TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE NANTERRE
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PÔLE CIVIL
Pôle Famille 3ème section
JUGEMENT RENDU LE
23 Juillet 2024
N° RG 20/00086 - N° Portalis DB3R-W-B7E-VOHY
N° Minute : 24/113
AFFAIRE
[F] [M]
C/
[Y] [H]
Copies délivrées le :
DEMANDERESSE
Madame [F] [M]
[Adresse 1]
[Localité 6]
représentée par Maître Laurence COURNOT-VERNAY de l’AARPI CHASSIN COURNOT-VERNAY, avocats au barreau de PARIS, vestiaire : A0210
DEFENDEUR
Monsieur [Y] [H]
[Adresse 4]
[Localité 5]
représenté par Me Carole GUILLEMIN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : B0456
En application de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 02 Mai 2024 en audience publique devant :
Caroline COLLET, Vice-présidente
magistrat chargé du rapport, les avocats ne s’y étant pas opposés.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries au tribunal composé
Cécile BAUDOT, Première vice-présidente adjointe
Caroline COLLET, Vice-présidente
Sylvie MONTEILLET, Vice-présidente
Greffier : Soumaya BOUGHALAD
JUGEMENT
prononcé en premier ressort, par décision Contradictoire et mise à disposition au greffe du tribunal conformément à l’avis donné à l’issue des débats.
FAITS ET PROCEDURE
Mme [F] [M] et M. [Y] [H] ont contracté mariage le [Date mariage 3] 2018, sans avoir fait précéder leur union d'un contrat de mariage.
Le 4 décembre 2018, Mme [F] [M] a fait donation à M. [Y] [H] de la somme de 116 580 euros. Cette donation a été acceptée par M. [Y] [H]. Le même jour, les époux ont acquis pour la communauté un bien immobilier situé [Adresse 2], au prix de 651 000 euros.
Le couple s'est séparé et M. [Y] [H] a saisi le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Créteil d'une requête en divorce. A ce jour, le divorce des parties n'est pas prononcé.
Par acte du 4 décembre 2019, Mme [F] [M] a assigné M. [Y] [H] devant le tribunal de grande instance de Nanterre aux fins notamment de voir annuler la donation du 4 décembre 2018.
Aux termes de ses dernières écritures notifiées par la voie électronique le 15 juin 2021, Mme [F] [M] demande au tribunal de :
ordonner la révocation de la donation en date du 4 décembre 2018 reçue par la SCP « [7], notaires associés d’une société civile professionnelle » dont le siège social est à [Adresse 9] de Mme [F] [M] au profit de M. [Y] [H] de la toute propriété de la somme de 116 576,96 euros pour cause d’ingratitude,condamner M. [H] à verser à Madame [M] la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens,débouter M. [H] de ses demandes plus amples et contraires.
Aux termes de ses dernières écritures notifiées par la voie électronique le 29 mars 2021, M. [Y] [H] demande au tribunal de :
débouter Mme [F] [M] de sa demande en révocation de la donation en date du 4 décembre 2018 reçue par la SCP [7], notaires associés,condamner Mme [F] [M] à verser à M. [Y] [H], la somme de 5 000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile,la condamner aux entiers dépens.
Ainsi que le permet l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer aux dernières conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs moyens et prétentions.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 21 octobre 2021, l'affaire a été fixée et évoquée à l'audience du 2 mai 2024, avant d'être mise en délibéré par mise à disposition au greffe.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la révocation de la donation en date du 4 décembre 2018
Moyens des parties
Mme [F] [M] fait valoir que M. [Y] [H] s'est montré injurieux et violent durant leur voyage de noces au Sri Lanka, puis dans les mois qui ont suivi. Elle dit avoir été manipulée et dénigrée par son époux. Elle décrit un comportement harcelant de M. [Y] [H], maladivement jaloux du fait des nombreux déplacements exigés par son activité professionnelle, étant pilote de ligne. Elle explique que son époux lui a fait part de son souhait de divorcer, sans aucune raison et dans des termes violents, quelques semaines à peine après s'être procuré la preuve de la donation qu'elle lui avait consentie. Elle ajoute que ce comportement l'a conduite à être suivie par une psychologue et à bénéficier d'un arrêt de travail. Elle fait également état de dépenses faites par M. [Y] [H] au moyen de leur compte-joint, alors qu'elle était en vol, avant qu'il ne se désolidarise du compte sans l'en avertir, l'empêchant ainsi d'accéder à ce compte sur lequel elle percevait ses salaires. Elle constate que son mari l'a assignée en divorce en juillet 2019, lorsque le couple a été confronté à ses premières difficultés. En réponse à l'argumentation du défendeur, elle expose qu'elle était prête à tout pour sauver son mariage mais qu'elle a tout de même quitté le domicile conjugal pour protéger son fils [C], qui était accusé par [L], la fille de M. [Y] [H] issu d'une précédente relation, de violences sexuelles.
