GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 23995C Inscrit le 28 janvier 2008
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Audience publique du 10 juin 2008 Appel formé par Madame … …-…, …, contre un jugement du tribunal administratif du 20 décembre 2007 (n° 22279 et 22702 du rôle) rendu dans un litige l’ayant opposée au ministre de la Santé en présence de Monsieur … …, …, en matière de concession de pharmacie
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Vu la requête d’appel, inscrite sous le numéro 23995C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 28 janvier 2008 par Maître Yvette HAMILIUS, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … …-…, pharmacienne, demeurant à L- …, , dirigée contre le jugement rendu par le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg le 20 décembre 2007 (n° 22279 et 22702 du rôle) dans un litige l’ayant opposée au ministre de la Santé, en présence de Monsieur … …, pharmacien, demeurant à L-…, par lequel le tribunal administratif l’a déboutée de ses deux recours introduits à l’encontre d’une décision du ministre de la Santé du 27 novembre 2006 classant Monsieur … … en rang utile pour l’obtention de la concession de pharmacie vacante à …, …, …, et d’une décision du même ministre du 5 décembre 2006 accordant à ce dernier ladite concession de pharmacie, ainsi qu’à l’encontre d’un arrêté du ministre de la Santé du 8 décembre 2006 autorisant Monsieur … … à reprendre et exploiter ladite pharmacie pour le 1er janvier 2007 au plus tard, sous les clauses et conditions prévues dans l’acte de concession rédigé le même jour ;
Vu l’exploit de l’huissier de justice suppléant Georges WEBER, en remplacement de l’huissier de justice Alex MERTZIG, les deux demeurant à Diekirch, du 4 février 2008, portant signification de cette requête d’appel à Monsieur … …, préqualifié ;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 25 février 2008 par Maître Roy NATHAN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … …, préqualifié ;
Vu l’exploit de l’huissier de justice Frank SCHAAL, demeurant à Luxembourg, du 29 février 2008, portant signification dudit mémoire en réponse à Madame … …-…, préqualifiée ;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 27 février 2008 par Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe de la Cour administrative le 21 mars 2008 par Maître Yvette HAMILIUS au nom de Madame … …-…, préqualifiée ;
Vu les pièces versées au dossier et notamment le jugement entrepris ;
Le rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maîtres Yasemin CENGIZ, en remplacement de Maître Yvette HAMILIUS, et Aline ROSENBAUM, en remplacement de Maître Roy NATHAN, et Monsieur le délégué du gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 29 avril 2008.
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Par avis publié au Mémorial B n° 58 du 2 août 2006, le ministre de la Santé, ci-après désigné par « le ministre », porta à la connaissance du public que la concession de pharmacie à …, .., …, était déclarée vacante à partir du 1er janvier 2007 par suite de la démission du concessionnaire et que les candidats désirant solliciter l’octroi de cette concession étaient invités à introduire leur demande jusqu’au 7 septembre 2006 au plus tard.
Madame … …-… introduisit sa candidature pour l’octroi de cette concession.
En date du 16 octobre 2006, le pharmacien-inspecteur auprès de la direction de la Santé – division de la Pharmacie et des Médicaments - du ministère de la Santé dressa le tableau de classement des candidats pour la concession de la pharmacie vacante à … . Dans ce tableau, Madame …-… figura à la fois en troisième rang avec un total de 175,75 points, avec la précision que ce classement prenait en compte les activités de celle-ci auprès de la société … , ci-après « la société … », et en septième position avec 166,75 points en faisant abstraction de ses prédites activités. Monsieur … … figura dans ce classement avec un total de 175,5 points.
Par courrier du 27 novembre 2006, le ministre informa Monsieur … qu’il était classé en rang utile pour l’obtention de la concession de la pharmacie vacante à … et le pria de lui faire savoir pour le 7 décembre 2006 s’il acceptait cette concession.
Monsieur … ayant fait part de son acceptation le 3 décembre 2006, le ministre lui accorda, par courrier du 5 décembre 2006, cette concession et l’invita à se présenter à son ministère pour la signature de l’acte de concession.
Par arrêté du 8 décembre 2006, le ministre autorisa Monsieur … à reprendre et à exploiter la pharmacie à … pour le 1er janvier 2007 au plus tard sous les clauses et conditions énoncées dans l’acte de concession du même jour.
