GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 11310C Inscrit le 2 juin 1999
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AUDIENCE PUBLIQUE DU 21 DECEMBRE 1999 Requête d’appel de l’administration communale de Remerschen c/ une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’impôt sur le revenu des collectivités et d'impôt commercial communal (jugement entrepris du 3 mai 1999, no. 10915 du rôle)
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Vu la requête déposée le 2 juin 1999 par laquelle l’administration communale de Remerschen a relevé appel d’un jugement rendu le 3 mai 1999 par le tribunal administratif dans la cause inscrite sous le numéro 10915;
Vu l’exploit du ministère de l’huissier Guy Engel du 28 mai 1999 par lequel la requête d’appel a été signifiée à l’Etat du Grand-Duché;
Vu les mémoires en réponse déposés par le délégué du Gouvernement les 16 septembre et 7 décembre 1999 au greffe de la Cour administrative;
Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris;
Ouï le conseiller en son rapport, Maître Henri Frank et le délégué du Gouvernement Gilles Roth en leurs plaidoiries.
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Par requête, inscrite sous le numéro du rôle 10915, déposée le 21 septembre 1998 au greffe du tribunal administratif par Maître Henri Frank, avocat à la Cour, l’administration communale de Remerschen a demandé la réformation, sinon l’annulation d’une décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 2 septembre 1998 rejetant comme non fondée la réclamation par elle introduite le 11 novembre 1996 contre les bulletins de l'impôt sur le revenu des collectivités et les bulletins d’établissement de l’assiette des années 1990 et 1991.
Le tribunal administratif a reçu le recours en réformation en la forme, a déclaré le recours subsidiaire en annulation irrecevable, au fond, a dit que la réalisation du lotissement « Killeboesch » par l’administration communale de Remerschen est constitutive d’une 1 entreprise commerciale soumise à l'impôt sur le revenu des collectivités et l'impôt commercial communal, a rejeté le moyen d’inconstitutionnalité de l’article 159 (1) B LIR, avant tout autre progrès en cause, les droits des parties étant réservés, a fixé l’affaire pour continuation des débats à l’audience publique du 16 juin 1999.
La Commune de Remerschen a interjeté appel contre ce jugement moyennant dépôt d’une requête d’appel au greffe de la Cour administrative en date du 2 juin 1999, préalablement signifiée le 28 mai 1999.
L’appelante fait valoir que cet appel a été interjeté pour éviter toute forclusion concernant les moyens invoqués ayant d'ores et déjà été tranchés par le jugement du 3 mai 1999.
L’appelante fait valoir qu’elle est gravement lésée dans ses droits car parmi toutes les communes du pays ayant réalisé dans le passé des lotissements, c'est serait elle seule et la Ville de Luxembourg qui auraient fait l'objet d'assujettissement à impôts du chef de la réalisation des lotissements en question.
Il y aurait lieu à annulation de la procédure d'imposition pour violation du principe d'égalité inscrit dans la Constitution et dans les Conventions Internationales signées par le Luxembourg.
La réalisation d'un lotissement par une commune ne serait pas synonyme d'entreprise de nature commerciale ou industrielle au sens de l'article 159 de la LIR et d’après l’appelante, aucune des conditions, ni aucun des critères contenus dans l'article 14 LIR ne s'appliqueraient en l'espèce alors qu'en réalisant son lotissement, la commune n'aurait pas exercé une activité indépendante, le but poursuivi n'aurait pas été un but de lucre et cette réalisation constituerait une activité isolée qui n'aurait pas été exercée de façon permanente.
Que tant l'article 187 LIR que l'arrêté grand-ducal du 26 octobre 1944 concernant les impôts, taxes, cotisations et droits, ne sauraient trouver application dans la mesure où l'article 36 de la Constitution se trouverait violé en ce qu'il est inconcevable que des mesures d'exécution soient maintenues en vigueur malgré l'abolition des lois qui ont servi de fondement à ces mesures d'exécution.
Qu’en cas de besoin, il y aurait lieu de saisir la Cour constitutionnelle de la question de la constitutionnalité de l'article 187 LIR.
Qu'il serait indiscutable que la mesure d'exécution qualifiée de « Erste Verordnung zur Durchfuehrung des Koerperschaftssteuergesetzes » n'aurait pas été prise par le Grand-Duc et serait dès lors contraire à l'article 36 de la Constitution et ne saurait trouver application.
Qu’à supposer même que cette « Erste KStGDV » soit de nature à trouver encore aujourd'hui application, il paraîtrait évident que les critères définis, notamment sub(2) de ladite « Erste KStGDV » ne se trouveraient pas remplis en l'espèce alors que la réalisation du lotissement ne constituerait pas une activité qui serait devenue prépondérante par rapport à l'ensemble des activités de la Commune.
Le délégué du gouvernement a déposé un mémoire en réponse en date du 16 septembre 1999 dans lequel il se rapporte à prudence de justice quant à la recevabilité de l’appel dans les formes et délais.
2 Quant au fond, il n'y aurait pas de violation du principe d'égalité devant la loi et il ne s’agirait pas de rechercher une égalité de fait mais bien une égalité de droit. Cette dernière commanderait que la loi soit la même pour tous afin que des situations identiques soient réglées de manière identique et que des situations différentes soient traitées de manière distincte.
En l'occurrence l'article 159 1 (B) LIR serait applicable à toute activité de lotissement opérée par une commune du Grand-Duché. Il ne serait d'ailleurs pas établi que seules les opérations de lotissement de la Commune de Remerschen et de la Ville de Luxembourg soient soumises à l'impôt des collectivités.
