GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle: 11285C Inscrit le 11 mai 1999 Audience publique du 11 janvier 2000 Recours formé par l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg contre … Schmitz en matière de:
impôt sur le revenu - Appel -
(Jugement entrepris du 29 mars 1999, n° du rôle 10428)
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Vu l’acte d’appel déposé au greffe de la Cour administrative le 11 mai 1999 par le délégué du Gouvernement Gilles Roth, en exécution d’un mandat du ministre des Finances du 7 mai 1999 contre un jugement rendu en matière d’impôt sur le revenu par le tribunal administratif à la date du 29 mars 1999 à la requête de … Schmitz, ci-après qualifié, contre trois bulletins d’impôt émis par le bureau d’imposition de ….
Vu la signification dudit acte d’appel par exploit d’huissier Pierre Kremmer à la date du 10 mai 1999.
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 20 juillet 1999 par Maître Alain Steichen, avocat à la Cour, au nom de … Schmitz, demeurant à L-….
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe de la Cour administrative le 13 décembre 1999 par le délégué du Gouvernement.
Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris du 29 mars 1999.
Ouï le conseiller-rapporteur en son rapport et le délégué du Gouvernement Gilles Roth ainsi que Maître Alain Steichen en leurs observations orales.
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… SCHMITZ, gérant de sociétés, demeurant à …, a loué à la société à responsabilité limitée Garage Schmitz, des locaux professionnels sis à … dont il est le propriétaire. Ayant contracté 1 cinq prêts bancaires, … SCHMITZ a conclu avec cette dernière en date du 2 janvier 1991 une convention aux termes de laquelle la société Schmitz prend en charge le remboursement du capital et des intérêts de ces emprunts, ainsi que le paiement des arriérés d’impôts pour lesquels un délai de paiement avait été accordé à … SCHMITZ, le tout jusqu’à concurrence d’un plafond annuel de LUF …, un excédent éventuel de paiement étant reportable sur les exercices postérieurs. En contre-partie, la société Schmitz « est déliée temporairement de son obligation de payer le loyer mensuel actuel portant sur LUF … à Monsieur … Schmitz ». Il était encore stipulé que la convention « expirera au jour du remboursement de la dernière échéance bancaire relative à un des prêts mentionnés précédemment ».
Se fondant sur cette convention, … SCHMITZ n’a, dans ses déclarations de l'impôt sur le revenu pour les années 1991, 1992 et 1993, ni déclaré de revenus de location de biens, ni déduit les frais d’obtention y relatifs, dont les intérêts débiteurs payés par la société Schmitz sur les prêts susvisés.
Suivant trois bulletins de l'impôt sur le revenu du 18 juillet 1996 relatifs respectivement aux années 1991, 1992 et 1993, le bureau d’imposition de … a redressé les déclarations de … SCHMITZ en lui imputant des revenus de capitaux mobiliers et des revenus de location de biens au titre de ces trois années.
Par requête déposée le 24 novembre 1997 au greffe du tribunal administratif, Maître Alain Steichen, au nom de … Schmitz, a demandé la réformation de trois bulletins de l’impôt sur le revenu relatifs aux années 1991, 1992 et 1993 émis à son encontre le 18 juillet 1996 par le bureau d’imposition de …, la réclamation afférente introduite le 18 octobre 1996 étant restée sans réponse de la part du directeur de l’administration des Contributions directes.
Par jugement en date du 29 mars 1999, le tribunal administratif a reçu le recours en réformation en la forme, au fond a dit que le demandeur a réalisé dans le cadre des revenus de location de biens du chef de la location des immeubles professionnels en cause une recette de chaque fois LUF … au cours respectivement des années 1991 et 1992 ainsi que de LUF … au cours de l’année 1993, a dit encore que le demandeur a reçu au cours des années d’imposition une distribution cachée de bénéfices consistant en l’absence de mise en compte d’intérêts débiteurs à un taux normal du chef des sommes de LUF … et de LUF … mises à sa disposition respectivement au cours des années 1991 et 1992, et que les intérêts débiteurs à retenir relatifs aux cinq emprunts invoqués peuvent être déduits des recettes provenant de la location des immeubles en cause et de capitaux mobiliers ainsi dégagées d’après les conditions et modalités précisées dans les motifs, le solde de ces revenus étant susceptible d’être le cas échéant négatif.
Il a renvoyé l’affaire devant le directeur de l’administration des Contributions directes en vue de sa transmission au bureau d’imposition compétent pour exécution.
Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 11 mai 1999 et préalablement signifiée le 10 mai 1999 à … Schmitz, le délégué du Gouvernement, déclarant agir en vertu d’un mandat du ministre des Finances ayant dans ses attributions l’administration des contributions directes, daté du 7 mai 1999, a relevé appel du jugement précité.
Il reproche aux premiers juges d’avoir décidé que les frais d’obtention de revenus de capitaux, et spécialement les intérêts débiteurs en cas d’acquisition des titres moyennant emprunt, peuvent dépasser les recettes pour autant qu’au moment de l’engagement des frais la réalisation de revenus positifs peut être raisonnablement escomptée.
2 Le représentant étatique soutient qu’en matière de revenus de capitaux mobiliers, les frais d’obtention ne sont déductibles que jusqu’à concurrence des recettes, ce qui exclut la possibilité d’un revenu négatif, les dépenses engagées perdant la qualité de frais d’obtention au sens de l’article 105 LIR dès qu’elles excèdent les recettes.
En invoquant la jurisprudence allemande applicable avant l’abolition de la notion de dépenses spéciales, il demande à la Cour, par réformation du jugement entrepris, de dire que le solde des revenus de capitaux, en présence d’intérêts débiteurs déductibles, n’est pas susceptible d’être négatif.
Dans un mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 20 juillet 1999, l’intimé … Schmitz soulève en premier lieu l’irrecevabilité en la forme de la requête d’appel du délégué du Gouvernement, alors qu’il appartiendrait au préposé seul du bureau d’imposition de … de faire appel, celui-ci ayant émis les trois bulletins d’impôt entrepris.
Quant au fond il fait valoir que l’article 7 alinéa 2 LIR prévoit un principe d’application générale au terme duquel les pertes dégagées par l’une ou l’autre catégorie de revenus se compensent avec les revenus nets des autres catégories.
Même si le législateur a prévu dans certains cas des restrictions au principe de la compensation des revenus positifs et négatifs, il est resté muet en matière de revenus de capitaux mobiliers, la jurisprudence ne permettant pas aux travaux préparatoires de suppléer aux lacunes du texte légal.
Tout en réitérant ses conclusions prises en première instance, la partie intimée demande la confirmation du jugement entrepris.
Dans un mémoire en réplique déposé au greffe de la Cour le 13 décembre 1999, la partie appelante, quant à la recevabilité de l’appel, est d’avis qu’il appartient au ministre des Finances de conférer le mandat d’interjeter appel et quant au fond elle relève que le législateur a introduit par la loi du 6 décembre 1990 un plafonnement de la déductibilité suite aux modifications des dispositions de l’article 109 LIR, que l’article 97 LIR ne traite que les revenus d’un placement et que dans la catégorie des revenus de capitaux, les frais d’obtention ne sont déductibles que jusqu’à concurrence des recettes, ce qui exclut la possibilité d’un revenu net négatif.
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Quant à la recevabilité de l’acte d’appel La partie intimée soutient que la décision du préposé du bureau d’imposition de … ayant été partiellement réformée, il appartiendrait à ce dernier de faire appel, l’Etat du Grand-Duché n’ayant pas compétence à agir.
Cependant le recours en première instance a été introduit contre la décision faisant grief, c’est-
à-dire les trois bulletins d’impôt émis, indépendamment de la personne de son auteur, c’est l’Etat qui a été condamné aux frais de l’instance et le jugement a été notifié au ministre des Finances.
Comme ni l’administration des Contributions, corps de fonctionnaires faisant partie intégrante de l’Etat, ni un préposé d’un bureau d’imposition n’ont ès qualité une personnalité juridique autonome, il appartient au ministre des Finances qui a dans ses attributions, comme membre du 3 Gouvernement, l’administration des Contributions directes et de ce fait la qualité de chef hiérarchique du directeur de l’administration des Contributions directes, de donner mandat au délégué du Gouvernement de relever appel du jugement en cause.
Ce moyen d’irrecevabilité laisse donc d’être fondé et l’appel est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Quant au fond Il échet de toiser, en l’espèce, si les frais d’obtention de revenus de capitaux mobiliers spécialement les intérêts débiteurs en cas d’acquisition des titres moyennant emprunt, peuvent dépasser les recettes, pour autant qu’au moment de l’engagement des frais, la réalisation de revenus positifs peut être raisonnablement escomptée, l’acte d’appel ayant expressément limité la portée du recours aux dispositions ci-dessus visées du jugement, de sorte que l’effet dévolutif ainsi délimité soumet à l’examen de la Cour cette seule contestation.
