GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle: 22711C Inscrit le 21 mars 2007
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AUDIENCE PUBLIQUE DU 28 JUIN 2007 Appel interjeté par l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg contre un jugement rendu le 14 février 2007, no 21469 du rôle, par le tribunal administratif dans une affaire ayant opposé …, … à une décision du ministre des Affaires étrangères et de l'Immigration en matière de permis de travail
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Vu l’acte d’appel déposé au greffe de la Cour administrative le 21 mars 2007 par M. le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER, agissant en nom et pour compte de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, contre un jugement rendu le 14 février 2007 par le tribunal administratif en matière de permis de travail à la requête de …, née le … à … (République du Cap Vert), demeurant actuellement à …, contre un arrêté du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 2 mars 2006 portant refus dans son chef d’un permis de travail ;
Vu le mandat pour interjeter appel du jugement du 14 février 2007 délivré par le ministre délégué aux Affaires étrangères et à l’Immigration à la date du 15 mars 2007 ;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 19 avril 2007 par Maître Vic KRECKE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, pour la partie intimée, ., préqualifiée ;
Vu l’ordonnance du vice-président de la Cour administrative du 4 mai 2007 portant rejet d’une demande en abréviation des délais d’instruction introduite par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 2 mai 2007 par Mme le délégué du gouvernement Jacqueline GUILLOU-JACQUES ;
Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;
Le conseiller rapporteur entendu en son rapport et Maître Karima HAMMOUCHE, en remplacement de Maître Vic KRECKE, ainsi que respectivement M. le délégué du gouvernement Marc MATHEKOWITSCH et Mme le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives aux audiences des 22 mai et 19 juin 2007.
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Par arrêté du 2 mars 2006, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-après dénommé le « ministre », refusa la délivrance d’un permis de travail en faveur de Mme … en tant que tresseuse auprès de la société à responsabilité limitée …, établie à …, « pour les raisons inhérentes à la situation et à l’organisation du marché de l’emploi suivantes :
- poste de travail non déclaré vacant par l’employeur - occupation irrégulière depuis le 15.04.2005 ».
Suite à un recours introduit au greffe du tribunal administratif le 1er juin 2006 par …, le tribunal administratif, après s’être déclaré incompétent pour connaître de la demande en réformation, a annulé la décision ministérielle précitée du 2 mars 2006.
Le tribunal a retenu que les motifs de refus invoqués en l’espèce par le ministre ne sous-
tendent pas valablement la décision déférée.
Les premiers juges sont arrivés à la conclusion qu’il se dégagerait des faits de la cause que non seulement au moment de son recrutement par la société … mais également à la date de la décision ministérielle litigieuse, la demanderesse initiale, actuelle partie intimée, « était unie par les liens du mariage avec un ressortissant communautaire, à savoir un ressortissant français, étant relevé pour le surplus, qu’à la date de son recrutement par la sàrl …, elle vivait ensemble avec son mari à la même adresse, les deux ayant d’ailleurs déménagé ensemble pour aller habiter ensemble à une autre adresse située à Luxembourg-Ville » et ils en ont conclu que la demanderesse initiale était donc dispensée, en sa qualité de conjointe d’un ressortissant communautaire, de l’obtention d’un permis de travail au Luxembourg.
Fort d’un mandat d’interjeter appel délivré le 15 mars 2007 par le ministre délégué aux Affaires étrangères et à l’Immigration, M. le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER a relevé appel du jugement du 14 février 2007 par acte d’appel déposé au greffe de la Cour administrative le 21 mars 2007.
A l’appui de son appel, le délégué du gouvernement soutient que les premiers juges auraient retenu à tort que seule l’existence du lien conjugal ou non, entre un citoyen de l’Union européenne et un ressortissant de pays tiers devait être appréciée par l’autorité compétente en matière de délivrance de permis de travail pour conditionner le libre accès au marché de l’emploi pour le conjoint ressortissant tiers.
