TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE NANTERRE
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PÔLE CIVIL
Pôle Famille 3ème section
JUGEMENT RENDU LE
23 Juillet 2024
N° RG 20/03692 - N° Portalis DB3R-W-B7E-VYF2
N° Minute : 24/115
AFFAIRE
[C] [M] [D] [H], [S] [L], [R] [D] [A] [H]
C/
[U] [T] [V]
Copies délivrées le :
DEMANDEURS
Madame [C] [M] [D] [H]
[Adresse 10]
[Localité 7]
représentée par Me Frédéric CORTES, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : 319
Madame [S] [L]
[Adresse 1]
[Localité 8]
représentée par Me Frédéric CORTES, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : 319
Monsieur [R] [D] [A] [H]
[Adresse 11]
[Localité 6]
représenté par Me Frédéric CORTES, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : 319
DEFENDERESSE
Madame [U] [T] [V]
[Adresse 3]
[Localité 5]
représentée par Me Elisabeth ROUSSET, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : PN 313
En application de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 02 Mai 2024 en audience publique devant :
Caroline COLLET, Vice-présidente
magistrat chargé du rapport, les avocats ne s’y étant pas opposés.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries au tribunal composé
Cécile BAUDOT, Première vice-présidente adjointe
Caroline COLLET, Vice-présidente
Sylvie MONTEILLET, Vice-présidente
Greffier : Soumaya BOUGHALAD
JUGEMENT
prononcé en premier ressort, par décision Contradictoire et mise à disposition au greffe du tribunal conformément à l’avis donné à l’issue des débats.
FAITS ET PROCÉDURE
[J] [K], né le [Date naissance 2] 1925 à [Localité 13], est décédé le [Date décès 4] 2019 à [Localité 12].
Il avait rédigé cinq testaments olographes datés des 7 janvier 2016, 22 janvier 2016, 25 février 2016, 12 mars 2017 et 23 février 2018.
Aux termes du dernier testament du 23 février 2018, [J] [K] a légué l’intégralité de son patrimoine à Mme [U] [V] avec laquelle il avait conclu un pacte civil de solidarité le 2 septembre 2009.
[J] [K] avait un neveu et une nièce, M. [R] [H] et Mme [C] [H], enfants de sa sœur prédécédée.
Mme [V] a saisi le président du tribunal de grande instance de Nanterre par requête du 19 juin 2019 aux fins d’envoi en possession de son legs. Par ordonnance du 6 septembre 2019, Mme le président du tribunal de grande instance de Nanterre a dit n’y avoir lieu à envoi en possession.
Sur l’appel interjeté par Mme [V] de cette ordonnance, la cour d’appel de Versailles a, par un arrêt du 30 juin 2020, rectifié le 2 février 2021, envoyé Mme [V] en possession du legs universel.
Par acte du 5 juin 2020, M. [R] [H], Mme [C] [H] et Mme [S] [L] ont fait assigner Mme [V] devant le tribunal judiciaire de Nanterre aux fins de voir notamment constater l'insanité d'esprit d’[J] [K] et annuler les deux derniers testaments.
Par conclusion notifiées par la voie électronique le 1er juillet 2021, les demandeurs ont saisi le juge de la mise en état d’un incident tendant à voir interdire à Mme [V] de disposer des biens dépendant de la succession d’[J] [K].
Les parties se sont rapprochées et Mme [V] s’est engagée à séquestrer la somme correspondant aux legs particuliers allégués par les demandeurs. En contrepartie, les demandeurs ne se sont pas opposés à la vente du bien de [Localité 12] figurant à l’actif successoral et se sont désistés de leur incident.
Une première ordonnance de clôture a été rendue le 9 juin 2022.
