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30/09/2004 | LUXEMBOURG | N°18174C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 30 septembre 2004, 18174C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 18174 C Inscrit le 7 juin 2004

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Audience publique du 30 septembre 2004 Recours formé par Monsieur … … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié - Appel -

(jugement entrepris du 3 mai 2004, n° 17245 du rôle)

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Vu la requête d’appel, inscrite sous

le numéro 18174C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 7 juin 2004 par M...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 18174 C Inscrit le 7 juin 2004

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Audience publique du 30 septembre 2004 Recours formé par Monsieur … … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié - Appel -

(jugement entrepris du 3 mai 2004, n° 17245 du rôle)

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Vu la requête d’appel, inscrite sous le numéro 18174C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 7 juin 2004 par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, au nom de Monsieur … …, né le 25 juillet 1982 à … (Kosovo/Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement à L-…, dirigée contre un jugement rendu par le tribunal administratif le 3 mai 2004, par lequel il a déclaré non fondé le recours en réformation introduit contre une décision du ministre de la Justice du 20 août 2003, portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que contre une décision confirmative du même ministre du 27 octobre 2003 prise sur recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 24 juin 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;

Ouï le conseiller en son rapport, Maître Louis Tinti, en remplacement de Maître Ardavan Fatholahzadeh, et Monsieur le délégué du Gouvernement Guy Schleder en leurs plaidoiries respectives.

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Par requête, inscrite sous le numéro 17245 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 8 décembre 2003, Monsieur … … a fait introduire un recours tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 20 août 2003 rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du 27 octobre 2003 prise par ledit ministre suite un recours gracieux introduit par l’actuel appelant.

Par jugement rendu le 3 mai 2004, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, a reçu le recours en réformation en la forme et, au fond, l’a déclaré non justifié, en en déboutant Monsieur … ….

Les premiers juges ont justifié leur décision en retenant que l’actuel appelant, en sa qualité de membre de la minorité des « Goranais » vivant dans la ville de Prizren au Kosovo, de confession musulmane, qui prétend avoir été accusé par des Albanais d’avoir été un collaborateur des Serbes et d’avoir été menacé de mort à de multiples reprises, voire battu et dont les différentes plaintes déposées auprès de la KFOR n’auraient pas connu de réponse favorable, n’a pas établi des éléments suffisants de nature à conclure qu’il risque de subir des persécutions à titre individuel et concret au sens de la Convention de Genève, étant entendu que la seule qualité de membre de la minorité ethnique des « Goranais » résidant au Kosovo n’est pas, à elle seule, suffisante pour se voir reconnaître le statut de réfugié. Le tribunal a encore constaté que l’actuel appelant n’a pas établi que les autorités actuellement en place au Kosovo ne soient pas en mesure de lui fournir une protection appropriée contre les agissements dont il aurait été la victime de la part de certains membres de la population albanaise du Kosovo et qu’il n’a pas non plus soumis un quelconque élément au tribunal de nature à établir qu’il ne serait pas en mesure de trouver refuge à l’heure actuelle dans une autre partie de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne.

En date du 7 juin 2004, Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, a déposé une requête d’appel en nom et pour compte de Monsieur … …, inscrite sous le numéro 18174C du rôle, par laquelle la partie appelante sollicite la réformation du premier jugement.

A l’appui de sa requête d’appel, l’appelant estime que ce serait à tort que les juges de première instance n’ont pas retenu les faits par lui avancés comme étant des motifs suffisants de nature à reconnaître dans son chef le statut de réfugié. Il fait valoir dans ce contexte qu’il aurait subi des violences physiques et fait l’objet de menaces de mort dirigées contre lui-même ainsi que d’autres membres de sa famille de la part de ressortissants albanais qui le persécuteraient en raison des travaux forcés qu’il aurait dû accomplir au cours de la guerre du Kosovo pour compte de l’armée fédérale yougoslave. L’appelant se base encore sur un rapport d’Amnesty International, ainsi que sur un rapport établi par certains membres de l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, suivant lesquels les membres des minorités ethniques résidant au Kosovo auraient à faire face à de graves problèmes du point de vue de leur sécurité.

Dans son mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 24 juin 2004, le délégué du Gouvernement conclut à la confirmation du jugement entrepris.

La requête d’appel est recevable pour avoir été introduite dans les formes et délai prévus par la loi.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Concernant la crainte exprimée par l’appelant d’actes de persécution de la part d’Albanais du Kosovo à son encontre en raison de son appartenance à la minorité goranaise, c’est à bon droit et pour de justes motifs, après avoir procédé à un examen complet et minutieux de tous les éléments recueillis, que les juges de première instance ont décidé que force est de constater que s’il est vrai que la situation générale des membres de minorités ethniques au Kosovo, en l’espèce celle des Goranais, est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à des discriminations, elle n’est cependant pas telle que tout membre d’une minorité ethnique serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève. Une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des persécutions.