M. [Y] [H] conteste tous sévices, délits ou injures graves à l'égard de son épouse. Il affirme que les échanges entre époux versés aux débats par la demanderesse datent d'une période à laquelle cette dernière organisait déjà son départ du domicile conjugal, sans qu'il n'en soit alors informé. Selon lui, la séparation du couple a résulté du fait que Mme [F] [M], outrée par les accusations de violences sexuelles portées par la fille de son mari à l'égard de son fils, lui a demandé de choisir entre elles deux. Il explique que Mme [F] [M] a finalement quitté le domicile conjugal le 15 juillet 2019, alors qu'il était absent et sans l'avoir préalablement averti. Il soutient qu'il a souhaité sauver son couple. Il considère que la plainte du 12 septembre 2019 a été déposée par Mme [F] [M] pour les besoins de la présente procédure, que les attestations versées aux débats par la demanderesse échouent à démontrer quoique ce soit, s'agissant uniquement de la reprise de ses propos. Il en conclut que la seule mésentente ne peut suffire à caractériser les injures graves qu'invoque Mme [F] [M] pour remettre en cause la donation irrévocable qu'elle lui a consentie.
Réponse du tribunal
Aux termes de l'article 955 du code civil, la donation entre vifs ne pourra être révoquée pour cause d'ingratitude que dans les cas suivants: si le donataire a attenté à la vie du donateur ; s'il s'est rendu coupable envers lui de sévices, délits ou injures graves ; s'il lui refuse des aliments.
Les injures graves évoquées dans le texte précité s'entendent de tout comportement offensant à l'égard du donateur, de nature à l'atteindre dans son honneur et sa réputation. Elles s'apprécient au regard des circonstances et des qualités des personnes.
Il revient à la juridiction d'apprécier souverainement la pertinence et l'admissibilité des faits invoqués à l'appui d'une action en révocation d'une donation pour ingratitude et, si l'injure est constituée, si elle revêt un degré de gravité suffisant pour entraîner cette révocation.
La révocation d'un acte de donation pour ingratitude ne peut être prononcée que pour des faits commis par le donataire postérieurement à sa réalisation (Civ. 1re, 9 janvier 2008, no 06-20.108). Dès lors, c'est en vain que le comportement de M. [Y] [H] avant la donation, notamment son empressement à se marier ou à mettre en place une stratégie pour disposer de droits égaux à ceux de son épouse dans l'achat d'un bien commun, est ici invoqué par la demanderesse. En effet, ces éléments étaient connus de Mme [F] [M] lorsqu'elle a librement consenti la donation litigieuse à son époux et ne peuvent donc justifier qu'elle soit révoquée.
La donation entre vifs consentie par Mme [F] [M] à M. [Y] [H], par acte notarié, le 4 décembre 2018 est versée aux débats. L'irrévocabilité de la donation y est bien mentionnée et les parties ont été pleinement informées des conséquences de cet acte. L'attention des parties a notamment été appelée sur le fait que « les présentes seront maintenues même si elles venaient à divorcer entre elles ».
Mme [F] [M] verse aux débats une déclaration de main-courante en date du 22 juin 2019, par laquelle elle explique qu'elle quittera le domicile conjugal le 15 juillet 2019 dans le but de protéger son fils. Elle précise que M. [Y] [H] a pris les certificats d'authenticité de ses bagues, les relevés de compte bancaire et documents qu'elle avait préparés pour le divorce. Elle déclare que son époux s'est désolidarisé du compte joint, qu'il a ainsi bloqué. Elle décrit un chantage pour l'empêcher d'évoluer professionnellement, « du chantage vis-à-vis du père de [son] fils ». Elle se plaint de crises de jalousie régulières et de s'être vu reprocher par M. [Y] [H] d'avoir un contrat d'assurance-vie dont il n'était pas le bénéficiaire.
Mme [F] [M] a ensuite déposé plainte contre son époux le 12 septembre 2019, au commissariat d'[Localité 8]. Elle fait état d'une scène de violence survenue en décembre 2018 durant leur voyage de noces, au motif qu'elle aurait regardé un homme ; elle explique que M. [Y] [H] lui a enjoint de se comporter comme une femme mariée, de baisser les yeux, l'a poussée au sol, l'a prise violemment par le bras, lui a crié dessus. Ces déclarations ne sont pas corroborées. L'échange de courriels entre la demanderesse et M. [E] [O] n'apporte aucun élément quant à ce dont ce dernier aurait pu être témoin.
