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10/11/2005 | LUXEMBOURG | N°19912C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 10 novembre 2005, 19912C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 19912 C Inscrit le 6 juin 2005

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Audience publique du 10 novembre 2005 Recours formé par Madame Xxx xxx contre une décision prise par le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de police des étrangers - Appel -

(jugement entrepris du 2 mai 2005, n° 19159 du rôle)

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GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 19912 C Inscrit le 6 juin 2005

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Audience publique du 10 novembre 2005 Recours formé par Madame Xxx xxx contre une décision prise par le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de police des étrangers - Appel -

(jugement entrepris du 2 mai 2005, n° 19159 du rôle)

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Vu la requête d’appel, inscrite sous le numéro 19912C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 6 juin 2005 par Maître Nicky Stoffel, avocat à la Cour, au nom de Madame Xxx xxx, née le 15 janvier 1973 à xxx (Monténégro/Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité serbo-monténégrine, déclarant demeurer à L-

xxx, dirigée contre un jugement rendu par le tribunal administratif le 2 mai 2005, par lequel il s’est déclaré incompétent pour connaître du recours principal en réformation introduit contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 21 décembre 2004 par laquelle l’entrée et le séjour au Grand-

Duché lui ont été refusés et a déclaré non justifié le recours subsidiaire en annulation introduit contre la même décision ministérielle ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 13 juin 2005 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe de la Cour administrative le 7 juillet 2005 en nom et pour compte de l’appelante ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;

Ouï le conseiller en son rapport et Madame le délégué du Gouvernement Claudine Konsbruck en ses plaidoiries.

Par requête, inscrite sous le numéro 19159 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 11 janvier 2005, Madame Xxx xxx a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 21 décembre 2004, par laquelle l’entrée et le séjour au Grand-Duché lui ont été refusés.

Par jugement rendu le 2 mai 2005, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, s’est déclaré incompétent pour connaître du recours principal en réformation, a reçu le recours subsidiaire en annulation en la forme et, au fond, l’a déclaré non justifié et en a débouté Madame xxx.

Les premiers juges ont justifié leur décision en retenant tout d’abord que l’actuelle appelante ne dispose pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour, de sorte que la décision ministérielle lui refusant l’octroi d’un permis de séjour au Luxembourg est en principe justifiée sur base de l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, et ensuite qu’elle n’a pas établi une violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Les premiers juges n’ont ainsi pas fait droit à l’argumentation de l’actuelle appelante tendant à l’annulation de la décision litigieuse, au motif que celle-ci aurait violé son droit à l’obtention d’un regroupement familial avec ses deux frères xxx et xxx xxx qui séjourneraient légalement au Grand-Duché de Luxembourg et qui y poursuivraient « des emplois salariés leur permettant de vivre confortablement ». Le tribunal a retenu à la base de sa décision que xxx xxx, auprès duquel l’actuelle appelante déclare habiter depuis qu’elle est venue au Luxembourg et auprès duquel elle entend continuer à habiter, a quitté le foyer familial au pays d’origine 7 années avant le départ de sa sœur, cette dernière vivant donc séparée de lui depuis l’âge de 17 ans, de sorte que la preuve de la préexistence d’une vie familiale effective avant l’immigration clandestine de l’actuelle appelante au Luxembourg n’a pas été rapportée, les premiers juges ayant encore souligné que l’actuelle appelante a renoué des liens avec ses frères en pleine connaissance de cause de la précarité de sa situation personnelle. Pour justifier leur décision, les premiers juges ont encore constaté que les père et mère de l’actuelle appelante sont tous les deux en vie et qu’ils habitent actuellement en Serbie-Monténégro, de sorte que l’actuelle appelante n’a pas valablement pu soutenir qu’elle se trouvait dans une situation d’isolement social dans son pays d’origine. Enfin, les premiers juges ont constaté que l’actuelle appelante est âgée de 32 ans et qu’elle n’a pas établi de raisons suffisantes de nature à établir une impossibilité dans son chef de subvenir seule à ses besoins.

En date du 6 juin 2005, Maître Nicky Stoffel, avocat à la Cour, a déposé une requête d’appel en nom et pour compte de Madame Xxx xxx, inscrite sous le numéro 19912C du rôle, par laquelle la partie appelante sollicite à titre principal l’annulation et à titre subsidiaire la réformation du jugement entrepris en priant la Cour de réformer sinon d’annuler la décision litigieuse du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration.

