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16/11/2000 | LUXEMBOURG | N°11878C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 16 novembre 2000, 11878C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 11878 C Inscrit le 14 mars 2000 ———————————————————————————————————— AUDIENCE PUBLIQUE DU 16 NOVEMBRE 2000 Requête d’appel du ministre de l’Intérieur contre … KREMER, en présence de l’Administration communale de … en matière de plan d’aménagement (jugement entrepris du 2 février 2000) ————————————————————————————————— Vu la requête déposée au greffe de la Cour administrativ

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GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 11878 C Inscrit le 14 mars 2000 ———————————————————————————————————— AUDIENCE PUBLIQUE DU 16 NOVEMBRE 2000 Requête d’appel du ministre de l’Intérieur contre … KREMER, en présence de l’Administration communale de … en matière de plan d’aménagement (jugement entrepris du 2 février 2000) ————————————————————————————————— Vu la requête déposée au greffe de la Cour administrative le 14 mars 2000 par laquelle le ministre de l’Intérieur a relevé appel contre … KREMER, en présence de l’Administration communale de …, d’un jugement rendu le 2 février 2000 par le tribunal administratif dans la cause inscrite sous les numéros 10929 et 10931 du rôle;

vu les mémoires en réponse versés en cause les 4 avril et 13 avril 2000 respecti-

vement par l’Administration communale appelée en cause et par l’intimée;

vu les pièces régulièrement versées en cause et notamment la décision attaquée, ainsi que le jugement entrepris;

ouï Monsieur le président en son rapport à l’audience du 5 octobre 2000, Monsieur le délégué du Gouvernement Guy Schleder en ses moyens, ainsi que Maître Marc Walch, en remplacement de Maître Jean-Marie Erpelding, et Maître Alain Bingen en leurs plaidoiries.

————————————————————————————————— En vertu d’un mandat du ministre de l’Intérieur le délégué du Gouvernement a déposé le 14 mars 2000 une requête par laquelle il a relevé appel contre … KREMER, en présence de l’Administration communale de …, d’un jugement - 1 -

rendu le 2 février 2000 par le tribunal administratif dans la cause inscrite sous les numéros du rôle 10929 à 10931.

Ledit jugement a reçu et joint les recours introduits par Madame … KREMER 1. sous le numéro 10929 C du rôle tendant à l’annulation de la décision du ministre de l’Intérieur du 15 mai 1998 portant refus d’approbation de la délibération du 3 juin 1992 du conseil communal de …;

2. sous le numéro 10930 C du rôle tendant à l’annulation de la décision du ministre de l’Environnement du 4 juin 1998 portant refus d’approbation de la même délibération;

3. sous le numéro 10931 C du rôle tendant à l’annulation à la fois de la décision de refus d’approbation du ministre de l’Intérieur du 15 mai 1998 et de celle du ministre de l’Environnement du 4 juin 1998.

Le même jugement a déclaré les recours justifiés et a annulé les décisions ministérielles déférées avec renvoi de l’affaire devant le ministre de l’Environnement.

La partie appelante reproche en premier lieu au Tribunal administratif d’avoir reçu en la forme les recours dirigés contre la non-approbation d’une décision administrative à caractère général antérieure à l’entrée en vigueur de la loi du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif.

Quant au fond, le ministre de l’Intérieur estime que le Tribunal administratif a donné à l’article 9 de la loi du 12 juin 1937 concernant l’aménagement des villes et autres agglomérations importantes une interprétation erronée en déduisant de son texte qu’un plan d’aménagement général qui n’a pas fait l’objet d’une ou de plusieurs oppositions pendant le délai prévu audit article 9 deviendrait définitif dès l’expiration de ce délai et ne nécessiterait dans cette hypothèse pas l’approbation de l’autorité de tutelle.

Par mémoire déposé le 4 avril 2000, la partie Administration communale de … se rapporte à prudence quant à la recevabilité de l’appel et conclut quant au fond à la confirmation pure et simple du jugement dont appel pour les motifs énoncés par les premiers juges.

Dans son mémoire du 13 avril 2000, … KREMER argumente que le recours contre la décision du 15 mai 1998 du ministre de l’Intérieur aurait été reconnu à juste titre recevable alors que l’effet rétroactif relevé par la jurisprudence de la Cour ne serait pas concevable en cas de refus d’approbation.

Quant au fond cette intimée estime, comme l’a fait le Tribunal administratif, que l’intervention ministérielle aurait été dépourvue d’objet et que le jugement entrepris serait partant à confirmer.

A titre subsidiaire, et pour le cas où la décision attaquée aurait à faire l’objet d’un réexamen par la Cour, l’intimée KREMER conclut à l’annulation de la décision en - 2 -

soutenant qu’une erreur substantielle dans l’appréciation des faits aurait enlevé son caractère légal à la décision du ministre de l’Intérieur.

Le ministre de l’Environnement, partie également succombante en première instance, n’a pas relevé appel.

