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11/11/2004 | LUXEMBOURG | N°18408C-18409C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 11 novembre 2004, 18408C-18409C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéros du rôle :

18408 C et 18409C Inscrits le 15 juillet 2004

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Audience publique du 11 novembre 2004 Recours formés par les époux … et … et consorts contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié - Appels -

(jugement entrepris du 14 juin 2004, n° 17601 du rôle)

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I

. Vu la requête d’appel, inscrite sous le numéro 18408C du rôle et déposée au greffe de la Cour a...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéros du rôle :

18408 C et 18409C Inscrits le 15 juillet 2004

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Audience publique du 11 novembre 2004 Recours formés par les époux … et … et consorts contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié - Appels -

(jugement entrepris du 14 juin 2004, n° 17601 du rôle)

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I. Vu la requête d’appel, inscrite sous le numéro 18408C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 15 juillet 2004 par Maître Louis Tinti, avocat à la Cour, au nom de Monsieur …, né le 15 février 1965 à … (Albanie), de son épouse, Madame … …, née le 8 octobre 1974 à … (Albanie), et de leurs enfants mineurs … et …, tous de nationalité albanaise, demeurant actuellement ensemble à L-…, dirigée contre un jugement rendu par le tribunal administratif le 14 juin 2004, par lequel il a déclaré non fondé le recours en réformation introduit contre une décision du ministre de la Justice du 18 novembre 2003 portant rejet de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée et contre celle confirmative du même ministre du 14 janvier 2004 intervenue sur recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 9 septembre 2004 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe de la Cour administrative le 29 septembre 2004 par Maître Nicky Stoffel, avocat à la Cour, déclarant agir en remplacement de Maître Louis Tinti, en nom et pour compte des époux … -… et de leurs enfants mineurs ;

II. Vu la requête d’appel, inscrite sous le numéro 18409C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 15 juillet 2004 par Maître Nicky Stoffel, avocat à la Cour, au nom des époux … et … … et de leurs enfants mineurs … et … …, préqualifiés, dirigée contre le jugement précité du 14 juin 2004 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 9 septembre 2004 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe de la Cour administrative le 29 septembre 2004 par Maître Nicky Stoffel, en nom et pour compte des époux … -… et de leurs enfants mineurs ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;

Ouï le conseiller en son rapport et Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Paul Reiter en ses plaidoiries.

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Par requête, inscrite sous le numéro 17601 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 17 février 2004, Monsieur … et son épouse, Madame … …, agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leurs enfants mineurs … et …, ont fait introduire un recours tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 18 novembre 2003, portant rejet de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée et de celle confirmative du même ministre du 14 janvier 2004, intervenue sur recours gracieux.

Par jugement rendu le 14 juin 2004, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, a reçu le recours en réformation en la forme et, au fond, l’a déclaré non justifié et en a débouté les époux … -….

Les premiers juges ont justifié leur décision en estimant que les actuels appelants, déclarant avoir subi des persécutions dans leur pays d’origine, à savoir l’Albanie, en raison de l’activisme politique de Monsieur … au sein du parti démocratique, n’ont pas pu se baser sur des incidents qui auraient eu lieu au cours de l’année 1997 afin d’obtenir la reconnaissance du statut de réfugié, puisque même à supposer que lesdits faits soient établis, ils remontent à 7 ans et que depuis lors la situation politique s’est stabilisée en Albanie, ce qui a pour conséquence que les événements en question ne revêtent plus une actualité suffisante pour pouvoir fonder une demande d’asile. En ce qui concerne les faits postérieurs au mois d’août 2000, période à laquelle ils seraient retournés en Albanie après avoir résidé en Italie où Monsieur … aurait notamment séjourné afin de se faire soigner de blessures par balles subies lors d’un incident ayant eu lieu le 22 juin 1997 en Albanie, le tribunal a retenu que la crédibilité du récit des actuels appelants au sujet des faits en question se trouve être sérieusement ébranlée, étant donné qu’il résulte du dossier administratif que Monsieur … a été signalé en Italie en dates des 7 février et 6 septembre 2000 et 17 mars 2002 et qu’il a fait l’objet d’un décret d’expulsion par la préfecture de police de Caserta en date du 14 février 2002. Ils ont partant retenu, en se basant par ailleurs sur le caractère vague du récit des actuels appelants quant aux événements en question, que ceux-ci ne revêtent en toute occurrence pas un caractère de gravité suffisant afin de motiver une crainte de persécution pour une des raisons énumérées par la Convention de Genève, mais qu’ils traduisent plutôt un sentiment général d’insécurité.

En date du 15 juillet 2004, Maître Louis Tinti, avocat à la Cour, a déposé une requête d’appel en nom et pour compte des époux … et … …, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs … et …, inscrite sous le numéro 18408C du rôle, par laquelle les parties appelantes sollicitent la réformation du premier jugement.

