maître Olivier LANG, et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline GUILLOU-JACQUES en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 1er octobre 2009.

En date du 25 juin 2007, Madame …, introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après « la loi du 5 mai 2006 ».

Par décision du 17 octobre 2008, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-

après « le ministre », rejeta cette demande comme n’étant pas fondée tout en exprimant à l’encontre de la demanderesse l’ordre de quitter le territoire luxembourgeois.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 24 novembre 2008, Madame … fit introduire un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle précitée du 17 octobre 2008 dans la mesure du refus de protection internationale y exprimé ainsi qu’à son annulation concernant l’ordre ministériel de quitter le territoire y contenu.

Par jugement du 3 juin 2009 (n° 25053 du rôle), le tribunal administratif déclara ce recours non fondé sous son double volet.

A l’appui de sa requête d’appel, l’appelante réitère les mêmes éléments de fait que ceux présentés en première instance. Ainsi, elle déclare être née à … en Centrafrique et ne parler que la langue sangho. Après le décès de son mari et de ses frères et sœurs, elle se serait retrouvée seule si elle n’avait rencontré un homme, dénommé …, qui l’aurait amenée dans son village pour y vivre avec lui et sa femme et s’occuper de leurs enfants. Ce village aurait été attaqué et envahi par des bandits pour une raison inconnue. En fuyant le village avec … et sa famille, l’appelante aurait reçu un coup de gourdin sur la tête. Ensemble, ils seraient partis vers … où … se serait occupé des formalités pour pouvoir quitter le pays. Ainsi, il aurait notamment fait établir un acte de transcription d’un jugement supplétif d’acte de naissance dans le chef de l’appelante. Par la suite, elle aurait été amenée avec … et sa famille au Luxembourg, où, une fois arrivés, ceux-ci l’auraient laissée pour partir vers une destination inconnue. Comme en première instance, le mandataire de l’appelante expose que Madame … serait une femme traumatisée et quasi-analphabète, ayant beaucoup de mal à se rappeler et à raconter avec cohérence son passé. Elle serait arrivée au Luxembourg en très mauvaise santé physique et extrêmement fatiguée. Un test linguistique effectué sur demande du ministre aurait toutefois retenu sans équivoque qu’elle serait originaire de Centrafrique et qu’elle aurait longtemps vécu à ….

L’appelante renvoie la Cour à ses moyens et arguments contenus dans sa requête introductive de première instance. Ainsi, Madame … précise qu’elle a limité sa demande de protection internationale à la seule protection subsidiaire et que dans ce contexte, seule la matérialité des atteintes graves auxquelles elle se trouve exposée dans son pays d’origine serait pertinente, indépendamment des motifs à leur base. Elle estime que le coup de gourdin lui asséné, en tant que femme âgée, malade et en fuite devant un danger immédiat dont elle ne connaît même pas la nature, devrait s’analyser en un acte particulièrement dégradant, partant en traitement dégradant au sens de l’article 37 b) de la loi du 5 mai 2006 et donc d’atteintes graves telles qu’y prévues.

L’appelante reproche aux premiers juges d’avoir qualifié ledit coup de gourdin comme incident isolé et d’avoir retenu qu’aucun indice du dossier ne permettrait d’admettre qu’un tel incident risquerait de se reproduire en cas de retour dans son pays d’origine, alors que d’après les dispositions de l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006, il aurait appartenu au tribunal de rechercher les bonnes raisons que cet incident ne se reproduirait pas.

L’appelante souligne encore que rien ne dit qu’elle ne se soit pas trouvée dans le nord du pays au moment des graves troubles ayant frappé cette région à l’époque du conflit civil qui régna dans cette partie de la République de Centrafrique en 2007. Elle tient encore à préciser que si elle invoquait son caractère âgé, malade et isolé à l’appui de sa demande de protection subsidiaire, ce ne serait cependant pas en utilisant « ce seul fait » qu’elle a entendu voir établir un risque réel de subir des atteintes graves telles que définies par l’article 37 b) de la loi du 5 mai 2006, tel que l’a retenu le tribunal. Elle insiste pour dire que sa situation particulière aurait été une difficulté supplémentaire et de taille dans le contexte de la sécurité générale en Centrafrique, de sorte que ce serait à tort que le tribunal aurait retenu qu’elle-même n’aurait pas fait état d’un risque réel de subir des atteintes graves définies audit article 37.

