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30/09/2004 | LUXEMBOURG | N°18173C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 30 septembre 2004, 18173C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 18173 C Inscrit le 7 juin 2004

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Audience publique du 30 septembre 2004 Recours formé par Monsieur … … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié - Appel -

(jugement entrepris du 5 mai 2004, n° 17386 du rôle)

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Vu la requête d’appel, inscrite sous

le numéro 18173C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 7 juin 2004 par M...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 18173 C Inscrit le 7 juin 2004

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Audience publique du 30 septembre 2004 Recours formé par Monsieur … … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié - Appel -

(jugement entrepris du 5 mai 2004, n° 17386 du rôle)

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Vu la requête d’appel, inscrite sous le numéro 18173C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 7 juin 2004 par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, au nom de Monsieur … …, né le 25 septembre 1982 à… (Kosovo/Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement à L-…, dirigée contre un jugement rendu par le tribunal administratif le 5 mai 2004, par lequel il a déclaré non fondé le recours en réformation introduit contre une décision du ministre de la Justice du 23 septembre 2003, portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que contre une décision confirmative du même ministre du 2 décembre 2003 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 24 juin 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;

Ouï le conseiller en son rapport, Maître Louis Tinti, en remplacement de Maître Ardavan Fatholahzadeh, et Monsieur le délégué du Gouvernement Guy Schleder en leurs plaidoiries respectives.

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Par requête, inscrite sous le numéro 17386 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 30 décembre 2003, Monsieur … … a fait introduire un recours tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 23 septembre 2003 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 2 décembre 2003 prise sur recours gracieux.

Par jugement rendu le 5 mai 2004, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, a reçu le recours en réformation en la forme et, au fond, l’a déclaré non justifié, en en déboutant Monsieur … ….

Les premiers juges ont justifié leur décision en retenant que l’actuel appelant, en sa qualité de membre de la minorité des « bochniaques » résidant au Kosovo et ayant subi de mauvais traitements de la part des Albanais contre lesquels il n’aurait toutefois pas osé porter plainte, n’a pas établi des faits d’une gravité suffisante afin d’établir un état de persécution personnelle vécu ou une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine et que les faits en question font plutôt état de l’expression d’un sentiment général d’insécurité. Pour le surplus, les premiers juges ont constaté que l’appelant n’a pas établi un défaut de protection de la part des autorités actuellement en place au Kosovo.

En date du 7 juin 2004, Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, a déposé une requête d’appel en nom et pour compte de Monsieur … …, inscrite sous le numéro 18173C du rôle, par laquelle la partie appelante sollicite la réformation du premier jugement.

A l’appui de sa requête d’appel, l’appelant estime que ce serait à tort que les juges de première instance n’ont pas retenu les faits mis en avant par lui comme étant des motifs suffisants afin de se voir reconnaître le statut de réfugié. Afin d’étayer son argumentation, il fait valoir qu’il aurait quitté sa ville natale en raison de sa crainte permanente de subir des persécutions et des traitements discriminatoires de la part des Albanais résidant au Kosovo, lui rendant sa vie intolérable dans son pays d’origine, sans que les forces internationales actuellement en place au Kosovo soient en mesure de le protéger efficacement contre lesdits ressortissants albanais. Il se réfère dans ce contexte à des rapports établis par Amnesty International et par certains membres de l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, suivant lesquels la situation des minorités vivant au Kosovo ne serait toujours pas stabilisée, de sorte qu’il serait superfétatoire d’exiger de sa part la preuve que les autorités actuellement en place au Kosovo seraient dans l’incapacité d’assurer sa protection.

Dans son mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 24 juin 2004, le délégué du Gouvernement conclut à la confirmation du jugement entrepris.

La requête d’appel est recevable pour avoir été introduite dans les formes et délai prévus par la loi.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Il échet tout d’abord de constater que, saisies d’un recours en réformation dirigé contre une décision rendue en matière de statut de réfugié, les juridictions administratives sont appelées à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance du demandeur d’asile. En ce qui concerne cette situation actuelle, il est constant en cause que, suite au départ de l’armée fédérale yougoslave et des forces de police dépendant des autorités serbes du Kosovo, une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée sur ce territoire, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place.

Il échet encore de relever qu’en ce qui concerne la situation des membres des minorités au Kosovo, et notamment de celle des bochniaques, à laquelle l’appelant déclare appartenir, s’il est vrai que leur situation générale est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à subir des insultes, voire d’autres discriminations ou agressions par des groupes de la population, et notamment du groupe majoritaire des Albanais, elle n’est cependant pas telle que tout membre de la minorité ethnique visée serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des traitements discriminatoires.

A cet égard, il y a lieu de se référer au rapport de l’UNHCR sur la situation des minorités au Kosovo, datant du mois de janvier 2003, suivant lequel la situation de sécurité générale des bochniaques du Kosovo est restée stable et n’a pas été marquée par des incidents d’une violence sérieuse. Ainsi, ledit rapport ne permet pas de conclure que la situation générale des bochniaques du Kosovo serait à l’heure actuelle grave au point que la seule appartenance à ladite minorité justifierait l’octroi du statut de réfugié.