Par conclusions d’incident du 9 juin 2022, les demandeurs ont sollicité le rabat de l’ordonnance de clôture. Par ordonnance du 14 décembre 2022, le juge de la mise en état a fait droit à cette demande et révoqué l’ordonnance de clôture.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 9 juin 2022, Mme [C] [H], M. [R] [H] et Mme [S] [L] demandent au tribunal de :
accueillir Mme [C] [H], M. [R] [H] et Mme [S] [L] en leurs demandes, fins et prétentions et les en déclarer fondés ;débouter Mme [U] [V] de l’ensemble de ses conclusions, fins et prétentions ;prononcer la nullité des testaments des 23 février 2018 et 12 mars 2017 pour insanité d’esprit ;prononcer de plus fort la nullité du testament du 23 février 2018 pour dol ;dire et juger seul valable le testament du 25 février 2016 ;enjoindre à Mme [U] [T] [V] d’avoir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de l’expiration d’un délai de 15 jours suivant l’acte de notoriété de règlement de la succession, à délivrer les legs particuliers suivants :$gt; à Mme [C] [H] et M. [R] [H], ensemble la somme de 400 000 euros, nette de tous frais et droits ;
$gt; à Mme [S] [L], la somme de 400 000 euros, nette de tous frais et droits ;
condamner Mme [U] [T] [V] à verser la somme 8 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens ;rappeler l’exécution provisoire de droit.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 9 mars 2022, Mme [U] [V] demande au tribunal de :
déclarer Mme [S] [L] irrecevable en ses demandes ;écarter la pièce n° 20 des demandeurs car non conforme aux dispositions de l’article 202 du code de procédure civile ;débouter les demandeurs de leurs demandes en nullité du testament du 23 février 2018 fondées sur l’insanité d’esprit et le dol et de leur demande en délivrance de legs ;juger que le testament olographe rédigé par le défunt le 23 février 2018 est valable et doit recevoir application ;A titre subsidiaire, si par extraordinaire le tribunal venait à considérer que le testament du 23 février 2018 est nul :
débouter les demandeurs de leur demande en nullité du testament du 12 mars 2017 fondé sur l’insanité d’esprit et de leur demande en délivrance de legs ;juger que le testament olographe rédigé par le défunt le 12 mars 2017 est valable et doit recevoir application ;juger que le legs consenti à [Z] [H] est caduc en raison du décès de celle-ci avant le décès de [J] [K] ;condamner les demandeurs à payer chacun à Mme [V] la somme de 3 000 euros, soit la somme de 9 000 euros au total, au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;condamner les demandeurs aux entiers dépens.
La clôture a été prononcée le 9 mars 2023.
Par conclusions d’incident notifiées par la voie électronique le 8 septembre 2023, les demandeurs ont sollicité le rabat de l’ordonnance de clôture. Par un bulletin de procédure du 29 janvier 2024, le juge de la mise en état a rejeté la demande tendant à la révocation de la clôture.
Ainsi que le permet l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer aux dernières écritures des parties pour un plus ample exposé des moyens et prétentions.
L’affaire a été évoquée à l’audience des plaidoiries du 2 mai 2024 pour être mise en délibéré ce jour par mise à disposition au greffe.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur les demandes de donner acte
Il est rappelé que ces demandes formulées au dispositif des conclusions sont dépourvues de toute portée juridique et que le juge n'y répondra que s'il s'agit de moyens développés dans les écritures et venant au soutien des autres demandes exprimées au dispositif.
Sur le défaut de qualité à agir de Mme [L]
Moyens des parties
Mme [V] soulève l'absence de qualité à agir de Mme [L], qui était une amie d’[J] [K], au motif que l'action en nullité du testament pour insanité d'esprit comme pour dol ne serait ouverte qu'aux successeurs universels légaux ou testamentaires du de cujus. Selon la défenderesse, en tant que légataire à titre particulier, Mme [S] [L] n'aurait pas qualité à agir.
Mme [S] [L] rappelle l'importance des liens qui l'attachaient au défunt et s’en remet à la sagesse du tribunal quant à la recevabilité de ses demandes.