A cet égard, il y a lieu de constater en plus que suivant la version actualisée du rapport de l’UNHCR datant de janvier 2003 sur la situation des minorités au Kosovo, la situation de sécurité générale des Goranais est restée stable et n’a pas été marquée par des incidents d’une violence sérieuse (« the overall security situation of Kosovo Gorani has remained stable with no direct attacks during the reviewing period »), de même qu’il est relevé dans ledit rapport que dans la période entre avril et octobre 2002 la situation des minorités au Kosovo au regard de leur sécurité a continué de s’améliorer, certes non pas de manière uniforme sur tout le territoire du Kosovo, mais de manière plus ou moins accélérée suivant les différentes régions passées sous revue, de sorte que les considérations avancées dans ledit rapport au sujet de l’organisation de retours forcés au Kosovo ne permettent pas pour autant de conclure que la situation générale des Goranais au Kosovo serait à l’heure actuelle grave au point que la seule appartenance à la dite minorité justifierait l’octroi du statut de réfugié dans leur chef.

Cette conclusion n’est énervée ni par les informations contenues dans un rapport d’Amnesty International ni par celles contenues dans un rapport établi à titre personnel par certains membres de l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe sur la situation des minorités ethniques résidant au Kosovo, tels que soumis à la Cour par l’appelant, ni encore par les informations contenues dans un rapport établi par l’UNHCR en date du 30 mars 2004 qui fait état d’une flambée de violences ponctuelles, ayant eu lieu au cours du mois de mars 2004, ayant opposé certains ressortissants albanais à certains ressortissants serbes, étant donné qu’il s’agissait non seulement d’un incident isolé, mais qu’en plus, ces violences n’avaient aucune conséquence directe pour les membres de la minorité goranaise, de sorte que ces faits ne sauraient être retenus comme constituant une persécution ou comme justifiant une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève dans le chef de l’appelant.

Il convient pour le surplus de constater que les actes et craintes mis en avant par l’appelant ne s’analysent pas en une persécution émanant de l’Etat, mais d’un groupe de la population ou plutôt de certains membres d’un tel groupe.

Un risque de persécution au titre de l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève émanant de groupes de la population, ne peut être reconnu comme motif d’octroi du statut de réfugié que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays. Or, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion.

Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

Or, le simple fait de prétendre que les autorités actuellement en place au Kosovo ne seraient pas en mesure de lui assurer une protection efficace, sans apporter d’autres précisions à ce sujet, n’est pas de nature à établir un défaut caractérisé de protection de la part desdites autorités. L’appelant tend en l’espèce certes à décrire une situation d’insécurité et de conflit généralisé dans son pays d’origine, mais il n’a soumis aucun indice concret relativement à l’incapacité actuelle des autorités compétentes de lui fournir une protection adéquate, voire allégué une démarche concrète en vue d’obtenir la protection de la part des autorités en place. En effet, l’appelant a simplement fait état de violences physiques et de menaces de mort dont il aurait fait l’objet de la part de ressortissants albanais qui l’auraient accusé d’avoir collaboré avec l’armée fédérale yougoslave au cours de la guerre du Kosovo, sans toutefois établir l’incapacité ou le refus des autorités en place de lui assurer une protection adéquate.

Par ailleurs, même à admettre qu’à l’heure actuelle, il est toujours difficile pour un membre de la communauté goranaise du Kosovo de s’y réinstaller au vu du risque subsistant de nouveaux conflits ethniques, l’appelant ne soumet toutefois aucun élément permettant d’établir les raisons pour lesquelles il ne serait pas en mesure de trouver refuge à l’heure actuelle dans une partie de son pays d’origine, et notamment au Monténégro, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité d’un demandeur d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir les raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié.

Il échet encore d’insister sur le fait que même au cas où un demandeur d’asile se voit refuser la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève, une telle décision ministérielle n’entraîne pas automatiquement son refoulement vers son pays d’origine, puisque d’autres raisons que celles pouvant justifier la reconnaissance dudit statut peuvent amener les autorités luxembourgeoises à ne pas procéder à son éloignement vers son pays d’origine tant qu’il y existe une situation d’insécurité générale telle que la vie dudit demandeur d’asile y serait gravement mise en danger.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’il y a lieu de déclarer la requête d’appel non fondée et de confirmer le jugement entrepris du 3 mai 2004.

Par ces motifs, La Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties à l’instance ;

reçoit la requête d’appel du 7 juin 2004 en la forme ;

la dit cependant non fondée et en déboute ;

partant confirme le jugement entrepris du 3 mai 2004 dans toute sa teneur;

condamne l’appelant aux frais et dépens de l’instance d’appel.

Ainsi jugé par :

Marion Lanners, présidente, Christiane Diederich-Tournay, premier conseiller, Carlo Schockweiler, conseiller, rapporteur, et lu par la présidente en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en-tête, en présence du greffier en chef de la Cour Erny May.

le greffier en chef la présidente 6


Synthèse
Numéro d'arrêt : 18174C
Date de la décision : 30/09/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2004-09-30;18174c ?

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