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12/07/2005 | LUXEMBOURG | N°19571C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 12 juillet 2005, 19571C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 19571 C Inscrit le 30 mars 2005

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Audience publique du 12 juillet 2005 Recours formé par … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié - Appel -

(jugement entrepris du 9 mars 2005, n° 18910 du rôle)

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GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 19571 C Inscrit le 30 mars 2005

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Audience publique du 12 juillet 2005 Recours formé par … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié - Appel -

(jugement entrepris du 9 mars 2005, n° 18910 du rôle)

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Vu la requête d’appel, inscrite sous le numéro 19571C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 30 mars 2005 par Maître Stef Oostvogels, avocat à la Cour, assisté de Maître Amélie Jurin, avocat, au nom de …, né le … à …(Kosovo/Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité serbo-monténégrine, actuellement détenu au Centre de détention à Schrassig, dirigée contre un jugement rendu par le tribunal administratif le 9 mars 2005, par lequel il a déclaré non fondé le recours en réformation introduit contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 10 septembre 2004 déclarant non fondée sa demande d’admission au statut de réfugié, ainsi que contre une décision confirmative du même ministre du 8 novembre 2004, tout en déclarant irrecevable le recours subsidiaire en annulation ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 19 avril 2005 ;

Vu le mémoire en réplique de l’appelant déposé au greffe de la Cour administrative le 17 mai 2005 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;

Ouï le conseiller en son rapport, Maître David Louis, en remplacement de Maître Stef Oostvogels et Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles Roth en leurs plaidoiries respectives.

Par requête, inscrite sous le numéro 18910 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 26 novembre 2004, … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 10 septembre 2004, déclarant non fondée sa demande d’admission au statut de réfugié, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre datant du 8 novembre 2004 intervenue sur recours gracieux.

Par jugement rendu le 9 mars 2005, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, a reçu le recours en réformation en la forme, au fond, l’a déclaré non justifié et a déclaré irrecevable le recours subsidiaire en annulation.

Les premiers juges ont justifié leur décision en retenant que l’actuel appelant, déclarant être originaire du Kosovo et y faire partie de la communauté des Albanais, a fait état d’agressions ne trouvant leur cause non pas directement dans son appartenance ethnique, qui est d’ailleurs la même que celle de ses prétendus agresseurs, mais dans une motivation d’ordre personnel, à savoir un désir de vengeance basé sur la filiation de l’actuel appelant et trouvant sa source notamment dans les actes de tortures avoués et commis par son père à l’égard d’Albanais lors du conflit du Kosovo. Ainsi, les premiers juges ont décidé que ces motifs de vengeance privée ou familiale ne sauraient être considérés comme étant fondés sur l’un des motifs de persécution spécifiquement envisagés par la Convention de Genève.

En date du 30 mars 2005, Maître Stef Oostvogels, avocat à la Cour, assisté de Maître Amélie Jurin, avocat, a déposé une requête d’appel en nom et pour compte de …, inscrite sous le numéro 19571C du rôle, par laquelle la partie appelante sollicite la réformation du premier jugement.

A l’appui de sa requête d’appel, l’appelant reproche aux premiers juges de ne pas avoir retenu les actes de vengeance commis à son encontre au Kosovo comme étant des actes de persécutions au sens de la Convention de Genève. Il fait en effet valoir que son père et ses oncles maternels auraient été des policiers sous le régime de Milosevic et qu’à cette époque, son père ainsi que des collègues d’origine albanaise auraient commis des actes de tortures à l’égard d’autres Albanais. Il fait encore état de ce que sa famille aurait exploité au cours des années 1995 à 1997 un commerce « très fréquenté par les Serbes ». Sur base de ces éléments, les membres de sa famille seraient traités comme ayant été des collaborateurs et des traîtres par rapport à « la nation albanaise ». Il fait état de ce que les membres de sa famille auraient fait l’objet de représailles et que lui-même aurait été victime d’un enlèvement au mois d’octobre 2003, au cours duquel il aurait fait l’objet d’actes de tortures tant physiques que psychiques. A cette occasion, ces ravisseurs l’auraient invité à tuer dans un délai de trois mois trois ressortissants serbes et qu’au cas où il ne s’exécuterait pas, lui-même ou l’un des membres de sa famille serait égorgé. Au vu de ce chantage et en refusant de s’y plier, il aurait décidé, dans un premier temps, de se cacher auprès de son oncle et, par la suite, de quitter son pays d’origine pour essayer de trouver refuge au Luxembourg.

En droit, l’appelant estime que les faits ci-avant développés devraient à suffisance de droit justifier sa crainte de faire l’objet de nouvelles persécutions dans son pays d’origine et justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Il fait encore état de ce que les autorités publiques actuellement en place au Kosovo ne seraient pas en mesure de lui fournir une protection appropriée contre les actes dont il a été victime.

Dans son mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 19 avril 2005, le délégué du Gouvernement conclut à la confirmation du jugement entrepris.