Une nouvelle plainte a été déposée par Mme [F] [M] le 4 octobre 2019 au commissariat d'[Localité 8], pour violences psychologiques. Elle y détaille les conditions dans lesquelles la donation à M. [Y] [H] a été consentie puis déclare que les violences psychologiques ont commencé après qu'elle a obtenu la garde de son fils le 6 décembre 2018, sans toutefois décrire ces violences de manière précise et circonstanciée.
Ces trois pièces, support de l'argumentation développée par Mme [F] [M] dans ses conclusions, n'étayent pas son positionnement en ce qu'il s'agit de ses propres déclarations, unilatérales, qu'aucun élément objectif ne vient soutenir.
Les échanges entre les parties, versés aux débats, ont pu être l'occasion pour M. [Y] [H] de tenir, au cours de disputes, des propos désagréables (« Je ne veux plus de toi », « Tu me dégoûtes maintenant ») ou volontairement provocants (« vu que tu es fragile et influençable je ne donne pas cher de toi face à un psy »).
Le contexte dans lequel ces échanges interviennent doit être cependant précisé en ce qu'il permet de constater qu'ils sont la conséquence de difficultés préexistantes dans le couple. En effet, en février 2019, [C], fils de Mme [F] [M] issu d'une précédente union, a été entendu par les services de gendarmerie comme mis en cause pour des faits de violences sexuelles commis à l'encontre de [L], fille de M. [Y] [H] issue d'une précédente relation. Si cette procédure a finalement été classée sans suite, elle a été la source de tensions entre les parties, contraintes notamment d'envisager une organisation familiale permettant aux deux enfants de ne pas être mis en présence l'un de l'autre.
Ainsi, les échanges de messages entre les parties ne permettent pas de relever un comportement gravement injurieux de la part du défendeur à l'égard de son épouse et les propos des parties ne s'éloignent pas de ceux habituellement tenus au sein d'un couple qui rencontre des difficultés, dont la présente juridiction est familière. Aucune injure grave envers Mme [F] [M] au sens de l'article 955 du code civil n'en ressort.
Mme [B] [R], Mme [U] [A], Mme [W] [P], Mme [V] [J] attestent avoir perçu des tensions au sein du couple formé par les parties. Elles rapportent les confidences qui lui ont été faites par leur amie Mme [F] [M]. M. [Z] [D] explique avoir dû cesser tout échange de messages avec Mme [F] [M] du fait de la jalousie de son mari.
Les documents et pièces versés aux débats montrent que le couple formé par les parties a rencontré des difficultés majeures, très rapidement après le mariage. Ces difficultés ont été perceptibles pour leur entourage, ont conduit Mme [F] [M] à consulter une psychologue, à faire l'objet d'un arrêt de travail du 21 juin au 5 juillet 2019.
Pour autant, les éléments débattus ne permettent pas de retenir que M. [Y] [H] s'est rendu coupable envers Mme [F] [M] d'injures graves au sens de l'article 955 du code civil, de nature à entraîner la révocation pour ingratitude de la donation consentie le 4 décembre 2018.
En conséquence, Mme [F] [M] sera déboutée de sa demande.
Sur le surplus
Mme [F] [M], qui succombe en ses prétentions, est condamnée à supporter les entiers dépens de l'instance.
Aux termes de l'article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans tous les cas, le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à ces condamnations. Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu'elles demandent.
En l'espèce, l'équité commande de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et de rejeter les demandes faites par chacune des parties sur ce fondement.
Aux termes de l'article 514 du code de procédure civile en vigueur lorsque la présente instance a été introduite, l'exécution provisoire ne peut pas être poursuivie sans avoir été ordonnée si ce n'est pour les décisions qui en bénéficient de plein droit. Sont notamment exécutoires de droit à titre provisoire les ordonnances de référé, les décisions qui prescrivent des mesures provisoires pour le cours de l'instance, celles qui ordonnent des mesures conservatoires ainsi que les ordonnances du juge de la mise en état qui accordent une provision au créancier.
En l'espèce, il n'y a pas lieu d'ordonner l'exécution provisoire.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal, statuant par jugement contradictoire, rendu en premier ressort et par mise à disposition au greffe,
DEBOUTE Mme [F] [M] de sa demande de révocation de la donation en date du 4 décembre 2018 reçue par la SCP « [7], notaires associés d’une société civile professionnelle » au profit de M. [Y] [H],
DEBOUTE Mme [F] [M] de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
DEBOUTE M. [Y] [H] de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE Mme [F] [M] à supporter les entiers dépens de l'instance,
DIT n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire.
La présente décision a été signée par Mme Cécile BAUDOT , Première Vice-présidente adjointe et par Mme Soumaya BOUGHALAD, Greffier.
LE GREFFIER LE PRESIDENT