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30/04/2002 | LUXEMBOURG | N°14197C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 00 mai 2002, 14197C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 14197 C Inscrit le 16 novembre 2001 ———————————————————————————————————— AUDIENCE PUBLIQUE DU MARDI 7 MAI 2002 Requête d’appel des consorts … S.A., … sàrl, … et …, contre la Ville de Luxembourg en matière d’actes administratifs à caractère réglementaire (jugement entrepris du 8 octobre 2001)  Vu la requête déposée le 16 novembre 2001 par laq

uelle Maître Marc ELVINGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, a relevé appel au nom des sociétés de droit luxembourgeois 1) … S.A., …., représentée par son conseil d'ad...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 14197 C Inscrit le 16 novembre 2001 ———————————————————————————————————— AUDIENCE PUBLIQUE DU MARDI 7 MAI 2002 Requête d’appel des consorts … S.A., … sàrl, … et …, contre la Ville de Luxembourg en matière d’actes administratifs à caractère réglementaire (jugement entrepris du 8 octobre 2001)  Vu la requête déposée le 16 novembre 2001 par laquelle Maître Marc ELVINGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, a relevé appel au nom des sociétés de droit luxembourgeois 1) … S.A., …., représentée par son conseil d'administration actuellement en fonctions, 2) … s. à r.l., …, représentée par son gérant actuellement en fonctions, 3) …, établie …, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions, et 4) …, établie… représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions, contre l’Administration communale de la Ville de Luxembourg d’un jugement rendu le 8 octobre 2001 par le tribunal administratif dans la cause inscrite sous le numéro 13445 du rôle;

vu le mémoire en réponse déposé le 19 décembre 2001 par l’administration communale de la Ville de Luxembourg;

vu le mémoire en réplique versé le 21 janvier 2002 par les parties appelantes et le mémoire en duplique de l’administration communale de la Ville de Luxembourg déposé le 20 février 2002;

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vu les pièces régulièrement versées et notamment le règlement critiqué, ainsi que le jugement entrepris;

ouï le président en son rapport et Maîtres Marc ELVINGER et Jean KAUFFMAN en leurs plaidoiries.

 Par requête déposée le 16 novembre 2001, Maître Marc ELVINGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, a relevé appel au nom des sociétés … S.A., … sàrl, … et … contre un jugement rendu le 8 octobre 2001 par le tribunal administratif dans la cause inscrite sous le numéro 13445 du rôle.

Devant le Tribunal administratif les quatre sociétés ci-dessus qualifiées avaient introduit un recours en annulation, d'une part, contre l'alinéa 2 de l’article 48 du règlement général de police de la Ville de Luxembourg, sinon contre ledit article 48 dans son ensemble, sinon, contre le règlement de police dans son intégralité, et, d'autre part, contre la décision du ministre de l'Intérieur du 27 avril 2001 refusant de saisir le Grand-Duc de leur réclamation basée sur l’article 103 de la loi communale modifiée du 13 décembre 1988.

Par le jugement entrepris le tribunal administratif a déclaré le recours irrecevable en tant qu’il était dirigé contre le règlement général de police de la Ville de Luxembourg dans son ensemble et l’a déclaré non fondé pour autant qu’il tendait à l’annulation de tout ou partie de l’article 48 du même règlement de police. La décision de refus du ministre de l'Intérieur du 27 avril 2001 a été annulée sans que cette partie du dispositif n’ait fait l’objet d’une voie de recours.

Devant la Cour les appelants reprochent plus spécialement aux premiers juges de n’avoir pas accueilli trois des moyens d’annulation qu’ils avaient proposés en première instance et qu’ils réitèrent en appel.

En premier lieu les appelants soutiennent que les autorités communales auraient été incompétentes pour réglementer à travers l’article 48 du nouveau règlement de police l’exercice de la prostitution, alors que l’article 11 (4) de la Constitution (« la loi garantit le droit au travail et assure à chaque citoyen l’exercice de ce droit ») réserverait à la loi le soin de disposer relativement aux activités professionnelles.