A l’appui de sa requête d’appel, l’appelante reproche aux premiers juges de ne pas avoir retenu son moyen tiré de la violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme qui garantit le droit au respect de sa vie privée et familiale. Ainsi, elle fait valoir qu’une autorisation de séjour aurait dû lui être délivrée par le ministre compétent sur base du regroupement familial par elle invoqué avec ses deux frères établis au Luxembourg. Pour établir la véracité de sa vie commune avec ses deux parents collatéraux, elle se base sur des attestations testimoniales déposées à l’appui de sa requête d’appel, afin de prouver une vie effective commune depuis le 11 juillet 1999. En ce qui concerne la période antérieure à cette date, elle soutient qu’une vie familiale entre ces trois personnes aurait existé, même si elle n’aurait pas pu s’exercer de manière matérielle, mais seulement sur une base « psychologique ».

Dans son mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 13 juin 2005, le délégué du Gouvernement conclut à la confirmation du jugement entrepris.

Un mémoire en réplique a été déposé par l’appelante au greffe de la Cour administrative le 7 juillet 2005. Elle y déclare tout d’abord renoncer à sa demande tendant à obtenir l’annulation du jugement entrepris, en maintenant son volet tendant à la réformation dudit jugement. Elle complète ses développements contenus dans sa requête d’appel au sujet de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, pour insister sur les relations « profondes et soudées » qui existeraient entre elle et ses deux frères, qui devraient justifier dans son chef la délivrance d’une autorisation de séjour au Luxembourg. Le ministre aurait omis de vérifier la préexistence à son immigration d’une vie familiale effective entre ces trois personnes et de constater ainsi l’existence d’une unité familiale. Elle soutient encore qu’il existerait un rapport de dépendance pécuniaire entre ses deux frères et elle-même, ce qui ressortirait d’une attestation testimoniale certifiant la volonté de ses frères de la soutenir financièrement et de la loger chez eux. Elle soutient enfin que la décision litigieuse constituerait une ingérence non fondée dans sa vie familiale et qu’elle serait par ailleurs disproportionnée au but recherché.

La requête d’appel est recevable pour avoir été introduite dans les formes et délai prévus par la loi.

Il échet tout d’abord de donner acte à l’appelante de ce qu’elle renonce à sa demande tendant à obtenir l’annulation du jugement entrepris.

C’est à tort que l’appelante maintient en instance d’appel sa demande tendant à voir réformer la décision litigieuse par la juridiction administrative, étant donné que c’est à bon droit que les premiers juges ont décidé qu’aucune disposition légale ne confère compétence aux juridictions administratives pour statuer comme juge du fond en matière de police des étrangers et plus particulièrement en matière d’autorisation d’entrée et de séjour au pays, de sorte que c’est à bon droit que le tribunal s’est déclaré incompétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal.

En ce qui concerne le seul moyen invoqué à l’appui de la requête d’appel et tiré de la violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, il échet de constater qu’il n’est pas contesté en cause que l’appelante a toujours ses deux parents qui vivent au Monténégro et qu’elle ne s’est installée au Luxembourg avec l’un de ses frères qu’en date du 11 juillet 1999, soit plus de 7 années après le départ du Monténégro de son frère auprès duquel elle habite actuellement.

Il se dégage encore de son rapport d’audition par un agent du ministère de la Justice en date du 22 novembre 1999, établi à la suite du dépôt par l’appelante d’une demande d’asile au Luxembourg, qu’elle s’est rendue au Luxembourg afin d’échapper à une situation générale d’insécurité ayant régné à cette époque au Monténégro et pour des raisons économiques.

L’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme dispose que :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».

S’il est de principe, en droit international, que les Etats ont le pouvoir souverain de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des étrangers, il n’en reste pas moins que les Etats qui ont ratifié la Convention européenne des droits de l’homme ont accepté de limiter le libre exercice de cette prérogative dans la mesure des dispositions de la Convention.

Il y a dès lors lieu d’examiner en l’espèce si la vie privée et familiale dont fait état l’appelante pour conclure dans son chef à l’existence d’un droit à la protection d’une vie familiale par le biais des dispositions de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme rentre effectivement dans les prévisions de ladite disposition de droit international qui est, le cas échéant, de nature à tenir en échec la législation nationale.