Par requête déposée devant le tribunal administratif en date du 11 décembre 2006 (n° 22279 du rôle), Madame …-… introduisit un recours en réformation sinon en annulation contre la décision du ministre du 27 novembre 2006 classant Monsieur … en rang utile pour l’obtention de la concession de pharmacie vacante à … et contre la décision du ministre du 5 décembre 2006 accordant à Monsieur … ladite concession de pharmacie.
Par une deuxième requête déposée en date du 19 mars 2007 (n° 22702 du rôle), Madame …-… introduisit encore un recours en réformation sinon en annulation à l’encontre de l’arrêté ministériel du 8 décembre 2006 autorisant Monsieur … à reprendre et à exploiter la pharmacie à … pour le 1er janvier 2007 au plus tard sous les clauses et conditions énoncées dans l’acte de concession du même jour.
Par jugement du 20 décembre 2007, le tribunal administratif joignit les deux recours, se déclara incompétent pour connaître des recours principaux en réformation, reçut les deux recours en annulation en la forme, écarta l’offre de preuve formulée par Madame …-…, rejeta la demande à voir ordonner l’effet suspensif des recours durant le délai et l’instance d’appel et condamna la demanderesse aux frais.
Par requête déposée le 28 janvier 2008, Madame …-… a déclaré relever appel du jugement du 20 décembre 2007.
L’appel ayant été interjeté dans les formes et délais de la loi, il est recevable.
Au fond, l’appelante expose en premier lieu que d’après le règlement grand-ducal modifié du 27 mai 1997 relatif à l’octroi des concessions de pharmacies, ci-après « le règlement du 27 mai 1997 », le choix du candidat pour l’obtention d’une concession de pharmacie se ferait d’après les critères de l’ancienneté et de l’occupation pharmaceutique, que d’après ces critères des points seraient attribués aux candidats en fonction de leur ancienneté et de leurs activités pharmaceutiques, qu’il ressortirait des classements effectués depuis octobre 2002 qu’elle aurait devancé au nombre de points Monsieur … , que dans un classement de fin 2003 celui-ci l’aurait cependant devancée, que sur réclamation écrite de sa part du 18 février 2004 elle aurait, à partir du 13 août 2004, apparu à chaque fois deux fois dans ledit classement, une première fois en prenant en compte sa période d’occupation du 1er septembre 1990 au 1er décembre 1991 auprès de la société … en tant qu’activité pharmaceutique, et une deuxième fois sans que ses activités auprès de la société … n’auraient été prises en compte.
L’appelante précise encore que le ministre lui aurait adressé en date du 21 novembre 2006 un courrier l’informant que sa lettre du 18 février 2004 aurait été versée à son dossier de candidature, mais que ses services n’auraient pas pu trouver une pièce de laquelle il ressortirait qu’un de ses prédécesseurs aurait érigé en condition la présence d’un pharmacien responsable ou de toute autre personne qualifiée en vue de décerner une autorisation à la société … et qu’il serait dans son intérêt de verser un tel document à l’appui de sa demande. Or, sans qu’elle n’ait eu le temps de répondre à ce courrier du 21 novembre 2006, le ministre aurait pris en date du 27 novembre 2006 la décision classant Monsieur … en rang utile pour l’obtention de la concession de pharmacie vacante à …, tout en lui confirmant le 1er décembre 2006 qu’elle aurait devancé Monsieur … si ses activités auprès de la société … avaient été prises en compte.
En droit, l’appelante soutient en premier lieu que les premiers juges auraient rejeté à tort son moyen tiré de la violation de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes. En effet, le courrier en réponse du ministre du 21 novembre 2006 ne lui aurait pas réservé un délai de huit jours au moins avant la prise de la décision ministérielle du 27 novembre 2006.
Dans ce contexte, l’appelante précise que la division de la pharmacie et des médicaments auprès du ministère de la Santé, ci-après dénommée « la DPM », calculerait sur base du règlement du 27 mai 1997 les points à attribuer à chacun des candidats et que le candidat qui obtiendrait le plus de points se retrouverait en tête de la liste des candidatures. Ainsi, le classement établi par la DPM aurait un caractère décisoire en ce sens qu’il informerait le ministre de l’identité du candidat classé en rang utile et le ministre attribuerait ensuite la concession vacante à ce candidat.