En second lieu les parties appelantes font valoir que l’article 48 du règlement de police aurait la prétention de réglementer, et partant d’admettre, des activités que la loi, et plus particulièrement les articles 382 et 563 du code pénal, interdirait sous peine de sanctions. Le texte devrait être annulé de ce fait.

Finalement les parties demanderesses originaires argumentent qu’en concentrant l’exercice de la prostitution devant les portes de leurs quatre établissements, l’article 48 critiqué méconnaîtrait le principe de l’égalité des citoyens devant les charges publiques et devrait être annulé de ce fait.

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Dans son mémoire en réponse déposé le 19 décembre 2001 l’administration communale de la Ville de Luxembourg fait remarquer quant au premier moyen que les appelants seraient sans intérêt à l’invoquer, et que par ailleurs le moyen reposerait sur une fausse interprétation alors que l’article incriminé ne viserait pas à réglementer une activité professionnelle. Le texte ne heurterait pas les articles 382 et 563 du code pénal alors qu’il ne concernerait que des activités qui ne sont pas interdites par la loi pénale. Par ailleurs la finalité du texte critiqué ne s’accommoderait pas du reproche de rupture de l’égalité des citoyens devant les charges.

Le 21 janvier 2002 les parties appelantes ont versé un mémoire en réplique appuyant leur argumentation antérieure face aux contestations avancées par la Ville de Luxembourg.

Cette dernière a versé de son côté le 20 février 2002 un mémoire en duplique détaillant et explicitant les moyens fournis dans son mémoire en réponse.

L’appel, non autrement critiqué sous ce rapport, est recevable comme ayant été introduit dans les formes et délai de la loi.

Quant à la recevabilité du recours originaire le tribunal administratif a jugé à bon droit qu’il y avait lieu de recevoir ce recours pour autant que dirigé contre l’alinéa second de l’article 48, de même que contre cet article pris en son ensemble, mais que le même recours était irrecevable en tant que dirigé contre le règlement général de police de la Ville de Luxembourg en son intégralité.

Cette partie de la décision a fait l’objet d’une motivation correcte et exhaustive de la part des premiers juges, motivation qui rencontre à suffisance les arguments présentés à ce propos en appel et à laquelle la Cour peut se référer en l’adoptant.

Quant aux arguments de fond les parties … S.A., … sàrl, … et … réitèrent devant la Cour les moyens présentés en première instance en insistant particulièrement sur les moyens basés sur l’incompatibilité alléguée du texte critiqué avec certaines dispositions du Code pénal, et notamment avec les articles 382 et 563 (9) de ce dernier.

En premier lieu les parties recourantes ont invoqué devant le tribunal, comme elles le font en appel devant la Cour, l’incompétence du conseil communal à réglementer l’exercice du métier de prostitué(e) en tirant argument de l’article 11 (4) de la Constitution aux termes duquel « la loi garantit le droit au travail et assure à chaque citoyen l’exercice de ce droit ». Ce texte réserverait au législateur la compétence pour réglementer une activité professionnelle.

La jurisprudence récente retient que la prostitution exercée en tant qu’indépendant peut être considérée comme étant un service fourni contre rémunération et relève par conséquent des notions de « activités économiques (exercées) en tant qu’indé-

pendant » et de « activités non salariées » (Cour de Justice des C.E. 20 novembre 2001 – affaire C-268/99). L’activité professionnelle en question doit donc être - 3 -

considérée effectivement comme bénéficiant de la protection accordée par le texte constitutionnel visé.