En date du 17 mai 2005, l’appelant a fait déposer un mémoire en réplique au greffe de la Cour administrative. Il y insiste à nouveau sur l’incapacité des autorités en place au Kosovo de faire face aux persécutions perpétrées de la part d’Albanais à l’encontre des populations serbes, en exposant, d’autre part, que des faits qui ne lui sont pas personnels, mais qui auraient été vécus par d’autres membres de sa famille devraient être pris en compte et devraient être de nature à justifier une crainte de persécution dans son chef, étant donné qu’il serait établi qu’il existerait dans son chef un risque réel d’être victime d’actes similaires en raison de circonstances particulières.

La requête d’appel est recevable pour avoir été introduite dans les formes et délai prévus par la loi.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

En ce qui concerne de prime abord la situation générale régnant au Kosovo, région dont l’appelant déclare être originaire, il convient de relever qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité de la décision querellée à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance du demandeur d’asile et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de son départ. En ce qui concerne cette situation actuelle, il est constant en cause que, suite au départ de l’armée fédérale yougoslave et des forces de police dépendant des autorités serbes du Kosovo, une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée sur ce territoire, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place.

A cet égard, abstraction faite de ce que l’appelant déclare lui-même appartenir à la population albanaise du Kosovo, à savoir non pas à une minorité ethnique, mais au groupe majoritairement représenté au Kosovo, il échet de constater qu’il fait essentiellement état de problèmes qu’il aurait eus de la part d’autres ressortissants albanais du Kosovo en raison de ce que lui-même et les autres membres de sa famille seraient considérés comme ayant été des collaborateurs et des traîtres de la « nation albanaise », notamment en raison de ce qu’ils auraient exploité, au cours des années 1995 à 1997, un commerce fréquenté par les Serbes et que son père et ses oncles maternels auraient été des policiers sous le régime de Milosevic et qu’à cette époque, tant son père que d’autres collègues d’origine albanaise auraient commis des actes de torture à l’égard d’autres Albanais, lesdits problèmes ayant eu pour conséquences des menaces de mort, des représailles et un enlèvement suivi d’actes de tortures.

Il échet toutefois de constater, en confirmant les conclusions auxquelles ont abouti les juges de première instance, que de tels faits ont trait à une criminalité de droit commun, basée sur des motifs d’ordre personnel, en l’occurrence un désir de vengeance basé sur la filiation de l’appelant, et qu’ils sont en tout cas insuffisants pour établir une persécution ou pour justifier une crainte de persécution dans le chef de l’appelant dans son pays d’origine.

Par ailleurs, même au cas où les faits invoqués par l’appelant lui rendent la vie difficile dans la région dont il est originaire, et où il peut y avoir des problèmes pour lui d’y résider paisiblement, il n’en reste pas moins que l’appelant reste en défaut d’établir qu’il ne peut pas trouver refuge à l’heure actuelle dans une autre partie de son pays d’origine, et plus particulièrement au Kosovo dont la grande majorité de la population appartient, comme lui, au groupe des Albanais. A ce sujet, il y a lieu de relever que le défaut d’établir les raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié.

D’une manière générale, il y a lieu de retenir que le récit de l’appelant traduit tout au plus un sentiment général d’insécurité, sans qu’il n’ait fait état d’une persécution personnelle vécue ou d’une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine.

Il convient pour le surplus de constater que les actes et craintes mis en avant par l’appelant ne s’analysent pas en une persécution émanant de l’Etat, mais d’un groupe de la population ou plutôt de certains membres d’un tel groupe.

Un risque de persécution au titre de l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève émanant de groupes de la population, ne peut être reconnu comme motif d’octroi du statut de réfugié que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays. Or, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion.

Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

Or, le simple fait de prétendre que les autorités actuellement en place au Kosovo ne seraient pas en mesure de lui assurer une protection efficace, sans apporter d’autres précisions à ce sujet, n’est pas de nature à établir un défaut caractérisé de protection de la part desdites autorités.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’il y a lieu de déclarer la requête d’appel non fondée et de confirmer le jugement entrepris du 9 mars 2005.

Par ces motifs, La Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties à l’instance ;

donne acte à l’appelant de ce qu’il déclare bénéficier de l’assistance judiciaire ;

reçoit la requête d’appel du 30 mars 2005 en la forme ;

la dit cependant non fondée et en déboute ;

partant confirme le jugement entrepris du 9 mars 2005 dans toute sa teneur;

condamne l’appelant aux frais et dépens de l’instance d’appel.

Ainsi jugé par :

Jean-Mathias Goerens, vice-président, Marc Feyereisen, conseiller, Carlo Schockweiler, conseiller, rapporteur, et lu par le vice-président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en-tête, en présence du greffier de la Cour Anne-Marie Wiltzius.

le greffier le vice-président 6


Synthèse
Numéro d'arrêt : 19571C
Date de la décision : 12/07/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2005-07-12;19571c ?

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