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22/11/2005 | LUXEMBOURG | N°20247C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 22 novembre 2005, 20247C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 20247 C Inscrit le 5 août 2005

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Audience publique du 22 novembre 2005 Recours formé par … et … et consort contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié - Appel -

(jugement entrepris du 6 juillet 2005, n° 19638 du rôle)

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Vu la requête d’appel, inscrite sous le numéro 20247C du rôle et déposée au greffe de la Co...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 20247 C Inscrit le 5 août 2005

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Audience publique du 22 novembre 2005 Recours formé par … et … et consort contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié - Appel -

(jugement entrepris du 6 juillet 2005, n° 19638 du rôle)

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Vu la requête d’appel, inscrite sous le numéro 20247C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 5 août 2005 par Maître Valérie Demeure, avocat à la Cour, au nom de …, né le … à … (Kosovo/Etat de Serbie et Monténégro) et de …, née le … à … (Kosovo), agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leur enfant mineur …, né le … à…, tous de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement ensemble à L-…, dirigée contre un jugement rendu par le tribunal administratif le 6 juillet 2005, par lequel il a déclaré non fondé le recours en réformation introduit contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 17 janvier 2005 rejetant leur demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que contre une décision confirmative du même ministre du 9 mars 2005, tout en déclarant irrecevable le recours subsidiaire en annulation ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 20 septembre 2005 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;

Ouï le conseiller en son rapport, Maître Valérie Demeure, ainsi que Madame le délégué du Gouvernement Jacqueline Jacques en leurs plaidoiries respectives.

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Par requête, inscrite sous le numéro 19638 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 11 avril 2005, … et …, agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leur enfant commun …, ont fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 17 janvier 2005 rejetant leur demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que de la décision confirmative prise par le même ministre le 9 mars 2005 suite à un recours gracieux.

Par jugement rendu le 6 juillet 2005, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, a reçu le recours en réformation en la forme et, au fond, l’a déclaré non justifié et a déclaré irrecevable le recours subsidiaire en annulation.

Les premiers juges ont justifié leur décision en retenant que les actuels appelants, déclarant être originaires du Kosovo, y avoir appartenu à la communauté albanaise de confession musulmane, et y avoir subi des persécutions en raison de ce que … serait issue d’un mariage mixte, son père étant Albanais et sa mère étant Serbe, de sorte qu’elle aurait fait l’objet de « persécutions verbales, psychologiques des Albanais » qui la traiteraient de « Serbe » en ajoutant qu’en raison de leur qualité d’Albanais issus d’un mariage mixte, ils auraient un besoin particulier de protection, n’ont pas fait état de risques de persécution à l’encontre de … et que les faits invoqués au sujet de la situation de sa concubine, …, ne sont pas d’une gravité suffisante pour établir un état de persécution personnelle vécu ou une crainte qui serait telle que la vie de … lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine.

Pour le surplus, les premiers juges ont constaté que les actuels appelants n’ont pas établi ne pas être en mesure de pouvoir profiter d’une protection efficace de la part des autorités actuellement en place dans leur pays d’origine, en relevant plus particulièrement qu’ils n’ont pas porté plainte auprès des forces de l’ordre et qu’ils n’ont entrepris aucune autre démarche auprès des autorités pour tenter d’obtenir leur protection. Enfin, le tribunal a constaté que les craintes invoquées par les actuels appelants se cristallisent essentiellement dans la ville de Mitrovica et qu’ils n’ont soumis aux autorités aucun élément pertinent de nature à établir qu’ils ne seraient pas en mesure de pouvoir profiter d’une possibilité de fuite interne dans leur pays d’origine.

En date du 5 août 2005, Maître Valérie Demeure, avocat à la Cour, a déposé une requête d’appel en nom et pour compte de … et de …, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leur enfant …, inscrite sous le numéro 20247C du rôle, par laquelle les parties appelantes sollicitent principalement la réformation et subsidiairement l’annulation du premier jugement.

A l’appui de leur requête d’appel, les appelants estiment qu’en raison de ce que … est originaire d’un mariage mixte, elle aurait subi des persécutions verbales et psychologiques de la part des Albanais qui la traiteraient de Serbe. Ils exposent ainsi qu’elle aurait fait l’objet d’insultes à Mitrovica, son lieu de naissance, où elle aurait continué à vivre, et où des pierres auraient été lancées contre sa maison. Ils reprochent aux premiers juges d’avoir fait une appréciation erronée des faits qui leur ont été soumis, en estimant que les persécutions subies par …, ainsi que les craintes qu’elle pourrait raisonnablement avoir de faire à nouveau l’objet de persécutions en cas de retour dans son pays d’origine devraient justifier la reconnaissance dans leur chef du statut de réfugié. Ils se réfèrent dans ce contexte à un rapport publié par l’UNHCR en mars 2005 dont il ressortirait que des personnes mariées à une personne appartenant à un autre groupe ethnique seraient plus particulièrement susceptibles de faire l’objet de menaces.