Partant, le classement établi par la DPM constituerait une étape finale dans la procédure d’attribution de la concession vacante, c’est-à-dire une décision de nature à faire grief. Or, comme le classement antérieur établi par la DPM, qui avait pris en compte ses activités auprès de la société … et dans lequel elle avait devancé Monsieur … , constituerait une décision administrative, et comme le ministre, en retenant par la décision du 27 novembre 2006 que son total de points serait inférieur à celui de Monsieur … , celui-ci aurait ainsi méconnu ses droits acquis et ceci en violation de l’article 9 du règlement grand-ducal précité du 8 juin 1979. Il s’en suivrait que ce serait à tort que le jugement entrepris aurait décidé que le classement ne serait à considérer comme une décision ministérielle que jusqu’au rang du candidat qui accepte la concession et n’aurait partant que partiellement qualifié ce classement de décision administrative en établissant une différence de situation entre les candidats classés en rang utile et ceux classés en rang inférieur non utile.
En deuxième lieu, l’appelante soutient que son livret de proviseur, tel qu’introduit par l’arrêté du 15 décembre 1921 concernant l’introduction d’un livret de proviseur à l’usage des aspirants concessionnaires de pharmacie serait à assimiler aux certificats visés au point 5 de l’article 1er du règlement du 27 mai 1997. En effet, toutes les informations figurant dans son livret de proviseur auraient été certifiées par le collège médical et contresignées par l’inspection des pharmacies, y compris son activité exercée auprès de la société … . Partant, en contresignant ledit livret, la DPM aurait reconnu que ses activités exercées auprès de la société … seraient à considérer comme occupation pharmaceutique et le ministre ne saurait lui reprocher à l’heure actuelle de ne pas être en mesure de produire les documents visés par le règlement du 27 mai 1997.
Finalement, l’appelante reproche aux premiers juges de ne pas avoir tenu compte de ses activités auprès de la société … alors qu’elle y aurait travaillé en qualité de pharmacienne. Elle souligne dans ce contexte que dans un courrier du 16 janvier 2007, le ministre aurait fait état d’un dossier ouvert sur la société … , tout en prétendant que ledit dossier aurait été perdu. Comme il serait encore établi qu’un certificat de bonne fabrication aurait été délivré le 29 novembre 1990 par la direction de la Santé à la société … , il faudrait se poser la question à quelle fin un tel dossier aurait été établi, sinon pour imposer à la société … d’avoir à ses services un pharmacien diplômé afin qu’il surveille les activités de cette société. L’appelante précise encore qu’elle aurait accepté le poste auprès de la société … en se fiant aux déclarations du pharmacien inspecteur en chef de la DPM, de sorte que le défaut de production du dossier par le ministre devrait jouer en sa faveur pour conclure que son activité auprès de la société … serait à qualifier d’occupation pharmaceutique et que celle-ci aurait dû être prise en compte dans le calcul de ses points.
A travers son mémoire en réponse, Monsieur … demande la confirmation du jugement entrepris dans toute sa forme et teneur.
Il souligne en premier lieu que lorsqu’une concession de pharmacie est vacante, un avis est publié au Mémorial fixant un délai pendant lequel les candidats doivent adresser leur candidature au ministre et que le choix du candidat se ferait d’après les deux critères établis par le règlement du 27 mai 1997, à savoir les critères de l’ancienneté du diplôme et de l’occupation pharmaceutique. Ainsi, l’ancienneté du diplôme serait prise en compte à raison de 3 points par année entière et d’un quart de point par mois entier et l’occupation pharmaceutique à raison de 6 points par année entière et d’un demi point par mois entier et comme il aurait totalisé le plus de points, il se serait vu octroyer à juste titre la concession de pharmacie à … .
En relation avec l’argumentation développée par l’appelante, Monsieur … soutient que celle-ci se prévaudrait à tort d’un droit acquis relatif à la prise en considération par le ministère de la Santé de ses activités auprès de la société … . Dans ce contexte, il soutient que les classements dont l’appelante fait état n’auraient pas constitué des décisions individuelles créant des droits subjectifs dans le chef de celle-ci pour s’agir de notes internes de l’administration respectivement de simples avis rédigés par un pharmacien-inspecteur du ministère de la Santé et adressés au ministre, et ceci d’autant plus qu’à partir de décembre 2004 les avis respectifs auraient précisé qu’il « ne vaut pas décision administrative pour le classement des candidatures qui seraient à considérer hors rang utile ».