Réponse du tribunal
Aux termes de l’article 789 du code de procédure civile, lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu'à son dessaisissement, seul compétent, à l'exclusion de toute autre formation du tribunal, pour, notamment, statuer sur les fins de non-recevoir. Les parties ne sont plus recevables à soulever ces fins de non-recevoir au cours de la même instance à moins qu'elles ne surviennent ou soient révélées postérieurement au dessaisissement du juge de la mise en état.
Selon l’article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
Mme [U] [V] n'a pas saisi le juge de la mise en état de cette fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir de Mme [S] [L].
Le tribunal n'est pas compétent, après le dessaisissement du juge de la mise en état, pour statuer sur la recevabilité des demandes de Mme [S] [L].
Sur la demande d'écarter des débats la pièce n°20 des demandeurs
Moyens des parties
Mme [U] [V] demande d'écarter des débats l'attestation de Mme [O] [W], au motif qu'elle n'a pas été rédigée par cette dernière ni prise sous la dictée de celle-ci. Elle fait valoir qu'elle produit pour sa part une attestation de Mme [O] [W], datée du lendemain, écrite par l'intéressée dans sa langue maternelle et traduite. Elle soutient que, contrairement à ce qu'affirment les demandeurs, Mme [O] [W] sait écrire. Elle considère que les demandeurs se sont rendus coupable des faits de subornation de témoins.
Les demandeurs avancent pour leur part que l'attestation de Mme [O] [W] qu'ils versent aux débats a été prise sous la dictée, car cette dernière avait des difficultés pour écrire en français. Ils expliquent que ce témoin a simplement donné son avis sur la dégradation de l'état de santé de [J] [K], qu'elle l'a fait sans réticence tout comme elle leur a remis sans difficulté aucune sa pièce d'identité et le courrier qu'elle avait reçu de Mme [U] [V].
Réponse du tribunal
L'article 202 du code de procédure civile dispose que l'attestation contient la relation des faits auxquels son auteur a assisté ou qu'il a personnellement constatés. Elle mentionne les nom, prénoms, date et lieu de naissance, demeure et profession de son auteur ainsi que, s'il y a lieu, son lien de parenté ou d'alliance avec les parties, de subordination à leur égard, de collaboration ou de communauté d'intérêts avec elles. Elle indique en outre qu'elle est établie en vue de sa production en justice et que son auteur a connaissance qu'une fausse attestation de sa part l'expose à des sanctions pénales. L'attestation est écrite, datée et signée de la main de son auteur. Celui-ci doit lui annexer, en original ou en photocopie, tout document officiel justifiant de son identité et comportant sa signature.
Les demandeurs versent aux débats une attestation de Mme [O] [W], datée du 19 avril 2019, accompagnée de la pièce d'identité de cette dernière mais prise sous la dictée par M. [I] [P] qui « affirme prendre sous la dictée de Madame [O] [W] les témoignages ci-dessus marqués car Mme [O] [W] me dit ne pas savoir écrire ».
Mme [U] [V] verse aux débats une attestation de Mme [O] [W], datée du 20 avril 2019, rédigée en portugais et accompagnée de sa pièce d'identité. Elle y indique que M. [R] [H] est venu, en compagnie de son fils et son gendre, lui parler la veille. Elle écrit « Ils m'ont posé beaucoup de questions au sujet de M. [K] sans me donner le temps de m'expliquer, car je ne parle pas très bien français et j'ai du mal à m'exprimer. Parmi les questions, ils m'ont demandé si mon patron avait perdu la tête dernièrement. J'ai répondu que non, que tout le fatiguait. Juste après, ils m'ont donné un document écrit et m'ont demandé de le signer. Je me suis levée pour aller chercher mes lunettes pour essayer de comprendre ce que j'allais signer. Ils m'ont dit que ce n'était pas la peine, que c'était un simple document indiquant que M. [K] a toute sa tête et qu'ils voulaient me remercier plus tard. Ils m'ont donné le stylo et m'ont dit ''signez ici''. […] M . [R], son fils et son gendre ont abusé de moi, car ils ont vu que j'étais une victime facile qui ne comprend pas bien le français et qu'ils pouvaient faire ce qu'ils voulaient avec moi ».