Enfin, elle reproche au tribunal d’avoir dissocié artificiellement les trois éléments à la base de sa demande (le coup reçu dans les circonstances décrites, la situation sécuritaire en Centrafrique et sa situation de particulière vulnérabilité) qui seraient cependant à analyser globalement, dans le sens d’établir dans son chef un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37 précité en cas de retour dans son pays d’origine.

L’appelante sollicite la réformation du jugement entrepris dans le sens de voir annuler l’ordre de quitter le territoire en conséquence de la réformation du refus de protection subsidiaire. A titre subsidiaire, même en cas de non-réformation du volet du jugement entrepris concernant le refus de protection subsidiaire, l’appelante estime qu’il y a encore lieu à annulation de l’ordre de quitter le territoire pour violation de manière autonome des dispositions de l’article 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ainsi que des dispositions de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme pris isolément sinon combinées avec ledit article 129.

Le délégué du gouvernement se rallie pleinement aux développements et conclusions du tribunal administratif dans le jugement dont appel. Pour le surplus et pour autant que de besoin, il se réfère à son mémoire en réponse de première instance ainsi qu’aux pièces y versées.

Considérant que l’appel est recevable pour avoir été introduit suivant les formes et délai prévus par la loi ;

Considérant que les premiers juges ont valablement retenu que Madame … n’attaquait la décision ministérielle critiquée, concernant la protection internationale, que relativement au seul volet du refus de la protection subsidiaire ;

Considérant qu’ils ont encore correctement cadré l’argumentaire présenté au regard du refus de protection subsidiaire par rapport aux dispositions légales applicables tirées des articles 2 e) et 37 b) de la loi du 5 mai 2006 ;

Considérant que face à un récit particulièrement dégarni tant en ce qui concerne les circonstances d’espace et de temps que celles ayant entouré le coup du gourdin sur la tête affirmé sans autre détail ni précision, les premiers juges ont pu valablement retenir que même asséné à une personne de sexe féminin et d’un âge certain, pareil coup, à défaut de tout autre élément susceptible d’être qualifié de mauvais traitement, n’était pas à retenir, comme atteinte grave au sens de l’article 37 b) de la loi du 5 mai 2006 ;

Que le tribunal a fait une appréciation nuancée du récit de Madame … qu’il qualifie comme ne paraissant pas être incrédible en substance mais comme se présentant néanmoins de façon lacunaire et éminemment confuse ;

Considérant que la Cour partage l’analyse ainsi faite par le tribunal de façon nuancée et, ayant retenu à son tour le caractère isolé et insuffisant dudit coup de gourdin pour constituer une atteinte grave au sens de l’article 37 b) en question, force est à la Cour de retenir que la présomption prévue par l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006 ne saurait en conséquence opérer de façon pertinente dans le sens préconisé par l’appelante ;

Considérant qu’à défaut de toutes indications valables concernant la localisation du village où ledit coup de gourdin a été asséné, et même compte tenu de la situation sécuritaire en Centrafrique, les éléments du dossier ne permettent pas de le raccrocher utilement aux événements dont il est fait état dans le rapport de l’organisation Amnesty International discuté en cause, ainsi que l’a encore analysé de façon pertinente le tribunal dans son jugement dont appel ;

Considérant que les premiers juges ne sont pas critiquables non plus d’avoir relevé « le seul fait » d’être malade, âgé et seul dans le chef de l’appelante actuelle, alors que cette constatation a été opérée précisément au regard de l’analyse de l’argumentaire de l’intéressée à la lumière des dispositions de l’article 26 (3) de la loi du 5 mai 2006 qui porte que le ministre procède à l’évaluation individuelle d’une demande de protection internationale en tenant compte notamment de la situation personnelle du demandeur ;