Concernant les classements effectués par la DPM jusqu’en 2003, prenant en considération les activités de l’appelante auprès de la société … , ceux-ci seraient contraires à l’article 2.2.1. du règlement du 27 mai 1997 et à l’article 2.2. du règlement grand-ducal du 22 février 1974 portant exécution de la loi du 4 juillet 1973 concernant le régime des pharmacies, étant donné que l’appelante n’aurait pas exercé auprès de la société … « une occupation pour l’exercice de laquelle le diplôme de pharmacien est exigé par la loi ». Concernant les classements effectués à partir de 2004, ceux-ci ne seraient pas non plus à considérer comme décisions administratives ayant créé des droits subjectifs dans le chef de l’appelante, alors que lesdits classements ne prendraient pas position sur la prise en compte des activités litigieuses et la classeraient à deux reprises, une fois avec et une fois sans prise en compte de ses activités auprès de la société … , de sorte qu’il n’y aurait aucune position ferme de la part de l’administration sur ce point.
Monsieur … estime ensuite que le carnet de proviseur n’a plus aucune valeur juridique depuis l’entrée en vigueur du règlement grand-ducal précité du 22 février 1974 qui aurait abrogé l’arrêté précité du 15 décembre 1921. En effet, ce serait la loi du 31 juillet 1991 déterminant les conditions d’autorisation d’exercer la profession de pharmacien qui serait d’application et plus particulièrement l’article 5 (1) visant le registre professionnel établissant le relevé des pharmaciens autorisés à exercer. Ainsi, le carnet de proviseur ne ferait qu’attester que le candidat a bien été au service des employeurs respectifs pour les périodes y mentionnées sans se prononcer sur la prise en compte ultérieure de ces emplois pour le calcul de la durée de l’occupation pharmaceutique en vue de l’attribution d’une concession d’officine. Monsieur … précise en outre que les pharmaciens-patrons auraient par ailleurs cessé de remplir les carnets de proviseur, de sorte que l’administration aurait dû demander par circulaire les données relatives aux pharmaciens employés auprès des officines, fait qui expliquerait encore que l’administration est finalement venue à demander à nouveau aux pharmaciens-patrons de remplir des carnets de proviseur, même si le recours à cette pratique n’avait plus de valeur juridique. Sur ce point, Monsieur … signale encore que les occupations prises en considération à tort et en contrariété flagrante avec la loi par un pharmacien inspecteur auprès de la DPM ne sauraient lier le ministre dans son appréciation des conditions légales requises pour l’octroi d’une concession de pharmacie et que si le carnet de proviseur pouvait éventuellement être utile au ministre, il ne le lierait cependant pas dans la mesure où certaines occupations se révèlent ne pas être en définitive des occupations pharmaceutiques.
Concernant finalement la prétendue obligation dans le chef de la société … d’engager un pharmacien, Monsieur … relève que la lettre adressée par l’appelante au ministère de la Santé en date du 18 février 2004 ne constituerait pas la preuve du droit à la prise en compte des activités litigieuses auprès de la société … et qu’il ressortirait par ailleurs d’un courrier du ministre du 21 novembre 2006 qu’aucun document n’aurait érigé en condition la présence d’un pharmacien responsable ou de toute autre personne qualifiée auprès de la société … avant de décerner à celle-ci une autorisation. En effet, les activités de la société … ne tomberaient nullement sous les dispositions de l’article 3 de la loi précitée du 31 juillet 1991 et l’activité de cette société, à savoir le conditionnement de cathéters, n’aurait jamais constitué une activité de pharmacien. Ainsi, la société … n’aurait ni fabriqué, ni distribué, ni contrôlé des médicaments, mais aurait conditionné des cathéters, lesquels ne seraient manifestement pas des médicaments et ladite activité tomberait plutôt sous les dispositions de la loi du 16 janvier 1990 relative aux appareils médicaux.
Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement, par renvoi à ses mémoires déposés en première instance, relève que la proposition faite par la DPM au ministre lors d’une candidature antérieure de l’appelante de prendre en compte ses activités auprès de la société … ne vaudrait pas décision ministérielle et le fait pour le ministre de ne pas tenir compte desdites activités ne vaudrait dès lors pas révocation d’une décision ayant créé ou reconnu des droits, de sorte que l’article 9 du règlement grand-ducal précité du 8 juin 1979 ne s’appliquerait pas.