Ces éléments suffisent à établir que l'attestation de Mme [O] [W] versée aux débats par les demandeurs (pièce n°20) ne contient pas les éléments auxquels elle a assisté ou qu'elle a personnellement constaté.
En conséquence, il convient d'écarter cette pièce des débats comme ne présentant pas des garanties suffisantes pour emporter la conviction du tribunal.
Sur la demande tendant à voir constater le nullité des deux derniers testaments d’[J] [K]
Les consorts [H] forment une demande d’annulation des deux derniers testaments d’[J] [K] des 23 février 2018 et 17 mars 2017 au titre de l’insanité d’esprit et à titre subsidiaire au titre du dol, pour ce qui concerne le testament du 23 février 2018.
Sur la demande d'annulation des deux testaments pour insanité d’esprit
Moyens des parties
Les demandeurs font valoir que [J] [K] ne disposait plus de toutes ses facultés mentales, psychologiques et physiques dès le début de l'année 2017. Ils indiquent notamment qu'il ne reconnaissait plus son amie de longue date Mme [S] [L], perdait la notion de jour et de nuit, sortait dans la rue nu sous sa robe de chambre. Ils évoquent de graves problèmes de drogue du défunt, qui avaient conduit à envisager son placement sous tutelle. Ils soutiennent que ses troubles du comportement et psychologiques se sont aggravés au début de l'année 2018, se manifestant par des incohérences, des absences. Ils avancent que les variations dans les témoignages de Mme [O] [W] peuvent s'expliquer par la crainte qu'avait celle-ci de perdre son contrat d'auxiliaire de vie et son logement, de sorte que Mme [U] [V] disposait d'une influence décisive sur ce témoin, sa situation et ses déclarations. Selon les demandeurs, la dégradation de l'état de santé d'[J] [K] allait de paire avec celle de son état mental. Ils relèvent que le docteur [E] a fourni, dans ses écrits versés aux débats, des informations contradictoires ; que certaines attestations produites par Mme [U] [V] émanent de salariées de l'immeuble dont elle est copropriétaire ; que M. [X] espérait racheter les murs de la pharmacie qu'il louait à [J] [K]. Enfin, s'agissant du testament du 23 février 2018, les demandeurs constatent qu'il est particulièrement concis par comparaison avec les testaments précédents, que la signature du défunt y est informe et tremblante.
Mme [U] [V] invoque la faiblesse de l'attestation de M. [Y] [B], libraire du défunt, au motif que celui-ci ne rencontrait [J] [K] qu'occasionnellement et pour de brefs instants, qu'il est possible d'être diminué physiquement et intellectuellement sans être pour autant insane d'esprit. S'agissant de l'attestation du docteur [E] produite par les demandeurs, la défenderesse relève que ses termes sont en totale contradiction avec ceux des certificats médicaux établis l'année précédente, lorsque les testaments litigieux ont été rédigés. Mme [U] [V] reconnaît que l'état de santé de [J] [K] s'est dégradé en début d'année 2018 mais soutient que sa capacité de discernement était préservée. Selon elle, le fait que Mme [S] [L] ait « quitté définitivement » le défunt à cette période peut expliquer la volonté de ce dernier de révoquer les legs particuliers qu'il lui avait consentis. La défenderesse affirme que les pièces médicales produites ne démontrent aucunement une dégradation des facultés mentales de [J] [K]. Elle rappelle qu'une écriture tremblante n'est pas le signe d'une insanité d'esprit et renvoie aux pièces médicales démontrant l'absence d'insanité d'esprit.
Réponse du tribunal
Aux termes de l'article 901 du code civil, pour faire une libéralité, il faut être sain d'esprit. La libéralité est nulle lorsque le consentement a été vicié par l'erreur, le dol ou la violence.