Le tribunal administratif n’en a pas moins correctement motivé sa décision de rejet du moyen proposé en mettant en évidence que si d’après l’article 11 (4) de la Constitution l’exercice du droit au travail relève de la loi, la réglementation notamment d’aspects accessoires peut relever de la compétence des autorités communales dans la mesure où la sauvegarde de l’intérêt communal est concernée. En l’espèce il a conclu à bon droit que le conseil communal de la Ville de Luxembourg a été compétent pour arrêter les mesures pour assurer le respect de la sécurité, de la salubrité et de la tranquillité publiques ainsi que de la commodité des usagers de la voie publique relativement aux phénomènes accessoires à l’activité rétribuée de la prostitution. De toute évidence l’article 48 du règlement général de police de la Ville de Luxembourg n’a ni pour but, ni pour effet de porter atteinte au droit des personnes concernées d’exercer le métier en question, mais a pour unique objectif de réduire, dans le domaine accessible à l’intervention communale, les nuisances découlant d’éléments accessoires mais non essentiels de l’exercice de ce métier.

En deuxième lieu les appelants invoquent, en insistant sur le moyen, l’illégalité de l’article 48 du règlement général de police au motif que le texte critiqué tendrait à autoriser en certains endroits des actes que la loi prohiberait notamment dans les articles 382 et 563 (9) du code pénal.

Les textes qui sont ainsi allégués être contraires ou contradictoires ont la teneur suivante :

Article 48 du règlement général de police de la Ville de Luxembourg:

Dans l'intérêt de la sécurité et de la commodité des usagers de la voie publique, de la salubrité et de la tranquillité publiques, il est interdit à toute personne de s'exposer sur la voie publique en vue de la prostitution.

Par dérogation à ce qui précède, cette interdiction ne s'applique pas entre 20.00 heures et 3.00 heures dans les rues limitativement énumérées ci-après, à condition que ni la sécurité et la commodité du passage ni la salubrité et la tranquillité publiques ne s'en trouvent affectées:

-

- ….

Article 382 du code pénal:

Sera puni d’un emprisonnement de huit jours à six mois et d’une amende de 10.001 à 200.000 francs ou de l’une de ces peines seulement, quiconque par gestes, paroles, écrits ou par tous autres moyens procéderait publiquement au racolage de personnes d’un ou de l’autre sexe en vue de les provoquer à la débauche.

Article 563-9° du code pénal:

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Sont punis d’une amende de 1000.- francs à 10.000.- francs ceux dont l’attitude sur la voie publique est de nature à provoquer à la débauche.

A l’examen du moyen proposé par les appelants la Cour ne saurait rester aveugle à la différence textuelle des normes invoquées, l’article 48 du règlement général de police de la Ville de Luxembourg visant le phénomène de la prostitution, tandis que les deux articles cités du code pénal concernent l’un et l’autre la provocation à la débauche.

L’affirmation que le législateur de 1968, resté muet à ce sujet dans les travaux préparatoires, aurait employé les termes provocation à la débauche comme synonyme de la notion d’exercice de la prostitution n’est pas établie, mais est au contraire contredite par le fait que le même législateur a employé l’un et l’autre terme dans la rédaction de l’article 379bis qui a la teneur suivante: Sera puni d’un emprisonnement de six mois à trois ans : 1) Quiconque, pour satisfaire les passions d’autrui, aura embauché, entraîné ou détourné, même avec son consentement, une autre personne en vue de la prostitution ou de la débauche, soit sur le territoire du Grand-Duché, soit dans un pays étranger.

L’analyse de la sémantique des deux notions amène à constater que le terme de prostitution fait référence à une activité définie plutôt objectivement, tant en langage courant que dans le langage juridique (cf. arrêt précité de la Cour de Justice des Communautés européennes). La notion de débauche, par contre, contient un élément moral en désignant un excès ou abus des plaisirs sensuels en général, condamnés par un jugement moral et social (lié aux idées dominantes à chaque époque, notamment aux idées religieuses) et plus spécialement la recherche et pratique de la sexualité sans retenue et au mépris des règles morales de la société (Le Grand Robert de la Langue Française: Dictionnaire Alphabétique et Analogique de la Langue Française, 2e édition, vo. Débauche).