Quant à la recevabilité de l’appel :

L’appel relevé le 14 mars 2000 par le délégué du Gouvernement contre … KREMER, en présence de l’Administration communale de …, est recevable pour avoir été interjeté dans les forme et délai de la loi.

Quant au fondement de l’appel :

Devant le tribunal administratif le délégué du Gouvernement a soulevé en premier lieu l’irrecevabilité des recours originaires pour cause de tardiveté, au motif que les deux décisions ministérielles déférées seraient à considérer comme actes de tutelle qui, suivant la jurisprudence invoquée, rétroagiraient à la date de la décision approuvée qui serait censée être valable dès son origine (C.A. 6 novembre 1997, Weber-Beck c/ le Ministre de l’Environnement).

Le moyen est réitéré en appel à l’égard de la seule décision du ministre de l’Intérieur, la décision du ministre de l’Environnement n’étant pas soumise à l’appréciation de la Cour et le jugement du 2 février 2000 ayant acquis à son égard force de chose jugée.

Il est constant en cause que la décision que le ministre de l’Intérieur a refusé d’approuver a été prise par le conseil communal à une date antérieure à celle de l’entrée en vigueur de la loi du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, loi qui a créé le recours contre les décisions administratives à caractère réglementaire.

C’est cependant à tort que le représentant de l’État entend appliquer la jurisprudence ci-dessus citée au cas d’espèce, alors que les situations à la base de l’une et l’autre affaire montrent des différences fondamentales.

Si la doctrine et la jurisprudence prépondérantes estiment que les décisions d’approbation rétroagissent à la date de la décision approuvée qui est censée être valable dès son origine, un raisonnement analogue n’est justifiable ni en droit, ni en équité au cas où l’autorité de tutelle se prononce négativement et refuse d’approuver une décision prise.

Les juges de première instance ont à ce sujet relevé à juste titre que le refus d’approbation d’un acte a pour conséquence que la condition suspensive dont l’acte était affecté ne se réalise pas, de sorte que ce dernier doit être considéré comme non avenu.

Ils en ont déduit à bon droit qu’un effet rétroactif du refus d’approbation ne peut être envisagé puisque la décision à approuver est appelée à disparaître, de sorte que seul l’acte de tutelle subsiste et que seul ce dernier peut rester sujet à critique.

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A titre surabondant la Cour relève que la décision de refus du ministre est le premier acte de nature à faire grief à la partie KREMER qui soit intervenu dans la procédure critiquée. Cette partie n’avait dès lors ni intérêt, ni possibilité logique d’agir contre un acte de procédure intervenu avant la date de la décision critiquée, situation qui est contraire à celle d’un réclamant qui voit approuver par l’autorité de tutelle un plan d’aménagement qu’il estime lui être préjudiciable.

Subsidiairement et quant au fond, le représentant de l’État reproche au jugement attaqué d’avoir interprété l’article 9 de la loi modifiée du 12 juin 1937 en ce sens qu’à défaut de réclamation(s), aucune intervention du ministre de l’Intérieur n’aurait dû et même pu avoir lieu en l’espèce.

Le tribunal a correctement relevé que la décision déférée du ministre de l’Intérieur du 15 mai 1998 est intervenue dans le cadre de l’article 9 de la loi modifiée du 12 juin 1937 concernant l’aménagement des villes et autres agglomérations importantes et qu’à la suite de la délibération du conseil communal de … du 9 avril 1992 portant approbation provisoire de la demande d’extension du périmètre d’agglomération, aucune réclamation n’a été présentée endéans les délais légaux.

Après analyse du texte de l’article 9 de la loi précitée le tribunal a interprété celui-

ci comme ne prévoyant ni un vote d’ensemble définitif par le conseil communal, ni une approbation ministérielle d’ensemble pour les plans d’aménagement communaux dès lors qu’ils ne faisaient l’objet d’aucune réclamation.

Il en a tiré la conséquence qu’en l’espèce aucune intervention du ministre de l’Intérieur n’aurait pu avoir lieu, tout comme par ailleurs aucune délibération définitive du conseil communal de … n’aurait été requise.

La Cour, tout en estimant avec le premier juge que le texte de l’article 9 est sujet à interprétation notamment au regard de l’article 107 de la Constitution, n’entend pas se départir de sa propre jurisprudence implicite, ni de celle du Conseil d’Etat (CE 17.12.1990 Commune de Roeser c/ ministre de l’Intérieur) qui a été reprise explicitement dans l’arrêt 9481 C rendu le 17 juin 1997 par cette Cour dans l’affaire Commune de Bourscheid contre le ministre de l’Intérieur.

Les décisions citées interprètent les dispositions de l’article 9 de la loi modifiée du 12 juin 1937 en ce sens que la décision du Conseil communal a le caractère d’un acte réglementaire préparatoire et intérimaire nécessitant l’approbation de l’autorité de tutelle.