Le délégué du gouvernement se réfère à une jurisprudence du tribunal administratif et de la Cour administrative (trib. adm. 28-7-99 (10.847), trib. adm. 11-07-2005 (19.274) et Cour adm. 17-01-2006 (20.310C) au titre de laquelle le « droit d’accéder à l’emploi du conjoint non-ressortissant d’un Etat membre de l’E.E.E. est conditionné, au-delà d’un lien conjugal, par l’existence d’une vie commune effective ».
En effet, l’objectif poursuivi par les articles 10 et 11 du règlement 1612/68 CEE, consisterait à protéger la cellule, respectivement l’unité familiale au travers de l’attribution d’un droit de séjour et du droit d’accéder librement au travail dans le chef du ressortissant non communautaire par le biais du droit dérivé dont bénéficie le travailleur communautaire, il y aurait lieu cependant de conclure que les éléments qui conditionnent ce droit dérivé ne seraient pas donnés en l’espèce, au motif que depuis le 6 mars 2006 au plus tard, il n’existerait plus de cellule familiale entre l’appelante et son conjoint et que depuis le 18 janvier 2006, le conjoint aurait été radié d’office des registres de la population.
Il s’y ajouterait qu’il ressortirait du relevé d’affiliations que le conjoint de nationalité française dont … aurait pu bénéficier du droit dérivé, n’aurait plus été affilié au Luxembourg depuis le 12 septembre 2005 et que pour la période allant de septembre 2004 à décembre 2005, il n’aurait travaillé que de manière sporadique et irrégulière.
Le 19 avril 2007, Maître Vic KRECKE a déposé un mémoire en réponse pour la partie intimée, ….
La partie intimée conclut à la confirmation du jugement a quo. Réitérant ses arguments de droit et de fait invoqués en première instance, elle estime que la communauté de vie avec son conjoint originaire d’un pays communautaire ne serait pas requise par les dispositions communautaires pour qu’elle soit en droit de bénéficier d’un droit de travailler au Luxembourg.
Elle soutient encore que seul le début des relations de travail devrait être pris en considération pour déterminer si un permis de travail est requis ou non et expose qu’elle se serait mariée le 12 janvier 2005 avec …, de nationalité française ; qu’elle se serait installée auprès de son conjoint, dans son appartement situé dans la rue d’Anvers à Luxembourg et qu’en raison du comportement violent de son conjoint, elle aurait été contrainte de le quitter au mois de novembre 2005. Ainsi, engagée le 15 avril 2005, elle n’aurait pas eu besoin de demander un permis de travail et le reproche d’une occupation irrégulière serait erroné, tout comme une déclaration auprès de l’ADEM n’aurait pas été requise.
Selon la partie intimée, le ministre ne pourrait pas invoquer la séparation de fait survenue par la suite.
Enfin, le délégué du gouvernement ne pourrait pas être suivi en ce qu’il conteste le statut de travailleur au sens communautaire dans le chef de son époux, au motif que ce dernier aurait disposé, tant au moment de l’embauche de sa conjointe auprès de la société …, qu’au jour de la prise de la décision ministérielle litigieuse, d’un contrat de travail en bonne et due forme.
L’appel est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Sans préjudice de ce que dans le cadre d’un recours en annulation, la légalité d’un acte administratif s’examine au regard de la situation de droit et de fait telle qu’elle s’est présentée au jour de la prise de décision, le litige sous examen soulève une question préalable conditionnant la nécessité même de la saisine du ministre auteur de la décision incriminée.