Aux termes de l’article 414-1 du code civil, pour faire un acte valable il faut être sain d’esprit. C’est à ceux qui agissent en nullité pour cette cause de prouver l’existence d’un trouble mental au moment de l’acte.
Les consorts [H] ont la charge de la preuve de l’insanité d’esprit d'[J] [K] au moment de la rédaction des deux testaments, c'est à dire en mars 2017 et en février 2018, dès lors qu’ils sont demandeurs à l’annulation de ces actes.
A cet effet, les consorts [H] produisent l'avis médical de son médecin traitant, le docteur [E] qui atteste qu’[J] [K] n’avait pas toutes ses facultés mentales, psychologiques et physiques de la fin d'année 2017 jusqu’à son décès.
Ils produisent également deux bulletins d’hospitalisation des 18 et 20 septembre 2017 dont il résulte qu’[J] [K] a été admis aux urgences puis dans le service Médico-Gérontologique et Soins Palliatifs du centre Hospitalier [14] à [Localité 9], sur demande de son médecin traitant, pour état confusionnel aigu et désorientation temporo-spatiale.
Le premier compte rendu d’hospitalisation du 18 septembre 2017, du centre hospitalier [14], fait état de « confusion mentale, trouble vigilance », « état confusionnel aigu, désorientation temporo-spatiale ». Le compte rendu conclut à la nécessité d’« actes complémentaires diagnostics ou thérapeutiques ».
Le deuxième compte rendu d’hospitalisation du 28 septembre 2017, du Pôle Médico-Gérontologique et Soins Palliatifs, du centre hospitalier de [14], note « le patient est calme, mais est effectivement ralenti avec une tendance à la banalisation des informations données ». Le MMS réalisé dans le service est de 24/30. L’échange est de qualité, il n’y a pas de trouble thymique ou de la mémoire évident : il a une bonne orientation dans le temps et l’espace. Des explorations complémentaires pourraient être réalisées en Centre Mémoire, si le patient l’accepte. » Il est précisé que les informations données au patient l'ont été « dans la limite de ses capacités de compréhension ».
Enfin, il résulte du dossier médical du même centre hospitalier [14], du 12 février 2018, qu’[J] [K] a fait une chute, dans des circonstances « pas claires ». Celui-ci quitte l'hôpital après quelques heures avec Mme [V], qui préfère qu'il rentre à son domicile et indique qu'ils iront consulter en gériatrie après avis du médecin traitant pour bilan de fragilité. Il est précisé dans ce compte rendu que des actes complémentaires diagnostics ou thérapeutiques sont nécessaires.
Les consorts [H] produisent par ailleurs une lettre qui leur avait été adressée par Mme [U] [V] le 4 février 2018, par laquelle elle avise les consorts [H] des difficultés de santé d’[J] [K] et de son incapacité à y faire face. Elle fait état de chutes fréquentes et de difficultés à marcher, dit qu'il n'a pas le moral.
M. [F] [N], ami de vingt ans du défunt, atteste que depuis 2016-2017 [J] [K] n’était plus tellement lucide. Son libraire habituel atteste qu'il était diminué physiquement et intellectuellement notamment depuis octobre 2017.
Pour sa part, Mme [V] produit deux certificats datés des 4 mai et 2 juillet 2018 du docteur [E], médecin traitant d’[J] [K], dont il résulte pour le premier que « [J] [K] a toutes ses facultés mentales afin de signer des papier administratifs, pour vendre un appartement » et pour le deuxième que « en qualité de médecin traitant d’[J] [K] je certifie que celui-ci possède toutes ses capacités intellectuelles et est capable de signer des papier administratifs ».
