GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 17278 C Inscrit le 11 décembre 2003
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Audience publique du 8 janvier 2004 Recours formé par … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié - Appel -
(jugement entrepris du 12 novembre 2003, n° 17041 du rôle)
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Vu la requête d’appel, inscrite sous le numéro 17278C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 11 décembre 2003 par Maître Louis Tinti, avocat à la Cour, au nom de …, né le …(Albanie), demeurant actuellement à L-…, dirigée contre un jugement rendu en matière de statut de réfugié par le tribunal administratif en date du 12 novembre 2003, à la requête de l’actuel appelant contre deux décisions du ministre de la Justice ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 18 décembre 2003 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;
Ouï le conseiller en son rapport, Maître Ardavan Fatholahzadeh, en remplacement de Maître Louis Tinti, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Claudine Konsbrück en leurs plaidoiries respectives.
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Par requête inscrite sous le numéro 17041 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 13 octobre 2003, … a fait introduire un recours tendant à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 28 juillet 2003, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 10 septembre 2003 prise sur recours gracieux, les deux déclarant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié manifestement infondée.
Par jugement rendu le 12 novembre 2003, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, après avoir reçu le recours en annulation en la forme, a débouté… de son recours en annulation, en ce qu’il n’était pas justifié.
En date du 11 décembre 2003, Maître Louis Tinti a déposé une requête d’appel en nom et pour compte de …, inscrite sous le numéro 17278C du rôle, par laquelle la partie appelante sollicite la réformation du premier jugement.
A l’appui de sa requête d’appel, l’appelant estime que ce serait à tort que les juges de première instance n’ont pas fait droit à ses conclusions, en rappelant qu’à son avis le ministre de la Justice aurait commis une erreur manifeste d’appréciation des faits en déclarant sa demande d’asile manifestement infondée au sens de l’article 9 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire.
Il fait exposer plus particulièrement qu’il aurait été obligé de quitter son pays d’origine, à savoir l’Albanie, en raison du fait qu’il se serait trouvé sous la menace de personnes qui auraient cherché à se venger de la mort « d’un individu », conformément à la loi du « Kanun », suivant laquelle « la famille du défunt cherche (…) à se venger auprès d’un membre de la famille de l’auteur de l’assassinat ». Il fait en effet valoir que du fait du décès de son grand-père, auteur de l’homicide en question et du départ de son père vers l’étranger, la famille de la victime dudit assassinat chercherait actuellement à se venger auprès de la famille de l’auteur de l’homicide, en essayant de le tuer.
Il soutient encore dans ce contexte que les autorités en place en Albanie seraient dans l’impossibilité de lui fournir une protection adéquate à l’encontre de ce comportement de vengeance.
Le délégué du gouvernement conclut à la confirmation du jugement entrepris.
La requête d’appel est recevable pour avoir été introduite dans les formes et délai prévus par la loi.
Aux termes de l’article 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et le Protocole de New York, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de tout fondement ou si la demande repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile ».
En vertu de l’article 3, alinéa 1er du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile pourra être considérée comme manifestement infondée lorsqu’un demandeur n’invoque pas de craintes de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques comme motif de sa demande ».
Une demande d’asile basée exclusivement sur un sentiment général d’insécurité sans faire état d’un quelconque fait pouvant être considéré comme constituant une persécution ou une crainte de persécutions au sens de la Convention de Genève est à considérer comme manifestement infondée.
C’est à bon droit que les juges de première instance ont décidé que dans la mesure où l’appelant se prévaut exclusivement du meurtre d’une personne commis par son grand-
père et des conséquences en découlant en vertu d’une ancienne loi coutumière pour lui-
même en sa qualité de membre de la famille du meurtrier, il a fait état d’un risque pour sa vie encouru exclusivement en raison de son appartenance familiale et non pas en raison de son appartenance à une race, une religion, une nationalité, une tendance politique ou un groupe social, de sorte qu’il n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécutions en raison de l’un des motifs prévus par la Convention de Genève, étant entendu que l’appartenance à une famille ne saurait être assimilée à l’appartenance à un groupe social. Il est dans ce contexte superflu d’analyser si son Etat d’origine est capable de lui procurer une protection efficace contre ce genre de criminalité, étant donné que les craintes alléguées échappent au champ d’application de la Convention de Genève et que le simple fait pour un Etat de ne pas pouvoir garantir une telle protection n’est pas visé par la Convention de Genève.
Il s’ensuit que la demande d’asile sous examen ne repose sur aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève, de sorte que c’est à bon droit que le ministre de la Justice a rejeté la demande d’asile du demandeur comme étant manifestement infondée et que la requête d’appel sous analyse est à rejeter comme n’étant pas fondée.
Il suit des considérations qui précèdent que le jugement précité du 12 novembre 2003 est à confirmer.
Par ces motifs, La Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit en la forme la requête d’appel du 11 décembre 2003 ;
la dit cependant non fondée et en déboute ;
partant confirme le jugement entrepris du 12 novembre 2003 dans toute sa teneur;
condamne l’appelant aux frais et dépens de l’instance .
Ainsi jugé par :
Jean-Mathias Goerens, vice-président, Marc Feyereisen, conseiller, Carlo Schockweiler, conseiller, rapporteur, et lu par le vice-président, en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en-tête, en présence du greffier de la Cour Anne-Marie Wiltzius.
le greffier le vice-président 4