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30/06/2005 | LUXEMBOURG | N°19715C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 30 juin 2005, 19715C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 19715 C Inscrit le 22 avril 2005

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Audience publique du 30 juin 2005 Recours formé par Monsieur XXX XXX contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié - Appel -

(jugement entrepris du 23 mars 2005, n° 18990 du rôle)

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Vu la

requête d’appel, inscrite sous le numéro 19715C du rôle et déposée au greffe de la Cour ad...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 19715 C Inscrit le 22 avril 2005

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Audience publique du 30 juin 2005 Recours formé par Monsieur XXX XXX contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié - Appel -

(jugement entrepris du 23 mars 2005, n° 18990 du rôle)

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Vu la requête d’appel, inscrite sous le numéro 19715C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 22 avril 2005 par Maître Edmond Dauphin, avocat à la Cour, au nom de Monsieur XXX XXX, né le 12 août 1962 à XXX (Kosovo/Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement à L-XXX, dirigée contre un jugement rendu par le tribunal administratif le 23 mars 2005, par lequel il a déclaré non fondé le recours en réformation introduit contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 3 septembre 2004, rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, telle que cette décision a été confirmée par ledit ministre le 10 novembre 2004 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 11 mai 2005 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;

Ouï le conseiller en son rapport, Maître Edmond Dauphin et Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Paul Reiter en leurs plaidoiries respectives.

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Par requête, inscrite sous le numéro 18990 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 13 décembre 2004, Monsieur XXX XXX a fait introduire un recours tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 3 septembre 2004 rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, telle que cette décision a été confirmée par ledit ministre le 10 novembre 2004, suite à un recours gracieux.

Par jugement rendu le 23 mars 2005, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, a reçu le recours en réformation en la forme et, au fond, l’a déclaré non justifié et en a débouté Monsieur Hamza.

Les premiers juges ont justifié leur décision en retenant que l’actuel appelant, déclarant être originaire du Kosovo et y appartenir à la minorité ethnique des Goranais, en raison de laquelle il risquerait d’être victime de persécutions au Kosovo, étant donné que les Albanais le considéreraient comme un Serbe, n’a pas fait état d’une situation particulièrement exposée de nature à justifier dans son chef la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève, étant entendu que le seul fait d’appartenir à la minorité ethnique des Goranais n’est pas à lui seul de nature à justifier dans le chef de l’actuel appelant la reconnaissance dudit statut. Le tribunal a en outre retenu que l’actuel appelant n’a pas établi ne pas être en mesure de pouvoir profiter d’une protection de la part des autorités actuellement en place au Kosovo.

En date du 22 avril 2005, Maître Edmond Dauphin, avocat à la Cour, a déposé une requête d’appel en nom et pour compte de Monsieur XXX XXX, inscrite sous le numéro 19715C du rôle, par laquelle la partie appelante sollicite la réformation du premier jugement.

A l’appui de sa requête d’appel, l’appelant reproche aux premiers juges de ne pas avoir fait droit à ses conclusions présentées en première instance, qui auraient dû aboutir à la reconnaissance dans son chef du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève. Il fait état de ce qu’il aurait fait l’objet, en sa qualité de Goranais, d’exactions et de menaces de la part d’Albanais du Kosovo et qu’il aurait été victime d’incendies volontaires, qui seraient à considérer comme constituant des persécutions dans la mesure où il s’agirait d’atteintes à sa seule source de revenus.

Il se réfère encore à un rapport de l’UNHCR sur la situation des minorités au Kosovo du mois d’août 2004, suivant lequel il appartiendrait aux autorités nationales de protéger les membres des minorités ethniques originaires du Kosovo.

Enfin, il estime qu’une protection de la part des autorités en place au Kosovo serait illusoire, étant donné que ni la police, dont les membres seraient des kosovares d’origine albanaise, ni les troupes de la KFOR, ne seraient en mesure de lui fournir une protection personnelle adéquate.

Dans son mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 11 mai 2005, le délégué du Gouvernement conclut à la confirmation du jugement entrepris.

La requête d’appel est recevable pour avoir été introduite dans les formes et délai prévus par la loi.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Concernant la crainte exprimée par l’appelant d’actes de persécution de la part d’Albanais du Kosovo à son encontre en raison de son appartenance à la minorité goranaise, c’est à bon droit et pour de justes motifs, après avoir procédé à un examen complet et minutieux de tous les éléments recueillis, que les juges de première instance ont décidé que force est de constater que s’il est vrai que la situation générale des membres de minorités ethniques au Kosovo, en l’espèce celle des Goranais, est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à des discriminations, elle n’est cependant pas telle que tout membre d’une minorité ethnique serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève. Une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des persécutions.

A cet égard, il y a lieu de constater que suivant la version actualisée du rapport de l’UNHCR sur la situation des minorités au Kosovo, et notamment de celle des Goranais, datant de juin 2004 : « The overall security situation of the Gorani, who are predominantly concentrated in the isolated and underdeveloped southernmost municipality of Dragash/Dragas, remained stable. With the exception of one stoning incident against a Gorani-operated bus in May 2003, no ethnically motivated incidents involving Gorani were reported. The local population, both Gorani and Albanian, continued to be exposed to insecurity arising from infiltration of criminal elements from Albania and were subjected to robberies and violence».