Cette vue est loin de heurter le principe constitutionnel de l’autonomie communale alors que l’article 107 (6) de la Constitution prévoit expressément que « la loi … peut soumettre certains actes des organes communaux à l’approbation de l’autorité de surveillance et même en prévoir l’annulation ou la suspension en cas d’illégalité ou d’incompatibilité avec l’intérêt général, sans préjudice des attributions des tribunaux judiciaires ou administratifs » et que l’application dudit principe doit se faire en tenant compte des intérêts nationaux, communaux, voire particuliers en jeu.

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L’interprétation est par ailleurs conforme au texte de l’article 9 auquel elle donne une parfaite cohérence dans le sens d’un aménagement harmonieux des villes et localités.

Elle est finalement conforme aux exigences de l’article 8 de la charte européenne de l’autonomie locale, signée à Strasbourg le 15 octobre 1985 et approuvée par la loi du 18 mars 1987.

Le jugement dont appel est donc à réformer dans la mesure où il a annulé la décision du 15 mai 1998 du ministre de l’Intérieur comme n’ayant pas pu être prise sur base de l’article 9 de la loi du 12 juin 1937.

Ayant statué comme il l’a fait le Tribunal administratif n’a pas été amené à se prononcer sur le fondement de la décision attaquée du 15 mai 1998, ce à quoi la Cour est cependant tenue, l’ensemble de l’appréciation du fondement du recours originaire en annulation lui étant dévolu par l’effet de l’appel non limité interjeté par le ministre de l’Intérieur.

Dans sa requête introductive déposée au greffe du tribunal le 28 septembre 1998 … KREMER a demandé l’annulation de la décision attaquée du ministre de l’Intérieur aux motifs que les faits matériels qui en sont la base seraient inexacts et ne seraient pas de nature à motiver légalement la décision.

Lorsque la Cour est saisie, comme en l’espèce, d’un recours en annulation, elle a le droit et l’obligation d’examiner l’existence et l’exactitude des faits matériels qui sont à la base de la décision attaquée, de vérifier si les motifs dûment établis sont de nature à motiver légalement la décision attaquée et de contrôler si cette décision n’est pas entachée de nullité pour incompétence, excès ou détournement de pouvoir, ou pour violation de la loi ou des formes destinées à protéger des intérêts privés.

Il résulte du dossier que le ministre de l’Intérieur a refusé d’approuver la délibération du conseil communal de … du 3 juin 1992 au motif « que les fonds en question ne se prêtent pas à la construction en raison de leur topographie très accidentée » reprenant ainsi les termes mêmes de l’avis émis par la commission d’aménagement auprès du ministère de l’Intérieur prévue par l’article 6 de la loi modifiée du 12 juin 1937.

Des éléments du dossier soumis à la Cour, il résulte que le terrain faisant l’objet de la demande d’extension du périmètre d’agglomération se trouve en pente rocheuse de sorte que sa topographie peut effectivement être qualifiée de très accidentée. Il n’en est pas moins vrai que la parcelle en question est située entre des fonds construits ou à construire présentant la même topographie.

Dans ces conditions de fait la motivation de la décision attaquée, en se référant exclusivement au caractère accidenté du terrain, sans laisser entendre en quoi ce caractère s’opposerait à l’incorporation de la parcelle Kremer dans le périmètre d’agglomération, n’a pas la précision requise qui permettrait à la Cour d’apprécier la légalité du motif invoqué par le ministre pour refuser son approbation à la décision de l’autorité communale.

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La décision attaquée encourt de ce fait l’annulation de sorte que le jugement entrepris est à confirmer, quoique pour d’autres motifs, pour autant qu’il a prononcé cette annulation.

Le dossier est à renvoyer pour prosécution devant le ministre de l’Intérieur.

Eu égard au fait que, sous réserve du changement de motifs, la partie appelante est néanmoins succombante en appel, les frais de l’appel sont à supporter par elle.

par ces motifs la Cour administrative, statuant contradictoirement à l’égard de toutes les parties, reçoit en la forme l’appel relevé le 14 mars 2000;

confirme le dispositif du jugement entrepris pour autant qu’il a annulé la décision ministérielle du 15 mai 1998 ;

le confirme encore pour autant que le jugement dont appel a condamné l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg aux frais, à l’exception de ceux relatifs au recours inscrit sous le numéro 10931 du rôle, ainsi que des frais de signification à l’Etat comme devant rester à charge de la partie demanderesse en première instance;

renvoie devant le Ministre de l’Intérieur;

impose les frais de l’instance d’appel à l’Etat.

Ainsi jugé par Messieurs Georges KILL, président, rapporteur, Jean-Mathias GOERENS, premier conseiller, Marc FEYEREISEN, conseiller, et lu par le président en audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier en chef de la Cour.

Le greffier en chef Le président - 6 -


Synthèse
Numéro d'arrêt : 11878C
Date de la décision : 16/11/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2000-11-16;11878c ?

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