Cette conclusion n’est pas énervée, contrairement à ce que l’entend faire constater l’appelant, par une flambée de violences ponctuelles, qui a eu lieu au cours du mois de mars 2004, ayant opposé certains ressortissants albanais à certains ressortissants serbes, puisqu’il s’agissait non seulement d’un incident isolé, mais qu’en plus, ces violences n’avaient aucune conséquence directe pour les membres de la minorité bochniaque, de sorte que ces faits ne sauraient être retenus comme constituant une persécution ou comme justifiant une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève dans le chef de l’appelant.

En ce qui concerne en outre les références faites par l’appelant à un rapport établi par Amnesty International, soumis sous forme de communiqué de presse aux juridictions administratives, ne portant d’ailleurs pas de date quant au jour de son émission, il est vrai que ledit rapport fait état d’« un climat de peur, d’insécurité et de manque de confiance » dont souffriraient les membres des minorités ethniques et qu’il fait également état de problèmes d’application des droits des minorités résidant au Kosovo et de violations des droits humains. Il échet toutefois de constater que ce rapport n’est pas non plus de nature à établir que tout membre de la minorité bochniaque résidant au Kosovo remplisse en cette seule qualité les conditions prévues par la Convention de Genève en vue de la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Amnesty International fait seulement part de son encouragement à ne pas renvoyer un membre d’une minorité ethnique au Kosovo, ce qui constitue une question juridique différente de celle à examiner par la Cour dans le cadre du présent litige. En effet, il échet d’insister sur le fait que même au cas où un demandeur d’asile se voit refuser la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève, une telle décision ministérielle n’entraîne pas automatiquement son refoulement vers son pays d’origine, puisque d’autres raisons que celles pouvant justifier la reconnaissance dudit statut peuvent amener les autorités luxembourgeoises à ne pas procéder à son éloignement vers son pays d’origine tant qu’il y existe une situation d’insécurité générale telle que la vie dudit demandeur d’asile y serait gravement mise en danger.

En ce qui concerne en outre la proposition de recommandation telle que rédigée par certains membres de l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, et dont l’adoption par ladite assemblée n’a pas été établie en cause, il échet de constater que les informations y contenues quant aux membres des communautés ethniques minoritaires résidant au Kosovo ne permettent pas d’établir qu’ils devraient en cette seule qualité bénéficier du statut de réfugié, étant entendu plus particulièrement que le caractère abstrait et vague des informations y contenues n’est pas de nature à refléter concrètement la situation politique et sécuritaire existant sur le territoire du Kosovo, ainsi que les persécutions personnelles dont l’appelant, en sa qualité de membre de la minorité des bochniaques résidant au Kosovo, pourrait faire l’objet.

En ce qui concerne les faits de persécution personnelle mis en avant par l’appelant, il échet de constater que c’est à bon droit que le tribunal a constaté que lesdits éléments de persécution, à savoir sa crainte permanente de subir des persécutions et des traitements discriminatoires de la part des Albanais résidant au Kosovo, à les supposer établis, constituent certainement des pratiques condamnables, mais ne dénotent pas en l’espèce une gravité telle qu’ils établissent à l’heure actuelle un risque de persécution dans son chef au point que sa vie lui serait intolérable dans son pays d’origine. C’est ainsi qu’il y a lieu de confirmer les premiers juges dans leur appréciation suivant laquelle l’actuel appelant a tout au plus fait état d’un sentiment général d’insécurité, sans avoir fait état d’une persécution personnelle vécue ou d’une crainte qui serait telle que sa vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine.

Enfin, c’est à bon droit que le tribunal a retenu que l’appelant n’a soumis aucun élément de nature à établir l’incapacité des autorités actuellement en place au Kosovo de lui fournir une protection efficace à l’encontre des agissements dont il a fait état, d’autant plus qu’il affirme lui-même ne pas avoir porté plainte contre les agressions qu’il aurait subies.

Il suit de tout ce qui précède que c’est à bon droit que le ministre de la Justice a pu refuser la demande d’asile lui soumise par l’appelant et que le tribunal administratif a déclaré non fondé le recours en réformation dirigé contre les décisions ministérielles incriminées, de sorte que la requête d’appel n’est pas fondée et que le jugement entrepris du 5 mai 2004 est à confirmer.

Par ces motifs, La Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties à l’instance ;

reçoit la requête d’appel du 7 juin 2004 en la forme ;

la dit cependant non fondée et en déboute ;

partant confirme le jugement entrepris du 5 mai 2004 dans toute sa teneur;

condamne l’appelant aux frais et dépens de l’instance d’appel.

Ainsi jugé par :

Marion Lanners, présidente, Christiane Diederich-Tournay, premier conseiller, Carlo Schockweiler, conseiller, rapporteur, et lu par la présidente en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en-tête, en présence du greffier en chef de la Cour Erny May.

le greffier en chef la présidente 5


Synthèse
Numéro d'arrêt : 18173C
Date de la décision : 30/09/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2004-09-30;18173c ?

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