Les développements de la partie appelante relatifs à la conformité de l'arrêté grand-ducal du 26 octobre 1944 concernant les impôts, taxes, cotisations et droits et de l'article 187 LIR à l'article 36 de la Constitution ne seraient pas fondés.
L'arrêté en question aurait en effet été implicitement ratifié par l'article 3 de la loi du 27 février 1946 concernant l'abrogation des lois de compétence de 1938 et 1939 et l'octroi de nouveaux pouvoirs spéciaux au gouvernement de sorte qu’il n’y aurait pas lieu à saisine de la Cour constitutionnelle de ce chef.
Le renvoi opéré par les premiers juges à l'article 14 LIR par le biais de l'article 162 LIR et de son règlement grand-ducal d'application ne saurait porter à critique alors qu'il s'agirait de l'application du principe de l'extension de certaines dispositions de l'impôt sur le revenu des personnes physiques à l'impôt sur les collectivités.
L'appelante prétendrait finalement à tort qu'un lotissement de terrains opéré par une administration communale ne saurait être considéré comme entreprise commerciale au sens de l'article 159B LIR, le jugement entrepris et les références y citées répondant amplement à cette question.
Le délégué du gouvernement a conclu une deuxième fois dans un mémoire déposé en date du 7 décembre 1999.
L’article 187 LIR et l'arrêté grand-ducal du 26 octobre 1944 ne seraient pas contraires à la Constitution alors que l'arrêté grand-ducal du 26 octobre 1944, ratifié par la loi du 27 février 1946, aurait maintenu en vigueur sans distinction « toutes les dispositions et mesures de l'occupant, qui sont tenues pour valables et continuent à être appliquées », pour devenir des règles de droit auxquelles le Conseil d'État n'aurait cessé de se référer et qui resteraient obligatoires jusqu'à disposition contraire. (C.E. 08.12.1948, P. 14 p 489; CE 15.12.1954, no.
5007; CE. 04.08.1962, no. 5750).
La validation ne concernerait pas seulement les impôts mentionnés dans l'arrêté grand-ducal, mais s'étendrait nécessairement aux mesures d'exécution, instructions, adaptations et interprétations authentiques qui en constituent la suite et le complément indivisible. Les textes auraient été validés en bloc, sans réserves ni restrictions.
Après la libération du Grand-Duché, les autorités luxembourgeoises auraient été obligées de prendre d'urgence les mesures nécessaires à la sauvegarde des intérêts supérieurs de l'Etat.
Dans le domaine fiscal, les besoins accrus du Trésor, nés de l'obligation pour l'Etat de faire face aux dépenses résultant de la guerre, et la nécessité d'assurer dans l'immédiat des rentrées 3 d'impôts régulières d'une certaine importance auraient déterminé le législateur à maintenir le système d'impôt introduit par l’occupant allemand. (H. Dostert, Et. fisc, no. 1) Le Conseil d'État dans un arrêt de principe du 8 décembre 1948 aurait par ailleurs fait expressément référence dans sa motivation aux circonstances historiques dans lesquelles est intervenue la réception de la législation fiscale sous l'occupation nazie.
Ce serait par ailleurs à juste titre et pour les éléments de fait et de droit plus amplement développés par les premiers juges dans le jugement entrepris que la décision a quo a retenu que la réalisation du lotissement Killeboesch par la Commune de Remerschen est constitutive d'une entreprise commerciale soumise à l'impôt sur le revenu des collectivités et l'impôt commercial communal.
Quant à la recevabilité de l’appel La loi du 7 novembre 1996 prévoit dans son article 99.9 que les jugements qui tranchent dans leur dispositif une partie du principal et ordonnent une mesure d’instruction ou une mesure provisoire peuvent être immédiatement frappés d’appel comme les jugements qui tranchent tout le principal.
Il en est de même lorsque le jugement qui statue sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident met fin à l’instance.
Les autres jugements ne peuvent être frappés d’appel, indépendamment des jugements sur le fond, que dans les cas spécifiés par la loi.
En disposant dans son jugement du 3 mai 1999 que la réalisation par l’administration communale de Remerschen du lotissement « Killeboesch » était constitutive d’une entreprise commerciale soumise à l'impôt sur le revenu des collectivités et l'impôt commercial communal, le Tribunal administratif a tranché dans le dispositif une partie du principal.
Ne s’étant pas prononcé sur la réformation de la décision entreprise du directeur de l’administration des Contributions directes le jugement n’a par contre pas tranché tout le principal dans son dispositif.
Aux termes de l’article 99.9 précité un jugement disposant comme le fait le jugement entrepris sur une partie du fond ne peut être frappé d’appel immédiatement que dans le cas où il ordonne une mesure d’instruction ou une mesure provisoire.
La décision de fixer, sous réserve des droits des parties, l’affaire pour continuation des débats à une date ultérieure ne constitue ni une mesure d’instruction, ni une mesure provisoire.
Le jugement attaqué ne met par ailleurs pas fin à l’instance en statuant, comme le prévoit l’article 99.9 alinéa 2, sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou un autre incident.
L’appel de l’administration communale de Remerschen contre le jugement du 3 mai 1999 est dès lors irrecevable.
4 Par ces motifs la Cour administrative, statuant contradictoirement, déclare l’appel relevé le 2 juin 1999 par l’administration communale de Remerschen irrecevable, condamne l’administration communale de Remerschen aux frais de l’instance d’appel.
Ainsi jugé par Messieurs Georges KILL, président, Jean-Mathias GOERENS, premier conseiller, Marc FEYEREISEN, conseiller, rapporteur, et lu par le président en audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier de la Cour Anne-Marie WILTZIUS.
Le greffier Le président 5