Le représentant étatique soutient encore que les textes applicables en la matière n’attribueraient aucune compétence propre à la DPM et le règlement du 27 mai 1997 ne ferait aucunement état d’un classement à établir par la DPM, ni même d’une proposition de classement, même si le ministre se faisait assister pour ses décisions par ses services, dont la DPM, sans être pour autant engagé par les propositions de décisions lui parvenant.
Le délégué du gouvernement concède que si la période d’occupation de Madame …-… auprès de la société … avait été prise en considération, elle aurait remporté le classement, de sorte que la non-attribution de la concession à celle-ci vaudrait implicitement mais nécessairement non-reconnaissance de ladite occupation en tant qu’occupation pharmaceutique. Cependant comme celle-ci n’était pas arrivée en rang utile lors des concours précédents, le ministre n’avait pas à prendre à cette époque de décision en rapport avec le temps passé par l’appelante auprès de la société … et le classement de la DPM y relatif aurait constitué une simple proposition sur laquelle le ministre, au vu d’autres candidatures plus utiles, ne se serait pas prononcé. Le représentant étatique fait encore remarquer que la thèse du « classement immuable » de l’appelante ne tiendrait pas, au motif qu’au fil des années, le rapport de points entre deux candidats est susceptible de changer par l’acquisition d’un titre scientifique post-
universitaire « en cours de route » ou en cas de réduction du temps d’occupation par un candidat.
En relation avec la valeur du carnet de proviseur, le délégué du gouvernement soutient que les annotations y faites par l’employeur d’un candidat ne s’imposeraient pas au ministre, de même que le « vu » y apposé par l’inspection des pharmacies, et il appartiendrait à l’appelante de produire tout certificat ou autre document lui délivré par le ministère de la Santé établissant que le temps passé auprès de la société … lui aurait été reconnu comme équivalent à une occupation pharmaceutique.
Concernant finalement les activités exercées par l’appelante auprès de la société … , le représentant étatique est d’avis que ladite société n’aurait à aucun moment fabriqué ou commercialisé des produits tombant sous la législation du médicament.
Dans son mémoire en réplique, Madame …-… précise encore que les certificats dont il est question à l’article 5 (5) du règlement du 27 mai 1997 seraient visés par l’inspection des pharmacies, de même que le carnet de proviseur qui ferait également l’objet d’une telle procédure de visa, de sorte qu’on pourrait en déduire que la procédure de visa a été mise en place pour attribuer à l’activité en question le caractère pharmaceutique requis. Pour le surplus, comme certains candidats verseraient des certificats du Centre commun de la sécurité sociale ou encore des contrats de travail pour attester les occupations pharmaceutiques et que ces documents seraient acceptés par le ministère de la Santé, un carnet de proviseur visé par l’inspection des pharmacies devrait également valoir comme preuve d’une occupation pharmaceutique.
Concernant en premier lieu la violation alléguée de l’article 9 du règlement grand-
ducal précité du 8 juin 1979, il convient de rappeler qu’en cas de retrait rétroactif, intervenant à l’initiative de l’administration, d’un acte administratif ayant créé ou reconnu des droits à un particulier, l’administration a l’obligation d’informer au préalable l’administré de son intention et de lui accorder un délai d’au moins huit jours pour présenter ses observations. En cas d’inobservation de cette formalité, la décision de retrait est entachée d’illégalité.
L’argumentation de Madame …-…, tendant à faire admettre que le classement établi par la DPM aurait un caractère décisoire et que les classements antérieurs dans lesquels elle aurait devancé Monsieur … constitueraient des décisions administratives lui ayant reconnu des droits, est cependant à rejeter.
En effet, les premiers juges ont relevé à juste titre que le classement établi par la DPM n’est pas expressément prévu par le règlement du 27 mai 1997 et ne constitue partant qu’un acte préparatoire pour le ministre afin de déterminer les candidats se trouvant successivement en rang utile pour l’obtention d’une concession vacante. Dans ce contexte, c’est encore à bon droit que le tribunal, par renvoi à l’article 6 du règlement du 27 mai 1997, a relevé que la décision ministérielle afférente ne porte sur l’ordre des candidats que jusqu’au rang de celui qui accepte l’obtention de la concession de pharmacie vacante et non pas sur la justification du nombre de points attribué aux autres candidats placés aux rangs non utiles.