Il y a enfin lieu de relever que les appelants n’invoquent aucun moyen à l’appui de leur demande tendant à obtenir l’annulation du jugement entrepris.

Dans son mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 20 septembre 2005, le délégué du Gouvernement conclut à la confirmation du jugement entrepris.

La requête d’appel est recevable pour avoir été introduite dans les formes et délai prévus par la loi.

Dans la mesure où aucun moyen n’a été formulé à l’appui de la demande tendant à obtenir l’annulation du premier jugement, il échet de déclarer ladite demande non fondée.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Il échet tout d’abord de constater que, saisies d’un recours en réformation dirigé contre une décision rendue en matière de statut de réfugié, les juridictions administratives sont appelées à examiner le bien-fondé et l’opportunité de la décision querellée à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance des demandeurs d’asile. En ce qui concerne cette situation actuelle, il est constant en cause que, suite au départ de l’armée fédérale yougoslave et des forces de police dépendant des autorités serbes du Kosovo, une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée sur ce territoire, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place.

Il échet encore de relever qu’en ce qui concerne la situation des membres de certains groupes spécifiques au Kosovo, et notamment ceux appartenant au groupe des personnes issues de mariages mixtes, auquel … déclare appartenir, s’il est vrai que leur situation générale est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à subir des insultes, voire d’autres discriminations ou agressions par des groupes de la population, elle n’est cependant pas telle que tout membre de la minorité visée serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considérés individuellement et concrètement, les demandeurs d’asile risquent de subir des traitements discriminatoires.

Les rapports de l’UNHCR sur la situation des minorités au Kosovo ne permettent pas de conclure que la situation générale des personnes issues de mariages mixtes serait à l’heure actuelle grave au point que la seule appartenance à un tel groupe de la population justifierait l’octroi du statut de réfugié.

C’est à bon droit que le tribunal a constaté que les éléments de persécution mis en avant par les appelants au sujet de la situation particulière de …, à savoir les insultes, ainsi que les « persécutions … psychologiques des Albanais » qui la traiteraient de « Serbe », à les supposer établis, constituent certainement des pratiques condamnables, mais ne dénotent pas en l’espèce une gravité telle qu’ils établissent à l’heure actuelle un risque de persécution dans leur chef au point que leur vie leur serait intolérable dans leur pays d’origine. Il y a encore lieu de retenir que les appelants ont tout au plus fait état d’un sentiment général d’insécurité, sans avoir fait état d’une persécution personnelle vécue ou d’une crainte qui serait telle que la vie leur serait, à raison, intolérable dans leur pays d’origine.

C’est encore à bon droit que les premiers juges ont pu retenir que les problèmes mis en avant par les appelants n’émanent pas de l’Etat, mais de personnes privées, en l’occurrence de voisins albanais, lesquels ne peuvent pas être considérés comme des agents de persécution au sens de la Convention de Genève, et que les appelants restent en défaut d’établir à suffisance de droit que les autorités de leur pays d’origine refuseraient de les protéger ou seraient dans l’impossibilité de leur fournir une protection d’une efficacité suffisante, étant relevé que la notion de protection des habitants d’un pays contre des agissements de groupes de la population n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission matérielle d’un acte criminel et qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers uniquement en cas de défaut de protection dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par les demandeurs d’asile, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, les appelants n’ayant pas porté plainte auprès des forces de l’ordre et n’ayant entrepris aucune autre démarche auprès des autorités pour tenter d’obtenir leur protection.

Enfin, c’est encore à bon droit que les premiers juges ont constaté que les problèmes des appelants se cristallisent essentiellement dans la ville de Mitrovica et qu’ils ne soumettent aucun élément pertinent permettant d’établir les raisons pour lesquelles ils ne seraient pas en mesure de trouver refuge à l’heure actuelle dans une autre partie du Kosovo, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité du demandeur d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir les raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié.

Il suit de ce qui précède qu’il y a lieu de déclarer la requête d’appel non fondée et de confirmer le jugement entrepris du 6 juillet 2005.

Par ces motifs, La Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties à l’instance ;

reçoit la requête d’appel du 5 août 2005 en la forme ;

la dit cependant non fondée et en déboute ;

partant confirme le jugement entrepris du 6 juillet 2005 dans toute sa teneur;

condamne les appelants aux frais et dépens de l’instance d’appel.

Ainsi jugé par :

Jean-Mathias Goerens, vice-président, Marc Feyereisen, conseiller, Carlo Schockweiler, conseiller, rapporteur, et lu par le vice-président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en-tête, en présence du greffier de la Cour Anne-Marie Wiltzius.

le greffier le vice-président 6


Synthèse
Numéro d'arrêt : 20247C
Date de la décision : 22/11/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2005-11-22;20247c ?

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