GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 23737C du rôle Inscrit le 4 décembre 2007
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Audience publique du 10 avril 2008 Appel formé par l'Etat du Grand-Duché de Luxembourg contre un jugement du tribunal administratif du 24 octobre 2007 (n° 22486 du rôle) rendu dans un litige ayant opposé la société anonyme XXX S.A. à l'Etat en matière de protection de l'environnement Vu la requête d’appel, inscrite sous le numéro 23737C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 4 décembre 2007 par Madame la déléguée du gouvernement Claudine KONSBRUCK, agissant au nom et pour compte de l'Etat du Grand-Duché de Luxembourg, en vertu d'un mandat lui conféré à cet effet par le ministre de l'Environnement du 29 novembre 2007, dirigée contre le jugement rendu par le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg le 24 octobre 2007 (n° 22486 du rôle) dans un litige ayant opposé la société anonyme XXX S.A., établie et ayant son siège à L-XXX, à l'Etat du Grand-Duché de Luxembourg, le tribunal ayant annulé la décision du ministre de l'Environnement du 12 juillet 2006 ainsi que celle confirmative, résultant du silence gardé par le ministre pendant un délai de plus de trois mois à la suite de l'introduction d'un recours gracieux, portant refus de l'autorisation d'installer une jonction basse tension dans l'intérêt du raccordement d'une armoire de comptage sur un fonds inscrit au cadastre de la commune de XXX, section C de XXX;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 4 janvier 2008 par Maître Victor ELVINGER, avocat à la Cour, assisté de Maître Serge MARX, avocat à la Cour, les deux demeurant à Luxembourg, inscrits au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société anonyme XXX S.A., préqualifiée;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe de la Cour administrative le 7 février 2008 par la déléguée du gouvernement;
Vu les pièces versées au dossier et notamment le jugement entrepris;
Le rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame la déléguée du gouvernement Claudine KONSBRUCK et Maître Serge MARX, pour l'intimée, en leurs plaidoiries à l’audience publique du 11 mars 2008.
Par courrier du 21 mars 2006 adressé au ministère de l’Environnement, la société anonyme XXX S.A. sollicita l'autorisation d'installer une jonction basse tension en vue du raccordement d’une armoire de comptage sur le terrain d'un client sis à XXX.
Le 12 juillet 2006, le ministre de l’Environnement prit une décision de refus, motivée par le fait que la parcelle concernée est située dans la zone B de la zone protégée «XXX» et que l'article 5 du règlement grand-ducal du 23 mars 1998 déclarant zone protégée la zone humide «XXX» englobant des fonds sis sur le territoire des communes de XXX et de XXX interdit la mise en place d'installations de conduites d'énergie tandis que les interventions nécessaires à l'entretien des installations existantes restent soumises à l'autorisation du ministre.
En se référant à la demande d’autorisation précitée du 21 mars 2006 ainsi qu’à la réponse ministérielle du 12 juillet 2006, la société XXX S.A. envoya le 26 juillet 2006 au ministère de l’Environnement un courrier par lequel elle souhaitait se voir autoriser à procéder "à l’entretien, voire [à] la réparation, dudit raccordement existant." Le ministre de l'Environnement n'ayant pas répondu à cette lettre, la société XXX S.A. introduisit le 25 janvier 2007 un recours contentieux tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 12 juillet 2006 ainsi que de la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par le ministre de l’Environnement à la suite de l’introduction, en date du 26 juillet 2006, d’un recours gracieux dirigé contre la décision ministérielle initiale.
Par jugement du 24 octobre 2007, le tribunal administratif accueillit le recours en réformation en la forme et, dans le cadre du recours en réformation, annula la décision ministérielle explicite du 12 juillet 2006 ainsi que la décision implicite de rejet consécutive à l'introduction du recours gracieux le 26 juillet 2006.
Le tribunal constata que la décision ministérielle litigieuse du 12 juillet 2006 indique comme base légale l’article 5 du règlement grand-ducal précité du 23 mars 1998 et qu'il se dégage du libellé dudit règlement grand-ducal que celui-ci tire sa base légale de la loi du 11 août 1982 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles, et plus particulièrement des articles 27 à 32 de celle-ci.
Partant de ce que, d’après l’article 70 de la loi du 19 janvier 2004 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles, la loi du 11 août 1982 a été abrogée, sans aucune réserve ou restriction, le tribunal constata que la base légale sur laquelle le règlement grand-ducal précité du 23 mars 1998 a été pris n’existait plus au jour auquel les décisions litigieuses ont été prises par le ministre de l’Environnement.