Il convient encore de relever que la garantie du respect de la vie privée et familiale comporte des limites. En premier lieu, elle ne comporte pas le droit de choisir l’implantation géographique de la vie familiale, de sorte qu’on ne saurait obliger un Etat à laisser accéder un étranger sur son territoire pour y créer des liens familiaux nouveaux. En second lieu, elle ne s’applique qu’à une vie familiale effective, c’est-

à-dire caractérisée par des relations réelles et suffisamment étroites parmi ses membres, et existante, voire préexistante à l’entrée sur le territoire national.

En l’espèce, c’est à bon droit que le tribunal a retenu que le frère de l’appelante, à savoir xxx xxx, auprès duquel elle déclare habiter depuis qu’elle est venue au Luxembourg, a quitté le foyer familial dans son pays d’origine au moins 7 années avant le départ de sa sœur, de sorte que celle-ci a vécu séparée de lui depuis l’âge de 17 ans, étant entendu qu’elle est actuellement âgée de 32 ans. C’est ainsi que les premiers juges ont pu constater à bon droit que l’appelante n’a pas établi la préexistence d’une vie familiale effective avant son immigration clandestine au Luxembourg et que le renouement des liens de l’appelante avec ses frères a été réalisé en pleine connaissance de cause de la précarité de sa situation. Les attestations testimoniales versées à l’appui de la requête d’appel ne sont pas de nature à énerver cette conclusion, puisqu’elles sont tout au plus de nature à établir le fait que l’appelante a actuellement de bons contacts avec ses frères et qu’elle habite auprès de l’un d’eux.

Les premiers juges ont encore à bon droit pu retenir que s’il est vrai qu’un proche parent se trouvant dans l’isolement social dans son pays d’origine et ayant des difficultés de s’adonner à un travail rémunéré lui permettant de subvenir à ses propres besoins a le droit d’être pris en charge et, le cas échéant, d’habiter auprès de l’un de ses ascendants ou descendants, voire exceptionnellement un de ses frères et sœurs, sur base notamment de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, il n’en demeure pas moins que ce droit ne lui permet de s’installer auprès de l’un des membres de sa famille résidant dans un autre Etat que celui dont il est originaire qu’à partir du moment où, dans son pays d’origine, il n’existe aucun membre de la famille qui soit en mesure de le prendre en charge en lui fournissant notamment un logement approprié.

Or, force est de constater que l’appelante a toujours ses père et mère qui sont en vie et qui habitent en Serbie-Monténégro, de sorte qu’il y a lieu de constater qu’elle peut en principe exercer son droit à une vie privée et familiale dans son pays d’origine, telle que réglementée par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Par ailleurs, dans la mesure où l’appelante n’est âgée que de 32 ans, et qu’elle n’établit pas de raisons pour lesquelles elle ne serait pas en mesure de subvenir seule à ses besoins, et qu’elle n’établit pas non plus l’existence d’un obstacle majeur rendant impossible un retour dans son pays d’origine, rien ne s’oppose à ce qu’elle exerce son droit à une vie privée et familiale en Serbie-

Monténégro.

Il y a partant lieu de confirmer les premiers juges dans leur conclusion suivant laquelle le refus opposé à l’appelante de lui délivrer une autorisation au séjour sur base de son droit au regroupement familial avec ses frères résidant au Luxembourg ne constitue pas, au vu des circonstances de l’espèce, une ingérence illégale dans son droit au respect de sa vie privée et familiale. Il s’ensuit qu’il y a lieu de déclarer la requête d’appel non fondée et de confirmer le jugement entrepris du 2 mai 2005.

L’arrêt à intervenir statue à l’égard de toutes les parties à l’instance, nonobstant l’absence du mandataire de l’appelante à l’audience des plaidoiries, étant donné que la procédure devant les juridictions administratives est essentiellement écrite et que l’appelante a fait déposer une requête d’appel ainsi qu’un mémoire en réplique.

Par ces motifs La Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties à l’instance ;

donne acte à l’appelante de ce qu’elle renonce à sa demande tendant à l’annulation du jugement entrepris ;

reçoit la requête d’appel du 6 juin 2005 en la forme ;

la dit cependant non fondée et en déboute ;

partant confirme le jugement entrepris du 2 mai 2005 dans toute sa teneur;

condamne l’appelante aux frais et dépens de l’instance d’appel.

Ainsi jugé par :

Marion Lanners, présidente Christiane Diederich-Tournay, premier conseiller Carlo Schockweiler, conseiller, rapporteur, et lu par la présidente en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en-tête, en présence du greffier en chef de la Cour Erny May.

le greffier en chef la présidente 6


Synthèse
Numéro d'arrêt : 19912C
Date de la décision : 10/11/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2005-11-10;19912c ?

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