La partie appelante soutient qu’il résulterait des travaux préparatoires de la loi sur l’impôt sur le revenu de 1967 et de la jurisprudence allemande qu’un excédent de frais d’obtention sur des revenus imposables ne saurait engendrer un revenu négatif dans la catégorie de revenus appelée « revenus provenant de capitaux mobiliers » de sorte que l’excédent en question ne saurait pouvoir être compensé non plus avec d’autres revenus imposables du contribuable.
La partie intimée sollicite la déduction d’intérêts débiteurs en tant que frais d’obtention dans le cadre des catégories de revenus de location de biens ou de revenus de capitaux mobiliers au titre de cinq emprunts, contractés à différentes dates, mentionnés dans la convention du 2 janvier 1991 et remboursés par la société Schmitz.
Elle soutient que le fait que le revenu net de la catégorie réservée aux revenus de capitaux mobiliers devienne négatif n’importe pas.
En effet, l’article 103 LIR prévoit que le revenu net de chacune des catégories de revenus visés aux numéros 4 à 8 de l’article 10 est constitué par l’excédent des recettes sur les frais d’obtention, et l’article 105 LIR stipule que les intérêts débiteurs, dans la mesure où il y a un rapport économique direct avec les revenus d’une des catégories mentionnées, constituent des frais d’obtention, et aucun des textes ne prévoirait une limitation des frais d’obtention.
L’article 7, alinéa 2 LIR a posé un principe général de compensation des revenus positifs et négatifs, auquel le législateur peut toutefois déroger, ce qu’il a fait par exemple à l’article 99 N° 3 LIR ou à l’article 102 alinéas 11 et 12.
Il y a lieu de constater qu’il n’y a cependant aucune disposition légale qui exclut la possibilité d’un revenu net négatif dans la catégorie des revenus des capitaux mobiliers et la déduction d’intérêts débiteurs en tant que frais d’obtention, en effet il n’y a pas de dispositions contraires inscrites aux articles 97, 103 et 105 LIR.
Même s’il pouvait résulter des travaux préparatoires de la loi de 1967, ou de « l’optique du législateur » que l’Etat ait voulu se référer à la jurisprudence allemande qui considère que les revenus de capitaux mobiliers ne peuvent jamais être négatifs, mais tout au plus se ramener à zéro, le restant des intérêts débiteurs pouvant être déduits en tant que dépenses spéciales, il faut cependant remarquer que le « Bundesfinanzhof » a admis un revenu négatif de capitaux pendant 10 ans, et que la jurisprudence allemande en la matière est controversée.
4 D’autre part, les travaux préparatoires d’une loi ne peuvent prévaloir contre les dispositions légales dénuées d’ambiguïtés (C.E. du 12 mai 1992 Rischard no 8574 du rôle) ni déroger à ces dernières, et les lois fiscales sont de stricte interprétation.
Les intérêts débiteurs relatifs à un emprunt destiné au paiement d’arriérés d’impôts ne sauraient être qualifiés de frais d’obtention au vu de l’absence d’un lien quelconque avec l’une des catégories de revenus visés aux numéros 4 à 8 de l’article 10 LIR, et sont, le cas échéant, susceptibles de déduction en tant que dépenses spéciales sous les conditions et dans les limites fixées par l’article 109 (1) LIR.
C’est partant pour des justes motifs auxquels la Cour se rallie, que le tribunal administratif a décidé qu’en l’absence d’une disposition contraire aux articles 97, 103 ou 105, la déduction d’intérêts débiteurs en tant que frais d’obtention peut donner lieu à un revenu net de capitaux mobiliers négatif, car dès lors que l’emprunt sous-jacent sert en l’espèce au financement de l’acquisition de titres qui sont de nature à dégager des recettes imposables, la relation causale ainsi établie n’est pas rompue par la circonstance que les frais d’obtention dépassent les recettes pour autant qu’au moment de l’engagement des frais, la réalisation de recettes positives peut être raisonnablement escomptée.
Le jugement dont appel est partant à confirmer.
PAR CES MOTIFS la Cour administrative, statuant contradictoirement;
reçoit l’appel en la forme;
le dit non fondé et en déboute;
partant confirme le jugement entrepris du 29 mars 1999;
condamne la partie appelante aux frais et dépens de l’instance d’appel.
Ainsi jugé par Monsieur Jean-Mathias GOERENS, premier conseiller Madame Christiane DIEDERICH-TOURNAY, conseiller, rapporteur Monsieur Marc FEYEREISEN, conseiller et lu par le premier conseiller en audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier de la Cour Anne-Marie WILTZIUS.
Le greffier Le premier conseiller 5