A l’appui de leur requête d’appel, les appelants insistent tout d’abord sur le fait que la famille de Monsieur … aurait été depuis très longtemps active politiquement et que depuis la deuxième guerre mondiale, elle aurait combattu le régime communiste, ce qui aurait notamment eu pour conséquence que l’oncle de Monsieur … aurait été fusillé après la victoire des communistes, dans son village, en raison de sa fonction de commandant de la police albanaise avant la guerre. Ils exposent encore que Monsieur … aurait poursuivi son combat politique du côté des démocrates, qu’il aurait été un proche du président Sali Berisha qu’il aurait accompagné lors de ses voyages officiels à travers l’Albanie en sa qualité de membre des forces de police spéciales et qu’au cours de l’un de ces voyages, et plus particulièrement en date du 22 juin 1997, il aurait fait l’objet d’une tentative d’homicide, en subissant de graves blessures par balles, ce qui aurait entraîné l’amputation d’une jambe lors d’une intervention chirurgicale qui aurait été effectuée en Italie où il aurait pu être rapatrié sur intervention personnelle du président de l’Albanie. Ils exposent encore que depuis le mois d’août 2000, ils seraient persécutés par un certain … … qui, en sa qualité de général de l’armée, serait un proche du pouvoir actuellement en place et qu’il n’hésiterait pas à tuer les gens qui le gêneraient.

Ils reprochent plus particulièrement aux premiers juges de ne pas avoir pris en considération les incidents ayant eu lieu en 1997, en soutenant que contrairement à l’opinion défendue par le tribunal administratif dans le jugement entrepris, l’évolution de la situation politique en Albanie ne serait pas suffisante afin de permettre leur retour en Albanie en toute sécurité, d’autant plus que les autorités actuellement en place dans ce pays resteraient profondément attachées à l’idéologie communiste, contre laquelle leur famille et eux-mêmes se seraient toujours battus.

En ce qui concerne les faits plus récents qui se seraient passés après leur retour en Albanie, le mandataire des appelants tient à préciser que notamment le signalement par la police italienne en date du 6 septembre 2000 s’expliquerait par la considération que contrairement aux explications fournies par les appelants au cours de leurs auditions par un agent du ministère de la Justice, ils ne seraient pas rentrés en Albanie en août 2000, mais au mois de septembre 2000, une telle erreur de date ne devant toutefois pas leur porter préjudice, puisqu’au vu du temps écoulé depuis les faits en question, ils auraient légitimement pu se tromper de date quant au retour dans leur pays d’origine. Enfin, ils contestent que les faits soumis par eux aux autorités luxembourgeoises puissent être considérés comme étant l’expression d’un sentiment général d’insécurité, alors qu’ils devraient au contraire démontrer une crainte suffisamment individualisée et sérieuse de persécution au sens de la Convention de Genève.

En date du 15 juillet 2004, Maître Nicky Stoffel, avocat à la Cour, a également déposé une requête d’appel en nom et pour compte de Monsieur … et de son épouse, Madame … …, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs … et …, inscrite sous le numéro 18409C du rôle, par laquelle les parties appelantes sollicitent la réformation du premier jugement.

A l’appui de leur deuxième requête d’appel, les appelants reprochent aux premiers juges d’avoir fait une appréciation erronée de leur situation de fait qui aurait dû les amener à leur reconnaître le statut de réfugié, en raison des persécutions dont ils auraient fait l’objet dans leur pays d’origine, à savoir l’Albanie, du fait des activités politiques de Monsieur … au sein du parti démocratique et de sa qualité de membre des forces spéciales de police au service de l’ancien président Sali Berisha.

Dans son mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 9 septembre 2004 dans le cadre des deux affaires, le délégué du Gouvernement conclut d’abord à la jonction de l’affaire inscrite sous le numéro 18408C du rôle avec celle inscrite sous le numéro 18409C du rôle et, quant au fond, il conclut à la confirmation du jugement entrepris.

Dans les deux rôles, le mandataire des époux …-… a déposé en date du 29 septembre 2004 un mémoire en réplique au greffe de la Cour administrative. Il y est fait référence à plusieurs documents tendant à établir que Monsieur … a fait l’objet de persécutions politiques, que sa famille aurait été l’une des familles les plus connues de l’Albanie, proche de la famille royale et qu’il aurait été victime d’une agression à main armée à la suite de laquelle il aurait dû être opéré en Italie.

Tant le délégué du Gouvernement, dans son mémoire en réponse, que Maître Nicky Stoffel, dans un courrier adressé à la Cour administrative le 20 juillet 2004, sollicitent la jonction des deux affaires inscrites sous les numéros du rôle respectifs 18408C et 18409C. Il est dans l’intérêt d’une bonne administration de la Justice de faire droit à la demande en question, en ce que les deux requêtes d’appel ont été dirigées contre le même jugement entrepris de la part des mêmes parties.

Lors de l’audience des plaidoiries, et sur question afférente de la Cour, le délégué du Gouvernement s’est rapporté à prudence de justice quant à la recevabilité de la deuxième requête d’appel.