Dans une attestation du 7 mai 2019, la gardienne de l’immeuble où résidait [J] [K] témoigne de ce qu'il avait gardé toutes ses capacités intellectuelles jusqu’au dernier jour de sa vie. De même, le gardien de l’immeuble, dans une attestation du 15 avril 2019, affirme qu’[J] [K] était sain d’esprit jusqu’à la fin de sa vie.
Ainsi, il apparaît que [J] [K] a rencontré des difficultés de santé à compter de l'année 2017 et plus particulièrement à la fin de cette année, consistant en une altération de ses facultés physiques et se manifestant notamment par des chutes. Si les comptes-rendus d'hospitalisation des 18 et 28 septembre 2017 permettent de retenir un épisode de confusion, ces éléments médicaux font état de troubles cognitifs seulement légers et les pièces médicales débattues ne démontrent pas que [J] [K] n'était pas sain d'esprit en mars 2017 soit six mois plus tôt ou en février 2018 soit cinq mois plus tard.
Au regard de ces éléments, il n'est pas démontré qu'[J] [K] n'était pas sain d'esprit lorsqu'il a rédigé les testaments des 12 mars 2017 et 23 février 2018 et leur nullité ne sera pas prononcée de ce chef.
Sur la demande d'annulation du testament du 23 février 2018 pour manœuvres dolosives
Moyens des parties
Les demandeurs affirment que, malgré le PACS qu'ils avaient conclu, Mme [U] [V] et [J] [K] ne vivaient pas ensemble, que la défenderesse ne s'occupait de son partenaire que les week-ends. Ils affirment que Mme [U] [V] partait en vacances sans le défunt quand Mme [S] [L] a pour sa part voyagé avec [J] [K] plusieurs fois par an, à l'étranger, entre 2009 et 2016. Ils décrivent Mme [U] [V] comme manipulatrice, autoritaire, décidant à la place de [J] [K]. Ils expliquent que la défenderesse a changé les serrures du logement du défunt, afin de l'isoler et asseoir son emprise, son influence sur son partenaire. Ils relatent des faits délictueux dont [J] [K] a été la victime en mars et mai 2017, facilités par son état de faiblesse et sa naïveté. Ils soutiennent que le choix du PACS avec Mme [U] [V] et les premiers testaments montrent clairement que [J] [K] n'entendait pas léguer la totalité de ses biens à sa partenaire. Ils affirment que l'altération de ses facultés mentales, psychologiques et physiques ne permettaient pas à [J] [K] de consentir valablement. Selon eux, en entourant son partenaire de marques d'affection trompeuses et en l'isolant des siens, sans pour autant être présente auprès de lui, Mme [U] [V] a obtenu de devenir la légataire universelle de [J] [K], qui n'était plus en mesure d'apprécier la nature et la portée de ses actes.
Mme [U] [V] fait valoir que les allégations des demandeurs ne reposent sur aucun élément probant. Elle pointe que les deux plaintes déposées par [J] [K] en mars et mai 2017 ne la concernent absolument pas. Elle rappelle que sa relation sentimentale avec le défunt a duré plus de vingt ans et n'a pris fin qu'au décès de celui-ci. Elle affirme qu'en revanche, [J] [K] a été abusé par Mme [S] [L], laquelle a perçu d'importantes sommes d'argent de sa part. Elle indique enfin que M. [R] [H] et Mme [C] [H] ne rencontraient leur oncle qu'une fois par an.
Réponse du tribunal
L'article 901 du code civil dispose notamment que la libéralité est nulle lorsque le consentement a été vicié par l'erreur, le dol ou la violence.
L'article 1137 du code civil définit le dol comme le fait d'obtenir le consentement de l'autre par des manœuvres ou des mensonges, la dissimulation intentionnelle d'une information déterminante pour l'autre partie.
En premier lieu, il convient de relever que les demandeurs appuient leur argumentation concernant les manœuvres dolosives de Mme [U] [V] sur le fait que celles-ci auraient été facilitées par l'altération des facultés intellectuelles, mentales et physiques de [J] [K]. Il sera donc rappelé que l'altération des facultés intellectuelles et mentales du défunt n'est pas démontrée et n'a pas été retenue.