En effet, l’article 1er du règlement (CE) n° 1612 du Conseil du 15 octobre 1968 relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté règlement 1612/68 dispose que « 1. tout ressortissant d’un Etat membre, quelque soit le lieu de sa résidence, a le droit d’accéder à une activité salariée et de l’exercer sur le territoire d’un autre Etat membre, conformément aux dispositions législatives, réglementaires et administratives régissant l’emploi des travailleurs nationaux de cet Etat. 2. Ils bénéficient notamment sur le territoire d’un autre Etat membre de la même priorité que les ressortissants de cet Etat dans l’accès aux emplois disponibles » et l’article 11 dudit règlement 1612/68, au titre duquel « le conjoint et les enfants de moins de vingt et un ans ou à charge d’un ressortissant d’un Etat membre exerçant sur le territoire d’un Etat membre une activité salariée ou non salariée ont le droit d’accéder à toute activité salariée sur l’ensemble du territoire de ce même Etat, même s’ils n’ont pas la nationalité d’un Etat membre », consacre le droit du conjoint de tout travailleur bénéficiaire de la libre circulation d’accéder à une activité salariée sur le territoire de l’Etat membre d’accueil.
Il se pose ainsi la question de savoir si l’engagement de …, en date du 15 avril 2005, requérait, pour être légal, l’obtention d’un permis de travail, c’est-à-dire si elle rentrait ou non dans le cadre juridique ci-avant tracé, la dispensant de l’obtention d’un permis de travail, et cette question appelle la juridiction saisie à se placer non pas au jour de la prise de décision, mais au jour de l’engagement de l’intéressée. – En effet, si au jour de son engagement, Mme … était dispensée de l’obtention d’un permis de travail, l’on ne saurait concevoir que pareil état des choses soit appelé à évoluer tant que perdure la relation de travail et que des formalités tel qu’une déclaration de vacance de poste – par la force des choses préalable à l’engagement – soient requises au cours de l’exécution du contrat.
Or, force est de rejoindre les premiers juges en leurs constatations retenant qu’au regard des éléments d’appréciation soumis en cause, il appert que depuis le 12 janvier 2005, Mme … est – et le reste au jour des présentes, aucune pièce produite ne documentant un divorce – mariée avec M. …., de nationalité française, qui travaillait à l’époque pour une entreprise luxembourgeoise installée à Walferdange et que le couple s’était dans un premier temps installé à Strassen, pour déménager par la suite (fin juin/début juillet 2005) à Luxembourg, 43, rue d’Anvers.
Ainsi, au jour de son engagement par la société à responsabilité limitée …, Mme … était pleinement titulaire d’un droit dérivé à son profit d’accéder à toutes activités salariées au Luxembourg, l’Etat membre de l’UE où son conjoint, travailleur bénéficiaire de la libre circulation, s’était installé.
Le fait par ailleurs constant que le couple s’est séparé vers la mi-novembre 2005 n’est pas à lui seul suffisant pour justifier l’existence d’une fraude à la loi et invalider la conclusion qui précède, tout comme cette conclusion ne saurait être affectée par d’autres considérations factuelles s’étant produites postérieurement à la date d’engagement du 15 avril 2005.
Il s’ensuit qu’au jour pertinent de son engagement, Mme … était dispensée, en sa qualité de conjointe d’un ressortissant communautaire, de l’obtention d’un permis de travail au Luxembourg et la saisine du ministre n’était pas requise, la décision litigieuse de refus d’octroi d’un permis de travail non requis, au-delà d’un constat d’inexistence, appelant partant son annulation pour le faire disparaître de l’ordonnancement juridique.
L’appel n’est donc pas fondé et le jugement entrepris est à confirmer.
Par ces motifs et ceux non contraires des premiers juges la Cour, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit l’appel du 21 mars 2007 ;
le dit non fondé et en déboute ;
partant confirme le jugement entrepris du 14 février 2007 ;
condamne l’appelante aux frais et dépens de l’instance.
Ainsi jugé par :
Jean-Mathias Goerens, vice-président, Marc Feyereisen, conseiller, Henri Campill, conseiller rapporteur, et lu par le vice-président Jean-Mathias Goerens en l’audience publique au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête en présence du greffier de la Cour Anne-Marie Wiltzius.
le greffier le vice-président 5