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12/10/2004 | LUXEMBOURG | N°18263C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 12 octobre 2004, 18263C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 18263 C Inscrit le 21 juin 2004

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Audience publique du 12 octobre 2004 Recours formé par les époux … et consorts contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié - Appel -

(jugement entrepris du 19 mai 2004, n° 17400 du rôle)

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Vu la requête d’appel, ins

crite sous le numéro 18263C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 21 jui...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 18263 C Inscrit le 21 juin 2004

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Audience publique du 12 octobre 2004 Recours formé par les époux … et consorts contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié - Appel -

(jugement entrepris du 19 mai 2004, n° 17400 du rôle)

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Vu la requête d’appel, inscrite sous le numéro 18263C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 21 juin 2004 par Maître Louis Tinti, avocat à la Cour, au nom de …, né le … à … (Monténégro/Serbie- Monténégro), de son épouse …, née le … à … (Monténégro/Serbie-Monténégro), et de leurs trois enfants mineurs …, … et …, tous nés à … (Macédoine), tous de nationalité macédonienne, demeurant actuellement à L-…, …, dirigée contre un jugement rendu par le tribunal administratif le 19 mai 2004, par lequel il a déclaré non fondé le recours en réformation introduit contre une décision du ministre de la Justice du 23 septembre 2003 portant rejet de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée et contre celle confirmative, intervenue sur recours gracieux, de la part du même ministre en date du 10 novembre 2003 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 13 juillet 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;

Ouï le conseiller en son rapport, Maître Ardavan Fatholahzadeh, en remplacement de Maître Louis Tinti, et Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Paul Reiter en leurs plaidoiries respectives.

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Par requête, inscrite sous le numéro 17400 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 2 janvier 2004, … et son épouse, …, agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leurs enfants mineurs …, … ont fait introduire un recours tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 23 septembre 2003, portant rejet de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée et de celle confirmative, intervenue sur recours gracieux, du même ministre du 10 novembre 2003.

Par jugement rendu le 19 mai 2004, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, a reçu le recours en réformation en la forme et au fond, l’a déclaré non justifié et en a débouté les actuels appelants.

Les premiers juges ont justifié leur décision en retenant que les craintes exprimées par les actuels appelants en raison d’actes de persécutions qu’ils risqueraient de subir de la part de Macédoniens, en leur qualité de personnes originaires de Macédoine et de membres de la minorité ethnique des bochniaques y résidant, ne sont pas suffisantes pour constituer à elles seules des motifs suffisants de nature à justifier la reconnaissance du statut de réfugié sur base de la Convention de Genève.

En ce qui concerne la situation individuelle et concrète des actuels appelants, le tribunal a retenu que s’il est vrai qu’ils font état d’un certain nombre de problèmes qu’ils auraient rencontré dans la vie de tous les jours et de discriminations par eux subies, ces faits ne sont pas de nature à établir qu’ils risquent de subir à l’heure actuelle des persécutions au sens de la Convention de Genève. Par ailleurs, dans la mesure où les problèmes mis en avant par les actuels appelants émanent non pas d’autorités publiques, mais de personnes privées, les premiers juges ont constaté que les appelants n’ont pas établi de faits concrets de nature à prouver un défaut caractérisé de protection dans leur chef de la part des autorités en place en Macédoine. Enfin, en ce qui concerne le motif tiré de l’insoumission de la part de …, le tribunal a retenu que l’insoumission à elle seule n’est pas suffisante pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié, en relevant par ailleurs que la paix existe actuellement dans la région d’origine des appelants, de sorte qu’il n’est pas établi qu’actuellement … risquerait de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables. Les premiers juges ont encore fait référence à la loi macédonienne du mois de mars 2002 portant amnistie des condamnations éventuellement prononcées en raison d’insoumissions.

En date du 21 juin 2004, Maître Louis Tinti, avocat à la Cour, a déposé une requête d’appel en nom et pour compte de … et de son épouse, …, agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leurs enfants mineurs …, …, inscrite sous le numéro 18263C du rôle, par laquelle les parties appelantes sollicitent la réformation du premier jugement.

A l’appui de leur requête d’appel, les appelants estiment que ce serait à tort que les juges de première instance n’ont pas retenu les faits par eux invoqués comme justifiant la reconnaissance du statut de réfugié. Ils soutiennent essentiellement que leurs conditions de vie en Macédoine seraient difficiles et qu’ils feraient l’objet de nombreuses discriminations, notamment lors de leurs consultations médicales, lors desquelles ils se feraient toujours recevoir en dernier lieu, après les ressortissants macédoniens. Ainsi, le fait de faire l’objet de problèmes quotidiens contre lesquels les autorités en place seraient dans l’incapacité de les protéger justifierait la reconnaissance du statut de réfugié.