Quant à leur situation après les incidents ayant eu lieu entre le 15 et le 19 mars 2004, force est de constater que les Goranais n’étaient pas la cible directe des affrontements. En effet, il est relaté dans la troisième partie du rapport précité intitulée « Situation of minority groups by region in light of the turmoil in March 2004 » que « Kosovo Serbs were the primary target of inter-ethnic violence. … Finally, whereas Bosniaks and Gorani did not become a direct target of the violence, in some locations they felt sufficiently at risk that they opted for precautionary movements, or where evacuated by police, to safer places» et encore « The few Bosniaks and Gorani who were displaced during the mid-March unrest have returned to their home communities. Returnees and remainees have resumed the same levels of freedoms they enjoyed prior to the events».

Enfin, dans un second rapport datant quant à lui d’août 2004, l’UNHCR souligne que « the security situation for Kosovo Bosniaks and Goranis has remained stable, with no serious incidents of violence reported » ainsi que « whereas the Bosniaks and Goranis were not directly targeted during the turmoil in March 2004, in some locations they felt insecure and opted for precautionary movements. Two families were evacuated by the police from the Bosniak Mahalla in Mitrovice/a North, while several others left on their own initiatives. Living in a Serb neighbourhood in Fushe Kosova/Kosovo Polje and seeing their Serb neighbours being attacked, several Gorani families left their homes as a precautionary measure. No other attacks or self-imposed evacuations have been reported, although the two ethnic communities anxiously followed the unfolding developments. The events have inevitably left the communities with a heightened sense of insecurity and in a state of constant alert ».

Il convient pour le surplus de constater que les actes et craintes mis en avant par l’appelant ne s’analysent pas en une persécution émanant de l’Etat, mais d’un groupe de la population ou plutôt de certains membres d’un tel groupe.

Un risque de persécution au titre de l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève émanant de groupes de la population, ne peut être reconnu comme motif d’octroi du statut de réfugié que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays. Or, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion.

Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

Or, le simple fait de prétendre que les autorités actuellement en place au Kosovo ne seraient pas en mesure de lui assurer une protection efficace, sans apporter d’autres précisions à ce sujet, n’est pas de nature à établir un défaut caractérisé de protection de la part desdites autorités. L’appelant tend en l’espèce certes à décrire une situation d’insécurité et de conflit généralisé dans son pays d’origine, mais il n’a soumis aucun indice concret relativement à l’incapacité actuelle des autorités compétentes de lui fournir une protection adéquate.

Quant aux faits de persécutions invoqués par l’appelant, il y a lieu de relever qu’il a fait état de ce que son local de commerce aurait été brûlé une première fois en 1998 et une deuxième fois en mai 1999 au cours de la guerre ayant eu lieu au Kosovo, à l’initiative de personnes non autrement identifiées. Il échet toutefois de relever que ces faits ne sont plus d’actualité au vu de l’évolution de la situation politique ayant eu lieu au Kosovo et de l’installation dans ce pays de troupes internationales.

Par ailleurs, même à admettre qu’à l’heure actuelle, il est toujours difficile pour un membre de la communauté goranaise du Kosovo de s’y réinstaller au vu du risque subsistant de nouveaux conflits ethniques, l’appelant ne soumet toutefois aucun élément permettant d’établir les raisons pour lesquelles il ne serait pas en mesure de trouver refuge à l’heure actuelle dans une autre partie de son pays d’origine, et notamment au Monténégro, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité d’un demandeur d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir les raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié.

Pour le surplus, il échet de constater, à la lecture du procès-verbal portant sur l’audition ayant eu lieu en date du 8 avril 2004, lors de laquelle l’appelant a été interrogé par un agent du ministère de la Justice sur ses motifs l’ayant amené à fuir son pays d’origine, qu’il a essentiellement invoqué des motifs d’ordre économique.

Ainsi, il y a lieu de relever qu’il a notamment déclaré ce qui suit : « Je n’ai pas de motifs pour demander l’asile politique. Le seul moyen de subvenir aux besoins de ma famille c’est le droit de séjour et le droit de travailler, parce que je vous dis, ma famille est dépendante de moi ». Il a également déclaré avoir pris la décision de quitter son pays d’origine au moment où il n’avait plus de travail au Kosovo. Or, de tels motifs d’ordre économique ne sont pas de nature à justifier la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’il y a lieu de déclarer la requête d’appel non fondée et de confirmer le jugement entrepris du 23 mars 2005.

Par ces motifs, La Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties à l’instance ;

reçoit la requête d’appel du 22 avril 2005 en la forme ;

la dit cependant non fondée et en déboute ;

partant confirme le jugement entrepris du 23 mars 2005 dans toute sa teneur;

condamne l’appelant aux frais et dépens de l’instance d’appel.

Ainsi jugé par :

Marion Lanners, présidente, Marc Feyereisen, conseiller, Carlo Schockweiler, conseiller, rapporteur, et lu par la présidente en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en-tête, en présence du greffier en chef de la Cour Erny May.

le greffier en chef la présidente 6


Synthèse
Numéro d'arrêt : 19715C
Date de la décision : 30/06/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2005-06-30;19715c ?

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