Cette vision des choses est encore confirmée par la façon de procéder de la DPM à partir de décembre 2004, lesdits avis de classement précisant à chaque reprise qu’ils ne valent pas décision administrative pour le classement des candidatures qui seraient à considérer hors rang utile. A cela s’ajoute, tel que relevé à juste titre par Monsieur … , que les avis de classement de la DPM n’ont pas pu valoir dans le chef de Madame …-… comme décisions administratives lui ayant reconnu des droits, étant donné que dans les avis de classement effectués à partir du mois d’août 2004, celle-ci y est mentionnée à deux reprises, à savoir une mention où ses activités auprès de la société … sont prises en considération et une deuxième mention dans le cadre de laquelle il est fait abstraction des dites activités, attitude démontrant à l’évidence que la DPM n’a pas voulu se fixer définitivement par rapport à cette problématique.
En relation avec la valeur juridique du livret de proviseur et des inscriptions y figurant, il convient de rejoindre le tribunal en ce qu’il a retenu que le cadre légal applicable en la matière est à l’heure actuelle tracé par la loi du 31 juillet 1991 déterminant les conditions d’autorisation d’exercer la profession de pharmacien et le règlement du 27 mai 1997 et que par conséquent l’arrêté précité du 15 décembre 1921 doit être considéré comme étant implicitement abrogé, même en l’absence d’une abrogation formelle.
Aux termes de l’article 1er de la loi du 31 juillet 1991, précitée :
« (1) Sous réserve des dispositions prévues aux articles 2, 21, 22 et 23 de la présente loi, l’accès aux activités de pharmacien et leur exercice au Luxembourg sont subordonnés à une autorisation du ministre de la Santé qui est délivrée sur avis du collège médical et de la direction de la santé, division de la pharmacie et des médicaments (…)».
L’article 4 (1) de ladite loi de 1991 énonce ce qui suit :
« Un règlement grand-ducal, pris sur avis du Conseil d’Etat, après consultation du collège médical, détermine la procédure à suivre et les documents à présenter pour obtenir l’autorisation prévue aux articles 1er et 2 ».
D’après l’article 1er du règlement du 27 mai 1997 :
« Les concessions de pharmacie à créer, ou qui deviennent vacantes, feront l’objet d’un avis qui sera publié au Mémorial. Cet avis fixera un délai, qui ne pourra être inférieur à 4 semaines, pendant lequel les candidats devront adresser leurs demandes au ministre de la Santé.
Ces demandes doivent être accompagnées des documents et renseignements suivants :
(…) 5) Les certificats relatifs aux occupations pharmaceutiques au Luxembourg (…) postérieures à l’obtention de l’autorisation d’exercer au Luxembourg (…).
Les occupations pharmaceutiques de nature salariée sont attestées par les employeurs correspondants. Celles exercées à titre d’indépendant sont certifiées par le collège médical (…). Ces certificats portent le visa de l’Inspection des pharmaciens (…).
Ces certificats indiquent, outre la durée totale de l’occupation pharmaceutique, la nature de l’occupation ainsi que l’horaire hebdomadaire exprimé en heures/semaines.
Pour les occupations pharmaceutiques de nature salariée, le ministre de la Santé peut demander au candidat de compléter sa demande par un certificat du Centre Commun de la Sécurité Sociale ou d’un organisme étranger similaire, attestant les périodes d’occupation avec les heures de travail prestées, et/ou par son ou ses contrat(s) de travail avec d’éventuels avenants. » Finalement, l’article 2 du règlement du 27 mai 1997 dispose que :
« Le choix du candidat se fera d’après les critères suivants :
1) L’ancienneté du diplôme visée à l’article 1er sous 2 [diplôme conférant le grade de pharmacien]. ( …) 2) L’occupation pharmaceutique. (…) 3) Les titres scientifiques. (…) 4) En cas d’égalité de points, suite à l’application des critères sous 1 à 3 ci-
dessus, le candidat le plus âgé l’emportera.
Lors de l’appréciation des demandes le ministre de la Santé tient compte outre des pièces versées par les candidats en vertu de l’article 1er des inscriptions les concernant au registre professionnel des pharmaciens.(…) ».
Concernant plus particulièrement le critère de la durée d’occupation pharmaceutique, seul critère litigieux en l’espèce, il se dégage des dispositions légales et réglementaires précitées qu’aucune référence particulière n’est faite au carnet de proviseur en tant que document de nature à établir la réalité des occupations pharmaceutiques auxquelles un candidat prétend s’être successivement adonné et que le ministre conserve partant le pouvoir de vérifier la réalité des occupations et leur caractère pharmaceutique par rapport aux certificats et documents que les candidats sont invités respectivement autorisés à soumettre pour établir l’occupation pharmaceutique, de même qu’il peut refuser de tenir compte d’un certificat si l’occupation y certifiée ne répond pas aux critères légaux.