Il en résulte que les termes employés par l’alinéa 1er de l’article 48 du règlement général de police de la Ville de Luxembourg désignent un champ d’activités qui n’est pas appelé à se confondre avec le champ d’application que confère aux dispositions afférentes du code pénal la rédaction de ses articles 382 et 563-9°.

Ceci est d’autant plus vrai que la différence des terminologies employées ne peut qu’entraîner des interprétations jurisprudentielles divergentes.

Le moyen proposé sur base du fait que les textes prévoiraient des solutions contradictoires pour des situations identiques manque donc de base en fait.

Il convient de relever qu’en droit aucun texte n’empêche qu’un règlement communal prononce l’interdiction d’une activité même si celle-ci est déjà totalement ou partiellement prohibée par des textes découlant de sources hiérarchiquement supérieures, l’intérêt de la norme apparemment surabondante pouvant être de persister au cas ou le texte de source supérieure viendrait à changer ou à être abrogé. L’alinéa 1er de l’article 48 sous examen, d’ailleurs non critiqué en tant que tel par les appelants, serait donc valide même si le champ d’application de son interdiction quant à la matière était identiquement égal à celui des interdictions portées par le code pénal.

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Dans le cadre de cette hypothèse les appelants estiment cependant à tort que l’alinéa 2 de l’article 48 précité viserait à abroger les normes fixées par le code pénal, respectivement entraînerait accessoirement l’abrogation ou la suspension de ces normes. L’analyse du texte de l’alinéa 2 (Par dérogation à ce qui précède, cette interdiction ne s'applique pas …) fait apparaître qu’il déroge exclusivement à l’alinéa 1er du même article, laissant intouchées toutes les autres normes de droit et notamment les dispositions du code pénal régissant la même matière. La demande en annulation basée sur le fait que la disposition critiquée serait incompatible avec d’autres règles de droit n’est donc pas fondée en droit.

En troisième lieu les parties appelantes réitèrent le moyen de nullité proposé en première instance et qu’elles font dériver de l’affirmation que l’article 48 alinéa 2 du règlement général de police de la Ville de Luxembourg, en concentrant l’exercice de la prostitution aux abords de leurs quatre établissements, méconnaîtrait le principe à caractère constitutionnel de l’égalité des citoyens devant les charges publiques.

Le Tribunal administratif a fait droit de ce moyen en le rejetant après un examen approfondi des nombreux éléments mis en avant et en fournissant, pour ce rejet, une motivation circonstanciée et exhaustive (pages 12 à 16 du jugement entrepris) à laquelle la Cour entend se rapporter.

Le jugement dont appel est partant à confirmer dans la limite de l’effet dévolutif, et ce pour les motifs ci-dessus ainsi que pour ceux indiqués par le Tribunal administratif et qui rencontrent à suffisance tous les arguments présentés en appel.

Compte tenu de la décision à intervenir au fond les frais de l’instance d’appel sont à supporter par les parties appelantes.

par ces motifs et ceux non contraires du premier juge, la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties sur le rapport de son président, reçoit l’appel introduit le 16 novembre 2001 par les consorts … S.A., … sàrl, … et … en la forme;

le dit non fondé et en déboute;

partant confirme le jugement du 8 octobre 2001 dans toute sa teneur;

condamne les appelants aux frais de l’instance d’appel.

Ainsi jugé par Messieurs Georges KILL, président, rapporteur, - 6 -

Jean-Mathias GOERENS, premier conseiller, Marc FEYEREISEN, conseiller, et lu par le président en audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier en chef de la Cour.

Le greffier en chef Le président - 7 -


Synthèse
Numéro d'arrêt : 14197C
Date de la décision : 30/04/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 21/10/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2002-05-00;14197c ?

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