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24/11/2005 | LUXEMBOURG | N°20213C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 24 novembre 2005, 20213C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 20213 C Inscrit le 1er août 2005

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Audience publique du 24 novembre 2005 Recours formé par Madame ….. …..-…..

contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié - Appel -

(jugement entrepris du 29 juin 2005, n° 19426 du rôle)

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Vu la requête d’appel, inscrite sous le numéro 20213C du rôle et déposée au greffe de la ...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 20213 C Inscrit le 1er août 2005

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Audience publique du 24 novembre 2005 Recours formé par Madame ….. …..-…..

contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié - Appel -

(jugement entrepris du 29 juin 2005, n° 19426 du rôle)

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Vu la requête d’appel, inscrite sous le numéro 20213C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 1er août 2005 par Maître Olivier Lang, avocat à la Cour, au nom de Madame ….. …..-….., née le 27 juillet 1955 à Bérane (Monténégro), agissant tant en son nom personnel qu’en celui de sa fille mineure ….. ….., née le 10 février 1988 à Pec (Kosovo), toutes les deux de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement à L-….. ….., ….. , avenue ….. ….. , dirigée contre un jugement rendu par le tribunal administratif le 29 juin 2005, par lequel il a déclaré non fondé le recours en réformation introduit contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 10 décembre 2004 déclarant non fondée leur demande en obtention du statut de réfugié, ainsi que contre une décision confirmative du même ministre du 31 janvier 2005 rendue suite à un recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 11 août 2005 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;

Ouï le conseiller en son rapport, Maître Olivier Lang et Monsieur le délégué du Gouvernement Guy Schleder en leurs plaidoiries respectives.

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Par requête, inscrite sous le numéro 19426 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 2 mars 2005, Madame ….. …..-….., agissant tant en son nom personnel qu’en celui de sa fille mineure ….. ….., a fait introduire un recours tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 10 décembre 2004 déclarant non fondée leur demande en obtention du statut de réfugié, ainsi que d’une décision confirmative rendue par le même ministre le 31 janvier 2005 sur recours gracieux.

Par jugement rendu le 29 juin 2005, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, a reçu le recours en réformation en la forme et, au fond, l’a déclaré non justifié et en a débouté l’actuelle appelante.

Les premiers juges ont justifié leur décision en retenant que l’actuelle appelante, déclarant être originaire de Pec (Kosovo), et y craindre des persécutions en raison de son origine bochniaque qui auraient notamment eu pour conséquence l’assassinat de son fils ….. en 1999 par des extrémistes albanais et des menaces et violences constantes de la part de ressortissants albanais contre sa famille, événements contre lesquels les troupes de la ….. n’auraient pas été en mesure de les protéger, n’a pas fait état d’éléments suffisants desquels il se dégage que, considérée individuellement et concrètement, elle risque de subir des persécutions dans son pays d’origine. Tout en reconnaissant que l’actuelle appelante a fait état d’un certain nombre de problèmes qu’elle a rencontré dans la vie de tous les jours et de discriminations subies par elle, les premiers juges ont néanmoins constaté que ces faits ne sont pas d’une gravité suffisante pour constituer des actes de persécution au sens de la Convention de Genève. Le tribunal a par ailleurs retenu que l’actuelle appelante n’a pas établi un quelconque fait concret qui serait de nature à établir un défaut caractérisé de protection dans son chef de la part des autorités en place. En ce qui concerne l’assassinat de son fils ….. ….. en 1999, les premiers juges ont constaté que les circonstances exactes de sa mort, l’identité des meurtriers, ainsi que les motifs de ceux-ci n’ont pas pu être établis. Nonobstant les menaces de mort dirigées contre sa fille ….., les premiers juges ont constaté que depuis l’assassinat du fils ….. se sont écoulés six ans, sans que tant l’actuelle appelante que sa fille n’aient concrètement fait l’objet d’actes de violence. Enfin, les premiers juges ont retenu que les risques allégués par l’actuelle appelante se limitent essentiellement à sa ville d’origine au Kosovo et qu’elle reste en défaut d’établir son impossibilité de pouvoir s’installer dans une autre partie du Kosovo ou même au Monténégro où elle est née.

En date du 1er août 2005, Maître Olivier Lang, avocat à la Cour, a déposé une requête d’appel en nom et pour compte de Madame ….. …..-….., agissant tant en son nom personnel qu’en sa qualité de représentante légale de sa fille mineure ….. ….., inscrite sous le numéro 20213C du rôle, par laquelle la partie appelante sollicite la réformation du premier jugement. Elle prie encore la Cour administrative d’ordonner au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration la communication du dossier administratif relatif à ….. qui aurait obtenu la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Enfin, elle prie la Cour de lui donner acte de ce qu’elle bénéficie de l’assistance judiciaire.