Considérant qu’enfin, la présentation de l’appelante suivant laquelle son argumentaire procéderait de trois éléments ne permet ni la conclusion que sa demande de protection subsidiaire serait pour autant justifiée, au-delà du seul fait concret, mais isolé du coup de gourdin sur la tête, ni celle que le tribunal aurait dissocié de façon indue les éléments en question ;

Considérant qu’au contraire, le tribunal, en portant une analyse nuancée sur le récit de Madame … en ce qu’il a fait état d’un seul élément isolé, « le coup de gourdin », pour lequel il a été admis de façon constante qu’il lui a été asséné à l’âge avancé de 62 ans en 2007, l’année de naissance de l’intéressée restant imprécise et en l’absence de tout raccrochement géographique pertinent possible, a procédé nécessairement à une analyse globale pour autant que les éléments de fait produits et vérifiables puissent être utilement conjugués ;

Considérant qu’il suit de l’ensemble des développements qui précèdent que l’appel n’est pas fondé sous le volet du refus de la protection subsidiaire et que le jugement entrepris est à confirmer y relativement ;

Considérant que le recours en annulation dirigé par Madame … contre l’ordre de quitter le territoire part de la prémisse que cet ordre serait à considérer de manière autonome ;

Considérant que toutefois le législateur, à travers les dispositions claires et précises de l’article 19 paragraphe 1er de la loi du 5 mai 2006, a retenu que l’ordre de quitter le territoire constitue la conséquence automatique du refus de l’octroi de la protection internationale, qu’elle soit envisagée comme statut de réfugié ou comme protection subsidiaire ;

Considérant que c’est pour cette raison que le législateur a exigé que les recours dirigés contre une décision de refus de protection internationale et un ordre de quitter le territoire en découlant doivent obligatoirement faire l’objet d’une seule requête introductive ;

Que par ailleurs, la loi a prévu à travers ledit article 19 un recours en réformation contre la décision de refus de protection internationale – statut de réfugié et protection subsidiaire – tandis qu’à l’encontre de l’ordre de quitter le territoire seul un recours en annulation est prévu, étant donné qu’aux termes dudit texte de loi il ne peut s’agir que de la seule remise en question de la légalité de cette dernière décision pour un vice qui lui est propre ;

Considérant que si l’article 3 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme et l’article 129 de la loi du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration peuvent être invoqués et pris en considération en dehors de demandes de protection internationale dans d’autres procédures, toujours est-il que, dans le cadre d’une décision de refus de protection internationale, l’ordre de quitter le territoire n’en constitue que la conséquence automatique et légale ;

Considérant que l’appelante invoque aucun moyen relatif à la légalité intrinsèque de l’ordre de quitter le territoire, son observation que cet ordre ne serait assorti d’aucun délai, ce qui soulèverait la question de sa compatibilité avec l’article 3 CEDH devant s’analyser tout au plus en moyen suggéré et non point en moyen utilement produit ;

Considérant qu’à défaut pour l’appelante d’invoquer utilement un moyen relatif à la légalité intrinsèque de l’ordre de quitter le territoire, le jugement dont appel est à confirmer en ce qu’il a rejeté comme n’étant pas fondé le recours en annulation dirigé à l’encontre dudit ordre ministériel ;

Que l’appel laisse dès lors également d’être fondé sous ce dernier volet ;

Considérant que l’appel n’étant fondé en aucun de ses volets, il y a lieu d’en débouter l’appelante par confirmation du jugement entrepris.

Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause ;

déclare l’appel recevable ;

au fond, le dit non justifié ;

partant en déboute l’appelante ;

confirme le jugement entrepris ;

condamne l’appelante aux dépens de l’instance d’appel ;

donne acte à l’appelante qu’elle déclare bénéficier de l’assistance judiciaire.

Ainsi délibéré et jugé par :

Francis DELAPORTE, vice-président, Henri CAMPILL, premier conseiller, Serge SCHROEDER, conseiller, et lu par le président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence de la greffière de la Cour Anne-Marie WILTZIUS.

s. WILTZIUS s. DELAPORTE Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 22 novembre 2016 Le greffier de la Cour administrative 6


Synthèse
Numéro d'arrêt : 25869C
Date de la décision : 13/10/2009

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2009-10-13;25869c ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award