Ainsi, le carnet de proviseur litigieux, s’il est de nature à démontrer que Madame …-… a été occupée aux services de la société … du 1er septembre 1990 au 1er décembre 1991, ne renseigne nullement sur ses activités et la nature de l’emploi y occupé et la considération que toutes les informations figurant dans ledit carnet ont été certifiées par le collège médical et contresignées par l’inspection des pharmacies est indifférente dans ce contexte au vu du libellé clair des dispositions légales et réglementaires applicables en la matière.
Il s’ensuit que l’argumentation de l’appelante, consistant à soutenir que son carnet de proviseur constituerait la preuve qu’elle s’est adonnée à une occupation pharmaceutique auprès de la société … est à rejeter.
Concernant plus précisément ladite occupation de l’appelante auprès de la société … , l’article 3 de la loi du 31 juillet 1991 considère comme activités de pharmacien :
« - la mise au point de la forme pharmaceutique des médicaments, - la fabrication et le contrôle des médicaments, - le contrôle des médicaments dans un laboratoire de contrôle des médicaments, - le stockage, la conservation et la distribution des médicaments au stade du commerce en gros, - la préparation, le contrôle, le stockage et la distribution des médicaments dans les pharmacies ouvertes au public, - la préparation, le contrôle, le stockage et la dispensation des médicaments dans les hôpitaux, - l’élaboration et la diffusion d’informations et de conseils sur les médicaments.
Il en est de même pour les activités réservées au pharmacien par les lois et les règlements ».
Par rapport à cette énumération limitative des activités de pharmacien, c’est à bon droit que le tribunal a retenu que ledit article 3 ne vise que des actes en relation avec des médicaments à administrer aux personnes et non pas avec d’autres équipements médicaux et que les activités de la société … visaient uniquement des dispositifs médicaux et non pas des médicaments, à savoir l’assemblage et le conditionnement de cathéters, de sorte qu’elle ne rentrent pas dans le champ d’application dudit article 3.
Dans ce contexte, il convient d’ailleurs de noter que l’appelante se contente de relever qu’un dossier de la société … aurait été ouvert auprès du ministère de la Santé, de même qu’un certificat de bonne fabrication a été délivré à ladite société par la direction de la Santé, et qu’elle aurait uniquement accepté le poste auprès de ladite société en se fiant aux déclarations de la pharmacienne-inspecteur en chef de la DPM, sans pour autant soutenir concrètement qu’elle aurait exercé auprès de la société … une occupation pouvant rencontrer la liste limitative se dégageant de l’article 3 de la loi précitée du 31 juillet 1991 respectivement une activité réservée au pharmacien par une autre loi ou un autre règlement. Or, même à supposer que les faits décrits par l’appelante se trouvent vérifiés, ces constatations remontant aux années 1990 et 1991 ne sont pas de nature à énerver la conclusion que l’activité pour laquelle Madame …-
… fut engagée par la société … , tel que décrite à son contrat de travail du 31 mai 1990, à savoir « responsable de la fabrication de cathéters », n’est manifestement pas à considérer comme activité de pharmacien au sens de l’article 3 de la loi précitée du 3 juillet 1991.
Il se dégage des considérations qui précèdent que Madame …-… n’a pas rapporté la preuve que sa période d’occupation auprès de la société … est à prendre en considération en tant qu’occupation pharmaceutique et le ministre a partant à bon droit déclaré Monsieur … en rang utile avant l’appelante dans le cadre de la vacance de la concession pour la pharmacie sise à … /… , de sorte que l’appel n’est pas justifié et qu’il y a lieu d’en débouter l’appelante avec charge des dépens.
Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit l’appel du 28 janvier 2008 en la forme ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
partant confirme le jugement entrepris du 20 décembre 2007 ;
condamne l’appelante aux dépens de l’instance d’appel.
Ainsi jugé par :
Francis DELAPORTE, vice-président, Henri CAMPILL, premier conseiller, Lynn SPIELMANN, conseiller, et lu par le vice-président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence de la greffière de la Cour Anne-Marie WILTZIUS.
s.WILTZIUS s.DELAPORTE Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 10 juin 2008 Le greffier de la Cour administrative 11