A l’appui de sa requête d’appel, l’appelante reproche aux premiers juges de ne pas avoir fait droit à ses conclusions telles que développées en première instance et qui auraient dû aboutir à la reconnaissance dans son chef ainsi que dans celui de sa fille mineure ….. ….. du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève. Elle rappelle que son fils ….. ….. aurait été assassiné en 1999, juste après la fin de la guerre, par des extrémistes albanais en raison de son origine bochniaque et de son assimilation avec les Serbes et que depuis cette période, elle vivrait dans un état de peur permanent qui serait alimenté par les menaces de mort proférées par ses voisins albanais qui l’encourageraient à fuir le pays. Ainsi, elle ferait régulièrement l’objet de menaces, lorsqu’elle accompagnerait chaque jour sa fille ….. à l’école, par des personnes qui l’insulteraient et la menaceraient que sa fille ….. connaîtrait le même sort que son frère. Elle fait exposer que ce seraient les événements qui auraient eu lieu le 30 juillet 2004, qui l’auraient finalement convaincu de quitter le pays. En effet, à cette date, des extrémistes albanais auraient fait irruption dans la cour de leur maison, auraient tiré en l’air, auraient jeté des pierres dans les fenêtres de la maison et auraient proféré des menaces de mort à l’encontre de toute la famille. Elle expose encore qu’à la suite de ces événements, elle aurait contacté les troupes de la ….. qui l’auraient amené ensemble avec les membres de sa famille à Vitomirica, où sa mère se serait provisoirement réfugiée, avant de quitter le Kosovo pour la Suède. Elle soutient encore que les policiers des troupes internationales leur auraient recommandé de quitter définitivement le Kosovo, puisqu’ils seraient incapables de leur assurer une protection efficace.

D’une manière générale, l’appelante conteste qu’elle aurait fait l’objet de craintes générales, alors qu’au contraire, elle aurait soumis aux autorités luxembourgeoises des menaces extrêmement concrètes qui auraient été dirigées notamment à l’encontre de sa fille. Elle reproche partant aux premiers juges d’avoir commis une appréciation erronée des éléments de fait qui leur ont été soumis, ainsi que de la situation générale régnant actuellement au Kosovo notamment en ce qui concerne les ressortissants bochniaques y résidant. A ce titre, elle se base sur différents rapports de ….. , datés respectivement des mois de juin et août 2004 et mars 2005.

Elle estime qu’en raison des multiples agressions qui auraient été dirigées contre elle-même ainsi que contre sa fille prouveraient que leur vie au Kosovo serait devenue intolérable. Elle expose encore que des éléments importants relatifs à leurs persécutions se trouveraient dans le dossier de Madame ….., une autre de ses filles, à qui le ministre de la Justice aurait à l’époque reconnu le statut de réfugié. Elle prie partant la Cour d’ordonner au Gouvernement de verser le dossier administratif en question.

L’appelante conteste en outre pouvoir profiter d’une possibilité de fuite interne au Kosovo, en se basant plus particulièrement sur les rapports de ….. sur la situation au Kosovo des minorités ethniques. Par ailleurs, en ce qui concerne une éventuelle fuite au Monténégro, elle estime que ce pays ne saurait être considéré comme étant son pays d’origine, en soulignant qu’en sa qualité de personne originaire du Kosovo, seule la possibilité d’une fuite interne au Kosovo devrait être analysée, étant donné que ce territoire ne saurait être assimilé ni à celui de la Serbie ni à celui du Monténégro. Elle ajoute enfin dans ce contexte qu’aucun membre de sa famille n’habiterait au Monténégro, et que le renvoi dans ce pays entraînerait une situation d’insécurité totale dans son chef.

Dans son mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 11 août 2005, le délégué du Gouvernement conclut à la confirmation du jugement entrepris.

La requête d’appel est recevable pour avoir été introduite dans les formes et délai prévus par la loi.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

En l’espèce, force est de constater que si la situation au Kosovo telle que décrite par l’appelante se caractérise de manière générale par un certain malaise au niveau des relations interethniques susceptibles de générer des tensions et des difficultés de cohabitation globalement imputables à la persévérance d’une situation d’après guerre engendrant, certes à des degrés variables, des problèmes dans le chef d’une grande partie de la population concernée, il n’en demeure cependant pas moins que l’appelante a fait état en sa qualité de Bosniaque de toute une série d’éléments liés à sa situation individuelle et concrète pour établir la crainte de persécution par elle invoquée à l’appui de sa demande d’asile.

En effet, à partir des faits non contestés en cause en rapport avec la qualité de Bosniaque, la langue serbo-monténégrine et la religion musulmane de l’appelante, ainsi que de sa fille, avec les problèmes qui en découlent dans leur propre chef, ainsi qu’avec l’assassinat de leur fils et frère ….. ….. par des extrémistes albanais en 1999, ce qui a entraîné que depuis lors, elles vivent dans un état de peur permanente en raison des menaces de mort proférées à leur encontre par leurs voisins albanais et qu’elles ont notamment peur pour la vie de la fille ….. qui aurait eu des menaces de connaître le même sort que son frère assassiné en 1999, prenant en considération également les événements ayant eu lieu le 30 juillet 2004 au cours desquels des agressions très violentes ont été dirigées à l’encontre de leurs personnes, il échet de constater qu’il y a lieu de leur reconnaître le statut de réfugié.