Dans son mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 13 juillet 2004, le délégué du Gouvernement conclut à la confirmation du jugement entrepris.

La requête d’appel est recevable pour avoir été introduite dans les formes et délai prévus par la loi.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

C’est à bon droit que le tribunal a constaté que les éléments de persécution mis en avant par les appelants, à savoir un certain nombre de problèmes qu’ils auraient rencontrés dans la vie de tous les jours et des discriminations par eux subies, à les supposer établis, constituent certainement des pratiques condamnables, mais ne dénotent pas en l’espèce une gravité telle qu’ils établissent à l’heure actuelle un risque de persécution dans leur chef au point que leur vie leur serait intolérable dans leur pays d’origine. C’est ainsi qu’il y a lieu de confirmer les premiers juges dans leur appréciation suivant laquelle les actuels appelants ont tout au plus fait état d’un sentiment général d’insécurité, sans avoir fait état d’une persécution personnelle vécue ou d’une crainte qui serait telle que la vie leur serait, à raison, intolérable dans leur pays d’origine.

Il y a encore lieu de confirmer les juges de première instance dans leur analyse suivant laquelle les actes concrets de persécution mis en avant par les appelants émanent d’un groupe de la population, à savoir les Macédoniens qui s’opposeraient à la communauté ethnique minoritaire des bochniaques, à laquelle les appelants déclarent appartenir, de sorte qu’ils émanent non pas de l’Etat, mais d’un groupe de la population et ils ne sauraient dès lors être reconnus comme motif d’octroi du statut de réfugié que si la personne en cause, à savoir en l’espèce les appelants, ne bénéficient pas de la protection des autorités de leur pays d’origine pour l’une des 5 causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève.

S’y ajoute que, s’agissant d’actes émanant de certains groupements de la population, force est de relever que la notion de protection de la part du pays d’origine de ses habitants contre des agissements de groupes de la population n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission matérielle d’un acte criminel. En effet, il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers uniquement en cas de défaut de protection dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile (cf.

Jean-Yves Carlier : Qu’est ce qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p.113 nos 73-s).

Si les appelants tendent en l’espèce certes à décrire une situation d’insécurité dans leur pays d’origine, ils n’ont soumis aucun indice concret relativement à l’incapacité actuelle des autorités compétentes de leur fournir une protection adéquate, voire allégué une démarche concrète en vue d’obtenir la protection de la part des autorités en place. En effet, il ne se dégage d’aucune pièce du dossier que les appelants auraient porté plainte auprès des autorités compétentes de la Macédoine en vue d’obtenir une protection adéquate. Il en résulte que les appelants restent en défaut d’établir l’incapacité des autorités en place de leur assurer une telle protection.

Enfin, concernant le motif invoqué de l’insoumission de la part de …, il y a encore lieu de confirmer le tribunal dans son analyse suivant laquelle la simple insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié. Il y a lieu de préciser dans ce contexte, en suivant le raisonnement des premiers juges, que la paix s’est établie dans la région dont sont originaires les appelants et que ceux-ci n’ont pas soumis aux juridictions administratives d’élément suivant lequel … risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables. Pour le surplus, les appelants n’ont pas établi à suffisance de droit qu’une condamnation serait encore susceptible d’être prononcée à son encontre du chef d’une éventuelle insoumission, voire qu’un jugement déjà prononcé serait encore effectivement exécuté, ceci au vu de l’évolution de la situation actuelle en Macédoine et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par le parlement macédonien en mars 2002.

Il suit de tout ce qui précède que c’est à bon droit que le ministre de la Justice a pu refuser la demande d’asile lui soumise par les appelants et que le tribunal administratif a déclaré non fondé le recours en réformation dirigé contre les décisions ministérielles, de sorte que la requête d’appel n’est pas fondée et que le jugement entrepris du 19 mai 2004 est à confirmer.

Par ces motifs, La Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties à l’instance ;

reçoit la requête d’appel du 21 juin 2004 en la forme ;

la dit cependant non fondée et en déboute ;

partant confirme le jugement entrepris du 19 mai 2004 dans toute sa teneur;

condamne les appelants aux frais et dépens de l’instance d’appel.

Ainsi jugé par :

Jean-Mathias Goerens, vice-président, Marc Feyereisen, conseiller, Carlo Schockweiler, conseiller, rapporteur, et lu par le vice-président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en-tête, en présence du greffier de la Cour Anne-Marie Wiltzius.

le greffier le vice-président 5


Synthèse
Numéro d'arrêt : 18263C
Date de la décision : 12/10/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2004-10-12;18263c ?

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