Il releva qu’un règlement grand-ducal pris en application d’une loi qui, par la suite, a été abrogée, ne saurait rester en vigueur, postérieurement à l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, qu’à condition soit que le législateur, par une disposition expresse figurant dans la loi nouvelle, y ait renvoyé expressément, en décidant que le règlement grand-ducal pris antérieurement à son entrée en vigueur, restera en vigueur, soit que dans le corps de la nouvelle loi, il ait été précisé que les règlements d’exécution existants, basés sur les dispositions de l’ancienne loi d’habilitation, restent en vigueur jusqu’à la promulgation des règlements prévus par la nouvelle loi. Au vu de l'abrogation pure et simple de la loi précitée du 11 août 1982, sans que dans les mesures transitoires ou abrogatoires de la nouvelle loi du 19 janvier 2004 n'ait été insérée une quelconque disposition prévoyant expressément que les règlements grand-ducaux pris antérieurement à son entrée en vigueur, sur base de l’ancienne loi, et plus particulièrement le règlement grand-ducal précité du 23 mars 1998, restent en vigueur après l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, le tribunal arriva à la conclusion qu’à défaut, par le règlement grand-ducal du 23 mars 1998, de reposer sur une base légale habilitante valable au moment où les décisions litigieuses ont été prises, celles-ci doivent être considérées comme ayant été prises sans base légale. Il annula partant les décisions en question.
Par requête déposée le 4 décembre 2007, l'Etat du Grand-Duché de Luxembourg a déclaré relever appel du jugement du 24 octobre 2007.
L'appel ayant été formé dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
Au fond, l'Etat reproche aux premiers juges d'avoir estimé qu'en raison du fait que la loi sur base de laquelle le règlement grand-ducal servant de support au refus des décisions entreprises est abrogée, ce règlement est dépourvu de base légale et ne saurait justifier les décisions incriminées. Il estime qu'au contraire, un règlement légalement pris survit au texte qui lui sert de base légale.
La société XXX S.A. demande la confirmation du jugement entrepris en estimant au contraire qu'un règlement grand-ducal n'ayant pas d'existence propre, l'abrogation de la loi dans laquelle il trouve son origine impliquerait l'abrogation simultanée du règlement.
Ce dernier raisonnement ne saurait être suivi.
Un règlement légalement pris survit à la loi dont il procède en cas d'abrogation de celle-ci, dès lors qu'il trouve un support suffisant dans la législation postérieure qui témoigne de la volonté persistante du législateur à régir selon des options similaires la matière dans le cadre de laquelle est intervenu le règlement en question et que le règlement n'est pas inconciliable avec des dispositions de la nouvelle loi.
En l'espèce, il se dégage à la fois du texte de la loi précitée du 19 janvier 2004 et de ses travaux préparatoires que la nouvelle loi tend à renforcer la protection de la nature et des ressources naturelles par rapport à la loi abrogée du 11 août 1982. Dans ce contexte, un règlement grand-ducal comme celui du 23 mars 1998, qui a déclaré zone protégée la zone humide «XXX», trouve une base légale suffisante dans la nouvelle loi.
Il s'ensuit que c'est à tort que le tribunal administratif a annulé les décisions entreprises pour reposer sur un règlement grand-ducal dépourvu de base légale et que le jugement est à réformer à cet égard.
La société XXX S.A. demande, en cas de réformation du jugement du 24 octobre 2007, le renvoi de l'affaire devant les premiers juges. L'Etat n'a pas pris position par rapport à cette demande.
Dans la mesure où la demande émane de la partie qui pourrait pâtir des lenteurs engendrées par un tel renvoi et que par ailleurs le tribunal administratif, qui a annulé les décisions entreprises, n'a pas eu l'occasion d'exercer les pouvoirs lui conférés par l'existence d'un recours en réformation en la matière, de sorte qu'un examen direct du fond du litige par la Cour administrative priverait à cet égard les parties du double degré de juridiction, il y a lieu de faire droit à cette demande.
Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l'égard de toutes les parties, reçoit l'appel en la forme, au fond, le déclare justifié, partant, par réformation du premier jugement, dit que le règlement grand-ducal du 23 mars 1998 déclarant zone protégée la zone humide «XXX» englobant des fonds sis sur le territoire des communes de XXX et de XXX, n'est pas dépourvu de base légale, renvoie l'affaire en prosécution de cause devant le tribunal administratif, condamne l'intimée aux dépens de l'instance d'appel.
Ainsi délibéré et jugé par :
Georges RAVARANI, président, Francis DELAPORTE, vice-président, Henri CAMPILL, premier conseiller, et lu par le président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en-tête, en présence du greffier en chef de la Cour Erny MAY.
s. MAY s. RAVARANI 5