La description de la situation des Bosniaques au Kosovo est par ailleurs confortée par un rapport de ….. dénommé « position on the continued international protection needs of individuals from Kosovo », daté du mois d’août 2004, suivant lequel les personnes appartenant à des groupes ethniques non Albanais, originaires du Kosovo, continuent à faire face à des risques de sécurité qui mettent leur vie, ainsi que leurs libertés fondamentales, en danger. En ce qui concerne plus particulièrement la communauté ethnique des Bosniaques résidant au Kosovo, ledit rapport précise que leur situation de sécurité est demeurée stable, sans que des incidents d’une violence importante n’ont pu être constatés. Les auteurs du rapport ajoutent toutefois que des cas d’intimidation, d’agression et de discrimination dirigées contre des membres de ladite communauté ethnique ont pu être constatés et les personnes en question seraient toujours réticentes à utiliser leur langue maternelle. Ce problème de langue a entraîné que ces familles ne peuvent pas exercer leur liberté de mouvement sur l’intégralité du territoire du Kosovo.

Le rapport précise encore que certains Bosniaques considérés à titre individuel peuvent avoir des craintes fondées de persécution en tant que membres appartenant à cette minorité ethnique, lorsqu’ils se trouvent dans des situations bien déterminées, à savoir lorsqu’ils sont supposés avoir collaboré avec le régime serbe, lorsqu’ils habitent dans certaines régions du pays, ainsi que lorsqu’ils se trouvent dans des situations de conflits interethniques imprévisibles et qu’ils devraient alors faire face à un système de protection nationale et d’application de la loi inadéquat ne leur fournissant pas une protection appropriée.

D’une manière générale, en ce qui concerne les ressortissants Bosniaques du Kosovo, ….. recommande d’analyser leurs situations respectives au cas par cas afin de déterminer pour chacun individuellement considéré si les personnes en question apportent des motifs suffisants pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève.

En ce qui concerne les possibilités de fuite interne au Kosovo, ….. est d’avis que dans la plupart des cas les personnes susceptibles de faire l’objet de persécutions au Kosovo ne peuvent pas raisonnablement bénéficier d’une fuite interne au pays.

Il suit de ce qui précède que la situation particulière de l’appelante, ainsi que de sa fille mineure ….. ….., en prenant en considération la situation générale des Bosniaques résidant au Kosovo, est de nature à tomber sous le champ d’application de la Convention de Genève et de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans leur chef. L’Etat n’a par ailleurs pas établi qu’au vu de ces craintes légitimes et fondées de persécutions qu’elles ont soumis aux juridictions administratives, les autorités publiques actuellement en place au Kosovo seraient en mesure de leur fournir une protection appropriée ou qu’elles peuvent bénéficier raisonnablement d’une possibilité de fuite interne au Kosovo à un endroit où elles pourraient se sentir en sécurité.

Il suit de tout ce qui précède qu’en refusant de reconnaître aux appelantes le statut de réfugié au sens de la Convention de Genève, les premiers juges ont commis une erreur d’appréciation des éléments de fait leur soumis et qu’il y a lieu de réformer le jugement entrepris, en reconnaissant à Madame ….. …..-….. et à sa fille mineure …..

….. le statut de réfugié au sens de la Convention de Genève, sans qu’il y ait lieu de faire droit à la demande tendant à voir ordonner au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration la communication du dossier administratif relatif à ….. auquel le statut de réfugié a été reconnu d’après les affirmations du délégué du Gouvernement lors des plaidoiries.

Par ces motifs, La Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties à l’instance ;

donne acte aux appelantes qu’elles déclarent bénéficier de l’assistance judiciaire ;

reçoit la requête d’appel du 1er août 2005 en la forme ;

la déclare justifiée quant au fond, partant, par réformation du jugement entrepris du 29 juin 2005, reconnaît à Madame ….. …..-….. et à sa fille mineure …..

….. le statut de réfugié au sens de la Convention de Genève ;

renvoie le dossier en prosécution de cause au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration ;

condamne l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg aux frais et dépens des deux instances.

Ainsi jugé par :

Marion Lanners, présidente, Christiane Diederich-Tournay, premier conseiller, Carlo Schockweiler, conseiller, rapporteur, et lu par la présidente en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en-tête, en présence du greffier en chef de la Cour Erny May.

le greffier en chef la présidente 6


Synthèse
Numéro d'arrêt : 20213C
Date de la décision : 24/11/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2005-11-24;20213c ?

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