Ensuite, l'on peine à comprendre comment Mme [U] [V] aurait pu entourer [J] [K] de marques d'affection trompeuses et l'éloigner de ses proches pour asseoir son emprise tout en étant, comme l'indiquent les demandeurs, peu présente à ses côtés, résidant dans un logement séparé, régulièrement en vacances sans son partenaire.
Les demandeurs n'expliquent pas comment le fait que Mme [U] [V] ait été prise en photographie en vacances avec un homme n'étant pas son mari peut constituer une manœuvre dolosive déterminant [J] [K] à la désigner comme légataire universelle. Les demandeurs relèvent que Mme [U] [V] ne rapporte pas suffisamment la preuve de ce que cet homme est son neveu mais n'apportent, pour leur part, aucun élément de nature à démontrer que cet homme serait son amant.
Les deux plaintes déposées par le défunt en mars et mai 2017, pour vols aggravés contre des jeunes femmes inconnues qu'il avait invitées à son domicile après un dîner, si elles renseignent quant à la vulnérabilité de [J] [K], n'apportent aucun élément quant au caractère prétendument manipulateur de la défenderesse.
Il ne ressort des éléments versés aux débats aucune manœuvre, aucun mensonge, aucune dissimulation intentionnelle d'une information déterminante ayant conduit [J] [K] à désigner Mme [U] [V] comme légataire universelle dans le testament du 23 février 2018.
Dès lors, la demande d'annulation de ce testament est rejetée.
Les demandes d'annuler les testaments des 12 mars 2017 et 23 février 2018 étant rejetées, les demandeurs sont également déboutés de leur demande d'enjoindre à Mme [U] [V] d’avoir, sous astreinte, à délivrer les legs particuliers suivants :
à Mme [C] [H] et M. [R] [H], ensemble la somme de 400 000 euros, nette de tous frais et droits ;à Mme [S] [L], la somme de 400 000 euros, nette de tous frais et droits.
Sur les autres demandes
Les demandeurs, qui succombent en leurs prétentions, sont condamnés aux dépens.
Aux termes de l'article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans tous les cas, le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à ces condamnations. Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu'elles demandent.
Il convient en l'espèce de rejeter la demande faite par Mme [C] [H], Mme [S] [L] et M. [R] [H] sur ce fondement. Chacun des demandeurs est condamné à verser à Mme [U] [V] la somme de 1500 euros à ce titre.
Aux termes de l'article 514 du code de procédure civile, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n'en dispose autrement.
Eu égard à la nature du litige, il n'y a pas lieu de faire échec à l'exécution provisoire de la présente décision.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal, statuant par jugement contradictoire, rendu publiquement en premier ressort et par mise à disposition au greffe,
CONSTATE l'incompétence du tribunal pour statuer sur la recevabilité des demandes de Mme [S] [L],
ECARTE des débats la pièce n°20 des demandeurs,
DEBOUTE Mme [C] [H], Mme [S] [L], M. [R] [H] de leur demande d'annulation des testaments des 12 mars 2017 et 23 février 2018,
DEBOUTE Mme [C] [H], Mme [S] [L], M. [R] [H] de leurs demandes subséquentes,
CONDAMNE Mme [C] [H], Mme [S] [L] et M. [R] [H] aux entiers dépens de l'instance,
DEBOUTE Mme [C] [H], Mme [S] [L], M. [R] [H] de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE Mme [C] [H] à verser à Mme [U] [V] la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE M. [R] [H] à verser à Mme [U] [V] la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE Mme [S] [L] à verser à Mme [U] [V] la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
RAPPELLE que l'exécution provisoire est de droit.
La présente décision a été signée par Mme Cécile BAUDOT , Première Vice-présidente adjointe et par Mme Soumaya BOUGHALAD, Greffier.
LE GREFFIER LE PRESIDENT