Il se dégage de l’agencement général de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, et plus particulièrement des articles 39 et 46 de celle-ci, que chacune des parties à l’instance est en principe admise à ne fournir que deux mémoires écrits dont le cas échéant la requête d’appel et que les délais relatifs à l’instruction de l’affaire devant la Cour sont calculés à partir de la signification de la requête d’appel aux parties ayant figuré en première instance ou y ayant été dûment appelées, de sorte qu’admettre que la partie appelante puisse, à la suite de l’introduction d’une première requête d’appel, introduire une deuxième requête d’appel contre le même jugement, irait à l’encontre de la procédure contentieuse telle que réglementée par les articles 38 et suivants de la loi précitée du 21 juin 1999 et rendrait les règles de celle-ci impraticables. Il s’ensuit qu’une même partie appelante ne peut introduire qu’une seule requête d’appel dirigée contre un jugement donné, de sorte qu’il y a lieu de déclarer irrecevable, en l’espèce, la requête d’appel introduite sous le numéro 18409C du rôle.

La requête d’appel introduite sous le numéro 18408C du rôle est recevable pour avoir été introduite dans les formes et délai prévus par la loi.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

En ce qui concerne tout d’abord les faits qui se seraient passés en date du 22 juillet 1997, et abstraction faite de ce que ces faits remontent à 7 ans déjà et que les appelants n’établissent pas en quoi ces faits seraient encore à l’heure actuelle de nature à fonder une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève, il échet de constater que ces faits ont trait à un incident qui s’est passé lors d’activités policières courantes au cours desquelles la voiture de police conduite par Monsieur …, en tant que chauffeur de police, a poursuivi un autre véhicule dont les occupants ont à un certain moment ouvert le feu sur la voiture de police précitée en blessant notamment gravement Monsieur …, ladite blessure entraînant l’amputation de l’une de ses jambes dans un hôpital italien. Aucune des pièces versées par les appelants, dont notamment un procès-verbal établi en date du 22 novembre 1997 par le commandant de police de la brigade dont faisait à l’époque partie Monsieur …, ne fait ressortir que cette attaque de la voiture de police ait été motivée par des considérations politiques ou qu’elle ait été dirigée essentiellement sinon exclusivement contre Monsieur …. Ainsi, au-delà de la gravité de l’incident en question et des conséquences en découlant encore à l’heure actuelle du point de vue de l’état de santé de Monsieur …, la description de l’incident en question et les explications fournies à son sujet ne font ressortir aucune circonstance qui puisse amener la Cour à conclure que l’incident en question ait été motivé par l’une des raisons prévues par la Convention de Genève en vue de la reconnaissance du statut de réfugié. Il y a dans ce contexte lieu d’insister sur le fait qu’au moment de l’incident, Monsieur … était un simple chauffeur d’une voiture de police et qu’il n’a apporté aucun élément de nature à établir qu’il exerçait à l’époque des fonctions telles qu’il aurait pu être exposé à des persécutions de la part d’un groupe d’opposants politiques.

En outre, en ce qui concerne les faits plus récents dont font état les appelants, il échet de constater que leur récit à ce sujet reste vague et général, en ce qu’ils n’ont fourni aucune explication sur des raisons qui pourraient amener actuellement des membres de certains groupements politiques à les persécuter pour l’un des motifs prévus par la Convention de Genève. Ainsi, ils n’ont pas établi ni même allégué que l’un des membres de la famille …-… exerce une fonction ou un rôle politique tel qu’il puisse être de nature à être plus particulièrement exposé à des persécutions en raison de son activisme politique. Dans ce contexte, il échet de relever que les rôles et les activités politiques exercés par des membres de la famille … avant la deuxième guerre mondiale ne sauraient à eux seuls justifier à l’heure actuelle la reconnaissance du statut de réfugié dans le chef de l’un des membres de la famille …-… Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que la requête d’appel du 15 juillet 2004, inscrite sous le numéro 18408C du rôle n’est pas fondée et que le jugement entrepris du 14 juin 2004 est à confirmer.

La procédure devant les juridictions administratives étant essentiellement écrite, l’arrêt est rendu à l’égard de toutes les parties à l’instance, malgré l’absence du mandataire des appelants à l’audience fixée pour les plaidoiries.

Par ces motifs, La Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties à l’instance ;

ordonne la jonction des affaires inscrites sous les numéros du rôle 18408C et 18409C ;

déclare irrecevable la requête d’appel du 15 juillet 2004 inscrite sous le numéro 18409C du rôle ;

reçoit en la forme la requête d’appel du 15 juillet 2004, inscrite sous le numéro 18408C du rôle ;

la dit cependant non fondée et en déboute ;

partant confirme le jugement entrepris du 14 juin 2004 dans toute sa teneur;

condamne les appelants aux frais et dépens de l’instance d’appel.

Ainsi jugé par :

Marion Lanners, présidente Marc Feyereisen, conseiller Carlo Schockweiler, conseiller, rapporteur, et lu par la présidente en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en-tête, en présence du greffier en chef de la Cour Erny May.

le greffier en chef la présidente 7


Synthèse
Numéro d'arrêt : 18408C-18409C
Date de la décision : 11/11/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2004-11-11;18408c.18409c ?

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